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Full text of "Mémoires de l'Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen"

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I 


MÉMOIRES 

DE L’ACADÉMIE NATIONALE 

DE CAEN 


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MEMOIRES 


DE 

L’ACADÉMIE NATIONALE 

DES 

SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES 

DE CAEN 



CAEN 

IMPRIMERIE G. POISSON & Ci» 

16, Rue Froide, 16 


1915 


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ÉTUDE CRITIQUE 


SUR 

DU DON DE SAINT-QUENTIN 



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ÉTUDE CRITIQUE 


SUR 


DUDON DE SAINT-QOENTIN 

ET 

Son Histoire des premiers Ducs Normands 


Henri PRENTOUT 

Professeur d'HIstoire de Normandie à l'Université de Caen 


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PREFACE 


Quand on publie, aujourd’hui, un livre étranger au 
seul objet qui occupe nos esprits et nos cœurs, on 
éprouve le besoin de s'excuser. Et pourtant, puisque 
le Gouvernement n'a pas appelé à d'autres devoirs 
les hommes de notre âge, puisqu'heureusement bien 
des tâches crées par la guerre sont devenues inutiles, 
celles du moins qui nous furent réservées, il faut que 
nous remplissions cette triple fonction du professeur 
de Faculté, qui aurait été ainsi définie par l'un des fon¬ 
dateurs des Universités françaises : enseigner, écrire, 
faire progresser la science — ceci dans la mesure de 
nos forces, évidemment. 

Il ne nous reste plus qu'à exposer, comme en toute 
préface, le sujet de notre livre, qui, sans la guerre, 
eût sans doute paru plus tôt, et aussi à expliquer sa 
méthode. 

Le sujet, je l’ai suffisamment justifié dans l'Intro¬ 
duction du présent ouvrage. Dudon de Saint-Quentin 
est le premier des historiens normands, le premier en 
date ; il est aussi la source où tous les autres ont 
puisé. Le problème de sa véracité se posait donc 
pour celui qui fut nommé, en 1901, dans la chaire 
nouvelle d’Histoire de Normandie à l'Université de 
Caen ; il se posait, il s’imposait, puisqu’il était impos- 


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VIII ÉTUDE CRITIQUE 

sible de songer à écrire une Histoire de Normandie 
sans l’avoir préalablement résolu. Nous l’abordâmes 
donc dans la première année de notre enseignement, 
dans une conférence aux étudiants sur les Invasions 
des Normands et sur les états créés par eux. Nous 
reprîmes la question par la suite, sous la forme 
d’explications du texte de Dudon ; puis, en 191 1, en un 
cours public, professé à l'occasion du Millénaire, 
qui devint un livre de vulgarisation publié sous ce 
titre : Essai sur les origines et la fondation du 
duché de Normandie , et dédié à notre regretté maître, 
M. G. Monod. 

Mais nous sentions que nous n’avions pas encore 
suffisamment approfondi cette question capitale et 
nous ne cessions de remettre notre travail sur le 
chantier. Après quinze ans d'efforts, nous avons cru 
devoir rédiger ce mémoire. C'était un ouvrage néces¬ 
saire que réclamait la science française, par la plume 
autorisée des rédacteurs des Annales Carolingiennes 
qui tous proclamaient que l'introduction de M. Lair 
au De Moribus de Dudon devait être entièrement 
reprise. 

Ajoutons que cette tâche nous tentait, puisqu'elle 
était une étude critique de textes et qu'elle nous 
offrait une occasion de mettre à l'épreuve et eu oeuvre 
une méthode. Cette méthode, il nous est permis de 
la louer hautement, car, naturellement, ce n’est pas 
nous qui l’avons inventée. Étudiant en Sorbonne et 
candidat à l'agrégation d'histoire, il y a plus de vingt- 
cinq ans, nous connûmes l'époque où la plus grande 
partie des conférences était consacrée à la critique 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN’ IX 

minutieuse et fouillée des six auteurs du programme, 
chaque année renouvelés : deux auteurs grecs, deux 
auteurs latins, deux auteurs français. Des deux auteurs 
latins, l'un était toujours pris dans le moyen âge. 
Familiarisé avec l’étude de cette dernière époque, par 
l’enseignement de M. Coville, à Caen, de M. Luchaire 
et Ch.-V. Langlois, à Paris, nous nous appliquâmes 
tout particulièrement à l’épreuve de l’explication, au¬ 
jourd’hui disparue des programmes de l’agrégation 
et qui ne doit pas disparaître des programmes des 
Facultés. Avec Gabriel Monod, aux Hautes Études, 
avec Luchaire et Guiraud, à la Sorbonne, nous nous 
donnâmes à ce travail pénible, souvent aride, mais 
qui est la meilleure école de la critique, la meilleure 
formation historique Rechercher toutes les sources 
où un auteur a puisé, décomposer pour ainsi dire 
les éléments de son information, et c’est ce que nous 
avons ici essayé de faire pour Dudon, saisir toutes 
les nuances du texte, tâcher d’en comprendre toute 
la portée, d’en éclairer toutes les parties, » faire suer 
le texte », comme disait énergiquement notre maître 
Guiraud en une formule saisissante, c’est-à-dire en 
exprimer tout ce qu'il peut donner, voilà les objets 
de cette méthode. Guiraud, disciple de Fustel, et 
d’ailleurs disciple original, apportait ici des principes 
très nets ; il se refusait à admettre les corrections 
nées de la fantaisie des scoliastes ou de l’érudition 
trop imaginative des savants allemands ; quand nous 
lui proposions ces corrections, au cours des explica¬ 
tions préparées par nous, il les rejetait d'un décisif : 
« Ça m’est égal ». Il professait excellemment qu'il 


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X 


ETUDE CRITIQUE 


ne fallait jamais corriger le texte, en vue de le faire 
cadrer, par une substitution de mot ou de lettre, ou 
par une addition, avec une théorie ou une hypothèse 
préconçue. Et nous aussi, nous nous sommes re¬ 
fusé nettement aux corrections que M. Steenstrup et 
M. Lair proposaient au texte de la Complainte latine 
sur la mort de Guillaume Longue-Épée. Guiraud 
professait qu'un texte, peu clair ou à première vue 
surprenant, étudié, fouillé, avait toujours un sens 
que, très souvent, on n’avait pas su distinguer, que 
ce sens il fallait essayer de le dégager, non en se 
plaçant à notre point de vue d'hommes du XIX' siècle, 
mais en se remettant dans le milieu de l’auteur, à 
son époque, dans la civilisation où il vivait, qu’il 
fallait toujours envisager les circonstances où il écri¬ 
vait et c’est ce que nous n’avons cessé de faire pour 
Dudon, écrivain du XI' siècle. 11 enseignait encore, 
notre regretté maître Guiraud, je me le rappelle no¬ 
tamment à propos du Lycurgue de Plutarque, qu’il 
ne faut jamais repousser une assertion, parce qu’elle 
choque nos idées ou qu’elle nous parait étrange. 
Si extraordinaire qu’elle puisse être à nos yeux, elle 
peut s'expliquer parfaitement par les circonstances 
sociales, économiques ou par les idées morales du 
temps, et l'auteur pouvait avoir des renseignements 
que nous n'avons pas, des sources peut-être que nous 
avons perdues. C'est dans cet esprit que nous avons 
étudié tout ce qui, dans Dudon, est relatif à la société 
Scandinave, à Hasting, aux causes des invasions, à 
l’établissement des vikings en Normandie, que nous 
avons utilisé les Sagas. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XI 


Que l’on nous pardonne d'insister sur cette mé¬ 
thode ; c’est que nous avons été entraîné à la déve¬ 
lopper et à la louer par un sentiment de légitime 
reconnaissance. Pour apprécier l'œuvre d'un maître 
et qui enseigne, tel que Fustel de Coulanges, l'œuvre 
d’un Gabriel Monod, d’un Guiraud, d'un Luchaire, 
d’un Sorel, pour ne parler que des disparus (i), il 
ne faut point seulement songer à leurs livres, mais 
aux esprits qu'ils ont formés. Ces maîtres ont eu 
une part considérable dans la renaissance de l'école 
historique française et si jamais cette renaissance 
subissait une éclipse, ce serait à leur méthode qu'il 
faudrait revenir (2). 

On s’étonnera peut-être, cette méthode étant ainsi 
exposée, que nous n’ayons pas cru devoir donner 
une nouvelle édition du De Moribus , accompagnée d’un 
commentaire. C'est à cette tâche que nous conviaient, 
lors de l’apparition de notre Essai, certains savants 

( I ) U y faut aussi songer pourmesurer l’action d’un Lavisse, 
par exemple. 

(2) Qui aujourd'hui trouverait étrange ce rapprochement, 
clans une même admiration, de Fustel de Coulanges et de 
Gabriel Monod ? Eux-mêmes, avec la largeur d’esprit qui les 
caractérisait, oublièrent très vite des critiques réciproques. 
Gabriel Monod aimait à se souvenir que Fustel de Coulanges 
l'avait appelé, en dépit de ces critiques, à succéder, à l'École 
normale, à M. Lavisse et il a fait de Fustel un très bel éloge 
dans la Revue Historique. Guiraud a montré, à la Sorbonne, 
que la meilleure préparation de l’histoire, n'ayons garde de 
l’oublier, est l étude des textes de l’antiquité, et Gabriel 
Monod, aux Hautes Études, a formé les maîtres dont les œuvres 
tiennent une si grande place dans notre bibliographie. 


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XII 


ÉTUDE CRITIQUE 


anglais, notamment l’excellent érudit Sir Henry Ho- 
worth. Expliquons, en quelques mots, pourquoi, 
après y avoir un instant songé, nous avons cru cette 
tâche inutile. Les manuscrits de Dudon, sans être 
extrêmement nombreux, sont très dispersés ; il en est 
en Angleterre, à Cambridge; en Hollande, à Leyde; 
dans les pays occupés par l’ennemi, à Douai ; leur 
étude était donc chose fort difficile et même impos¬ 
sible en ce moment. Et, au reste, était-ce œuvre utile? 
Ce qui est à refaire dans l’édition de M. Lair, c'est 
l’introduction où il a entrepris la tâche impossible de 
justifier toutes les assertions de Dudon. Mais l’éta¬ 
blissement du texte a été fait avec conscience. M. Lair 
avait eu soin d’indiquer toutes les variantes des ma¬ 
nuscrits. Au point de vue du texte, nous travaillons 
donc avec sécurité. Sans doute, il m’est arrivé, en l'étu¬ 
diant de près, d'y relever quelques fautes probables, 
de différer d’avis, avec M. Lair, sur une ponctuation. 
Ces vétilles ne méritaient pas que l’on publiât une 
nouvelle édition. 

Au contraire, ayant de Dudon et des sources de cet 
auteur une idée radicalement différente de celle de 
M. Lair, puisqu’aux yeux de celui-ci Dudon consti¬ 
tuait une source originale et, qu’aux miens, il est, au 
contraire, tout entier fait d’emprunts qu'il s’agissait de 
retrouver, il importait tout à fait de publier une étude 
critique. Était-il nécessaire de prendre pour base de 
cette étude une réimpression du texte ? Que l’on me 
permette de dire que ce qui m’a définitivement dé¬ 
tourné de cette idée, c’est l'apparition de la nouvelle 
édition de Guillaume de Jumièges, de M. Marx. Cette 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XIII 


édition, nous autres Normands, nous l’attendions avec 
impatience, nous l’attendions de M. Lair, puis de 
M. Lot ; c’est M. Marx qui nous l'a enfin donnée. 
Nous lui en sommes profondément reconnaissants, 
si vives qu’aient été les critiques que nous avons 
adressées à son annotation au cours de notre livre. 
M. Marx nous a, en effet, rendu le grand service de 
nous donner, en un format maniable, un texte de 
Guillaume de Jumièges, débarrassé des interpolations 
et précédé d'une bonne introduction sur les manus¬ 
crits (i). Quant aux notes, elles sont insuffisantes ; 
empressons-nous d'ajouter qu’elles devaient l’être. 11 
est tout à fait impossible, en effet, de faire, en marge 
d’une oeuvre qui pose autant de problèmes que celle de 
Dudon ou de Guillaume de Jumièges, la critique de 
l’auteur. Matériellement, notre livre va dépasser la 
longueur du texte de Dudon. Que l'on imagine en 
note une telle masse de discussions critiques. Il ne 
nous échappe pas qu’elles sont déjà fort ennuyeuses 
à lire, sous la forme où nous les présentons. Eùt-il 
donc fallu les jeter en d’interminables commentaires? 
Je crois, d’ailleurs, que nous devrions en revenir, en 
matière de publication de textes, à la méthode de nos 
amis anglais : dans la collection du Maître des Rôles, 
ils s’attachent uniquement à nous donner un texte 
sûr, avec les variantes, le font précéder d’une subs¬ 
tantielle introduction sur l’auteur, son œuvre, les ma¬ 
nuscrits, leur filiation, la méthode d’établissement du 

(1) Voir cependant quelques réserves de M. C.-H. Haskins, 
dans son compte rendu de YEnglish Hisiorical Revieu'. 


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XIV 


ETUDE CRITIQUE 


texte, mais se gardent résolument d’en faire la cri¬ 
tique ; ils pensent, avec raison, que c’est là une autre 
entreprise (i). Ace titre, les nombreuses éditions que 
Stubbs a données dans cette collection sont des 
modèles. Si M. Marx avait supprimé les notes de son 
livre, on n’y aurait rien perdu ; les seules utiles sont 
celles où il a noté les rapprochements avec Dudon, 
mais ceci n’est point de la critique. 

Ainsi, nous avons été amené à faire entrer tout 
notre travail sur le De Moribus dans le cadre d'une 
étude critique. Nous savons mieux que personne que 
cette discussion continue des assertions de Dudon 
est très pénible à suivre ; on nous reprochera peut- 
être de ne pas avoir rejeté en appendice certains 
exposés un peu longs et, en apparence parfois (2), un 
peu éloignés du texte de Dudon, tels que la disser¬ 
tation sur Guillaume et le Coronement Looïs. Nous 
répondrons que c’est à dessein et de parti pris que 
nous les avons laissés à leur place, ainsi que certains 
historiques, tel que celui de la question de l'origine 
de Rollon, par exemple. Nous avons tenté ainsi de 
rompre la monotonie d’un exposé fait uniquement de 
discussions qui eussent toutes été conçues sur ce 
plan : que dit Dudon ? où a-t-il puisé ces renseigne¬ 
ments ? quelle est la part de vérité dans son récit ? 
discussions qui, se répétant indéfiniment, eussent 


(1) La même idée est exprimée par MM. Cii.-V. Langlois 
et Seignobos, Introduction aux Etudes historiques , Paris, 1898, 
in-8". 

(2) En apparence seulement. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN XV 

produit la satiété. Enfin, nous avons essayé parfois, 
ce qui n'était peut-être pas absolument nécessaire, 
mais devait nous tenter, de combler les lacunes de 
Dudon. Tantôt nous avons eu recours à d’autres 
documents, tantôt nous avons fait des rapproche¬ 
ments que l’on qualifiera d’hypothétiques. 

Expliquons-nous sur l’emploi de l’hypothèse. 
Trouvera-t-on que nous en avons abusé? Nous répon¬ 
drons, avec M. Imbart de la Tour : « L'histoire 
observe des faits. Comme elle ne voit les faits qu'à 
travers les témoignages, elle fera donc la critique des 
documents. Mais, comme les faits ne sont que des 
débris épars, elle est aussi Y induction qui les ras¬ 
semble, les compare et les interprète (i) ». 

Nous répéterons aussi, avec Renan, que l’histoire 
est une pauvre petite science conjecturale ; qu'elle vit 
donc nécessairement d'hypothèses; que l'hypothèse, 
pourvu qu'on la prenne pour telle et qu’on ne la 
transforme pas en certitude, est parfaitement légitime, 
qu'au reste, l'histoire, comme toute science, vit d'hy¬ 
pothèses et, qu'ici comme ailleurs, l'hypothèse est 
féconde. Sur certains points, nous avons essayé de 
graduer l’échelle des probabilités qui va du doute 
absolu à la certitude. Nous n'avons jamais perdu 
de vue les textes ; nous nous sommes tenu à mi- 
chemin entre une méthode hypercritique, qui, ne vou¬ 
lant rien admettre que d’évident, se refusant à voir ce 
que peuvent encore contenir de vrai des sources déjà 

(1) Le Pangn'manisme et la philosophie de l'histoire, dans 
la Revue des Deux-Mondes, du l« r décembre 1915, p. 507. 


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XVI ÉTUDE CRITIQUE 

lointaines des événements, Sagas ou Vies de Saints, 
et à dégager la parcelle de vraisemblance qu’elles 
peuvent avoir gardée de rédactions antérieures, rédui¬ 
rait l'histoire à la stérilité, et une autre méthode qui, 
combinant les suggestions de l’imagination avec les 
données de l’archéologie, de la philologie, de l’ethno¬ 
graphie, de l’histoire et de la préhistoire, pourra pro¬ 
duire, maniée par un maître, d’incomparables chefs- 
d’œuvre, mais sera toujours un modèle difficile à 
imiter. Cette méthode restera pourtant plus sédui¬ 
sante que l’autre. Ici, d’ailleurs, nous ne voulions pas 
raconter l’histoire des ducs de Normandie, mais 
seulement poser les bases de cette histoire. Plus 
tard, quand, le terrain ainsi déblayé, des reconnais¬ 
sances auront été opérées, si notre invitation est 
accueillie, sur les ferres vierges ou mal explorées de 
l’archéologie, du droit coutumier, du folk-lore, de 
l’ethnographie, nous pourrons peut-être tenter de faire 
la synthèse et d’écrire l’histoire de la Normandie. 
Dans cet ouvrage de pure critique, nous nous en 
sommes tenu aux textes et aux principes que nous 
ont enseignés nos maîtres de la Sorbonne et des 
Hautes Études. Si cet ouvrage pouvait être jugé 
comme n’étant pas trop indigne de leur enseignement, 
ce nous serait une récompense. 

Henri PRENTOUT. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XVII 


BIBLIOGRAPHIE MÉTHODIQUE 


i 


SOURCES 


A. — Annales, Chroniques 

1° Dans le Recueil des Historiens de France, par des religieux 
bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, continué 
par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 
1738-1870, 23 vol. in-folio, H. F. (I). 

Carmen Adalberonis ad Rotberlum regem, X, 65-72. 

Chronicon de Gestis Northmannorum in Francia, VII, 91-97. 

Annales Metteuses , VII, 184-203 et VIII, 61-71). 

Chronicon Fontanellense , VII, 40. 

Chronique de Saint-Bénigne de Dijon , VIII, 240-244. 

Chronicon Besuense , IX, 19-20. 

Chronique de Massai, VIII, 230-231. 

Fragmentant Historiœ Francorum, VIII, 231. 

Aubry de Trois-Fontaines, Chronicon, IX, 57. 

Chronicon : S. Martini Turonensis, IX, 46. 

Chronique de Saint-Florent de Saumur , IX, 55. 

Obituaire de Jnmiéges, XXIII, 117. 

2° Dans les Monumenla Germaniœ histonca , Scriptores, 
Hannoveræ, 1826-1896, 30 vol. in-folio, M. G. SS. 


(1) Nous indiquons ici les abréviations usuelles que nous 
avons employées dans nos références. 


Il 


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XVIII 


ÉTUDE CRITIQUE 


Prudentii Trecensis Annales , I, 429-454. 

Folcuin, Gesta abbatum Lobiensium, IV, 6G. 

Hugues de Fleury, Libellus de modemis Francorum regibus, 
IX, 317. 

Sigebert de Gembloux, Chronographia, VI, 268-274. 
Réginon, Chronicon , I, 613-629. 

Widukind, Res gestœ saxonicœ, III, 408-467. 

Adam de Brême, Descriptio insularum aquilonis, dans 
Gesta Hammaburgensis ecclesiæ pontificum, VII, 1-99. 
Helmold, Chronica Slavorum, XXI, 337. 

Annales Fuldenses, I, 406-409. 

Translatif) S. Wandregesili, XV, 406-409. 

Historia ecclesiæ Remensis, XIII, 409. 

Gesta pontificum Cameracensium , VII, 389-439. 

Annales Cadomenses, Annales Rotomagenses et Annales 
Gemeticenses , XXVI, 488-500. 

Annales Lindifameuses, XIX, 507. 

Annales Fiscannenses, XVI, 482. 

Annales Sancti Quintini Viromandensis, XVI, 507-508. 
Annales Einsidlenses, III, 142. 

Annales Elnonenses minores, V, 19. 

Annales Mellicenses, IX, 496. 

Nous avons toujours préféré les éditions plus 
maniables, plus modernes, généralement supérieures, 
des collections suivantes : 

3° La Société d’Histoire de France, Paris, in-8°: S. II. F. 
Ordéric Vital, Histoire ecclésiastique , éd. Aug. Le Prévost 
et Léopold Delisle, 5 vol., 1855. 

Annales Uticenses, à la suite de la même édition, t. V, 
pp. 139-173. 

Annales Vedastini, éd. Dehaisnes, 1871. 

Eginhard, Annales Francorum, éd. Teulet, 1840, 2 vol. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN XIX 

■V» La Société d'Histoire de Normandie, Paris et Rouen, 
in-8° : S. H. N. 

Guillaume de Jumièges, Gesta Nonnannoruin ducum, éd. 
Marx, 191-1. 

Robert de Torigni, Chronique , éd. L. Delisle, 2 vol., 1872- 
1878. 

Rosi Hi ynes, Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint- 
Michel, 1872-1873, 2 vol. 

Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, 

éd. Loth, 1882,3 vol. 

Toustain de Billy, Histoire ecclésiastique du diocèse de 
Coutances, éd. Doldet, 1874, 2 vol. 

4» Collection de Textes pour servir a l’Étude et a 
l’Enseignement de l’Histoire, chez Picard, in-8". 

Flodoard, Annales, éd. Lauer, 1905, fasc. 39. 

Raoul Glaber, Hisloriurum liliri V, éd. Prou, 1880, fasc. 1. 

Adémar de Ciiabannes, Hisloriurum libri III, éd. Chavanon, 
1897, fasc. 20. 

Habille, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, éd. Lot, 
1894, fasc. 17. 

Chronique de Nantes, éd. Mf.rlf.t, 1896, fasc. 19. 

Chroniques des Comtes d'Anjou et des Seigneurs d’Amboise, 

éd. Halphen et Poupardin, 1913, fasc. 48. 

5» SCR1PTORES RERUM GERMAN1CARUM IN USUM SCHOLARUM, 

Hanovre, in-8°. 

Annales Bertiniani, éd. Waitz, 1883. 

Riciier, Historiarum libri quatuor, éd. Waitz, 1877. 

Abbon, De bello Parisiaco, éd. Pertz, 1871. 

Gesta abbatum Fontanellensium, éd. Lœwenfeld, 1886. 

6» Collection du Maître des Rôles, Rolls Sériés, Londres, 
in-Rv, R. S.. 

Anglo-Saxon Chroniclc, éd. Thorpe, 1861, 2 vol. 


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XX 


ETUDE CRITIQUE 


Guillaume de Malmesbury, De gestis regum Anglomm , 
éd. Stubbs, 1887, 2 vol. 

The Warofthe Gaedliill icith the Gaill , éd. H.-J. Todd, 1867. 

Les chroniques Scandinaves se trouvent dans les 
collections suivantes : 

7* Langebeck, Scriptores remm Dunicarum medii œvi, 
Copenhague, 1772-1792, 7 vol. in-folio. 

8° Monumenta Historien Norvegiœ , Lntinske Tildenskrifler , 
éd. Storm, Kristiania, 1880, in-8°. 

Je n’ai eu qu’une fois à me servir du recueil de 
Krantz, on le trouvera cité en son lieu, j'ai volontaire¬ 
ment négligé celui de Kruse, Chronicon Nortlnnnn- 
norum , Hamburget Gotha, 1851, in-K 

Les chroniques normandes sont dans : 

9° Duchesne, Historié p Nonnnnnorum scriptores nntiqui , 
Paris, 1019, in-folio, nous y avons consulté quelques 
sources, telle qu’une généalogie des ducs, mais la 
plupart des œuvres chroniques ou annales qui s’y 
trouvent ont été, depuis, éditées dans de meilleurs 
textes. 

Citons enfin quelques 

10° Editions diverses : 

Saxo Grammaticus, G esta Danorum , éd. Hôlder, Strasbourg, 
1886, in-8\ 

Gesta Willelmi ducis Nonnnnnorum, éd. Giles, Londres, 
18-45, in-8°. 

Asser, De rebus gestis Ælfrcdi et rhronicon fani Sancti Ncoti, 
éd. Stevenson, 1904, in-8°. 

Chronique de Sainte-Colombe de Sens , dans Duru, Biblio¬ 
thèque historique de l'Yonne , Auxerre, 1850, 2 vol. in-4°. 

Aimé du Mont-Cassin, L'Ystoire de li Normant, éd. Cham- 
pollion-Figeac, Paris, 1835, in-8°. 


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SIR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XXI 

B. — Vies de Saints, Translations de Reliques, 
Traités Ecclésiastiques 

Translatif) S. Maglorii , dans Mabillon, Annales Ordinis 
S. Benedicti , Paris, 1700, 6 vol. in-folio, t. III, appendix, 
p. 719. 

Translatif) S. Launumari, Mabillon, Acta, SS. Ordinis Bene¬ 
dicti, Paris, 1680,9 vol. in-folio, Saec. IV, pars. 2, p. 215. 

De Translatione SS. Ebrulfi, abbatis Uticensis et Ansberti 
monarchi in cœnobium Rasbacense, Saec. V, p. 220. 

Translatif) SS. Wandregesili , Ansberti et Wulframni in 
monasterium Blandiniense , 9ii, Mabillon, AA. SS. V., 
199-213. 

Vit a S. Maioli , abbatis Cluniacensis , Ibid., Saec. V, p. 700-811. 

Vita S. Willelmi abbatis Divionensis , Ibid., Saec. VI, pars 
1, p. 320-355. 

Translatif) corporum beat ara ni Hegnoberti et Zenonis , dans 
Luc d’Achery, Spicilegium, Paris, 1075, 13 vol. in-8°, 
XII, 000. 

Translatif) corporis S. A adorai dans Migne, Patrologie 
latine , Paris, 222 vol. gr. in-8% CXLII, 1153-1103. 

Liber de revelatione, œdificatione et auctoritale monasterii 
Fiscannensis , Ibid., CXLI, c. 702-721. 

Airnoin, Miracula Sancti Benedicti , Ibid., CXXXIX, c. 801- 
851. 

Robert de Torigni, Traite sur les ordres monastiques et les 
abbayes normandes, connu sous le nom de De iinmu- 
talione , à la suite de la Chronique, éd. L. Delisle. 

Introductio monachorum et miracula insigniora Sancti 
Michaelis dans les Curieuses recherches de dom Le Roy, 
(Mém. Soc. Antiq., XXIX, 1877). 

Analrcta archiepiscoporum Botomagensium, dans Mabillon, 
Analecta , éd. in-8«, t. II, i37. 


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XXII 


ETUDE CRITIQUE 


Historia archiepiscoporum Rothomagensium dans dom 
Martène, Veterum Scriptorum collectio, Paris, 1700, 
in-8». 

C. — Sagas 

Nous avons utilisé surtout les trois recueils sui¬ 
vants : 

Snorré Sturleson, Heimskringla, Copenhague, 1777-1820, 
0 vol. iu-folio. 

Corpus poeticum boreale, éd. Vigfusson et POWELL, Oxford, 
1883, 2 vol. in-8». 

Origines Islandicæ, éd. Vigfusson et Powell, 1905, 2 vol. 
iu-8». 

Pour la critique des Sagas voir l'introduction de M. Vig¬ 
fusson à la Sturlunga Saga, Oxford, 1878, 2 vol. in-8", 
et l’article de M. Alexander Bugce, Origin and credi- 
hility of lhe Icelandic Sagas, dans VAmerican Historical 
Review, XIV, janv. 1909. 

D. — Chroniques en vers 

Wace, Roman deRou, éd. Andresen, Heilbronn, 1877-1879, 
2 vol. in-8". 

Benoit, Chronique des ducs de Normandie, éd. Francisque 
Michel, Paris, 1836-1814, 3 vol. in-i». 

Mousket (Philippe), éd. Reiffenrerg, 1.1, Bruxelles, 1836. 

E. — Chansons de geste 

Le Coronemenl Loois, éd. E. Langlois, Société des anciens 
textes, Paris, 1888, in-8». 

Raoul de Cambrai, éd. Meyer, Id., Paris, 1882, in-8*. 

Guillaume d'Orange, éd. Jonckbloet, La Haye, 1851, 2 vol. 
in-8». 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XXIII 


Fierabras, éd. Guessard, Les Anciens Poêles de la France, 
Paris, 1860, 10 vol. in-16. 

F. — Recueil de lettres 

Nous n'avons aucun recueil de lettres du temps 
intéressant directement la Normandie. Pour les 
lettres pontificales, voir : 

Jaffé-Lœwenfeld, Rcgcsta pontificum rotnanorum, 2 e éd. 
Leipzig, 2 vol. in-8». 

G. — Recueil de chartes et diplômes 

Nous avons utilisé les quelques rares documents, 
intéressant directement ou indirectement la Nor¬ 
mandie, qui se trouvent dans 

Les Historiens de France, notamment au tome IX ; dans 
Tardif, Monuments historiques, Paris, 1866, in-A°; dans 
les Monumenta Germaniœ, Diplomata, Hanovre, 1879, 
in-i°, t. I, et le Gallia Christiana, instrumenta, t. XI, 
Paris, 1759, in-folio. 

Le Recueil des diplômes de Charles le Simple n'a 
pas encore été publié. 

Le Recueil des Actes de Louis IV, de M. Lauer, Paris, 19U, 
in-i». Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles- 
lettres, ne contient aucun acte intéressant la Nor¬ 
mandie. 

Le Recueil des diplômes de Lothaire et de Louis V, de 
M. Halphen, 1908, in-P, nous a été fort utile pour notre 
dernier livre. 

Nous n’avons pas de recueil des diplômes des 
premiers ducs normands. 

Les recueils de chartes d'abbayes ne nous ont 


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XXIV 


ETUDE CRITIQUE 


fourni que bien peu de choses. Les cartulaires des 
églises et abbayes normandes ne contiennent aucun 
document du X» siècle (1). Seuls nous ont été utiles 
quelques cartulaires d’abbayes chartraines : 

Le Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres, éd. 
Guérard, Paris, tM10, 2 vol. in-i», celui de 

Notre-Dame de Chartres, éd. Merlet et de I.ÉPIN01S, 1863, 
3 vol. in-i*. 

ou d'abbayes bretonnes, le Cartulaire de Redon, éd. 
M. DF. Codhson, Paris, 1863, in-1", etc. 

II 

OUVRAGES MODERNES 
A. — Histoire des Normands 

Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands 
et de leur établissement en France, Paris, 2° édition, 
1814, in-8». 

Vogel, Die Normanneni und dos Frankische Reich, Heidel¬ 
berg, 1906,in-8». 

Dozv, Recherches sur l'histoire et la littérature de l'Espagne, 
Paris et Leyde, 1881, 2 vol. in-8». 

C.-H. IIaskins, The Normans in European History, Bostou 
et New-York, 1915, in-8». 

Couingwood, Scanditwvian Britain, Londres, 1908, petit 
in-8". 


(1) Le Cartulaire de Louviers, éd. par M. Bonnin, Evreux, 
1870, 6 vol. in-8°, t. I, p. 1, contient un acte de Richard I”, 
pour l'abbaye de Saint-Taurin, extrait du Délit Cartulaire de 
Saint-Taurin, pp. 29-30, et du Grand Cartulaire de Saint- 
Taurin, f° 1 ; niais les termes mêmes de la rédaction indiquent 
qu'il ne s'agit pas de la transcription d'un diplôme original. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XXV 


Du Chaillu, The Viking Age. Londres, 1889, 2 vol. in-8®. 

Worsaae, De Danske Erobring af En gin ml og Nonnanniet , 
Copenhague, 1863, in-8°. 

Johannes Steenstrup, Normannerne , Copenhague, 1876- 
1880,4 vol. in-8» ; le premier volume, Imlledning i Nor- 
mannertiden , a été traduit du danois et abrégé par 
l'auteur pour la Société d'Histoire de Normandie , t. X 
du Bulletin, B. S. A., X. 

Gustav Storm, Kritiske Bidrag lit \’ikingetidens Historié, 
Kristiania, 1878, in-8°. 

Et Alexander Bugge, Gange-Rolc og erobringen av Nor¬ 
mandie, Extr. de VHist. Tidsskrift, Christiania, 1911, 
iu-8°. 


B. — Histoire de Normandie 

Licquet, Histoire de Normandie , Rouen, 1835, 2 vol. in-8». 

Lair, Etude sur la vie et la mort de Guillaume Longue-Epée , 
Paris, 1893, in-folio. 

H. Prkntolt, La Normandie, Paris, Cerf, 1910, in-8* (Collec¬ 
tion des Régions de la Frajice ), qui donne la Biblio¬ 
graphie. 

Compte rendu des travaux du Congrès du Millénaire, Rouen, 
1911-1912, 2 vol. in-i». 


C. — Histoire d’Angleterre 

Lappenberg, G esc hic h te von England, Hambourg et Gotha, 
1834-1898,11 vol. in-8», trad. par Thorpe pour la partie 
qui nous intéresse: .4 History of England under tlic 
Norman Rings, Oxford, 1857, in-8». 

FREEMAN, Tue History of lhe Norman Conquest of England , 
Oxford, 1867-1876, 5 vol. in-8°. 


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XXVF 


ETUDE CRITIQUE 


Palgrave, Histonj of Nonnandy and of England , Londres, 
1883, 4 vol. in-8®. 

Oman, England before thc Norman Conquest , Londres, 
1910, in-8°. t. I. 

D. — Histoire de France 

Lavisse, Histoire de France, Hachette, 9 vol. in-8®, surtout 
le tome II, l r * partie, les chapitres de M. Pfîster et la 
2® partie de M. A. Luchaire. 

Dans la Collection de la Bibliothèque des Hautes-Études 
Paris, in-8® : 

Favre, Eudes , comte de Paris et roi de France , 1893, 
fasc. 88. 

Eckel, Charles le Simple, 1899, fasc. 121. 

Lauer, Robert P* et Raoul de Bourgogne, 1910, fasc. 188. 

Lauer, Louis IV d’Outremer , 1900, fasc. 127. 

Lot, Les derniers Carolingiens, Lothaire, Louis V, Charles 
de Lorraine, 1891, fasc. 87. 

Lot, Études sur le règne de Hugues Capet, 1902, fasc. 147. 

Pfîster, Études sur le règne de Robert le Pieux, 1885, fasc. 64. 

Kalckstein, Geschichle des franzôsischen Kônigtums tinter 
den ersten Capetingern, Leipzig, 1877, in-8*. — Robert 
der Tapfere, Berlin, 1871, in-8®. 

E. — Histoire d’Allemagne 

Karl Lamprecht, Deutsche Geschichle, Berlin, 1891-1906, 
12 vol. in-8*. 

Dummler, Geschichle des Ostfrdnkischen Reichcs, Leipzig, 
1887-88, 3 vol. in-8®. 

Kopke et Dummler, Kaiser Otto der Grosse, Leipzig, 1876, 
in-8*. 


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SCR DL'DON DE SAINT-QUENTIN XXVII 

F. — Histoire de Belgique, Lorraine, Provence 

PlRENNE, Histoire de Belgique, Bruxelles, 2« éd., 6 vol. 
in-8", 1.1, 1902. 

Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, Paris. 
1898, in-8\ 

Pobpardin, Le royaume de Provence, Paris, 1901, in-8», 
B. H. E„ fasc. 131. 

G. — Histoire des Pays Scandinaves 

Allen, Histoire du Danemark, trad. Beauvois, Copenhague. 
1878, 2 vol. in-8». 

Mimcil, Del Norske Folks Historié, Christiania, 1852-1859, 
fi vol. in-8". 

Borges Historié, t Biiuls, anden del Tidsrummet ca SOO-tOttO, 
af Alexander Bugge, Kristiania, 1910, in-8". 

Konrad Mâcher, Die Bekehmng des Noricegischen Staminés 
:um Christenlhum, München, 1855, 2 vol. in-8". 

Biant. Les Scandinaves en Terre-Sainte, Paris, 1885, in-8». 

H. — Histoires provinciales de la Bretagne, du 
Poitou, du Maine, de la Champagne 

Latocche, Histoire du comté du Haine pendant le A» cl le 
A /'■ siècles, Paris, 1900, in-8», fasc. 183, B. 11. É. 

Dom Morice, Histoire de Bretagne, Paris, 1750-1752, 
2 vol. in-folio. 

Et Preuves de l'Histoire de Bretagne, Paris, 1712,3 vol. in-folio. 

A. de la Boroerie, Histoire de Bretagne, Rennes, I90fi, 
6 vol. in-8», t. II. 

Richard, Histoire des comtes du Poitou, Paris, 1903, 2 vol. 
in-8". 

D'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, 
Troyes, 1859, 7 vol. in-8*. 


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XXVIII 


ETUDE CRITIQUE 


I. — Histoire littéraire 

BÉdier, Les Légendes épiques , Paris, 1908-1913, 4 vol. in-8\ 

Léon Gautier, Les Épopées françaises. Paris, 1865-1866, 
4 vol. in-8*. 

Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1865, 
in-8". 

Pineau, Les vieux chants populaires Scandinaves , Paris, 
1898, in-8 # . 

Nombreux articles de MM. Lot, Lauer et Gaston Paris 
dans la Romania. 

J. — Histoire des Institutions sociales et politiques 

1. En général 

Meitzen, Siedelung und agraruesen der Weslgermancn und 
Oslgermanen , Berlin, 1895, 3 vol. in-8°. 

Brussel (Nicolas), Nouvel examen de l'usage général des 
fiefs en France , Paris, 1727, 2 vol. in-8*. 

Laferrière, Histoire du droit français , Paris, 1852-1858, 
6 vol. in-8 # . 

Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France , 
Paris, 1891, 7 vol. in-8*. — Histoire du droit et des insti¬ 
tutions de l'Angleterre, Paris, 1882-1883, 6 vol. in-8*. 

Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de 
l'ancienne France, Paris, 1875-1892, 7 vol. in-8*. 

Flach, Les origines de l'ancienne France, Paris, 1886, 1894, 
1904, 3 vol. in-8*. 

Viollet (Paul), Histoire des institutions politiques et admi¬ 
nistratives delà France, Paris, 1890-1903, 3 vol. in-8*. 

CiiÉNON, Étude sur l’histoire des alleux en France, Paris, 
1888, in-8*. 

Guilhiermoz (Paul), Essai sur l'origine de la noblesse en 
France au moyen âge, Paris, 1902, in-8*. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN XXIX 

Lot, Fidèles ou vassaux? Paris, 1904, in-8 tf . 

Luchaire, Manuel des institutions françaises . Période des 
Capétiens directs , Paris, 1892, in-8*. 

2° En Normandie 

Léopold Deusle, Études sur ta condition de la classe agri¬ 
cole et de l'état de l'agriculture en Normandie au moyen 
âge , réirapr. Paris, 19011, in-8\ 

Siox, Ij>s Paysans de la Normandie orientale, Paris, 1908, 
in-8*. 

Lagouelle, Essai sur la conception féodale de la propriété 
foncière dans le très ancien droit normand, Paris, 190-2, 
in-8*. 

Rabasse, Du régime des fiefs en Normandie an moyen tige , 
Paris, 1905, in-8\ 

Flach, La Normandie était-elle un grand fief de la couronne? 
Extrait du Compte lientla de l’Académie des Sciences 
morales et politiques , 191 i, in-8". 

Gén estai., Le parage normand, Caen, 1911, in-8*. 

Yalin, Le duc de Normandie et sa cour , Paris, 1909, in-8". 

K. von Amira, Die anfange des Normannischen Redits, 
(Historicité Zeitschrift, t. 39, pp. 240-208). 

Bruxner, Die Enstehung der Schwurgerichte, Berlin, 1871, 
in-8". 

Pollock et Maitlaxd, Tltc History of English laie, Cam¬ 
bridge, 2 vol. in-8". 

Voir l'introduction de Stapleton aux Magni Rotuli Nor- 
manniœ sub regibus Anglitv , Londres, 1810, 2 vol. in-8". 

K. — Histoire de l’Eglise 

1. En général 

Rohrbacfier, Histoire universelle de f Église, Paris, 1842- 
1849, 29 vol. in-8", t. VI. 


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XXX 


ETUDE CRITIQUE 


Gregorovius (Ferdinand), Geschichte der Stadt Rom von 
V bis zum XVI lahrundert, Stuttgart, 1870, 8 vol. in-8\ 
Labre et Cossart, Sacrosancla Concilia, Paris, 1671, 

17 vol. in-folio. 

Héfélé, Histoire des Conciles , trad. Delarc, Paris, 1871, 

18 vol. in-8% t. VI. 

Imbart de la Tour, Les Elections Episcopales dans l'Eglise 
de France , Paris, 1890, in-8\ 

Duchesne (abbé), Les Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, 
Paris, 1900, 2 vol. in-8°. 

Sackur, Die Cluniacenser in ihrer kirchliclien und allge- 
meinen geschichtlichen Wirksamkeit bis zur Mitte des XI 
larhunderts , Halle, 1892-1894, 2 vol. in-8\ 

Et Mabillon, Annales Ordinis Benedicti, déjà cité. 

2. En Normandie 

Gallia Christiana , t. XI, déjà cité. 

Du Moustier, Neuslria Pia , Houen, 1663, in-folio. 

I)om Pommeraye, Sanctœ Rothomagensis ccclesiæ concilia , 
Rouen, 1677, in-8\ 

Uom Dessin, Concilia Rotomagensis provinciœ , Rouen, 
1717, in-folio. 

Tiugan, Histoire ecclésiastique de Normandie, Caen, 1759- 
1760, 4 vol. iu-4\ 

Dôhmer, Kirche und Staat in England und in der Noimian- 
die in XI und XII lahrundert , Leipzig, 1899, in-8°. 

Dom Pommeraye, Histoire de l’abbaye de Saint-Ouen de 
Rouen, Rouen, 1662, in-folio. 

Leroux de Lincy, Essai historique sur l'abbaye de Fccamp , 
Rouen, 1840, in-8*. 

Lot, Etudes critiques sur l'abbaye de Saint-Wandrille, Paris, 
1913, in-8°. 

Goût, L'abbaye du Mont-Saint-Michel , Paris, 1910, 2 vol. 
in-8°. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


XXXI 


L. Debidour, Essai sur l'histoire de l'abbaye bénédictine de 
Saint-Taurin d'Evreux, Evreux, 1908, in-8*. 

Fa R in, La Normandie chrétienne ou Histoire des archevêques 
de Rouen, Rouen, 1659, in-4*. 

Dom PommeraYE, Histoire des archevêques de Rouen , Rouen, 
1677, in-folio. 

Mr Fuzet et clianoine Jouen, Liste chronologique des 
archevêques de Rouen , dans Comptes, devis et inventaires 
du pianoir archiépiscopal de Rouen, Paris et Rouen, 
1908, in-4*. 

Vacandard, Vie de saint Ouen , évêque de Rouen , Paris, 
1902, in-8*. 

Hermant, Histoire du diocèse de Bayeux , Caen, 1705, in-4\ 
Abbé LaFFETAY, Histoire du diocèse de Bayeux, AT//*’ et 
XVIII 8 siècles, 1855, in-8°. 

H. de Formeville, Histoire de l'ancien évéché-comté de 
Lisieux, Lisieux, 1875, 2 vol. in-8". 

Abbé IIommey, Histoire générale du diocèse de Sêes, Alen¬ 
çon, 1899-1900, 5 vol. in-8". 

Pigeon, Le diocèse d’Avranches , Coutances, 1888, 2 vol. 
in-8°. 

Desroches, Histoire du Mont-Saint-Michel et de l'ancien 
diocèse d’Avranches, 1838, in-8*. 

Le Brasseur, Histoire civile et ecclésiastique du comté 
d’Evreux , Paris, 1722, in-4 8 . 

Alline et Loisel, La cathédrale de Rouen avant l'incendie 
de 1200, Rouen, 1904, in-8°. 

Enlart, Rouen, 1904, in-4*. 

Nous avons l’agréable devoir de remercier ici le très 
obligeant M. D. Bonnet, bibliothécaire de l’Université de 
Caen qui nous a fait venir les livres nécessaires, M. Aksel 
Andersson, bibliothécaire en chef de l’Université d’Upsal, 
qui nous a donné de précieux renseignements sur les 


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XXXIf 


ETUDE CRITIQUE 


articles des Revues Scandinaves, M. Buisson, conservateur 
de la Bibliothèque de Chartres, et M. R.-N. Sauvage, 
conservateur de la Bibliothèque de Caen. 

Nous n’avons pas la prétention d’indiquer tous les 
ouvrages que nous avons consultés, nous avons laissé de 
côté tous ceux qui ne nous ont été d'aucune utilité : ainsi 
nous n'avons pas encombré notre bibliographie des 
anciennes histoires des ducs de Normandie ou des histoires 
générales de Normandie. On en trouvera l'indication dans 
notre Normandie, Paris, Cerf, 1910, in-8". 

Nous n’avons pas indiqué, à part ceux qui ont une 
importance exceptionnelle, les articles des périodiques ; 
on les trouvera en leur lieu et place, avec toutes les indi¬ 
cations désirables. De même nous n’avons pas reproduit 
ici le titre des ouvrages qui n'ont été cités qu’une seule 
fois au cours de notre livre, pour une recherche spéciale. 

Enfin nous n’avons pas cru devoir donner une bibliogra¬ 
phie de l’étude critique de Dudon de Saint-Quentin, ni de 
l’origine de Rollon, puisque nous avons fourni toutes les 
indications nécessaires au cours de l’historique que nous 
avons tracé de ces deux questions. 


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INTRODUCTION 


L’Œuvre de Dudon 


Son importance. — La préface obligée de foule 
élude relative ù l’histoire de la Normandie est une 
étude critique de l'ouvrage de Dudon de Saint- 
Quentin, auquel on a donné le titre de De morikus 
et actis primorum Normannite ducum. Quoi que l’on 
pense des mérites et des défauts de celte œuvre, 
il faut convenir qu'elle constitue la source princi¬ 
pale, sinon unique, à laquelle ont puisé tous ceux 
qui ont essayé d écrire l'histoire de l'état normand, 
de sa fondation, de ses débuts. Dès le XI 8 siècle, 
Guillaume de Jumièges lui-même a déclaré que 
jusqu'au règne de Richard II, il a suivi le récit 
de Dudon de Saint-Quentin. Le plus souvent, en 
effet, il n’a fait que le résumer; une étude appro 
fondie de Guillaume Calcul montre cependant qu’il 
a parfois suivi d'autres traditions ; tantôt il a 
essayé d'expliquer l’ouvrage qui lui servait de guide, 
tantôt avec une certaine critique qui lui fait 

1 


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ETUDE CRITIQUE 


2 

honneur, il s’en est résolument écarté ; l’œuvre du 
chanoine de Saint-Quentin n’en constitue pas moins 
la base essentielle de son exposé. Wace dans le 
Itoman de Hou (i), Benoit dans la Chronique des Ducs 
de Normandie (2) ont amplifié en vers romans la 
prose poétique latine du doyen ; très souvent, ils 
essaient visiblement, au cours de leurs développe¬ 
ments, de l’expliquer, de l’interpréter; mais ils ne 
constituent eu quoi que ce soit, des sources indé¬ 
pendantes. 

Ainsi, pour l’bistoire de la Normandie au X« siè¬ 
cle, les écrivains normands les plus reculés ont été 
tributaires de Dudon ; à vrai dire, nous n'avons pas 
d’autre source normande que celle là. Et comme les 
Aunales franques contemporaines ne parlent qu’in- 
cidemmenl de la Normandie, qu’avec Flodoard elles 
sont singulièrement laconiques et qu’elles sont 
suspectes avec Kicher, il en résulte que l’on en 
revient toujours à Dudon. 

Editions. — Et pourtant, nous n'avons de cette 
œuvre que deux éditions : celle de Duchesne, dans 
les Historien normannorum seriplores antiqui parue 
en 1(119 (3) et celle beaucoup plus récenle de M. J. 
Lair dans les Mémoires de la Société des Antiquaires 
de Normandie (4). Les Bénédictins refusèrent de 


(1) Ed. Andresen, lleilbronn, 1877-79, 2 vol. in-8". 

(2) Ed. Francisque Michel, Collection des Documents 
Inédits, Paris, 1836-1844, 3 vol. in-4°. 

(3) Paris, in-folio, pp. 49-160. 

(4) T. XXIII, 1865. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 3 

taire place à Dudon dans le Recueil des Historiens 
de la France et si Waitz l’admit dans les Monumenla 
Iiermanice (1), ce n’est pas qu’il eût en lui grande 
confiance, encore qu’il eût trouvé excessive la 
sévérité des Bénédictins. En réalité, les édilions de 
Dudon de Saint Quentin ne se sont pas multipliées, 
parce que la critique historique a toujours tenu 
son ouvrage en suspicion. Ce n’est pas, d’ailleurs, 
que l’étude critique de l'œuvre du chanoine de 
Saint-Quentin ait jamais été poussée à fond. Seul, 
M. Lair dans l’introduction de son édition a entre¬ 
pris une étude critique complète, mais il n'est pas 
téméraire d’affirmer que son étude qui date aujour¬ 
d'hui de cinquante ans, qui est écrite dans un 
sentiment d’apologie et sans que l’auteur ait eu 
connaissance de l’étude contemporaine du Dümmler, 
est aujourd’hui périmée ; elle marque même un 
recul sur certains écrivains qui, n’étudiant qu’en 
passant l’œuvre de Dudon de Saint Quentin, en 
avaient déjà vu les tares fondamentales. Faisons 
l’historique de cette critique. 

La Critique. — Au XVIII e siècle, un écrivain 
breton, Dom Morice, relève déjà avec sévérité les 
erreurs de l’apologiste des ducs normands (2). 
Licquet, sans faire de cette œuvre une étude 
particulière, traite volontiers de fables sorties de 

(I) Mais pour quelques extraits seulement. SS. IV, 
p. 93-106. 

(‘2) Histoire de Bretagne, Paris, 1750-52, 2 vol. in-folio, 
I, 970. 


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4 


ETUDE CRITIQUE 


l’imagination du doyen les assertions de Dudon (1). 
En 1840, Aug. Le Prévost, l’un des esprits les plus 
fins et les plus critiques qu’ait produits l’érudition 
normande, dans les notes de son édition de l’His¬ 
toire ecclésiastique d’Orderic Vital, se montre extrê¬ 
mement sévère pour notre auteur (2). Parlant de 
Guillaume de Jumièges, il dit que : « bien supé¬ 
rieur à Dudon de Saint-Quentin, il a eu pourtant le 
tort de reproduire et d’adopter presque toutes les 
fables plus ou moins monstrueuses émises par son 
devancier » ; et ailleurs : « L’ouvrage de Dudon est, 
en effet, beaucoup moins de l’histoire proprement 
dite qu'un panégyrique verbeux, emphatique et le 
plus souvent mensonger des trois premiers chefs 
normands. L’auteur, qui était pourtant si heureuse¬ 
ment placé pour recueillir et décrire avec vérité les 
événements puisqu’il avait vécu à la cour de 
Richard 1 er et de Richard II, les a presque toujours 
négligés, altérés ou dissimulés pour les remplacer 
tantôt par les exagérations de la plus impudente 
flatterie, tantôt par des souvenirs pris au hasard 
dans la vie de personnages antérieurs ou par des 
traditions purement fabuleuses. Il en résulte que 
c’est moins la lumière que des ténèbres visibles 
qu’il a projetées sur le premier siècle de nos 
annales (3) ». Depping, en sa seconde édition, 


(1) Histoire de Normandie , Rouen, 2 vol. in-8°, 1835, I, 
p. 46, 49, 71, 80. 

(2) S. H. F., t. II, p. 3. 

(3) Ibid., p. 2. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 5 

constate que « le travail de Dudon est dépourvu de 
tout esprit critique « ce qui ne l'empéclie pas de le 
suivre très souvent (1). 

En Allemagne, Lappenberg, l’historien de l’An¬ 
gleterre, dont l’œuvre a été longtemps classique, 
parce qu’unique (encore qu’elle manque parfois de 
critique) fut plus indulgent pour Dudon, il trouve 
qu’il ne mérite pas le dédain dont il a été l'objet de 
la part des Bénédictins (2). Le premier, confrontant 
les récits de Dudon avec les sources, il y retrouve 
certains faits rapportés par lechaDoine et lui en fait 
un mérite, malgré l’altération qu’ils ont subie. Au 
moment où paraissait la traduction anglaise de la 
grande histoire d’Angleterre de Lappenberg, Pal- 
grave, dans son Histoire de Normandie et d’Angleterre, 
exprimait une opinion qui, si singulière qu’elle 
puisse paraître, est fort intéressante, car elle résume 
assez bien l'opinion et aussi la manière de beau¬ 
coup d’historiens de ce temps. « Quelques imper¬ 
fections, dit-il, que l'on puisse trouver dans la 
forme de la narration de Dudon, je ne vois pas de 
juste raison pour nous méfier de son autorité en 
général. Si nous n’acceptons pas Dudon tel qu’il est, 


(1) Histoire des expéditions maritimes des Normands et de 
leur établissement en France au X e siècle, Paris 1844, in-8°, 
p. 387. 

(2) Gcschichtc von England, Hambourg Gotha, 1834-1898, 
il vol. in-8°. et trad. Tliorpe, sous le titre A Ilistorg of 
England under lhe Norman Kings , Oxford, 1837, in-8°. 
Thorpe, en quelques-unes de ses notes, a rectifié l’opinion de 
Lappenberg et s’est écarté de Dudon, notamment sur la 
question de l'origine de Rollon, p. 7. 


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6 


ETUDE CRITIQUE 


nous devons abandonner l’histoire des premiers 
souverains normands » (1). 

C'est bien en effet pour cette raison que quelques 
historiens ont fait foi à Dudon ; ne voulant pas 
renoncer à écrire l’histoire des ducs de Normandie, 
ils acceptaient en bloc les récits du chanoine ; 
Palgrave déclare qu’il a incorporé Dudon aux 
Annales franques et germaniques ; sans elles, point 
de dates ; sans lui, point de faits (2), et il appuie son 
étrange raisonnement sur l’autorité de Guizot. 

« Les érudits, dit celui-ci, ont amèrement repro¬ 
ché à Guillaume, moine de l’abbaye de Jumièges, 
d’avoir reproduit dans les premiers livres de son 
histoire des Normands la plupart des fables dont 
son prédécesseur Dudon, doyen de Saint Quentin, 
avait déjà rempli la sienne. Si Guillaume n’eût 
ainsi fait, cette portion de son ouvrage n'existerait 
pas, car il n’aurait eu rien à y mettre ; il a recueilli 
les traditions de son temps sur l’origine, les exploits, 
les aventures des anciens Normands et de leurs 
chefs. A voir la colère de Dom Rivet et de ses doctes 
confrères, il semblerait que Guillaume et Dudon 
aient eu le choix de nous raconter des miracles ou 
des faits, une série de victoires romanesques ou 
une suite d’événements réguliers, et que leur préfé¬ 
rence pour la fable soit uue insulte à notre raison, 
comme si elle était obligée d’y croire. Il y a, à 


(1) History of Normandj and of England, London, 1883, 
4 vol. i 11 -8', t. I, p. 750. 

(2) Ibid., t. II, p. 908. 


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Sl’H DL'DON DE SAINT-QL'RNTIN 


quereller de la sorte les vieux clirouiqueurs, une 
ridicule pédanterie ; ils ont (ait ce qu'ils pouvaient 
faire ; ils nous ont transmis ce qu’on disait, ce qu’on 
croyait autour d’eux ; vaudrait il mieux qu’ils 
n'eussent point écrit, qu’aucun souvenir des temps 
fqbuleux ou héroïques de la vie des nations ne fût 
parvenu jusqu'à nous, et que l'histoire n’ait com¬ 
mencé qu’au moment où la société aurait possédé 
des érudits capables de la soumettre à leur critique 
pour en assurer l’exactitude. A mon avis, il y a 
souvent plus de vérités historiques à recueillir dans 
ces récits où sc déploie l’imagination populaire que 
dans beaucoup de savantes dissertations (I) ». 

On irait loin avec une pareille méthode ! Mais 
c’était bien l'esprit des historiens de la première 
moitié du XIX e siècle d'employer indifféremment 
toutes les sources pourvu qu’elles fournissent des 
faits intéressants. 

Freeman montra plus de critique, il reprocha à 
Dudon son manque de chronologie, le caractère 
apologétique de son œuvre et se rendit compte que 
l’auteur n'était pas contemporain des faits qu’il 
rapportait (2). En même temps, la critique alle¬ 
mande se montrait plus défiante que ne l’avait été 
Lappenberg. Waitz, tout en constatant les erreurs 
de date, de personne et les mensonges de Dudon, 


(1) Préface à la traduction de VHistoire dos ducs de 
Normandie de Guillaume de Jumiêges, Caen, 1826, in-8°, p. v. 

(2) The history of the Norman Conqitesl of England, Oxford, 
5 vol. in-8", 1. (1867) p. 165, n. 1. 


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s 


ÉTUDE CRITIQUE 


lui faisait place dans les Monumenta Germaniœ. 
Toutefois, lorsqu’il étudia lui-même directement cet 
auteur dans les Nachrichten von (1er koniglichen 
Gesellsclmft der Wissenschaften zu Gollingen (t), il 
fut beaucoup plus sévère ; il ne vit plus dans le 
l)c moribus qu’une fiction poétique sur un fond 
historique. Dümmler, le grand historien des Caro 
lingiens, qui, à la même date, consacrait une 
étude critique à Dudon, remarquait son art insup¬ 
portable, guindé, boursouflé ; il considérait son 
œuvre moins comme une histoire que comme une 
épopée : « Nous voyons les héros se présenter et 
agir devant nous; leurs dialogues, leurs mots nous 
sont rapportés, comme si le narrateur les avait lui- 
même écoutés (2). » Coïncidence remarquable, à la 
même date, paraissait la nouvelle édition de Dudon 
de Saint Quentin par M. Lair. 

Le mémoire de M. Lair avait été couronné par la 
Société des Antiquaires de Normandie en 1859; 
la Société publiait, en 1865, son édiLion de Dudon 
de Saint-Quentin, précédée d'une Elude sur la vie et 
l’œuvre de Dudon. Il est très regrettable que M. Lair 
n’ait pas eu connaissance des travaux de la critique 
allemande, l’eut être l'auraient-ils amené à rétléchir 
sur certains points. Son système, toutefois, est 
ingénieux. 11 affirme sans preuves que le doyen n’a 
pas connu les Annales du X e siècle, puis retrouvant 


(1) 1866, pp. 69-96. 

(2) Xur Kritik Dudos von Sairit-Quentin, dans les Fors- 
chungcn ztir Deutschen Gcschichte, Gôtlingen, 1866, t. VI, 377. 


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SUR Dl’DON DE SAINT-QUENTIN 9 

dans son œuvre, et défigurés par lui, les faits qui 
sont dans les Annales, il déclare qu’il y a là une 
preuve de sa véracité. Mais comment un fait changé 
de date, altéré, attribué à un autre personnage, 
peut-il être confirmé par sa similitude avec un fait 
indiqué dans une source antérieure indiscutable ? 
11 est certain que c’est l’auteur postérieur qui a 
puisé à la source antérieure et a arrangé, pour les 
besoins de la cause, l'événement qu’il y trouvait. 

La réhabilitation de Dudon fut acceptée en Dane¬ 
mark où elle favorisait la thèse danoise sur la part 
prépondérante des Danois dans la fondation de la 
Normandie. M. J. Steenstrup, le grand historien 
danois, écrivait en 1882, dans le Bulletin de la 
Société des Antiquaires de Normandie, à propos de 
Dudon: « 11 n’y a pas longtemps, cet historien ne 
jouissait que d’un crédit très médiocre ; mais il a 
obtenu réparation d'honneur auprès de la critique 
moderne (I) ». D’ailleurs, M. Steenstrup lui même 
ne s’est pas livré à une élude du De moribus, il s'en 
rapporte à M. Lair. 

En 1878, l'historien norvégien Storm contesta 
avec force la thèse danoise et aussi l'autorité de 
Dudon (2) ; mais en Allemagne, Kalckstein (3) a 


(1) Eludci préliminaires pour servir l'histoire des Normands 
et de letirs invasions , trad. de YIndledning i Normannertiden 
par l'auteur lui-même. Bulletin de la Société des Antiquaircs t 
t. X, p. 263. 

(2) Kritiske Bidrag lil Vikingctidens historié Kristiania. 
1878, in-8°. 

(3) Gcschichte des franzôsischen Kôniglums unter den ersten 


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ETUDE CRITIQUE 


volontiers utilisé Dudon. Karl von Amira dans le 
compte rendu des Normannerne (1) lui était également 
favorable, sous l’influence de Steenstrup ; cependant 
en Angleterre la véracité de Dudon était niée de 
la façon la plus véhémente par un savant anglais, 
sir Henry H. Howorlh, dans l’Archœologia de 1880. 
Ce savant, dans un vigoureux article, s’est efforcé 
de démontrer qu’il n’y avait pas un mot à croiredu 
récit de Dudon relatif à Rollon (2). 

Depuis quelques années, les savants français qui 
se sont chargés de la rédaction des Annales de l’His¬ 
toire de France à l'époque carolingienne, ont dû 
faire la critique de l’œuvre de Dudon. Dans le Charles 
le Simple, M. Eckel s’est montré hésitant, il accepte 
et rejette tour à tour l’autorité du Doyen (3). M. Lot, 
dans les Derniers Carolingiens, a été plus ferme ; 
parlant d’un épisode du régne de Richard I er , il 
écrit : « Le récit de Dudon présente un mélange de 
fables, d’invraisemblances, d'exagérations de toutes 
sortes ; il y prodigue des louanges hyperboliques en 
faveur de ses bienfaiteurs, les ducs de Normandie. 
Les discours qu'il prête à ses personnages sont ridi- 


Capelingern. Leipzig, 1877, in-8°. L'ouvrage de Kalckstein a 
été jugé à sa juste valeur, qui est mince, dans un compte 
rendu de Y Histonsche Zeitschrift, t. XLIV (1880) p. 187. 

(1) nistorische Zeitschrift, t. XXXIX (1878) p. 241. 

(2) /I crilicistn of lhe life of ltollo, as told bij Dudo de 
Saint-Quentin, dans YArchæohtgia, XLV, 1880, pp. 235-2Ô0. 

(3) 11 attribue ses erreurs à ltaoul d’ivry, Charles le Simple, 
Paris, 1809, in-8°, p. 9. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


il 


cules et d’une fausseté criante. Nous avons donc 
toutes sortes de raisons de nous méfier de Dudon de 
Saint Quentin (1) ». M. Lauér, dans le Louis d’Outre- 
mer, donne une opinion intéressante : « Dudon, dit- 
il, semble s’être borné à mettre en latin assonancé, 
entrecoupé de pièces de vers, une œuvre en langue 
vulgaire formée presque spontanément par la juxta¬ 
position de t’outes les fables qui avaient cours à la 
fin du X e siècle et au commencement du Xl° sur les 
invasions normandes et sur les premiers ducs de 
Normandie. Déclarer cette œuvre historique, c’est, 
croyons-nous, aller trop loin » (2). M. René Merle! a 
remarqué que Dudon dénaturait tout ce qui tou¬ 
chait aux rapports politiques des premiers nor¬ 
mands avec les Bretons (3). 

( 1 ) Les derniers Carolingiens, Paris, 1891, in-8°, p. 3W>. 
L'auteur termine d'une fa^on plus indulgente par un rappel à 
l'autorité de Raoul d’ivri. Il est vrai, d'ailleurs, que pour la 
période étudiée par M. Lot. Dudon est moins invraisemblable, 
moins entaché d’erreurs. 

(2) Le règne de Louis IV d'Qutremer, Paris, 1900, in-8", 
p. XIII. 

(3) Les origines du monastère de Saint Magloirc de Paris, 
dans la Bibliothèque de l’Ecole des Charles , LVI, 260. Notons 
encore un article de M. Monod dans la Becue Historique , 
t. XXVIII, p. 267 qui se borne à signaler le caractère apolo¬ 
gétique de l’oeuvre de Dudon. Citons pour mémoire l'article 
«le M. Edward Montier: Les Moines Chroniqueurs normands 
dans le Précis Analytique des Travaux de l'Académie de 
Rouen, 1912, pp. iô6-46i. Remarquons encore que dans un 
ouvrage tout récent qui a paru pendant l'impression du nôtre, 
M. Charles-ll. IIaskins, un historien américain qui a publié 
déjà de très nombreux et intéresants articles dans 1 American 
Historical Revieiv et dans YEnglish Historical Review sur les 


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12 


ETUDE CRITIQUE 


Il y a lieu de substituer aujourd’hui à tous ces 
jugements fragmentaires une étude d’ensemble. 
Quelques critiques ont aperçu l’un ou l’autre des 
caractères de l'œuvre du chanoine. Aucun ne l’a 
nettement définie. C’est que, sauf M. Lair aveuglé 
par un parti pris apologétique d’éditeur, aucun n’a 
étudié l’œuvre dans son entier ou à fond ; chacun l’a 
vue sous un angle différent et n’a ainsi entrevu 
qu’une partie de la vérité. 

Il faut d’ailleurs un très long contact avec cette 
œuvre quelque peu fastidieuse pour en saisir tous 
les caractères. D’autre part on ne saurait la juger 
saus une étude précise de toutes les sources contem¬ 
poraines et aussi du milieu littéraire et de la 
société du temps pour dégager les circonstances 
dans lesquelles elle s’est produite. 11 faut surtout, 
et c’est là l’objet principal de notre étude, essayer 
de se représenter quelles en purent être les sources. 
Ce sera là le gros de notre travail et sa partie 
originale que cette recherche critique des sources 
de chaque paragraphe de cette œuvre, de chaque 
assertion de notre auteur. Mais auparavant il est 
nécessaire de refaire, après M. Lair, l’étude biogra¬ 
phique du personnage, l’étude du milieu littéraire 
d’où elle est sortie. Ici, nous serons plus brefs, 
n’ayant rien d’essentiel à ajouter à la préface de 

institutions de la Normandie, fait siennes nos conclusions sur 
Itudon de Saint-Quentin : « Seule, dit-il, la critique la plus 
circonspecte peut tirer un petit nombre de faits de cette 
rhétorique confuse et redondante ». (The Xormans in European 
history, Boston and New-York, 1915, in-8°, p. 47). 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


13 


notre prédécesseur, et les cinquante années écoulées 
n'ayant apporté aucune révélation sur la vie de 
Dudon. 


L'auteur et le milieu 

Vie de Dudon. — Comme beaucoup d’auteurs de 
ce temps, il ne s’est guère soucié de nous renseigner 
sur sa vie, son éducation et ses goûts. On l'a 
quelquefois cru normand, c’est une erreur commise 
par Vossius (1) et les auteurs de la G'allia Chris- 
tiana (2). Deppingen a fait un moine de Jumièges (3). 
Il le confondait avec son abréviateur Guillaume 
Calcul, dit de Jumièges. Dudon de Saint-Quentin 
dit lui-même qu'il n’était pas normand. On peut 
supposer qu’il était originaire du Vermandois et 
peut être de Saint-Quentin même. M. Lair suppose 
qu’il était né vers 960 (4). Nous ne savons rien de sa 
vie avant les premières aunées du règne de Hugues 
Capet. Ce roi en querelle avec le comte Albert de 
Vermandois s’apprêtait à marcher contre lui 
lorsque celui ci sollicita l’intervention du duc de 
Normandie, Richard l or , et lui adressa Dudon qui 
fut bien accueilli. « Il visita les principaux monas¬ 
tères et il parait avoir aflectionné surtout celui de 


(1) De Historicis lalinis , p. 356. 

(2) Gallia Christiana. t. IX, c. 1045. 

(3) Expéditions maritimes des Normands , Paris, 1844, 
p. 359. 

(4) P. 18. 


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14 ÉTUDE CRITIQUE 

Fécamp (1) ». Il avait su gagner les sympathies du 
duc Richard I er qui lui donna deux bénéfices dans 
le pays de Caux et l’appela fréquemment à sa cour. 
Dudon dit qu'il y venait souvent dans les deux 
années qui précédèrent la mort de ce prince (990). 
Le chanoine était un lettré; deux ans avant de 
mourir, Richard lui offrit d’écrire une histoire de 
Normandie, ce que Dudon promit, après les résis¬ 
tances d’usage eu ce cas. Il revint encore en Nor¬ 
mandie sous Richard II ; en 1015, le duc, sans doute 
sur sa demande, confirmait la donation que lui avait 
faite son père et la transmettait aux chanoines de 
Saint-Quentin, Dudon n’en conservant que l’usufruit. 
M. I.air suppose que Dudon voulait ainsi gagner les 
suffrages des chanoines de cette église ; il y réussit, 
car, en tête de son ouvrage, il prend le titre de 
doyen. On peut donc, avec assez de vraisemblance, 
supposer qu’il a commencé à cette date la rédaction 
de son ouvrage. Nous ne savons quand il l’a terminée, 
mais c'est certainement avant 1026, car dans le 
prologue de son œuvre, il dit qu'il écrit cette 
histoire à la prière de Richard I 6r et de son fils 
encore vivant (2), or le duc Richard II est mort 
en 1026. 

Nous ignorons quand le chanoine mourut. Eu 
1043, il avait un successeur au doyenné de Saint- 
Quentin. Ainsi on peut placer vers 994 la date du 


(1) Ed. Laui, p. 19. 

(2) Itl. p. 119. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 15 

début de ses recherches, vers 1015, le début de sa 
rédaction. 

Le milieu littéraire. — Dudon de Saint-Quentin 
n'est pas un normand. Si l'on veut comprendre 
son œuvre, il ne faudra jamais perdre de vue cette 
remarque ; il n'a pas été élevé dans le milieu 
normand. Intelligent et lettré, il arrivera à se faire 
de cette société, nouvelle pour lui, une idée assez 
juste : mais il ne peut nous peindre, d'après ses 
propres souvenirs, ce qu’a été cette société, si 
curieuse évidemment née du contact et du mélange 
des populations franques et des envahisseurs Scan¬ 
dinaves avec les colons appelés par Rollon. Ce qu'il 
sait de la Normandie, il le sait par les livres, par la 
tradition orale parfois, mais presque toujours par la 
tradition orale recueillie à la cour des ducs ; enlin, 
sans doute, par quelques séjours à l'abbaye de 
Fécamp, abbaye de cour où les ducs étaient élevés, 
baptisés, inhumés. 

Si Dudon de Saint Quentin a été bien accueilli à 
la cour de Richard I" r et de Richard 11, c’est préci¬ 
sément qu’il venait du dehors, d’un pays de lettrés, 
d'un centre Iitléraire qui n’existait pas dans la 
Normandie du X 8 siècle. Les invasions avaient 
plongé ce pays dans la barbarie. Les plus célèbres 
abbayes normandes avaientétédétruites, les moines 
de Fontenelle s’étaient enfuis dans le nord de la 
France (1), les moines et le clergé de l’ouest de la 

(1) Lot, Etudes critiques sur l'Abbaye de Saint Wantlrille, 
Paris. 1913, in-fp, p. XXXVI »</</. 


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16 


ETUDE CRITIQUE 


Normandie avaient émigré tantôt vers la grande 
ville de Rouen où se réfugièrent les évêques de 
Coutances (I), tantôt vers l’ile de France, vers 
Paris (2). Il n’y a plus de vie littéraire. Un 
manuscrit de la loi wisigothique provenant de 
l'abbaye des Deux-Jumeaux renferme un commen¬ 
taire en latin barbare (3). Le seul écrit sorti des 
monastères de la Normandie en ce temps est la très 
sèche et toute locale chronique de Fontenelle (4). 

Le clergé normand est un clergé barbare dont les 
mœurs sont mauvaises, brutales et débauchées. 
L’œuvre de la réforme n’a été tentée que timidement 
par Richard I or , elle ne sera poursuivie avec 
quelque suite que par Richard II et surtout par 
Guillaume le Conquérant. 

Aussi, n’est-il pas étonnant que les ducs, voulant 
faire écrire leur histoire, se soient adressés à ce 
clerc du Vermandois que le hasard leur adressait. 

Or, le chanoiue de Saint-Quentin vivait, tout au 
contraire, dans un milieu très lettré, milieu très 
particulier sans doute où on se préoccupait plus de 
belle prose, de recherches de style, d’exercices dans 

(1) Bôhmkr, Kirche und Staat in England und in der 
Normandie in XI und Xli Jahrhunderl', Leipzig, 1899, in-8°, 
p. 4. 

(2) R. Merlet, op. cit., p. 238. 

(3) Lair, p. 10. 

(4) Imprimée dans le Spicilegium de d'AciiERY, au 
tome III, pp. 185-270 et sous le dire de : Gcsla abbatum 
Fonlanellemtium , par Lœwënfeld. Monumenta Germanise , 
in usum scholarum , Hanovre, 1886, in-8°. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


17 


tous les mètres possibles, que de critique historique 
et de recherches approfoudies. Il dédia sou œuvre à 
l’évêque de Laon, Adalbéron. Celui-ci lut sans doute 
son protecteur, peut-être son maître ; il semble 
avoir été son modèle. Cet Adalbéron est un lettré 
qu’il faut connaître pour comprendre Dudon. 

Adalbéron. — Ne confondons pas ce personnage 
avec l’archevêque de Reims du même nom : il 
s’agit d’Adalbéron-Asselin qui est resté le type du 
traître classique ; son nom a passé avec ce caractère 
dans les récits populaires. Au moment des luttes 
entre Hugues Capet et Charles de Basse-Lorraine, il 
eut un pied dans les deux camps, attira Charles et 
l’archevêque de Reims Arnoul dans sa ville épisco¬ 
pale ; il alla même jusqu’à prêter serment à Charles 
pour endormir sa défiance, puis le fit prisonnier 
dans la nuit du 29 au 30 mars 991, le livra à 
Hugues et assura ainsi le triomphe des Capétiens (1). 
Il mourut vers 1030, il était évêque depuis 977. 11 
ne mérite guère les éloges dont le comble Dudon qui 
le place au nombre des douze apôtres et trouve 
toutes les vertus dans le chiffre 12. Ces éloges 
ampoulés s’expliquent par ce fait qu’Adalbéron est 
lui même un écrivain, un lettré, auteur d'un 
Carmen Adalberonis ad Itotbertum regem (2), d’un 
poème sur la Trinité que le roi Robert lui demanda 

(1) Lot, Les Derniers Carolingiens , p. 274, et Hugues Capet , 
Paris, 1903, in-8°, p. 29. 

(2) H. F. X M 65-72. 

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18 


ETUDE CRITIQUE 


et enfin très vraisemblablement, vu la ressemblance 
du style, la recherche et l'abus de l'érudition, d’un 
Rythmus satiricus dirigé contre le comte de Nevers, 
l.andri qui avait favorisé le mariage de Robert avec 
Berthe, veuve d’Eudes de Chartres (1). 

Or, Dudon est comme son rnaitre un poète, un 
poète de cour, un érudit. Non seulement sa prose 
est chargée d’expressions poétiques, mais elle est 
constamment coupée de pièces de vers dédiées à 
l’archevêque de Rouen, Robert, autre prélat de 
cour, son protecteur, à Raoul d’Ivri, aux ducs, à la 
ville de Rouen. Dans ces vers, M. I.air n’a pas 
relevé moins de vingt mètres différents. C’est uu 
amateur de poésie latine que Dudon. Sa langue est 
poétique, chargée de réminiscences de Virgile et 
aussi d’assonances. 

Il faut reconnaître que Dudon est un vrai lettré. 
Savait-il le grec? On l'a nié. Il connaît les noms 
grecs des neuf muses, il intercale quelques mots 
grecs dans sa prose. Comme ces mots sont souvent 
défigurés, on a dit que sa connaissance de la langue 
grecque devait être bien superficielle. Mais ce sont 
là sans doute fautes de copistes. Une étude appro¬ 
fondie de Dudon montre que certaine connaissance 
géographique ne peut venir jusqu’à plus ample 
information que de sources grecques (2). 

(1) Huckel, Les Poèmes satiriques d'Adalbéron dans La 
Bib. de la Faculté des Lettres de Paris, et Lot, Hugues Capet, 
app. XII. 

(2) Voir l'examen critique du Livre I er . 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


(Q 


Incontestablement, c’était, au milieu de la bar¬ 
barie du temps, un homme fort instruit. 

11 ne s’ensuit pas que ce fut un historien. C’est un 
poète, c'est aussi un rhéteur, toujours prêt à faire 
parler les personnages qu’il met en scène et à placer 
dans leur bouche de longs et insupportables discours. 
II a d’ailleurs un très réel talent descriptif en prose 
ou en vers ; notons révocation de Rouen, le tableau 
des funérailles de Richard 1 er , le récit du combat de 
Lèves. 

Dudon appartient, M. Lair le remarque avec 
beaucoup de justesse, à une école qui a commencé 
au IX» siècle et qui ne serait pas mal caractérisée 
par le nom d’école pittoresque. On sait ce qu’il faut 
entendre par là : des tableaux, des discours, des 
scènes dramatiques, des dialogues, des récits détail¬ 
lés d’événements dont en réalité on ne sait rien. On 
fait vivant, mais on ne se soucie pas de faire vrai. Il 
y a de tout cela dans Dudon, et personne n’eut 
moins que lui le souci d’être exact. Et au reste, 
encore qu’il y ait quelque talent littéraire, du 
plus mauvais aloi, dans son œuvre, ce talent est 
insupportable. Il est insupportable précisément à 
cause de l’effort que nous sentons dans tout le récit, 
des ellets de style, des recherches d’assonance. Si 
l’on voulait guérir les historiens de la recherche 
dans l’expression, on les engagerait à lire Dudon, 
qui l’a poussée, son éditeur en convieut, jusqu’à 
l’absurdité. 

Caractères de l’œuvre. — Poète et rhéteur, ama- 


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ETUDE CRITIQUE 


teur de pittoresque, voilà trois défauts impardon¬ 
nables chez un historien; ajoutons-y le goût du 
délayage, le besoin de raconter eu six pages ce qui 
pouvait se dire en quelques lignes, la manie d'intro¬ 
duire dans sa narration des dialogues, des discours 
par où, évidemment, il croit se rapprocher des 
grands modèles de l’antiquité, de Tite Live, par 
exemple. 

Enfin c'est une œuvre apologétique. Dans sa com¬ 
position même, ce dessein s’annonce ; qu’elle ait 
trois livres comme l'édition de Duchesne, quatre 
comme celle de Lair, c’est toujours une série de 
biographies : Hasting symbolise les invasions, 
Rollon, l'établissement des Normands, Guillaume 
Longue Epée, c’est le Normand christianisé, 
Richard I er , le véritable fondateur de la Normandie. 

Or, en tout temps, l'inconvénient de l’histoire par 
biographies, c’est que l’auteur grossit démesurément 
ses héros, cristallise tout autour d’eux quantité 
d'événements auxquels ils n'ont pas toujours pris 
part. Dudon a fait des invasions normandes un récit 
incompréhensible, plein d’inexactitudes, de fantaisie 
et de lacunes parce qu’il les a groupées autour 
d’Hasting et de Rollon. Pour rendre la chose vrai¬ 
semblable, il a supprimé la chronologie. — Et ici, 
nous prenons Dudon en flagrant délit d’erreur; car 
Godfrid, Ragnar Lodbrok, Bioern, Siegfrid, ont 
opéré successivement dans la vallée de la Seine, et 
Rollon n’y apparaît avec certitude qu’après l’échec 
de Chartres. Mais c'est là précisément le procédé de 
Dudon : il cristallise autour d'un nom tous les évé- 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


21 


nements de lui connus. Il y a là un artifice auquel 
sont enclins tous ceux qui font de l’histoire par 
biographies, en quelque siècle que ce soit. 

Cette tendance à grossir démesurément son héros, 
nul n’y a moins échappé que Dudon, car il était 
payé pour cela : il faisait une histoire sur com¬ 
mande ; il avait reçu de beaux bénéfices dans le pays 
de Caux, il lui fallait encore payer de retour les 
ducs, ses protecteurs, et leur donner de la gloire 
pour leur argent ; encore réclame-t-il son salaire à 
la fin de son livre. Et, en effet, l’œuvre de Dudon 
a bien ce caractère, qu’on n’a pas assez remarqué, 
qu’elle est une œuvre commandée, payée et, par 
conséquent , destinée à un certain effet. 

C’est un écrit politique, rédigé à une certaine date 
et pour certaines raisons. Il ne faut jamais perdre 
de vue, en étudiant un ouvrage, la date et les 
circonstances de sa composition. On a trop traité 
l’œuvre de Dudon comme s’il s’agissait d’une chro¬ 
nique ou d’annales. C’est une composition litté¬ 
raire dont il faut rechercher les origines. 

Entre 994 et 1015, régnent Richard I" et Richard II, 
ce sont de puissants princes. Richard I° r est le véri¬ 
table fondateur de la Normandie; si la première 
partie de son règne a été troublée de 942 à 965, d’une 
part, par les tentatives de Louis d’Outremer pour 
s’emparer du duché, d’autre part, par de nouvelles 
invasions, de 965 à 996 il a restauré la Normandie, 
l’a remise en valeur. Richard If, qui règne trente 
ans, de 996 à 1026, a été également un prince très 
puissant, l’allié du capétien Robert le Pieux. Les 


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ÉTUDE CRITIQUE 


ducs interviennent alors comme alliés du roi dans 
les affaires de Bourgogne, dans celles de la maison 
de Blois: Dudon de Saint Quentin devaitsa situation 
auprès des ducs à son intervention dans les aflaires 
du Vermandois. Enfin, la Bretagne a une grande 
importance dans la politique des ducs de ce temps- 
là. En 992, deux ans avant la date à laquelle 
Bichard 1 er demande à Dudon d’écrire l’histoire des 
princes normands, il a pris sous sa protection la 
faible maison des comtes de Rennes ; des mariages 
ont eu lieu : Geoflroi, fils de Conan le Tort, épouse 
Havise, fille du duc Richard I"; sa sœur, Judith, 
épouse le duc Richard II. Les ducs de Normandie 
avaient un grand intérêt, appuyés sur de telles 
alliances, à maintenir dans leur dépendance les 
comtes de Rennes, à les considérer, à les voir consi¬ 
dérés comme des vassaux. On comprend alors que 
Dudon, dans tout le cours de son histoire, depuis le 
traité de Saint-Clairsur-Epte jusqu’à la fin du règne 
de Richard I er , représente la Bretagne comme 
dépendant de la Normandie. Selon lui, la Bretagne 
a été abandonnée par Charles le Simple à Rollon à 
titre de fief ; il y a à cela deux impossibilités, l'une 
de droit, les Carolingiens ne possédant pas la Bre¬ 
tagne et ne pouvant pas la donner; l’autre de fait, 
ce sont les Normands de la Loire qui, à partir de 
919, sont maîtres de la Bretagne ; cela n’empêche 
pas Dudon d’y installer les Normands, de repré¬ 
senter les chefs bretons comme prêtant serment de 
fidélité au duc Guillaume et au duc Richard, toutes 
choses qui ne sont affirmées que par lui. De toutes 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


23 


les inventions du Doyen, la cession de la Bretagne à 
Rollon est celle qu’il est le plus facile de percer à 
jour dès qu'on veut la discuter ; c’est aussi celle qui 
révèle le mieux les tendances et le but de l'auteur. 
Mais il en est d’autres qui portent aussi leur date. 
Si Dudon attache tant d’importance à affirmer la 
parenté de Rollon avec les rois de Danemark, s’il 
insiste, avec beaucoup d’exagérations et en dénatu¬ 
rant les faits, sur les rapports entre le Danemark et 
la Normandie, c’est qu’il y a eu, à la date à laquelle 
écrivait Dudon, un traité d’alliance, déterminé par 
des circonstances très particulières, entre Richard If 
et le roi de Danemark. Si Dudon appelle Rollon duc, 
c’est encore un anachronisme; ce titre, les chefs de 
l’Etat normand n’ont commencé à le porter qu’au 
temps de Richard II qui semble l’avoir pris le pre¬ 
mier et qui l’emploie concurremment avec d’autres. 

Chargée de légendes et de fictions poétiques, 
pleine des développements verbeux d’un rhéteur du 
temps, œuvre composée par biographies, apologie 
sans mesure, l’histoire de Dudon n’est, en outre 
qu’un écrit politique rédigé à une certaine date pour 
une certaine cause, bien payé et portant en soi sa 
marque pour qui veut l’y découvrir, plein d’erreurs 
du fait d’un écrivain non normand d’origine et qui 
juge le passé de la Normandie à la lumière du présent. 

Néanmoins et à cause même de ces erreurs, cette 
œuvre vaut la peine d’être étudiée avec soin, elle 
vaut que l’on en cherche toutes les sources, que 
l’on y fasse le départ exact entre l’inventioD, la 
légende et le résidu historique. 


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ETUDE CRITIQUE 


Composition et sources de l’œuvre 

Nous avons dit que Dudon délaye. Que délaye-t-il ? 
C’est la question de l'origine de son œuvre et de ses 
sources, et par là nous abordons la critique interne 
de l’œuvre. 

Raoul d’Ivri. — On a dit que Dudon de Saint- 
Quentin n'avait fait que reproduire une histoire 
écrite par Raoul d'Ivri. Ce Raoul d’Ivri est le fils 
d'un noble normand et de Sprota, concubine de 
Guillaume Longue Epée et mère du duc Richard ; 
il est par conséquent le demi-frère de Richard I w . 
Il vivait à la cour de Richard I er et de sou neveu 
Richard II, il était comte d’Ivri et jouissait à la cour 
d’une grande autorité. 

Dudon a été particulièrement lié avec ce Raoul 
d'Ivri. Celui ci a été son protecteur; il a, en 1015, 
sollicité les faveurs du duc Richard II pour le 
chanoine. Le Doyen, dans des vers qu’il adresse à 
Raoul d’Ivri au commencement de son œuvre, 
l’appelle relatnr hujus operis. Or on a soutenu que 
Raoul avait lui-même composé auparavant une His¬ 
toire des Normands ; si cette histoire avait été écrite 
en vers, on s’expliquerait que Dudon semble quel¬ 
quefois mettre en prose un poème épique. L’abbé 
des Tuileries voyait une confirmation de cette thèse 
dans un passage de Guillaume de Jumièges : celui-ci, 
en terminant l'histoire de Richard I er , dit qu’il a 
rassemblé tout ce qui a été écrit dans son livre 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


25 


d’après les récits du comte Raoul, frère de ce duc. 
De ces deux textes, l’abbé concluait que Raoul était 
l'auteur d’une Histoire des Normands. Mais un autre 
passage de Guillaume de Jumièges montre bien ce 
que celui ci a voulu dire : « J'ai emprunté, dit-il 
ailleurs, le commencement de mon récit jusqu’à 
Richard II à l’histoire de Dudon, homme habile qui 
a composé pour la postérité un manuscrit d’après 
les renseignements du comte Raoul, frère du duc 
Richard 1 er (1) ». 

On a cru autrefois à l’existence d’une Histoire des 
Normands indépendante de l’œuvre de Dudon. Mais 
vérification faite, il s’agissait de deux manuscrits 
dont l'un se trouvait à la Bibliothèque Cottonienne 
et est aujourd’hui au British Muséum, dont l'autre 
a passé de la Bibliothèque de l'abbaye de Saint- 
Évroul à celle d’Alençon (2) ; tous deux contiennent 
l’œuvre de Dudon, moins les vers. Il est donc dif¬ 
ficile d’admettre aujourd'hui qu’une Histoire des 
Normands aurait été écrite par le comte Raoul 
avant celle du Doyen. Sans doute, celui-ci, à la fin 
de la poésie adressée au comte d’Ivri, en tête de son 
ouvrage, s'écrie : 

Cujus quæ constant libro hoc conscripta relatu, 

Digessi attonitus, tremulus, hebes, anxius, anceps. 

« C’est sous sa dictée que j’ai écrit tout ce qu'il 
y a dans ce livre, étonné, tremblant, stupide, 

(1) Ed. Marx, S. H. N. Paris et Rouen, 1914, in-8, p. 2. 

(2) Ce manuscrit a disparu. 


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ETUDE CRITIQUE 


anxieux ». Pauvre chanoine en présence des récits 
d’un grand prince! Mais cela même marque bien 
qu’il ne s’agit que de renseignements oraux. Raoul 
d'Ivri est sou inspirateur, son correcteur peut-être. 

Et ici déjà se pose la question de savoir quelle est 
la valeur de l’oeuvre de Dudon ? Considérable, dit 
M. i.air. Il a été renseigné par Raoul d’Ivri, frère 
du duc Richard et l'un des principaux barons, « dont 
« la naissance et le caractère emportaient une 
« grande idée de véracité (1) ». En quoi la naissance 
de Raoul et son caractère, dont nous ignorons tout, 
impliquent-ils une grande idée de véracité ? Veut 
on dire qu’on est en présence d’une histoire offi¬ 
cielle? Mais ce serait précisément une raison de 
nous en défier. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce 
point. Veut-on dire que les récits de Raoul d'Ivri 
font le caractère original de l’œuvre, que c’est à la 
tradition orale qu’il a puisé, et non aux documents ? 
Cela constituerait une originalité, soit! mais non 
une supériorité. 

En quoi a consisté l’apport de Raoul d’Ivri dans 
l’œuvre de Dudon? Cela est bien difficile à dire. 
Peut êlre lui a t il conté la tradition normande sur 
l’origine de Rollon, la Saga, mais en l’arrangeant, 
en la déformant, de la manière qui convenait aux 
ducs, à moins que ce ne soit le chanoine lui-même 
qui se soit chargé de cet arrangement. Peut-être 
Raoul a-t il fourni quelques traditions locales, 
quelques échos de chansons de geste aujourd'hui 

(1) Ed. Laih, p. 28. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 27 

perdues? Peut-être a-t-il été simplement le réviseur 
de son œuvre, le censeur chargé de ne rien laisser 
passer qui pût être désagréable aux ducs? 

En tout cas, l’étude attentive de Dudon montre 
que son œuvre n'a pas du tout l’originalité que lui 
ont prêtée ceux qui comme M. Lair ne voulaient 
voir dans le doyen que l’écho de Raoul d'Ivri. 

Les Sources. — Dudon a eu d’autres sources, et 
quand on les recherche, on les trouve. Lui-même, 
faisant allusion à la bataille de Soissons dit qu’il ne 
la racontera pas, parce qu'on en peut lire le récit 
ailleurs (1) ; de son aveu formel il a donc lu les 
Annales. Cette bataille a été en effet racontée par 
Flodoard. Nous montrerons que pour tous les évé¬ 
nements des règnes de Rollon, Guillaume Longue- 
Epée et Richard I", les Annales de Flodoard consti¬ 
tuent la base principale de son œuvre, les événe¬ 
ments étant d’ailleurs défigurés par l’apologiste 
des ducs. Pour la période antérieure, pour les inva 
sions normandes, il a eu recours aux Annales 
carolingiennes. 

Plus on étudie Dudon, plus on est convaincu 
qu'il a lu les Annales de son temps, Flodoard, les 
Annales de Saint-Berlin et de Saint Vaast, et aussi 
les Annales germaniques, Réginon, les Annales de 
Fulda, etc. et peut être même Widukind. Nous le 
montrerons par une critique détaillée, mais arrêtons- 
nous un instant sur Widukind. 

(1) Ed. Lair, p. 173. 


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ETUDE CRITIQUE 


Une source possible de Dudon : Widukind. — 

Il est très remarquable qu’en racontant l’invasion 
allemande de 946, le chanoine de Saint-Quentin 
parle longuement du siège de Rouen qu’il raconte 
avec des détails légendaires. Or, ce siège de Rouen 
ne se trouve pas dans Flodoard, son guide habituel. 
Où donc a t il pris mention de cet événement, qu’il 
a développé ensuite, suivant les procédés épiques 
qui lui sont propres ? 

L’expédition de 946 est racontée laconiquement 
par Widukind, dans les Iles geslæ Sajronicœ (1). 
Or, Widukind vivait au milieu du X® siècle ; on ne 
peut dire exactement à quelle époque il a composé 
son œuvre; mais M. Waitz établit que les derniers 
événements cités par lui sont de 967 et du début 
de 968 (2). Il y a des analogies assez curieuses entre 
les deux œuvres, quoique leur sujet soit différent. 
Les llerum gestarumsajonicarum libri 1res sont, sous 
le titre d’histoire des Saxons, une œuvre écrite à la 
plus grande gloire de la dynastie saxonne, des 
fondateurs de l’empire. Le premier livre est consacré 
aux origines du peuple saxon, d’après les historiens 
anciens, et au roi Henri, fondateur de la dynastie ; 
les deux livres suivants sont consacrés à Otton. De 
même, dans le De Moribus et aclis primorum 
Normanniat ducum, il y avait primitivement trois 
livres : un livre consacré aux origines des Normands 

(1) M. G. ss. III., p. 411. 

(2) Singulière coïncidence, c’est aussi à peu près à cette 
date, 966, que s’arrêtent les Annales de Flodoard. 


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SOR DBDON DE SAINT-QUENTIN 


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et à Hasting et deux livres consacrés l'un à 
Rollon, l'autre à Guillaume Longue Épée et à 
Richard (1). 

Est-il impossible que Dudon ait pu connaître 
Widukind ? 11 ne faut pas oublier les facilités 
qu’avaient les lettrés, les clercs du temps, pour 
voyager. 11 n’est pas nécessaire d’ailleurs que 
Dudon soit allé jusqu’à l’abbaye de Corvey où 
Widukind écrivit son œuvre. Il se pourrait que les 
manuscrits de cet ouvrage fussent déjà répandus. 
Les Annales ilettenses ne contiennent elles pas un 
abrégé du livre de Widukind? Enfin l’abbaye de 
Corvey avait dû conserver des relations avec l’abbaye 
de Corbie d’où étaient partis, sous Louis le Débon¬ 
naire, les moines qui l’avaient fondée ; Corbie est 
bien près de Saint-Quentin. L’abbaye de Corbie a 
été un centre historique comme Fécamp. On voit 
donc qu’il n’y a aucune impossibilité à ce que 
Dudon ait lu l’œuvre de Widukind et l’ait imitée. 

Dudon n’a-t-il utilisé que les Annales franques 
et germaniques, n'a-t il utilisé que les Sagas défi¬ 
gurées par Raoul d’Ivri ou par lui-même? N’a-t il 
pas incorporé à son œuvre des traditions locales? 
Racontant, dans le livre sur Rollon, les campagnes 
des Normands sur les bords de la Seine, où Rollon, 
d’ailleurs, n’a peut être joué aucun rôle, il semble 
s’inspirer des données locales sur l’emplacement 

(1) Duchesne a publié l’œuvre de Dudon en trois livres. 
M. Lair, en quatre; pour plus de commodité, nous conser¬ 
verons cette dernière division comme base de notre étude 
critique. 


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ETUDE CRITIQUE 


d’un combat livré aux Damps, près de Pont-de- 
rArche ; de même les récits qu’il donne des inci¬ 
dents qui ont suivi la bataille de Chartres peuvent 
être, en ce qui concerne le combat de Lèves, 
empruntés à une tradition chartraine. Enfin, il 
a raconté, avec l'émotion d’un témoin oculaire, 
les funérailles de Richard I er , à Fécainp. 

Dudon et Fécamp. — Il parait connaître cette 
ville et son abbaye ; il lui a consacré, à la fin de 
son œuvre, une pièce de vers curieuse : 

0 Fiscanne, sanis semper fecunde favillis. 

Or, dans cette pièce, Duden de Saint Quentin 
montre qu’il connaît Fécamp et ses traditions. 
Il parle de la tombe de saint Léger, et un « Estât 
des sainctes reliques, reliquaires et autres pièces 
notables, conservées dans le Tlirésor de l’église de 
la royale abbaye de Fécamp, en l’an 1682, «contient 
une description de la châsse de saint Léger, évêque 
et martyr, qui renferme plusieurs os du saint et 
aussi un bras d'argent, orné de quelques pier¬ 
reries (1). On sait que saint Léger, évêque d'Autun, 
trouva la mort dans ses luttes contre Ebroïn, le 
fameux maire du palais en 678. Il fut considéré 
comme un martyr et, dès le début du VIII 0 siècle, 
ses reliques furent répandues dans toute la Gaule (2) ; 
Dudon connaît cette histoire. 

(1) Leroux de Lincy, Essai historique sur l’Abbaye de 
Fécamp , Rouen, 1840, in-8°, p. 196. 

(2) Pfister, dans l 'Histoire de France de Lavisse, t. II, 
p. 146. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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Fécamp, on le sait, a été plus tard, avec son 
abbaye, un centre important d’élaboration de chan¬ 
sons de geste : elle avait une confrérie de jongleurs 
au XII» siècle (1 ). Il a pu y avoir antérieurement 
des jongleurs en ce lieu de pèlerinage renommé 
pour la très précieuse relique qu’il contenait, le 
Précieux Sang. Et, comme on l’a montré récem¬ 
ment, ces jongleurs s’établissaient généralement 
auprès des moines des sanctuaires fréquentés dont 
ils étaient les collaborateurs dans la fabrication 
de pieuses légendes (2). 

Dudon a pu recueillir là, peut être, plus d’une 
chanson. Nous montrerons que son livre sur 
Guillaume Longue Épée est visiblement inspiré par 
une Complainte latine écrite à l’occasion de la mort 
de ce duc. N’a t il pas recueilli, à Fécamp, d'autres 
chants de ce genre? Nous en trouverons trace 
ailleurs dans son oeuvre. 

Mais nous ne saurions entrer ici dans le détail de 
cette question, les sources de Dudon. Nous nous 
bornons à indiquer quelles ont été les voies dans 
lesquelles nous nous sommes engagés. L’étude 
minutieuse de l’oeuvre de Dudon de Saint-Quentin, 
paragraphe par paragraphe peut seule permettre 
de porter un jugement définitif. 

C’est ce travail de confrontation auquel nous 
nous sommes livré. Partout nous résumerons les 

(1) Charte de la fin du XII" siècle d’après un Vidimus du 
XV' siècle, publiée par Leroux de Lincy, op. cil., p. 378. 

(2) Bédier, Les Légendes épiques, Etude sur la formation 
des Chansons de geste, Paris, 1908-1913, 4 vol. in-8°. 


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ETUDE CRITIQUE 


dires de Dudon, partout nous rechercherons à 
quelles sources il a pu puiser ces renseignements, 
nous verrons ensuite ce qu'il en a fait, et montrerons 
comment il les a trop souvent défigurés pour les 
besoins de son œuvre, qui est, répétons le, non 
une œuvre d'histoire, mais uue œuvre apologétique. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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LE PREMIER LIVRE DE DUDON 


LA GÉOGRAPHIE ET LES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 


Les deux premiers chapitres de l’œuvre de Dudon 
sont consacrés à des considérations générales sur 
les invasions normandes dont on peut définir 
l’objet en disant que l'auteur se propose : 1° de 
nous dépeindre sommairement le pays d’où sont 
venus les envahisseurs ; 2° de nous expliquer, par 
les mœurs et les croyances des habitants de ce pays, 
les causes des invasions. 

Ces deux chapitres, qui ne présentent aucun 
intérêt au point de vue géographique ou historique, 
car ils n’ajoutent rien à nos connaissances, en 
présentent un très grand, au contraire, pour l'intel¬ 
ligence même de l’œuvre de Dudon, de sa documen¬ 
tation et de ses sources. Nous allons y constater, de 
prime abord, tous les caractères de sa documen¬ 
tation, toutes les sources auxquelles il a puisé, 
documentation livresque d’une part, traditions 
orales de l’autre, et nous allons déterminer le 
caractère de cette tradition. 

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ETUDE CRITIQUE 


En ce qui concerne la géographie, la documen¬ 
tation livresque est évidente. La géographie, au 
moyen âge, ne fit aucun progrès avant les croisades ; 
la géographie de Dudon c’est celle qui était en 
usage, si l’on peut s’exprimer ainsi, à la fin des 
invasions, au V e et au VI* siècles. Les sources de 
Dudon ici, ce sont surtout Jornandès et Paul Orose. 

La première phrase sur la division du monde : 
Asie, Europe, Afrique, est empruntée textuellement 
à l’ouvrage de Jornandès : De Getorum site Gotho- 
rum origine et rebus geslis (1). Sa description du 
Danube est encore empruntée, comme M. Lair l’a 
déjà remarqué (2), au même Jornandès et à Pline. 
Certaines expressions de Dudon sont exactement 
celles de Jornandès : parlant des populations qui se 
trouvent sur le Danube, il nousdit qu'elles viennent 
de Causa, c'est la Scanzia insula de Jornandès ; de 
cette lie, cet auteur, avant Dudon, avait déjà dit 
que les populations partaient comme un essaim 
d’abeilles, examen apum (3) et il avait déjà appelé 
Scansa la matrice du monde, vagina (4). 

Quant à la division de l'est de la Germanie en 
trois parties : Alanie, Dacie et Gothie, Dudon l’em¬ 
prunte à Paul Orose, qui, en termes plus simples 
que ceux de Dudon, écrit : « Ab oriente Alania est, 


(1) Ch. I (Ed. Nisard, Paris, 1855). 

(2) Ed. Dudon, p. 32. 

(3) Ch. I. 

(4) Id., ch. IV. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 35 

in medio Dacia, ubi et Gothia.. deinde Germania «si (1) ». 
Dudon dit ensuite que la Dacie est entourée par une 
chaîne de montagnes qui lui fait comme une cou¬ 
ronne, corona. Cette expression est encore emprun¬ 
tée à Jornandès : « Dacia est ad corona spcciem 
arctius Alpibus emunita (2) ». Dudon énumère enfin 
les populations qui habitent ces contrées, les Gètes 
ou Goths, les Sarmates, les Amaxobii, les Trago- 
dites et les Alains. 

L’identification des Gètes avec les Goths est égale¬ 
ment empruntée à Jornandès (3) ; les Sarmates se 
retrouvent dans le même auteur (4) et dans Paul 
Orose (5). Les Amaxobii nous embarrassent davan¬ 
tage; nous les avons trouvés dans Ptolémée (6), qui 
les place parmi les Sarmates d’Europe, de sorte 
qu’il faut admettre ou que Dudon savait vraiment le 
grec et que sa connaissance de cette langue, dont il 
cite quelques mots au cours de son œuvre, n'est pas 
aussi superficielle qu'on voulait bien le dire, ou 
bien qu’il a connu les Amaxobii par un intermé- 


(1) Ed. Teubner, I, 2. 53. Dudon écrit avec plus de préten¬ 
tion : • Est namque ibi tractus quam plurimis Alaniæ, situs- 
que nimium copiosus Daciæ atque ineatus multum profusus 
Getiæ ». 

(2) * Quorum Dacia extal mediomaxima, in modum corona, 
instarque civitatis præmagnis alpibus emunita ». 

(3) Ch. IX. 

(4) Ch. XXXIV. 

(5) VI, 21, 14 ; VU, 15, 8 ; 22, 7 ; 25, 12. 

(6) Lib. UI, § 5. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


diaire qui ne nous est pas connu (i). Les Tragodites 
nous embarrassent également. Seraient-ce les 
Troglodytes (2)? Quant aux Alani, on les retrouve 
dans Jornandès (3) et dans Orose, qui les placent 
près des Gotbs et aussi dans Ptolémée (4). 

Après ces préliminaires géographiques Dudon 
aborde les considérations historiques; il va indi¬ 
quer la cause de l'invasion normande : c’est la 
polygamie. Evidemment, Dudon a vécu à la cour 
normande, il a entendu parler des chefs Scandinaves 
qui avaient plusieurs femmes; on cite le roi Harald, 
avecquinze femmes légitimes, vingt cinq concubines 


(1) Où Dudon aurait-il pris ce nom des Ap-aSoSfot, en 
dehors de Ptolémée? On le trouve encore dans Porphyre. 
De abstinentia, Ed. Teubner, III, 15 : « oùûè yàp toTç àua- 
£o£toiç ZxûOxtç ((p^ato) oùûè rotç Ûeoiç ». Mais, ici, il s'agit 
des Scythes montés sur des chars; c’est un qualificatif et non 
un nom de peuple : c’est ainsi que l’a compris II. Estienne. 
Thésaurus linguœ grccæ , éd. de 1839, t. I, p. 27 ; c’est aussi 
ce qui explique que ce terme ne se trouve pas dans Pauly et 
Wissova, Real Encyclopüdie der classischen alterthums 
wissenschafl, Stuttgart, 1891. Je crois donc que Dudon aura 
pris plutôt ce nom des Ajxa;o6t oi dans Ptolémée qui les 
donne comme un peuple des Sarmates et les place à côté des 
Àlains. 

(2) Par une singulière rencontre, Adam de Brême, dans 
sa Descriptio iruularum aquilonis, écrite un siècle après 
Dudon, parle des Troglodytes qu’il cite à côté des Goths, 
des Daces, des Sarmates, des Alains (M. G. SS. VII, 376). 
Dudon et Adam de Brème n’auraient-ils pas eu, l’un et l’autre, 
connaissance des Lapons qui sont, durant l’hiver, de vérita¬ 
bles Troglodytes ? 

(3) Ch. XXXI. 

(4) VII, 37, 3. 


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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN 


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et vingt enfants (1) ; mais, en réalité, de la lecture 
des Sagas, il résulte que la polygamie est un fait 
exceptionnel, la lemme est très considérée dans 
les pays Scandinaves, elle est traitée dans la civili¬ 
sation antérieure au christianisme sur le même 
pied que l'homme; si le mariage n’est pas une céré¬ 
monie religieuse, c'est du moins un pacte familial. 
Le père du jeune homme, ou un parent choisi, va 
demander la jeune fille à son père ou à son tuteur. 
Alors les parents prennent des arrangements pour 
constituer le futur ménage, en lui donnant respec¬ 
tivement terres et troupeaux (2). C’est le pays des 
longues fiançailles qui, en ce temps, pouvaient 
durer plus d’un an, elles durent plus longtemps au¬ 
jourd’hui. Le mariage est entouré de respect. 
M. Steenstrup, cependant, croit à la permanence 
de la polygamie jusqu'en Normandie. Il croit aussi 
que le père de famille jouissait d’une patria potestas 
assez étendue pour disposer de son bien sans 
limite et chasser ceux de ses fils qu’il ne voulait pas 
voir hériterde ses biens. Karl von Amira se refuse 
à admettre une palria potestas aussi étendue (3). 
S'il est quelquefois question de partages de terres 
entre certains fils, leurs frères quittant le pays, rien 


(1) Heimskringla, I, 97 (Snorro Sturleson ; Havniæ. 1777- 
1826), 6 vol. in-folio. 

(2) Du Chaillu, The Viking âge , London, 1889, 2 vol. in-8*, 
t. IL, p. 2, sqq. 

(3) Hist. Zeitschrift, t. 39, p. 240-268. 


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ETUDE CRITIQUE 


ne dit que le partage n’ait pas été fait d’accord 
entre tous. 

En réalité, les familles sont, de tout temps, 
nombreuses dans ce pays, même sans la polygamie; 
la contrée est pauvre, il y a une propension natu¬ 
relle vers la mer; qui sait si le père ne donne pas 
à certains des fils une barque, avec la possibilité 
de faire fortune au-delà des mers, et à d’autres des 
terres (1)? 

Pour expliquer les émigrations normandes des 
premiers temps, Steenstrup cite celles qui eurent 
lieu après la conquête des Normands en Italie ; 
particulièrement l’histoire de Tancrède de Haute- 
ville, qui a douze fils. 11 en reste un pour hériter 
du fief de son père, onze émigrent ; mais Orderic 
Vital ditquele père les a engagés et non contraints 
à émigrer (2). Il n’est pas besoin d’admettre une 
exhérédation, ni de croire à la pratique ordinaire 
de la polygamie, encore qu’elle ait pu exister chez 
certains chefs, ni même à l’existence d’un prin¬ 
temps sacré. 

Selon Dudon, la polygamie, en multipliant le 


(t) « En Norvège encore, dit Depping, Histoire des Expédi- 
lions maritimes des Normands, le fils aîné du paysan reçoit ses 
terres. » 2« éd., Paris, 1844, in-8°. p. 11. Il est très remar¬ 
quable que dans le pays de Caux, le fils aîné avait aussi une 
part prépondérante. (Houard, Dictionnaire de la Coutume 
de Normandie, Rouen, 1780, 4 vol. in-folio, t, I, p. 215) ; ce qui 
donne à penser que la bande normande établie dans le pays 
de Caux, où tant de noms de lieux sont d’origine Scandinave, 
était bien norvégienne. 

(2) Lib. III, t. II, p. 88. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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nombre des enfants, a provoqué l’émigration et 
cette émigration a été réglée par une sorte de prin¬ 
temps sacré. On réunissait une grande multitude 
d’adolescents et, par un usage très ancien, veterrimo 
ritu, on les envoyait dans d'autres contrées pour 
acquérir des royaumes; c'est aiusi que les Gètes ou 
Goths ont ravagé toute l’Europe. 

Ce rappel de l'histoire des Goths nous avertit assez 
de la source où Dudon a pris ce renseignement ; il 
l’a emprunté aux historiens classiques des grandes 
invasions, à l'Historia Langobanlorum de Paul 
Diacre (1). La question est de savoir si cet usage a 
réellement existé chez les Scandinaves. Il y en a, 
sans doute, quelques exemples, mais dans des cas 
très particuliers. Dans le Wermeland, province 
suédoise, la population s’étant beaucoup accrue, 
il y eut une disette et, par suite, une révolte contre le 
roi Olaf. Les sages ordonnèrent une émigration (2). 
Sous Knut, roi de Danemark, vers 880, on décida 
que chaque troisième serf et le troisième enfant de 
chaque homme du peuple s’expatrieraient; l'émi¬ 
gration eut lieu vers la Prusse, la Carélie, la 
Samégithie (3). Le sort avait désigné les partants. 

Saxo Grammaticus, enfin, raconte que, sous le 
règne d'un petit prince du Jutland, Snio, qui rési¬ 
dait à Viborg, il y eut une disette. Pour ménager le 

(1) L. I, c. I et II. 

(2) Ynglinga Saga, ch. XLVII et VIII, dans Heimskringla, 
I, p. 57. 

(3) Chronique d’Olaüs, dans Script, rcr. Danicarum , de 
La.ngebeck 


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ÉTUDE CRITIQUE 


grain, ce prince défendit de brasser de la bière. On 
sait combien il est difficile de faire respecter de 
telles défenses. La famine continua de ravager le 
pays. L’Assemblée, (le tliing) fut alors convoquée ; 
elle résolut qu'on tuerait les vieillards, les enfants, 
tous les hommes qui ne seraient pas capables de 
porter les armes ou de labourer la terre. Guuborg, 
mère de plusieurs enfants, demanda que l’on eût 
recours à l’émigration et que le sort désignât ceux 
qui devraient s’expatrier. Le sort tomba sur les 
plus âgés, mais les plus jeunes s'offrirent à leur 
place (1). 

Dudon a donc pu entendre parler de faits analo¬ 
gues. Ici, il nous apparaît comme un peintre assez 
exact des mœurs des Scandinaves et comme un 
narrateur judicieux des causes des invasions, mais 
il se pourrait toutefois que ces renseignements 
fussent encore ici plutôt d’origine livresque. 

Au reste, l’auteur du De moribus est bien loin de 
traiter d’une façon suffisante cette question capitale 
des causes des invasions normandes. Si on voulait 
rechercher l’origine des expéditions des vikings, on 
en trouverait de beaucoup plus importantes que la 
polygamie qui fut d’un usage restreint, ou que le 
printemps sacré qui fut exceptionnel ; il y aurait 
lieu évidemment de mettre au premier plan, après 
la passion du pillage qui est le fond de l'existence 
même du viking, la révolutiou politique qui 
s'accomplit alors dans les pays Scandinaves, la 

(1) Saxo Grammaticas, G est a Danorum, éd. Hôlder p. 284. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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destruction des petits états, que le morcellement 
géographique du pays avait fait naitre dans les vastes 
contrées, tout particulièrement en Norvège, l’établis 
sement sur les ruines des états de chefs contraints 
à l’exil, de monarchies puissantes qui fondèrent le 
Danemark, avec Gorm le Vieux, la Norvège avec 
Harald Harfagr ; enfin, la lutte entre le paganisme et 
le christianisme, qui a duré plus de trois siècles, 
avec des alternatives de progrès du christianisme, 
de retour au paganisme, dont nous retrouverons 
souvent le contre coup dans l’histoire des expé¬ 
ditions normandes et de la Normandie même. 

Dudon a su et ne pouvait pas ne pas savoir que la 
Scandinavie, du temps des invasions, était encore 
païenne et cela était surtout vrai de la Norvège et 
de la Suède, atteintes, naturellement plus tard, par 
les missionnaires. Au paragraphe 2, il nous dépeint 
les sacrifices à Tlior qui précédaient les départs ; ce 
ne sont point seulement des sacrifices d'animaux 
dont parle aussi Jornandès, ni des libations, mais 
des sacrifices humains « sed sanguinem mactabant 
humanum ». Or, le dépouillement des Sagas montre 
bien que ces sacrifices humains avaient lieu chez 
lesScandinaves, dans les temps de grande calamité, 
de famine, pour éviter de grands périls ou enfin 
pour obtenir la victoire. Parfois, on immola les 
enfants d’un chef, telle, chez les Grecs, Iphigénie, 
parfois aussi les captifs après la bataille, en parti¬ 
culier les chefs (1). Ils étaient tantôt égorgés comme 

(1) Hervarar Saga, 9,10,11, 12. 


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ETUDE CRITIQUE 


des animaux, tantôt précipités des hautes falaises (1). 
Il y avait des lieux spécialement disposés à cet 
effet, des rings avec la pierre du sacrifice au mi¬ 
lieu (2). Les sacrifices se maintinrent jusqu’à 
l’époque chrétienne. Les Islandais païens sacrifièrent 
deux hommes de chaque quartier afin de ne pas 
devenir chrétiens (3). 

Ces sacrifices sont particulièrement offerts par les 
Scandinaves à leur dieu Thor : TliorUcum suum, dit 
Dudon. On sait quelle importance a eue le dieu 
Thor le dieu du Tonnerre, le vieux dieu des popula¬ 
tions germaniques et Scandinaves. On sait que ce 
culte a persisté, môme après la diffusion du chris¬ 
tianisme. Au XVIII e siècle, on lui rendait encore, 
en certaines parties de la Suède et de la Norvège, 
quelques restes d’hommage; le jeudi, jour qui lui 
était consacré, Thorsdag, les vieilles femmes ne 
filaient point et ne faisaient point de beurre, la 
plupart des travaux étaient interdits, tous les 
actes de magie avaient lieu le jeudi. Au XIX e siècle 
encore, aucune des cérémonies chrétiennes, bap¬ 
tême, mariage, enterremeut ne se pratique le jeudi ; 
c’est un jour païen pendant lequel on ne saurait 
pratiquer les coutumes chrétiennes. A la fin du 
XVIIl» siècle, certains paysans adoraient encore, le 
jeudi, des pierres d’une forme ronde, qu'ils oignaient 


(1) Christ ne Saga, dans Origines Islandicæ, éd. Vigfusson et 
Powell, Oxford, 1905, 2 vol. in-8°, t. I, p. 401. 

(2) Du Chaillu, op. cit., t. I, p. 369. 

(3) Christne Saga , III, 1, 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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de beurre et plaçaient, dans de la paille fraîche, au 
siège d’honneur, en haut de la table ; est-il étonnant 
que, dix siècles auparavant, Tlior ait encore été 
l’objet de sacrifices, des sacrifices du départ (1)? 
Au dieu Tyr, les Suédois ofiraient des victimes 
humaines, des prisonniers de guerre, qu’ils pen¬ 
daient aux arbres ou jetaient dans les fourrés 
d'épines, les torturant de mille manières. 

En Norvège, Imundur le Blanc lutte contre les 
« Iomsvikinger », de la côte méridionale de la 
Baltique, qui débarquent dans le pays; il envoie à 
la déesse Gudrum Illgirdsfü un messager pour savoir 
s’il sera victorieux ; elle promet la victoire « s’il 
lui donne son jeune fils » ; alors, elle soulèvera une 
grande tempête qui submergera les vikings. Au 
retour du messager, le roi s’écrie : 

Mieux il me vaut perdre un fils 

Que toutes les terres de mon royaume. 

et le chant raconte le sacrifice (2). 

Maintenant, Dudon aurait tort d’affirmer que l’on 
ne sacrifiait pas de bétail ; car de nombreux passages 
des sagas montrent qu'à des dates précises, par 
exemple à la Midwinter, le 12 janvier, en Norvège, 
on sacrifiait des bœufs, des chevaux, des moutons, 
des faucons (3). Sans doute, ce qui a le plus frappé 


(1) Reclus, Géographie universelle, V, 138. 

(2) Pineau, Les vieux Chants populaires Scandinaves , Paris, 
1898, in-8°, p. 31. 

(3) Du Chaillu, op. cit., I, 347. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


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notre auteur, c’est l’usage des sacrifices humains 
chez les ancêtres des Normands. 

Dudon dit ensuite que le sang des victimes était 
recueilli, exliauslo sanguine. Nous savons, en effet, 
par les Sagas, qu'il était recueilli dans un bol de 
cuivre (1). Le doyen ajoute que les vikings s’endui¬ 
saient les membres de ce sang avant de livrer au 
vent les voiles de leurs navires (2). Saxo Gramma- 
ticus nous dit de même que, pour se rendre les 
vents favorables, un chef viking, Wicar, roi de 
Norvège, longtemps retenu par la tempête, se les 
concilie par des sacrifices humains (3). Que Dudon 
ait retrouvé, dans la Normandie chrétienne de son 
temps, quelque souvenir du dieu Tlior, on n’en sera 
pas surpris, si on admet que le premier cri de guerre 
des Normands, avant Dex aie, ait été Tlior aie? (4) 

Après un développement sur les invasions, qui 
n’est qu’un jeu d’esprit en prose rimée, Dudon 
aborde, au paragraphes, l’origine des envahisseurs. 
Les Daces, dit-il, s’appellent eux-mêmes Danai ou 
Dani et se glorifient de descendre d’Anténor, qui 
autrefois, lors de la chute de Troie, échappant aux 
Grecs, pénétra, avec les siens, dans le pays d’Illyrie. 

C’est le fameux rapprochement, Daces, Danois, 
par l'intermédiaire des Danai, Aatvioi, rapprochement 

(1) Kjalnesinga, c. 2. 

(2) Sua suorumque capita linientes , librabant c eleriter na- 
viurn carbasa venlis. 

(3) Saxo Grammaticus, p. 184. 

(1) Wace, Roman de Reu, v. 3916. Ed. Andresen, II, 187. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 45 

auquel se plaît l’érudition de Dudon, par où il 
imaginait, sans doute, qu’il flatterait l’orgueil des 
ducs et des Normands en les rattachant aux Grecs. 
Daci, c’est le peuple des plaines de l’est que lui 
fournissaient les historiens par lui consultés, Paul 
Orose et Jornandès, Dudon ne remarque pas que 
l’ethnographie de l’Orieut s’est modifiée depuis le 
temps où écrivaient ces auteurs. Aivioi, c’est l’in¬ 
termédiaire nécessaire et combien heureux à son 
point de vue! pour faire le rapprochement étymolo¬ 
gique entre Dani et Daci. M. l,air (1) a rendu 
Jornandès responsable de ce rapprochement. C'est 
une erreur. Jornandès ne place pas les Daci dans 
l’île Scanzia, mais bien les Dani. M. J,air ren¬ 
voie également à Isidore de Séville, mais c’est 
encore une erreur. Celui-ci dit que les Danai ont été 
appelés ainsi du roi Danaos: Danai a Danao rege 
rocati (2). 

Chose singulière, l’écrivain danois Saxo Gram- 
maticus s'est moqué de cette origine donnée par 
Dudon aux Danois, et il écrit dès le début de son 
livre que Dan et Angul, dont les Danois tirent leurs 
origines, ont eu pour père Humbel, a quoique 
Dudon, écrivain aquitain (?), dise que les Danois 
viennent des Danaoi (3) ». 

(1) P. 32, n. 1. 

(2) Originum, lib. IX, c. 2, Paris, 1580, p. 58. 

(3) Dan igitnr et Angul, a quibus Danot'um cepit origo, 
pâtre Humblo procreati, non solum auctores gentis nostræ, 
quanquam verum etiarn redores fuere , Dudo rerum Aqui- 
tanicarum scriptor, Danos a Danois ortos nuncupatosqxie 
recenseat. Ed. Hôlder, p. 10. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


Dudon, non content de faire descendre les Dani des 
Aavioi, a voulu remonter jusqu’à Troie, il a fait 
d’Anténor un roi Danois. M. Lair (1) a supposé que 
cette légende d'Anténor, roi des Francs, que l’on 
trouve dans Aimoin (2), a persisté en Normandie 
où Dudon l'aurait prise. Mais Dudon, qui savait son 
Virgile et qui ici le transcrit presque, comme le fait 
remarquer M. Lair : 

Anlenor potuil meiiis elapsus Achivis 
lllyricospenclrare sinus, 

connaissait aussi les Gesla regum Francorum ; on y 
voit Anténor arriver sur les bords du Tanais, puis 
en Germanie où il bâtit Sicambre, capitale des 
Francs. Il a simplement et tranquillement transporté 
aux Dauois cette noble origine que les écrivains des 
Gaules, tourmentés comme lui de donner une lige 
aussi antique que classique aux mérovingiens, 
avaient inventée pour les rois Francs. 

Beaucoup de savoir livresque, une idée assez 
exacte de certaines coutumes des peuplades du 
Nord, une étude tout à fait rapide et superficielle, 
avec quelques vues justes pourtant sur les causes des 
invasions des Viltings, voilà ce que nous trouvons 
dans les deux premiers paragraphes de l'œuvre du 
Chanoine de Saint-Quentin. 


(1) P. 33. 

(2) Paris, 1567, in-8°, p. 23. 


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SUH DUDON DE SADTT-OUENTIN 


*7 


HASTING 


En dehors de ces deux paragraphes qui, pour 
l’histoire des sources et de la composition de l’œuvre 
de Dudon, sont les plus intéressants du livre, le 
reste, qui est fort court, a pour sujet Hasting, 
Anstignus : un paragraphe sur l’origine d’Uasting 
et une peinture du personnage représenté comme 
le type du mal, une créature de l’enfer, dira 
Worsaae (1), un paragraphe surles invasions dans la 
vallée de l’Oise à Noyon, Saint-Quentin et Paris, un 
développement sur l’expédition à Luna, d'un carac¬ 
tère purement légendaire, enfin un dernier para¬ 
graphe sur un traité d’ilasting avec le roi de 
France : telles sont les divisions de ce livre. 

11 y a là plutôt un prologue qu'un livre distinct. 
Hasting, c’est le maître en tromperie, l’ennemi des 
chrétiens, qui pourtant, un jour lui aussi, a traité 
avec les Carolingiens ; Rollon sera le héros prédes¬ 
tiné, le fondateur d’Etat, le barbare civilisé, chris¬ 
tianisé, comme Guillaume Longue Epée sera le 
martyr chrétien, et Richard I er le fondateur des 
abbayes. 

Le plan et le dessein de Dudon sont clairs. Ce qui 

(1) Den Danske Erobring af England og Nomnuxndict, 
Kjœbenhavn, 1863, in-8», p. 57. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


l'est moins, c’est le problème des sources où il a 
puisé la matière de ce récit et aussi la part de la 
légende et celle de l’histoire. Nous étudierons suc¬ 
cessivement les trois parties du récit de Dudon : 
1» Sources du paragraphe sur les invasions ; 2° Af¬ 
faire de Luna ; 3° Traité d’Hastingavec le roi Franc ; 
puis nous relèverons les mentions relatives à Has- 
ting dans les sources, particulièrement dans les 
sources normandes, les annales angevines, touran¬ 
gelles et franques; nous essaierons de dégager les 
faits authentiques ; enfin, nous rechercherons l'ori¬ 
gine d’Hasting et scruterons à cet égard les Sagas. 
Nous verrons que la conclusion à tirer de ces rap¬ 
prochements est celle-ci : il n’y a dans l’Hasting de 
Dudon presqu’aucune vérité quant aux faits et à la 
chronologie, mais il y a une vérité probable du tj'pe 
du personnage, qui pourrait être le fils d’un prêtre 
païen, d’un adorateur du dieu Tlior, et un ennemi 
farouche du christianisme. 

L’étude des deux premiers points nous amènera 
tout de suite à voir comment Dudon a composé son 
œuvre: d’une part, pour les invasions, emprunts 
faits aux Annales, mais sans aucun souci de la 
chronologie ; d’autre part, l’affaire de Luna emprun¬ 
tée à la légende. 

Hasting et les invasions dans Dudon. — Au pa¬ 
ragraphe 4 de ce livre premier, Dudon a entassé 
pêle-mêle, nous l’allons voir, des détails sur les 
ravages des Normands dans la vallée de l’Oise et 
autour de Paris. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


VJ 


C’esl de Saint Quentin qu'il nous parle d’abord (1) 
il n’est pas étonnant que le Doyen de Saint-Quentin 
commence son récit par la ville où il est chanoine: 
ici, il a pu être l'écho de la tradition locale; eu tout 
cas, il a pu trouver dans les Annales de Saint-Vaast, 
à l’année 883, la mention suivante : « Nortmanni 
monasticumel ecclesiam sancti Quintini incendunl » (2). 
Puis il rapporte l’incendie de Saint-Denys : après 
l’église du pays, l’abbaye royale (3). Mais il n’en 
donne pas la date. On peut se demander, à étudier 
les sources, si jamais Saint-Denis a été brûlé; en 
858, l'abbé Louis a été emmené en captivité et les 
moines ont payé son rachat (4) ; en 885-886, pendant 
le siège de Paris, l’abbaye a peut-être été brûlée, 
mais il n’y en a aucune preuve (5). 

De là, Dudon passe à Noyon ; il rapporte en 
quelques lignes la mort de l’évôque Immon, la 
captivité de la population que les pirates emme¬ 
nèrent à leurs vaisseaux, la destruction des églises 
de Saiut-Médard et de Saint-Éloi (6). Tous ces 

(1) «r Quintini teslis, meritis super æt liera noti, ineendilur 
delubrum... ceteræque omnes ccclesiæ in finibus Vermanden- 
sium localæ ». 

(2) Dans les Annales de Saint-Quentin. Ibid. XVI, 507, et 
Sermo in tumul. SS. Quintini. Ibid. XV, 272. 

(3) * Agonothetæ Christi Dionysii monaslerium Vulcano 
superanle est favillatum. » 

(4) Annales Bertiniani, éd. Waitz, Scriplores rerum germa- 
nicarum in usum scholarum , Hanovre, 1883, in-8°, p. 49. 

(5) Lot, La grande Invasiôn normanile de 856-862, dans 
Bib. Ec. Chartres, 1908, p. 20, sqq. 

(6) Dudon, p. 131. 

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ETUDE CRITIQUE 


faits sont exacts. A l’année 839, les Annales de 
Saint-Berlin les rapportent dans des termes à peu 
près identiques (1) ainsi que Prudent de Troyes (2) 
et le Chronicon de Gestis Northmannorum in Fran¬ 
cia (3). On montre encore à quelque distance de 
Noyon, sur la route de Ham, le petit monticule 
connu sous le nom de Tombelle, où un certain nom¬ 
bre de clercs, de nobles ont été suppliciés (4). Chose 
bizarre, Dudon ne donne pas la date de l’année de 
la mort d’immon, qui est placée en 839 par les 
autres sources, mais il donne la date du mois et du 
jour, IV kal. maii (28 avril (3). 

Quant ii la destruction des églises Saint-Médard et 
Saint-Éloi, Dudon a pu recueillir ici, lui qui appar- 


(1) Annales Berliniani , éd.WAlTZ, p. 52. 

(2) Prudentii Trecensis Annales. M. G. SS., I, 453. 

(3) II. F., VII, 153. 

(4l Lefranc, Histoire de la tulle de Noyon et de scs insti¬ 
tutions, Paris, 1888, in-8°, p. 14. 

(5) M. Lot, dans l’article précédemment cité, n’admet pas 
cette date, parce que, d’après les Annales Berliniani , p. 52, 
l’évôque de Beauvais, Ermenfroi, aurait été tué deux mois au¬ 
paravant : Qui etiam ante duos mentes Ermcnfridum Belva- 
gorum in quadam villa intcrficerant ; or, un obituaire de la 
cathédrale de Beauvais, conservé aujourd'hui dans une collec¬ 
tion particulière, met au 25 juin, VU kal julii, la mort de 
l'évêque Ermenfroi, ce qui rejette à la lin d'août, deux mois 
après, celle d'Immon. Il y a deux explications possibles: ou 
Prudence s’est embrouillé et a mis deux mois après au lieu de 
deux mois avant (ce que je serais porté à admettre avec 
M. Lot), ou l’obit d'Immon n’était pas célébré le jour même 
de la mort de l'évêque ; car il parait difficile d'admettre que 
Dudon se soit trompé, lui, sur la date d’un office qu'il a célé¬ 
bré toute sa vie. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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lient au clergé du Vermandois, les traditions 
locales (1). 

Dudon nous raconte ensuite, toujours fort briève¬ 
ment, l’incendie de l’église de Sainte-Geneviève de 
Paris ; ceci est encore confirmé à la date de 857, par 
les Annales de Saint-Berlin (2). Donc, tous les faits 
rapportés par Dudon sont exacts. Mais ils ne sont 
pas rapportés dans un ordre strictement chronolo¬ 
gique ; car les uns sont de 859, les autres de 857 et 
ceux-ci sont indiqués les derniers. Au reste, Dudon, 
qui donne la date du jour et du mois de la mort de 
l’évêque Immon, se garde bien de donner les dates 
d'années. Il y a à cela une bonne raison: c'est que 
si on retrouve dans les Annales contemporaines 
trace des événements qu’il rapporte, on n'y trouve 
pas la moindre mention d’Hasting, fi propos duquel 
il raconte tous ces faits. Pour retrouver le nom 
d’Hasting il faut descendre jusqu’aux années 
890, 891, où on voit les Normands remontant de 
la Seine dans l’Oise (3), établissant à Noyon leurs 

(1) La cathédrale de Noyon, qui fut plus tard dédiée à Notre- 
Dame, était d’abord placée sous le vocable de Saint-Médard 
qui, suivant la tradition, avait fondé cette église au VI e siècle. 
VlTET, Monographie de l’église Notre-Dame de Noyon (Doc. 
In.). Paris, 1845, in-4". Les chanoines de l'église Notre-Dame 
s’étaient d’abord appelés frères de Saint-Médard ILefranc, 
op. cil ., p. 25). Quant au monastère de Saint-Eloi, il a été fondé 
par le saint de ce nom, évêque de Noyon au VIP siècle, 
d’abord placé sous le vocable de Saint-Loup, il prit ensuite 
le nom de son fondateur. (Lrf., p. 8.} 

(2) Ed. Waitz, p. 48. 

(3) Annales Vedastini, éd. Deii., p. 336. M. Peigné-Dela- 
court, Les Normans dans le Noyonnais, Noyon, 868, in-8 


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ÉTUDE CRITIQUE 


quartiers d’hiver. Le roi Eudes s’oppose en vain à 
leurs tentatives et Hasting va camper à Argœuvre- 
sur Somme, d'où, en l’année 891, il opère contre 
l’abbaye de Saint Vaast. En rapprochant les Miracles 
île Saint-Berlin et le Cartulairc de la même abbaye, 
on peut fixer la date des séjours des Normands près 
de Noyon, de la Toussaint au mois d’avril (1). 

On saisit donc ici sur le vif le procédé de compo¬ 
sition de Dudon de Saint-Quentin dans sa biographie 
des chefs vikings ; il rapporte des faits exacts, mais 
il les confond sans souci de la chronologie et de la 
vérité historique et il cristallise ainsi autour du nom 
d’un chef quantité de hauts faits auxquels celui-ci 
vraisemblablement n’a pas eu la moindre part. 

Hasting est pour lui un type, celui du viking 
féroce et dévastateur ; ainsi s’explique d’ailleurs le 
développement suivant sur les malheurs de la 
Francia à cette époque où il nous représente, avec 
beaucoup de redondance, la France désolée, presque 
déserte, manquant de blé dont elle avait été autrefois 
si riche, la terre non cultivée, les Danois remontant 
le cours des fleuves et attaquant les populations 
riveraines, se livrant à des attaques de nuit, 
tableau ou s’exerce sa verve de rhéteur et son 
imagination (2). 

p. 13, a prétendu qu'il Fallait traduire Noriomagtis parNimègue ; 
ceci a été réfuté par M. l'abbé Dehaisnes, op, cil., p. 338 et par 
M. Favre, Eudes , 1896, in-8°, p. 133. 

(1) Annales Vedastini, année 891 et Favre, op. cil., p. 134, 
n.l. 

(2) Le tableau était facile à faire, le souvenir des invasions 


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SLR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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Luna. — La France a été tellement ravagée qu’elle 
n'ollre plus d'attraits à ses féroces envahisseurs. Ils 
vont chercher d’autres proies ; et par cette transition 
fort habile, Dudon amène le récit de l’aflaire de 
Luna. Il la raconte longuement et, comme cette 
histoire d'une ville italienne assiégée par les 
Normands et prise par eux, grâce à la feinte du 
baptême, de la mort et de l'enterrement simulé de 
leur chef est fort connue, nous nous abstiendrons 
de la rapporter (1). 

n'était pas encore éteint au début du XP siècle, et Dudon en 
retrouvait l’écho dans toutes les Annales contemporaines. 
Toutefois, je me demande s’il n’y aurait pas lieu de rappro¬ 
cher le tableau de Dudon de celui, beaucoup plus précis, qui 
a été tracé des mêmes faits par FoLCUIN, Gesta nbbalum 
Lobiensium. M. G. SS. IV, p. 61. 

(1) Le manuscrit de Rouen contient une glose marginale 
intéressante. In vigilia Nat. (ivitatis contigit ead... puer 
accepta... primant lectionem Icgere non potuit, sed prophe- 
tizando dixit : ad portum Veneris ) calandre unde a... populus 
miseront explorât ores... legerat... invenenml. ». 

Cette histoire se retrouve avec plus de détails dans Wace, 
Roman de Rou (v. 498-521, éd. Andiœsen, I, p. 27). 

A l’iglise de l’evesquie, 

Ki en la ville avait hait Me, 

Ereut matines cumenciees 
E tant esteient espleities 
Que ne sai les queles lecuns 
Est alez lire uns des clercuns, 

Emmi la leçon s'arestut, 

Altre chose dist qu’il ne dut. 

« Ad portum. dist-il, Veneris 
Vienent cent nés, ceo m’est avis. » 

Li clerc demandent, « que dis-tu ?. 

La môme histoire se retrouve encore dans Benoit de Saint- 
More, Chronique des Ducs de Nofnnandie, éd. Fr. Michel, 
Paris, 1836, vers 1307-1346, t. I, p. 50. Le développement de 


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ETUDE CRITIQUE 


On a depuis longtemps montré qu’il est fort 
vraisemblable que les Normands ont fait une expé¬ 
dition de ce genre dans la Méditerranée. En rappro¬ 
chant les sources arabes et espagnoles, les sources 
irlandaises et les sources franques beaucoup plus 
laconiques, on arrive à faire un récit très vraisem¬ 
blable de ce périple. Les sources espagnoles, la 
chronique d’Albelda et Sébastien de Salamanque 
parlent de la seconde invasion normande sur les 
côtes d’Espagne —, (la première se place en 844) — 
invasion qui eut pour théâtre les côtes de la Galice 
où les Normands furent taillés en pièces, puis 
l’Espagne musulmane, ensuite la côte marocaine à 
Nachor (Nécour, ville du Rif marocain) et enfin 
les Baléares. Les sources arabes précisent, elles 
nous donnent la date: l'année 245 de l’hégire 
(8 avril 859-27 mars 860), les Masljous, — ainsi les 
Arabes appellent les Normands, — paraissent sur 
la côte ; deux de leurs navires sont capturés ; mais 


ces auteurs est-il original ou bien est-il un développement de 
la glose marginale du ms. de Ilouen ? M. Chêruel ainsi que 
M. T.air croient que le manuscrit est du X 11 siècle : en ce cas 
Wack et IIenoit qui écrivent au Ntt* siècle auront développé 
la glose. M. Pert/. (Arc/iiu., t. Vil, p. 419), croit le ms du 
XII" siècle, et cela parait plus probable, car si le ms de Rouen 
était contemporain de Pudon, on ne comprend pas que ceci ne 
se trouve pas dans les autres manuscrits. Très probablement 
le ms. est du XII" siècle et l'auteur de la glose l’a ajoutée 
d'après la lecture de Wace et de Benoit : 11 en résulte que 
ceux-ci suivaient une tradition légèrement différente sur 
certains points de celle de Dudon et cela est évident ; car 
leur Hasting doit beaucoup à celui de Guillaume de Jumièges 
assez différent de celui de Dudon, comme nous le verrons. 


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SDH DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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ils pénètrent jusqu'à Algésiras dont ils brûlent la 
mosquée, puis passent en Afrique et enfin en 
France (1). 

Une source franque note leur passage à Nîmes et 
à Arles en 859, leur séjour dans la Camargue en 
l’année 860 (2), puis leur départ pour Pise. Est il 
impossible qu’il soient allés à Luna ? Luna, dans le 
golfe de la Spezzia n’est pas loin de Pise, c’est 
l’ancien Portus Veneris. Mais ici nous ne pouvons 
nous empêcher de remarquer que déjà en 849, Luna 
avait été prise par les Maures et les Sarrazins (3) 
et étant donnés les procédés de Dudon, mainte¬ 
nant connus de nous, nous nous demandons s’il 
n’a pas transporté sans façon aux Normands la prise 
de Luna qui est le fait des Maures et qu’il trouvait 
dans des Annales à lui familières. 

Nous sommes d’autant plus inclinés à cette hypo¬ 
thèse que le reste du récit est manifestement légen¬ 
daire. Le récit de l’enterrement simulé du chef pour 
s’emparer d'une ville par surprise, est, comme l’a 
depuis longtemps remarqué le grand historien 
danois, J. Steenstrup, une de ces légendes qui se 
transportent avec une étonnante facilité d'un pays 
à l'autre (4). On la trouve racontée deux fois par 

(1) Dozy, Becherches sur l’histoire et la littérature de 
l'Espagne, Paris, et Leyde, 1881, 2 vol. in-8°, t. II, p. 279. 

(2) Prudentii Trecensis Annales , M. G. SS. I. 454. 

(3) « Maori et Saraceni Lunam, Italiæ civitatem adpredantes, 
nullo obsistentc, maritima omnia usque ad Provinciam 
dévastant. » Ann. Bert., éd. Waitz, p. 37. 

(4) Etudes préliminaires , p. 210. 


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ETUDE CRITIQUE 


Saxo Grammaticus ; le roi Frode aurait ainsi conquis 
la ville de Pleskow, en Russie (i), et aussi la ville 
même de Londres (2) ; on la retrouve dans la Saga 
de Harald Haardraad.un châtel de Sicile est conquis 
de la même manière (3), et dans l'Italie méridionale, 
Robert Guiscard s’empare, suivant Guillaume de la 
Poule, par le même stratagème, d’une forteresse ; 
Frédéric II se rend maître ainsi du Mont Cassin et 
le roi de Sicile, Roger I er , s’empare, en Grèce, du 
château Gurfol (4). 

Sans doute, les « communiqués « n’étaient pas 
alors transmis sur tout le continent européen et une 
ruse qui avait réussi au siège d’une ville pouvait 
être,surtout après un intervalle d’un siècle ou deux, 
reprise par d’autres stratèges; n’en est-il pas ainsi 
du stratagème des moineaux qui mettent le feu aux 
toits d’une ville en y laissant tomber des éponges 
allumées qu’on a attachées à leurs ailes? Mais nous 
serons portés ü croire que les historiens se sont 
copiés les uns les autres, ou, ce qui est encore bien 
plus probable, qu’il y a eu transmission orale de la 
légende. Comme l’a remarqué ingénieusement 
M. Steenstrup, Saxo Grammaticus a pu transporter 
à Londonia (Londres) ce que Dudon avait dit de 
Luna ; une similitude très approximative des noms 
de lieu a pu servir, ici, de véhicule à la légende qui, 

(1) Saxo Grammaticus, éd. Hôlder, p. 4t. 

(2) Ibid., p. 50. 

(3) Heimskringla, lit, p. 65. 

(4) Steenstrup, Etudes préliminaires, p. 210. 


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SUR DI'DON' DE SAINT-QUENTIN 


57 


au reste, parait s’être promenée surtout en Italie 
où, sans doute, les écrivains normands l’ont 
apportée. Originairement, elle pourrait bien être le 
fait de quelque chef normand ; les vikings n’étaient- 
ils pas très experts en ruses de guerre? 

Reste à discuter un dernier élément du récit de 
Dudon : le nom du chef, auteur de ce stratagème. 
Or, il est remarquable qu’Hasting ne figure en 859 et 
860 ni dans les sources franques, ni dans les sources 
espagnoles, ni dans les sources arabes, ni même 
dans une source irlandaise qui raconte l’expé 
dition des Normands en Espagne et les combats en 
Mauritanie, mais les attribue à des chefs irlandais, 
les fils de Raghnall des Orcades (1). Ainsi pour 
l’affaire de Luna comme pour les expéditions 
dans la vallée de la Seine et de l’Oise, nous sommes 
obligés de conclure que ce récit de Dudon n’a rien 
d’historique ; il cristallise autour d’Hasting des faits 
avérés, mais nous devons remarquer que la présence 
d’Hasting à Noyon, en 890, fait contraste avec tous 
les autres événements rapportés par Dudon qui 
semblent, au contraire, se placer entre 8o9 et 862. 

Le traité de paix avec un roi de France. — Au 
retour de l’expédition de Luna, Hasting quitte la 
Méditerranée et revient en France. Dudon ne parle 
pas de la tempête qui aurait assailli au retour la 
flotte des Normands et que raconte Guillaume 


(1) O Donovan, Three fragments copied from ancient sources, 
p. 159-163, publiés par ïlrish Arc/iæological and Celtic 
Society. 


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ETUDE CRITIQUE 


de Jumièges (1) : celui-ci suit une tradition diffé¬ 
rente comme nous le verrons. 

Hasting, à son retour, trouve la France désolée, les 
Normands inspirent toujours la plus grande ter¬ 
reur (2). Le roi des Francs — on ne nous dit point 
son nom (3) — lient un conseil où il demande aux 


(1) Ed. Marx, p. 17. M. Marx voit une confirmation du 
récit de Guillaume de Jumièges dans l’historien arabe 
Ibn Adhàri, cité par Dozy, op. cil., p. 280. Mais à lire ce texte 
on voit qu’arrivés à la côte d’Espagne, les Madjous avaient 
déjà perdu plus de quarante de leurs vaisseaux ; quand 
ils eurent engagé un combat avec la (lotte de l'émir Moham¬ 
med, ils en perdirent encore deux. Ibn Adhâri ne dit pas que 
ces vaisseaux aient été perdus dans une tempête. Mais Guil¬ 
laume de Jumièges représente les navires de Bjœrn comme 
ayant été assaillis par la tempête avant de rentrer en Angle¬ 
terre, tandis qu’IIasting rentrait en France. Vogel, Die Nor- 
mannon und das Frankische , Heidelrerg, 1900, in-8”, p. 178, 
à qui renvoie M. Marx, a conjecturé que la destruction des 
navires était le fait de la tempête ; suivant son procédé habi¬ 
tuel, il a additionné ce qui se trouve dans les sources diffé¬ 
rentes. 

(2) Dudon, p. 136. 

(3) Stor.m, Kritiske Bidrag, p. 147. a signalé, il y a long¬ 
temps, la singulière ignorance de Dudon, qui ne paraît pas 
connaître la chronologie des rois de France. Est-ce bien igno¬ 
rance? Peut-être dédain de rhéteur pour de tels détails et 
surtout procédé fort habile pour couvrir ses mensonges et 
ses erreurs. 

Hugues de Fleury ne sachant de quel roi il était question 
dans ce traité, a transporté le fait au temps de Charles le 
Chauve et, dans son récit, c’est après ce traité qu’Hasting 
part pour l’Italie (M. G. SS., t. XI, 378). Ceci n’est intéressant 
que pour montrer comment, au XII e siècle, on essayait de 
comprendre et d’expliquer le récit de Dudon. 

Dummler, art. cil., p. 307, dit que ce traité dans Dudon 
représente sans doute tous les traités conclus par les Nor- 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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grands s'il ne vaudrait pas mieux, pour le salut du 
royaume, (aire la paix avec le plus coquin des 
coquins, Hasting. Les évêques sont favorables à cette 
idée, les grands sont hostiles, le roi penche pour 
l’avis des premiers, il envoie des ambassadeurs à 
Hasting et achète la paix à prix d’argent. Dudon 
termine ce paragraphe en moraliste chrétien de tous 
les temps: si les Francs out subi tous ces malheurs, 
c'est à cause de leurs crimes. 

Quel est le traité dont parle Dudon ? On peut 
hésiter, puisqu'il ne donne pas le nom du roi et que 
les rois francs ont conclu bien des traités avec les 
Normands, mais le plus vraisemblable est qu’il 
s’agit de celui conclu en 882 par le roi Louis avec 
Hasting et c’est encore aux Annales de Saint-Vaast 
que Dudon a pris ce renseignement. Ludovicus mro 
rex Ligerim fietHt, Nortmannos volens e regno suo 
ejicere, algue Alstignum in amicitiam recipere, quod et 
leeit. Qu’est ce que le récit de Dudon si ce n’est le 
commentaire de ces lignes laconiques et ambiguës? 
Le conseil du roi dans Dudon, c'est le roi lui-même 
qui, dans les Annales, veut à la fois chasser les Nor¬ 
mands et faire la paix. 

On voit combien Dudon a peu le souci de nous 
donner une biographie complète et chronologique 
d'Hasting. Les événements qu’il racontait d’abord 
semblaient se placer entre 859 et 862 ; Hasting 
n’y figure pas d'ailleurs, selon les autres sources 


mands avec Charles le Chauve, Louis III, Carloman, l’empe- 
reur Charles III et Charles le Simple. 


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ETL'OE CRITIQIF. 


00 

(à moins que l'on ne descende jusqu’en 890) ; mainte¬ 
nant, on passe sans transition du retour d'Espagne, 
, en 862, au traité avec Louis, en 882, et voilà une 
lacune de vingt ans dans la vie de ce grand chef 
qui, au dire de Dudon, a été la terreur de la France 
et dont, pourtant, il trouve si peu de chose à nous 
dire. 

En réalité, Dudon n’a pas voulu nous raconter 
l’histoire d’Hasting, il a voulu faire un portrait, le 
portrait du viking païen, féroce et rusé, par 
opposition à Kollon, le viking humanisé et chris¬ 
tianisé. 

Essayons maintenant de rechercher dans les 
textes tout ce qui concerne Hasting, d’en dégager 
une biographie, puis après avoir arrêté dans les 
mesures du possible le cadre chronologique de 
cette biographie, nous étudierons le problème de 
l’origine, de la personnalité du chef viking et nous 
verrons alors quel portrait nous pourrons mettre 
dans le cadre chronologique. Nous confronterons 
enfin ce portrait avec celui que Dudon en a 
tracé. 

Hasting dans Guillaume de Jumièges. — 11 est très 
remarquable que, d'après Dudon, le chef viking 
conclut la paix avec le roi des Francs moyennant une 
contributiou ; c'esL au reste ce que disent les Annales 
franques contemporaines. Au contraire, Guillaume 
de Jumièges veut que la paix faite avec le roi 
Charles ait eu pour conséquence une cession de 
territoire. Hasting aurait reçu le comté de Char- 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 61 

très (1). Guillaume de Jumièges revient même plus 
tard sur ce titre de comte de Chartres. 11 mêle, 
comme Dudon d’ailleurs, Hasting aux luttes contre 
Rollon, en qualité de fidèle du roi. Le chef viking 
est suspect aux deux partis, mais le comte Thibaut 
l’écarte de l’armée royale en lui disant que le roi a 
résolu de se débarrasser de lui ; Hasting, efïrayé, 
disparait subitement ; on n'entend plus jamais 
parler du redoutable pirate (2). Qu'on ait attribué, 
au XI* siècle, cette ruse à un comte Thibaut, c'est 
fort naturel : on pensait sans doute au fameux 
comte Thibaut, qui régna sur Blois et Chartres au 
X» siècle, et à qui son manque de scrupules mérita 
le surnom caractéristique de Tricheur. Mais d’où 


(1) • Hasting us vero, Karolum Francorum regem adiens, 
pacem peliil. Quam ailipisccns, urbem Camolensem siipendii 
munereab ipso, accepit ». Ed. Marx, p. 17. La même histoire 
est racontée par Aubri des Trois Fontaines, qui place cet 
événement en 904. M. G. SS. XXIII, 752. Mais cette chronique 
a été rédigée au XIII e siècle et a pris ce renseignement à 
Guy de Bazoches, auteur d'une chronologie qui s’étendait 
jusqu’à 1199, et qui la prise lui-méme à Guillaume de 
Jumièges. M. WiLBUR Abbott, Hasting dans YEnglish Histo- 
rical Review, XIII, pp. 454-455, a exploré les historiens char- 
trains, il n'en a rapporté que des conjectures bizarres et des 
assertions sans preuves. Sir II. Howorth, art. cil., Freeman 
et Grosley, admettent qu’Hasting ait été comte de Chartres. — 
M. Abbott dit que le plus qu'on peut admettre, c’est qu’IIas- 
ting a été mêlé à quelque siège de Chartres et peut-être a 
pu devenir comte de cette ville ; pour la date, il hésite entre 
845, 853, 858 et 888-889. Mais il n'apporte pas la moindre 
suggestion à l'appui de cette hypothèse ou de l’une ou 
l'autre de ces dates. 

(2) Lib. II, § 5, éd. Marx, p. 23. 


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62 


ETUDE CRITIQUE 


vient le renseignement qu’Hasling aurait été comte 
de Chartres? Aucune source sûre n’en a jamais parlé. 

11 est toutefois à noter que le nom d’Hasting se 
trouve encore rapproché de la ville de Chartres dans 
une source du XI° siècle, le Carlubiire de Saint Pire 
de Chartres (1). Le rédacteurdu prologue de ce cartu- 
laire, dans un récit des moins clairs, raconte 
qu’une bande de pirates vint attaquer Chartres sous 
les ordres du chef Hasting, homme des plus rusés (2) 
et pour nous donner une idée de sa ruse, on nous 
raconte l’affaire de Luna et l’enterrement simulé. 
A son retour, le chef aurait suhi une défaite près de 
Dive. Les hommes d’Hasting prennent un bain 
lorsqu’ils sont assaillis par les gens du pays, ils 
sont taillés eu pièces et beaucoup sont réduits en 
captivité (3). Il est certain que la flotte des Nor¬ 
mands, après être revenue de son expédition en 
Espagne, reparut sur les bords de la Loire au prin¬ 
temps de 862(4). Des côtes de la Bretagne ou des 
possessions bretonnes en Normandie, elle a pu venir 
jusqu’à Dive (o). Mais il n’y a aucune preuve de la 


H) Ed. GuÊnAtiD (D. I.), 1840. t. I, p. 5. 

(2) Dux autem corum Ilaslingus vocabatur, qui quanta 
dnlositalis vir fucril. 

(3) llaquc cioti in finibus Mannonicanorum remigio pervc~ 
nisscl, apud pontcm Divæ fluminis aplicans taxa corpora 
rccrearc a lantn laborc sine alla pavorc cœpit. 

(4) Annales llerliniani, éd. Waitz, p. 57. 

(5) Marmoricanorum pourrait être une altération de anrwri- 
canantm, n'oublions pas que tes possessions bretonnes com¬ 
prenaient les diocèses de Coutances et d'Avranches et en fait 
s’étendaient même au-delà, peut-être jusqu’à la Dive. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 63 

présence d'Hasting dans la flotte normande qui fit 
l’expédition de la Méditerranée (1). 

En somme, il y avait une tradition qu’Hasting était 
resté au service des rois de France, Dudon a connu 
cette tradition, puisque Hasting figure dau.s l’armée 
franque deRagnold qui vaattaquerRollon.Guillaume 
de Jumièges l’a connue aussi puisqu'il fait du chef 
viking un comte de Chartres, mais de cela il n’y a 
aucune preuve, non plus que de sa participation à 
une prise de Chartres. 

(1) Le rédacteur du cartulaire de Saint-Père de Chartres ne 
nous dit pas à quel moment il place cette bataille et on ne 
comprendrait pas pourquoi une bataille livrée à Divc intéresse 
les Chartrains, si ce récit, n’était repris plus loin (a) l’armée 
normande, revenant de l’expédition de Luna, débarque en 
Normandie, marche sur Chartres ; l évèque Frambold est tué, 
une intervention de la Sainte-Vierge se produit et l’armée 
normande est mise en déroute et repoussée jusqu’nu pont de 
Dive. Mais la mort de Frambold, dont parle le Cartulaire, est 
un événement bien connu ; elle a eu lieu le 12 juin 8Ô8 (b). 

(a) Ibid. I, p. 45. 

(b) Necroloyium ecclesiœ, béate Mariœ Carnutensis, Merlct et 
Clerval, Un manuscrit chartrain du XV Siècle, p. 166. — Prudence 
dk Trotes la place à tort en 857. M. G. SS., I, p. 451, par consé¬ 
quent avant lexpedition de Luna, 859 à 862 ; il est douteux qu'lias- 
tint? y ait eu part. 

Auguste Le Prévost, consulté par Renjamln Guérard, éditeur du 
Cartulaire, sur la valeur de ce récit donnait un avis nettement 
défavorable; il n'attachait aucune importance à cette tradition. 
Depuis lors, M. Rioclt de Neuville, dans un article intitulé : 
La bataille de Dire, s’est efforcé de montrer, par un examen 
géographique, qu’il n'etait pas impossible qu'une bataille ait eu 
lieu à Dive (Ilecue fies Questions historiques, t. XXVIII, p. 234 à 
249) Son argumentation est très ingénieuse ; mais quelle fut la date 
de celte bataille? M. It. de Neuville, qui croit à la participation 
d'Hasting à l'expédition de Luna, place cette bataille en 858: or, si 
elle eut lieu au retour de l'expédition de Luua, ce ne peut être 
eu 858. 


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64 ÉTUDE CRITIQUE 

Remarquons encore que Guillaume de Jumièges 
donne un récit plus détaillé des pillages d’Hasting. 
Des bords de la Seine, il le mène sur les bords de la 
Loire à Saint-Florent, puis à Nantes, à Angers, à 
Poitiers, à Tours enfin, et le ramène en Neustrie (1). 
M. Storm l’a depuis longtemps noté (2); tout ceci 
est emprunté aux iliracula S. Uenedicti d’Adre- 
vald (3). Or Adrevald raconte les invasions des 
Normands de 8Ü3 à 864; il ne dit pas un mot 
d’Hasting ni de Bjœrn Côte de Fer et c’est sans 
aucune raison qu’ltasting et Bjœrn Côte de Fer ont 
été gratifiés par Guillaume de Jumièges de tous ces 
hauts faits (4). 

Biographie critique d’Hasting. — Il était naturel 
de rapprocher d’abord l’histoire d’Hasting dans 
Dudon de celle de Guillaume de Jumièges, autre 
historien normand. Nous allons continuer cette 
étude critique en suivant à la fois un ordre chrono¬ 
logique et géographique ; c'est à-dire que nous 
discuterons d’abord les plus anciennes mentions 
relatives à Hasting, mais qu’en descendant le cours 
du temps, nous nous efforcerons de grouper ces 
mentions, nous rechercherons successivement, après 

(1) Ed. Marx, p. i 1-13. 

(2| Kriliskc Bidrag, p. 76. 

(3) Acta Sanctorum, mars, lit, p. 310. 

(4) Storm voit dans cette légende d'Hasting et de Bjœrn une 
tradition locale particulière, un récit de moines. Nous discu¬ 
terons plus loin l’origine de la tradition qui unit Hasting 
et Bjœrn. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


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avoir discuté les mentions les plus douteuses, ce que 
peuvent nous apporter les sources bretonnes, puis 
les chroniques angevines et tourangelles, les chro¬ 
niques bourguignonnes, pour arriver aux sources 
les plus sûres, les chroniques franques et anglo- 
saxonnes. 

M. Abbott a relevé une mention d'Hasting en 
831 (1), mais il s'appuie sur l'édition des (lista 
Consulum Andegavcnsium de Dom Bouquet; aucune 
mention d’Hasting, à cette date, ne figure dans 
l'édition critique des mêmes (lesta de MM. Halphen 
et Poupardin (2.) Qu’y a-t-il à tirer d'une meution 
d'Hasting dans le Livre noir de l'évêché de Cou- 
tances, rédigé au XI* siècle? (3) et des mentions 
contenues dans le Tractatus de reversione B. S. Mar¬ 
tini a Burgundia (4) qui est un faux du XII 0 siècle (5) ? 

Certains historiens, Depping, Worsaae nous mon¬ 
trent HastiDg commençant ses incursious dès 
l’année 841. (6) Si on remonte aux sources, on ne 
trouve, pour justifier cette très ancienne mention 

(1) Art. cit p. 445. 

(2) Chroniques des comtes d'Anjou et des seigneurs d’Am- 
boise , Paris, 1913, in-8°. 

(3) Gallia Christ, XI, lnstr. 217. 

( 4 ) Migne, Patrologie Latitie, t. CXXXIII, c. 818. 

(5) Molixier, Les Sources de l’Histoire de France , Paris, 
1902, in-8°, I., p. 270, et Mabille, Les Invasions Normandes 
dans la Loire et les Pérégrinations du Corps de saint Martin, 
dans Bic. Ec. Chartes , XXX, p. 149. 

(6) Laxgereck, Scriptores rerum Danicarum , t. 1, p. 548; 
Depping, Expéditions maritimes des Normands , p. 114; 
WüBSAAE, Den Danske Erobring, p. 57. 


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66 


ETUDE CRITIQUE 


du renommé chef normand, qu’un Fragmentum 
historiœ Francia provenant de manuscrits fort 
récents qui ne présentent aucune valeur histo¬ 
rique (1). Hasting a été évidemment confondu ici 
avec Oscar, le premier dont le nom soit connu des 
chefs normands venus dans la vallée de la Seine, 
et qui visita Rouen en mai 841 (2). 

M. Vogel, dans son ouvrage sur les Invasions 
normandes dans l'empire franc , dit qu’il est possible, 
mais qu’il n’est pas sûr, que les fils de bodbrok 
aient apparu avec Hasting en l'année 850, mais il ne 
trouve à citer que Dudon, Guillaume de Jumièges 
et la Chronique du Mont Saint-Michel (3) ; or, Dudon 
ne donne pas de dates (et nous avons vu combien 
son récit était vague); il en est de même de 
Guillaume de Jumièges, au moins dans le texte 
que nous donne aujourd’hui M. Marx (4). Quant à 

(1) H. F., VII, 224. 

(2) Vogel, Die Nor-mannen und das frankischc Reich, 
p. 8t. 

(3) ld., p. 129. 

(4) Lib. I. ch. VI, p. 9 : « Cujus cruore libaminis unani- 
mitcr polati, venlo liante secundo , Vctmandensem aggre- 
diunlur porlum, salientesgue c navibus, totum illico Vulcatw 
Iradunl comitatum ». Ainsi évidemment pas de date. Or, 
p. 10 de la même édition, M. Marx s'exprime ainsi : « La date 
de l’invasion normande prise d'ailleurs à Dudon est exacte, 
mais, quoiqu'on dise Guillaume de Jumièges, Bjœrn n’était 
pas à la tète de cette expédition » ; et plus loin, il ajoute, 
p. 10, n. 2: « Tous les détails qui suivent sur la destruction 
du monastère (Jumièges) qui aurait eu lieu en 851 ou 852 ne 
sont pas dans Dudon ». Ainsi M. Marx aflirme une fois de 
plus que Guillaume de Jumièges donne la date de la première 
invasion d’Hasting. Par malheur, comme on l’a vu, si on se 


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SUR DUDON DK SAINT-QUENTIN fïï 

la Chronique du Mont Saint -Michel, où on lit, à la 
date de 851 (t) : Venit Haslingus in regnum Franche; 
ce renseignement ne serait-il pas en rapport avec 
ce que dit le De reversione Beati Martini a Burgun- 
dia (2), qui place la venue de Hasting trois lustres 
avant celle de Rollon ? 

Descendons le cours des temps. Les Annales de 
Metz (3) et Réginon font jouer, à Hasting, un rôle 


reporte au texte de Guillaume de Jumièges, p. 9, tel que l'a 
édité M. Marx lui-même, il est impossible d'y retrouver cette 
date. Il m’a fallu recourir au Guillaume de Jumièges de 
Duchesne pour comprendre les notes de M. Marx. Dans cette 
édition, p. 218, on lit: « Cujus cruore libaminis unau imiter 
potati, venlo flante secundo, Vennandensem aggreddiuntur 
portum, anno ab incamationc Domini DCCCLl. Exibentes... » 
Très probablement d’ailleurs cette date est le résultat d’une 
interpolation, c’est pourquoi elle a disparu dans le texte édité 
par M. Marx. Mais cet éditeur ne met pas d’accord ses notes 
et son texte! Ajoutons que M. Marx aflirme dans la même page 
que la date de 851 a été prise par Guillaume de Jumièges a 
Dudon. On la cherchera en vain dans Dudon ; la première date, 
qui se trouve dans le De Moribus , (il y en a quatre en tout) est 
celle de 876 pour l’arrivée de Rollon en Normandie. On voit ce 
que valent les notes de l’édition de M. Marx, notes de cours 
jetées à la hâte au bas d'un texte qui vaut davantage. 

(1) H. F., VII, 272. 

(2) Migne, Pair, lat., t. CXXXIII, c. 824. 

(3) Annales Metteuses. H. F., VII, 194. « Erat aulcm in 
eadem villa basilica pergrandis c.c lapide constructa, in qua 
maxitna pars Norltnannortim inlroivit cutn Duce sua, nomine 
Hastingo. » Admise par Deppino, et par tous les historiens 
allemands, Dummler, Geschichle (les Ostfrünkischen Reiches , 
Leipzig, 1887-1888, 3 vol. in-8% t. Il, p. 150; Kalckstein, Robert 
der Tapfere , Berlin, 1871, in-8°, p. 104 ; Vogel, op. cit ., p. 218, 
la présence d’Hasting à Brissarthe a été contestée par 
M. Lot, dans le Moyen Age (1902), (Une année du règne de 


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68 ÉTUDE CRITIQUE 

dans le fameux combat de Brissarthe (86G), où 
Robert le Fort trouva la mort. On peut douter du 
fait. Les Annales Metteuses et la Chronique de 
Réginon, pour cette période, sont des suites qui ont 
été rédigées postérieurement et qui ne méritent pas 
une absolue confiance. 

En 867, Charles le Chauve, privé, par le combat 
de Brissarthe, de la valeur de Robert le Fort, com¬ 
prend qu’il ne peut continuer la lutte à la fois avec 
les Normands et les Bretons; il traite avec les 
Bretons et laisse è leur roi Salomon les diocèses 
d'Avranches et de Coutances, par le traité de 


Charles le Chauve, p. 428) ; « M. Lair, dit-il, a déjà relevé 
dans son introduction à Dudon de Saint-Quentin, p. 38, 
n. 5, que les chroniques signalant la présence d'Hasting dans 
le Nord et dans la Méditerranée, de 831 à 880, sont sans 
autorité. 11 faut aller plus loin et dire qu'aucun texte sûr ne 
signale llasting avant 882. Il est plus probable que nous 
sommes en présence d'un anachronisme qui s'explique aisé¬ 
ment par le fait que le récit de Réginon est postérieur de 
quarante ans aux événements. Le chef du raid de 8G6 est 
quelque Normand obscur dont le nom a péri au profit d'un 
plus célèbre ». Qu'aucune source sûre ne signale llasting 
avant 882, nous en tombons d’accord avec M. Lot, mais que 
la mention d’Hasting en 866 soit un anachronisme, nous nous 
garderons bien d’ôtre aussi affirmatif, llasting disparaît en 
893, il peut parfaitement être venu en Gaule dès 866 ; ce 
n’est qu'une carrière de 28 ans; un homme robuste peut 
porter les armes pendant plus de temps. llasting,eût-il trente 
ans en 866, pouvait fort bien paraître encore en Angleterre 
en 894. Hugues de Fleury conserve la tradition d une grande 
longévité « Per numérota annorum curricula ibidem deguit ». 
(M. G., SS, XI. 378), mais il n’est pas besoin de cette tradition 
pour admettre qu’Hasting ait pu être à Drissarthe en 866 et 
en Angleterre en 894. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


69 


Compiègne. L’anDée suivante, Salomon se charge 
seul de contenir les Normands de la Loire (1). 
M. de la Borderie met Salomou eu présence des 
bandes d’Hasting, sur les bords de la Vilaine (869) ; 
mais, remarquons-le, s’il y a bien dans le Carlulaire 
de Redon , un acte du 25 mai 869, où il est question 
d’un combat entre Salomon et les Normands (2), 
Hasting n’y est pas nommé. C’est par conjecture, 
en s’appuyant sur les Annales Metteuses, sujettes 
à caution, que M. de la Borderie suppose qu’il était 
le chef de ces bandes. 

De même, en 873, les Normands entrent dans 
Angers, s'installent dans la ville abandonnée et eu 
font une véritable forteresse. Charles le Chauve veut 
arrêter cette invasion, il appelle à lui Salomon. 
Menacés par les machines de guerre de Charles le 
Chauve, par les Bretons qui avaient détourné le 
fleuve (3), les Normauds font la paix et s’établissent 
dans une île de la Loire. La chronique de Saint Serge 
raconte cet événement, les Annales de Metz (4), la 
Chronique de Nantes (ü) reproduisent ce récit, ainsi 


(1) de la Borderie, Histoire de Bretagne , Rennes, 6 vol., 
gr. in-8°, 1906, t. II, p. 89. 

(2) Factum est hoc in pago Namnetico, in plebe Davizac ubi 
Salomon cl omîtes Britones , contra Normandes in procinclu 

belli erant, VIII Kal . junii, ferialll ,. anno ab Incarnalione 

Domini DCCCLXV1III. (Cartulairc de Redon, publié par 
A. de Coursox, Paris, 1863, in-4®, n° 242, p. 193.) 

(3) Annales Berliniani , éd. Waitz, p. 123, et Chronique de 
Saint-Serge, H. F. Vit, 53. 

(4) H. F., VII, p. 200. 

(5) Ibid., p. 220. 


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ETUDE CRITIQUE 


que la Chronique de Sigebert de Gembloux (1). 
Aucune de ces sources ne nomme Hasting, pas 
même la continuation de la Chronique de Réginon (2) 
qui fait intervenir Hasting à Brissarthe, en 866. 

C’est pourtant cette même Chronique qui nous 
représente Hasting comme mêlé à la lutte entre 
Pascwiten et Gurvant. Salomon était mort en 874. 
La Bretagne fut alors partagée entre son gendre, 
Pascwiten, comte de Bro Weroc, et Gurvant, qui eut 
le comté de Rennes. La guerre ne tarda pas à éclater 
entre eux. Les Normands d’Hasting y auraient pris 
part dans l’armée de Pascwiten (3), mais, tout ceci, 
reposant sur l’autorité des seules Annales de Metz 
reste douteux (4). M. de la Borderie croit pouvoir 
constater la présence d’Hasting en Bretagne dans 
les années qui suivirent, il lui attribue, sur la foi 
de la vie de saint Tudual, le pillage de la grande 
abbaye du Val-Trécor et de la ville épiscopale de 
Tréguier (o), mais M. Vogel fait justement remar¬ 
quer que la vie de saint Tudual a été écrite au 

(1) M. G. SS, VI, 34t. 

(2) ld., I, p. 585. 

(3) M. DE la Bobdebie, dans son Histoire de Bretagne , 
(t. II, passim ), a accepté le témoignage de la Chronique de 
Réginon ; partant il raconte d’après cette Chronique la 
présence d Hasting à Brissarthe et à la bataille de Bennes, 
qu'il place assez arbitrairement en 875. 

(4) A l'année 874, II. F. VIII, 201 ; le récit a un caractère 
légendaire. 

(5) de la Bobdebie, Histoire de Bretagne, t. II, p. 326. 
Barbarorum multitude genlilium, Ilasle/iinco duce piraticam 
exercens A mwricam regionem in solitudinem pene redegit. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 71 

milieu du XI e siècle, par conséquent après l’œuvre 
de Dudon, qui a pu l’influencer. M. de la Borderie 
croit encore retrouver Hasting à Dol où il aurait été 
la cause du transfert des reliques de saint Turiau, 
racontée par un ancien continuateur d'Aimoin ; 
ce texte est, à la vérité, assez vague (1). M. de la 
Borderie estime que cette translation ne peut être 
postérieure à 882, parce qu’à cette date le traité 
avec Hasting, fit cesser ses ravages en Bretagne; 
mais on ne voit pas en quoi le traité de 882, conclu 
avec le roi Louis, aurait pu mettre fin aux ravages 
d’Hasting dans la Bretagne indépendante. La pré¬ 
sence d’Hasting en Bretagne reste douteuse et nous ne 
pouvons être aussi affirmatif que M. de la Borderie, 
quand il écrit : « Nul doute que, de 878 à 882, beau¬ 
coup de points du littoral breton n’aient eu à subir, 
de la part d'Hastiug et de ses bandes, de semblables 
violences (2) ». 


(1) * Ea tempestate, Astingo cum Nortmannis usquc 
sæviente , multa corpora sanctorum a proprii,s loris in Frau¬ 
dant dclata sunt. Tune etiam corpus S. Leutfrcdi, una 
cum ossibus beati Goffrcdi fratris sut, neenon S. Thuriani 
Dolensis archipræsulis apud monasterium S. Germani in 
suburbium Parisiense translata sunt #. Les Bollandistes, 
Acta SS., jul. III , p. 587 admettent que cette translation de 
Saint Turiau au monastère de la Croix-Saint-Leufroi a pu 
avoir lieu en 878. de la Borderie remarque lui-même que le 
corps de S. Leufroi n'a été transféré à Saint-Germain-des- 
Prés que très peu de temps avant 918, mais le corps de 
Saint Turiau avait pu être transporté de Dol «à la Croix- 
Saint-Leufroi bien auparavant, de la Borderie, op. rit., 
t. Il, p. 327, n. 2. 

(2) Op. cit., p. 352, n. 1. 


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72 


ETUDE CRITIQUE 


Hasting et les sources angevines et tourangelles. 

— Hasting est, à diverses reprises, cité par les 
sources angevines. Le Liber de compositione castri 
Ambaziae nous dit qu’à la mort de Charles le 
Chauve (877), les Danois restés païens ravagent la 
Gaule avec le chef Huasten pendant trois aus (1) 
et forcent les chanoines de Saint Martin à trans¬ 
férer le corps du saint à Auxerre. Les Gesta 
Ambaziœ ajoutent une note générale et une 
réflexion qui se retrouvent exactement dans le 
Libellus de quodum S. Martini miraculo de Ratbode 
(et aussi, sous une autre forme, dans Dudon de 
Saint Quentin) : on ne peut énumérer les ravages 
faits en Gaule, les incendies des villes et des 
régions, mais l’auteur pense que tous ces maux 
sont arrivés par la permission divine pour punir 
les péchés des Gaulois. Les Gesta racontent ensuite 
la destruction d’Amboise, d’après l’ouvrage de 
Ratbode et les ravages entre Loir et Cher (2). Mais 
ce petit livre a été écrit vers le milieu du XII" siècle, 
comme l'ont moutré ses récents éditeurs. Il n'a 
donc qu’une valeur bien relative et il se peut que 
là encore ce soit la légende d’Hasting qui ait fourni 

(1) • Dani, qui in infidelitatem rcmanserant , cum Huasten 
duce suo Gallias tribus annis infestantes. » Ed. Halphen et 
I'oupardin dans Chroniques des Comtes d'Anjou et des Sei¬ 
gneurs d'Amboise, p. 21. 

(2) L’ouvrage de Ratbode a été imprimé par Salmon, 
Supplément aux Chroniques de Toiu'aine , Tours, 1856, 
in-8°. p. 9. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 73 

ces renseignements à l'auteur. Toutefois, nous 
devons constater que ces événements s'étant passés 
après la mort de Charles le Chauve, c'est à dire 
après 877, peuvent avoir précédé le traité de 882 
entre Hasting et Louis III. Or, si Louis a traité avec 
Hasliug, c’est qu’il avait intérêt à s’eu débarrasser, 
c’est que celui-ci avait déjà donné en Gaule des 
preuves de son activité dévastatrice. 

Les mêmes renseignements se retrouvent dans 
un manuscrit des Gesta consulum Andegavorum qui 
nous dit que c’est par crainte d’Hasting et de 
Hollon que le corps de Saint Martin de Tours fut 
transféré (1). Mais les Gesta consulum ont été écrits 
au XII» siècle (2). Ce manuscrit a pu, en outre, faire 
des emprunts à d'autres sources, il contient ici un 
très long extrait du De reversione beati Martini a 
Burgundia, attribué à tort à Eudes de Cluny (3). 

Un autre passage des mêmes Gesta place sous le 
règne de Geoflroi à la grise tunique, Grisegouelle, 
une invasiou des Danois. Iluasten ravage, pendant 
trois ans, les Gaulesavec une armée de Danois et de 
Saxons ; on nous parle même de Suèves et on 
nous raconte les exploits du danois Hetbelulphe, 
une sorte de Goliath qui, sous les murs de Paris, 
vient provoquer les Francs; le défi est relevé par 
Geoffroi Grisegouelle (4). Mais ici il ne saurait s’agir 

(1) Ms. C. Ed. Halphen et Poupardin, p. 30, n. d. 

(2) Ibid., p. XXlll-XLVI. 

(3) Comme te font remarquer MM. Halphen et Poupardin, 
toc. cit. 

(4) Ibid-, p. 38. 


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71 


ETUDE CRITIQUE 


d’Hasting: GeolTroi Grisegonelle vivait auX' siècle ; 
il mourut le 21 juillet 987 (I). 

Une autre tradition a rapproché Hasting de Gor- 
mond. Hugues de Fleury représente Hasting comme 
signant un traité avec Charles le Chauve ; c’est à la 
suite de ce traité qu'il va à Luna. Il vit un très 
grand nombre d'années et Hugues de Fleury nous 
affirme qu’Hasting est appelé ordinairement Gur- 
mundus (2) : il y a là encore un contre-sens résul¬ 
tant de l’introduction, dans l’histoire, de légendes 
empruntées aux traditions monastiques et aux 
chansons de gestes. Une chanson de gestes, née près 
de l'abbaye de Saint-Riquier, a réuni Gormond, le 
roi africain et païen et Isambart, le renégat (3). 

(1) M. Lot a conjecturé que GeolTroi Grisegonelle était le 
héros d’une chanson de gestes, que cette chanson avait eu pour 
point de départ des exploits accomplis pendant le siège de 
Paris par les Allemands en 978 (a). MM. Halphen et 
Poupardin, ajoutent qu'il pourrait s’y retrouver aussi un écho 
des expéditions normandes de 965, lors de la guerre contre 
Thibault le Tricheur (b). 

(a) Lot, Geoffroi Grisegonelle dans l’épopée dans la Romania 
XIX. 377. 

(b) Op. cit ., p. 38, n. i. 

(2) Vci'um isle A Islagnus vulgo Gurmundus solet nominari : 
M. G. SS. IX, 378. M. Lot, Gormond el Isembard , dans la 
Romania, XIX, 594, admet que l’on peut s’appuyer sur ce 
texte pour identifier Hasting et Gormond. Nous n'en croyons 
rien. Il y joint un autre texte tiré de la Grande Chronique de 
Tours du XIII 0 siècle qui n’a pas plus de valeur. 

(3) Hariulf, Chronique de l’Abbaye de Saint-Riquier, 
éd. Lot, Paris, 1894, in-8°. Cette Chronique a été écrite au 
XII* siècle. Sur la chanson, voir Lot, Gormond et Isembard, 
Recherches sur les fondements historiques de cette épopée , 


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SDR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


75 


Hugues de Fleury trouvant dans la région de la 
Somme la tradition relative au fameux roi païen 
Gormond, et y constatant aussi, d'après les Annales 
franques, la présence d'Hasting, a rapproché Hasting 
de Gormond et les a arbitrairement identifiés. On 
peut facilement débarrasser l'histoire de ces légendes 
adventices dont le processus de formation est seul 
amusant à suivre. 


Hasting et les sources bourguignonnes. — 

M. Wilbur-C. Abbott parait attacher quelque impor¬ 
tance aux sources qui représentent Hasting comme 
ayant effectué un raid en Bourgogne pendant le 
siège de Paris, en 866 867, et comme ayant été battu 
par le duc Richard, en 888. « La principale auto¬ 
rité est la vie de saint Vivent de Vergy, apparem¬ 
ment du X 8 siècle, qui raconte comment les 
Normands, sous Hasting, ravageaient la Bourgogne 
et brûlèrent le monastère de Vergy, quelque temps 
après 868, puis furent poursuivis dans le pays 


dans la Romania, XXVI, p. 1, et Bédier, Les Légendes 
épiques, t. IV. Storm, Kritiske Bidrag, a consacré un appen¬ 
dice intéressant à Gormond l’Africain, appendice qui a été 
négligé par les écrivains français. Storm remarque que le 
légendaire Gormond s’étant promené de pays en pays, il 
n’est pas étonnant qu’il ait fini par changer de personnage, 
Giraud de Barri l’a bien confondu avec le chef norvégien 
Thorgisl, Hugues de Fleury a pu le confondre avec Hasting. 
Mais il ne donne pas la seule explication possible de cette 
dernière confusion : le rapprochement entre la chanson de 
gestes et les données des Annales dans un même cadre 
local. 


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ÉIl'DE CRITIQUE 


chartrain et défaits par Richard (1) ». Mais il est 
difficile de donner, comme suite à une expédition 
d’Hasting en Bourgogne, en 866, une bataille qui 
eut lieu, au dire même de M. W.-C. Abbott, en 888; 
M. W. Abbott s'en tire en admettant, avec les 
Bollandistes, éditeurs de la Vita, une correction au 
manuscrit en ce qui concerne l'invasion normande 
et en la plaçant en 886. 11 voit en outre une pleine 
confirmation de ces faits dans le Chronicon Dcsucnst, 
qui place cet événement en 888, dans la Chronique 
d’Adémar, qui ajoute que Raoul, roi de Bourgogne, 
défit les Normands à Destrictios, en 888 et que 
d'autres bandes dévastèrent la France sous Baret et 
Hasting (2), dans le Liber de Diversis Casibus Cœnobii 
Dcrvensis (3] qui dit que Hasting, un chef wisigoth, 
brûla le monastère et ravagea la Bourgogne, et enfin 
dans la Translatio S. Aijulfi. qui ajoute qu’un 
Hasting dévasta la France et fut tué par le roi 
Raoul en 931 (4). 


(1) Art. cit., p. 455. La Vila S. Viventii se trouve dans les 
AA. SS. Boll., 13 jan. II, 86 ; c’est au chapitre relatif à une 
translation des reliques que sont rapportés les faits dont 
parle M. W.-C. Abbott. 

(2) Historia d’Adémar de Chabannes, éd. Lair, Paris, 1899, 
in-folio, p. 128. Le passage relatif à Hasting ne se trouve que 
dans le ms. C. Adémar écrivait au XI* siècle en Limousin. 

(3) El miraculis S. Bercharii. MABILLON, AA. SS. ordinis 
Ben., II, 845-6. 

(4) AA. SS. Boll., 3 sept. I, 755, et Mabillon, AA. SS. 
ordinis Ben. II. 666. — Les Bollandistes font remarquer que 
Hasting était mort sans doute depuis longtemps, lors de 
T avènement de Raoul en 923 et M. W.-C. Abbott fait mourir 
Hasting en 910 (??). 


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SUR DLTON DE SAINT-QUENTIN Tl 

Nous avouons qu’il nous est impossible de suivre 
M. W.-C. Abbott dans ses raisonnements. Le Liber 
de Diversis Casibus Cœnobii Dervcnsis est du XI 0 siècle ; 
il est si bien renseigné sur Hasting qu’il le prend 
pour un chef wisigoth et les événements dont il est 
question se placent sous Raoul, doue au X e siècle, et 
bien après la dernière date sûre (894), à laquelle 
Hasting apparaît dans l’histoire. II ne faut voir là 
évidemment qu’une preuve de la persistance et 
aussi de la déformation de la légende d'IIasting. 
Adémar de Chabannes est également une source 
fort lointaine des événements et, d’ailleurs, en ce 
qui concerne Hasting, loin de confirmer son expé¬ 
dition en Bourgogne, il parle de ses expéditions 
dons le nord de la France. 

Autrement sérieuses sont les Annales Ilesuenses 
(monastère de Bèze), mais si elles mentionnent bien 
le ravage du monastère, en 888, le ravage de la 
Bourgogne, en 891, elles ne parlent point d'Has- 
ting (1). Ajoutons que la bataille d'Argenteuil 
n’est point de 888, comme le dit M. W.-C. Abbott, 
mais de 898, comme nous le verrons plus loin; 
ainsi tombe la coïncidence sur laquelle s’appuie 
M. W. Abbott. 

Restent la Translatio S. digulfi, et la Vita S. Viventii. 
Quand même ces sources seraient du X“ siècle, il 
serait permis de se demander si leurs rédacteurs 
n’ont pas été influencés par la légende d’Hasting ; 


(1) 888, F(ms Besuensis per très (lies a Normannis depopulatus 
est. 891. — Burgundia a Normannis vastatur. » M. G..SS. II, 248. 


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ETUDE CRITIQUE 


il semblerait que toutes les abbayes aient tenu à 
honneur d’avoir été ravagées par le célèbre chef 
viking. Faute de mention dans des Annales sûres, la 
présence d’Hasting en Bourgogne reste douteuse ; 
en tout cas, elle ne saurait être placée en 886, 
mais en 888, date de la destruction du monastère 
de Bèze, et il est bien improbable qu’Hasling ait 
pris part à la bataille d’Argenteuil ; en 89i, il était 
en Angleterre, nous le verrons et il n'y a aucune 
preuve qu’il soit revenu ensuite sur le continent (1). 

Faits authentiques de la vie d’Hasting. — Hasting 
et les sources franques et anglo-saxonnes. — Que 

savons-nous donc d’Hasting d’après les sources 
franques les plus sûres (2)? En 882, il sort de la 
I.oire. gagne la mer, sans doute après avoir signé 
la paix avec Louis III. En 890, pendant qu’une 
bande normande s'établit devant Noyon, Hasting est 
campé avec les siens à Argota super Summam 
(Argœuvessur-Somme) (3). En 891, il fait la paix 
avec l’abbé de Saint-Vaast, puis il essaie d’attaquer 
cette abbaye, mais d’après le Cartulaire de Saint 
Ilerlin et le Itccueil des Miracles de cette abbaye, 
il subit un échec le deuxième dimanche après Pâ- 


(1) Ajoutons que la source la plus sûre de l'histoire de la 
Bourgogne, La Chronique de Sainte Colombe de Sens, publiée 
par Duru, Bibliothèque historique de l'Yonne, Auxerre, 1850, 
2 vol. in-4°, ne parlent pas de la venue d'Hasting. 

(2) Annales Bei'tiniani auclore Ilincmaro, éd. WAITZ, 
p. 153. 

(3) Annales Vedastini, éd. Dehaisxes, p. 337. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


79 


ques (892) (1). Il finit par s’établir près d’Amiens (2), 
il est vaincu par Arnult, le roi des Francs de l’Est ; 
après son départ, l’armée normande se reconstitue, 
le roi Eudes se met bien en marche vers Amiens, 
mais ne fait rien d'heureux. 

Hasting disparait ensuite du royaume de 
l’Ouest (3) ; il est passé en Angleterre en 892 (4). 
Suivant la Chronique Anglo Saxonne, une grande 
armée de païens vient du pays des Francs orien¬ 
taux jusqu’à Boulogne et de là traverse le détroit 
avec 230 navires. La même année, Hasting (Hæsten) 
dont la bande doit être distinguée de la grande 
armée, parait à l’embouchure de la Tamise avec 
80 navires, il établit un camp très fort près de 
Middleton (Milton), sur la rive orientale du fleuve, 
puis, quelque temps après, à Beamlleote (Benfleet); 
sur les ordres d’Alfred, il y est attaqué par le 
comte de Mercie, Adhered, qui brise cet obstacle, 


(1) Annales Vedaslini, p. 338, n. a. 

(2| Ibid., 339 et 341. 

(3) Favre, Eudes, comte de Paris et roi de France, Paris, 
1893, in-8" p. 136. 

(4) Los historiens anglais, Plummer, The Life and limes of 
Alfred the Great, Oxford, 1902, in-8°, p. 112, suivi par 
Collingwood, Scandinavian Britain , London, 1908, in-8°, 
p. 97, paraissent lier trois choses : la victoire d’Arnulf à 
Louvain (octobre 891), l'arrivée de la grande armée en Angle¬ 
terre et l’arrivée d'Hasting. M. Abbott ne va-t-il pas jusqu’à 
représenter Hasting comme ayant été vaincu à Louvain. En 
réalité, M. Parisot a bien montré que les Normands pillèrent 
la Lorraine en 892. (Le royaume de Lorraine sous les Caro¬ 
lingiens, Paris, 1898, in-8°, p. 498.) Ce n’est qu’en 892-893 que 
la grande armée passa en Angleterre par Boulogne. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


KO 

fait un innombrable butin et enlève la femme et les 
deux fils d’Hasting qu’il amène à Londres. Le roi 
Alfred ordonne qu’on les rende au chef païen, 
parce qu’il avaient été baptisés auparavant, l’un des 
fils était le filleul du roi, l'autre celui d’Adhered (1). 
La Chronique de Saint-Néot ajoute quelques détails : 
Hasting revient à Beamfleote, puis il se rend à 
Sceobyrig (Sbcebury) et y élève une forteresse très 
solide et là se joint à lui la grande armée qui était 
à Apuldra (Appledore) (2). Au cours de la campagne, 
bloqués par l'armée d'Adhered, les pirates sont 
réduits à manger leurs chevaux, puis ils sont mis 
en fuite. La Chronique de Sainl-Néot seule ajoute 
qu’en 895, les Normands d’Hasting repassent la mer, 
après avoir perdu beaucoup des leurs et se rendent 
à l'embouchure de la Seine. M. Stevenson appuie 
le dire de la Chronique de Saint Néot sur les Annales 
Uticenses , vérification faite, il y a là une erreur. Si 
l’on songe que la Chronique de Saint-Néot est une 
œuvre du XII" siècle, on n’ajoutera guère foi à ce 
renseignement (3). Au contraire les dires des Chro- 


(1) Anglo-Saxon Chronicle , éd. Thorpe, 2 vol. in-8° (Rolls 
sériésJ, London, 1861, I. 164. 

(2) Ed. Stevenson, à la suite de la Vie d’Alfred d’AssER, 
Oxford, 1904, in-8°, p. 140. 

(3) Bien que M. Collingwood qui donne un récit très 
intéressant de l’expédition d'Hasting en Angleterre ait admis 
aussi qu’il revint sur le continent en 896 où il devint comte 
de Chartres. ( Op . cil. p. 97-99) et que M. Green The conqnesl 
of England, London, 1899, 2 vol. in-S 0 , t. I, p. 192, fasse 
d’IIasting le chef du raid sur Chester et dise que ses soldats 
repartirent pour le continent en 897 : ce que VAnglo-Saxon 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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niques Anglo-Saxonnes sont très précis ; ils cadrent 
fort bien, en somme, avec ce que nous savons d’Has- 
ting. Le fameux chef Normand disparait en 895 et 
d’après les sources franques, la bande qui remonte 
la Seine en 896 est sous les ordres d’Hundée (1). 

Ainsi, il est très remarquable qu'il n’y a aucun 
rapport eutre la biographie d'Hasting telle que la 
donne Dudon et celle que nous pouvons établir 
d’après des sources sûres ; chose plus remarquable 
encore, il n’y a même pas concordance de date ; les 
faits certains de la vie d'Hasting, s'étendent de 
882 à 894, et la biographie que nous donne Dudon 
ne renferme pas une seule date, mais s'il fallait 
l’arrêter à une date déterminée, ce serait précisé¬ 
ment à la date de 882, où Hasting conclut un traité 
de paix avec un roi dont Dudon ne donne même 
pas le nom et qui semble bien être Louis 111. 

La biographie d'Hasting, dans Dudon, parait 
donc dénuée de valeur ; elle semble n'être placée 
là que comme un prologue à l’histoire des ducs 
de Normandie; elle sert de prétexte à grouper 
autour d'Hasting les quelques notions que Dudon a 
réunies au cours de ses lectures sur les invasions 
normandes. L’auteur du De moribus cristallise 
autour d'Hasting les invasions normandes au moins 
jusque vers 880 ; celui ci cède alors la place à 


Chronicle ne dit nullement. Dans cette chronique, la dernière 
mention concernant le fameux pirate est de 891 : nous ne 
savons quand il quitta l’Angleterre. 

(1) Annales Vedastiui, p. 353. 

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ETUDE CRITIQUE 


Rollon. N’oublions pas que Dudon écrit deux cents 
ans après le début des invasions normandes ; il n'a 
trouvé à glaner que peu de choses dans les Annales 
sur les invasions normandes dans la région de la 
Seine et il a été obligé de délayer, d’allonger, par 
des histoires et des légendes, le peu qu’il avait 
recueilli. 


L’Origine d’Hasting et les Sagas. — Il reste un 
dernier problème à se poser, celui de l’origine du 
célèbre viking. « Qu’llasting ait existé, disait, en 
1806, M. Lair, c’est un point sur lequel tous les 
historiens sont d’accord, mais où est-il né? Dès ce 
moment, les divergences apparaissent. Les uns lui 
donnent une origine scandiuave, les autres une 
origine champenoise ; d’autres, enfin, une origine 
neustrienne. Cette troisième opinion, qui n'a pour 
elle aucuue autorité, ne mérite pas d’être réfu¬ 
tée (1) ». 

Il n’y a, en etlet, en présence, semble-t-il au 
premier abord, que deux textes (2) : celui de Raoul 


(1) Eil. Dudon, p. 37. 

(2) Je laisse de côté l'origine neustrienne qui ne s'appuie 
sur aucun texte, et l'histoire qui fait d'Ilasting un duc de 
Laland. (Eccahd, Chronique d’Herman Corner dans Corp. 
Hist. Med. Œv., II, 41)4 ) : * Haslingus dux Lalandiœ regni 
Danorum secundum Chronica Slavorum cum ris qui a Anglia 
discesserant * et donne la Chronique d'Helmhold, comme 
référence. (Helmhold Bosonensis dans Leibnitz. Scr. Ber. 
Brumw. II, 537, 743). Cette Chronique est du XII* siècle et 
doit sans doute ce renseignement à Dudon où elle l’a pris en 


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SI'11 DL'DON DE SAINT-QUENTIN 83 

Glaber, qui (ail d'IIasting un renégat du pays de 
Troyes, et le récit de Dudon de Saint-Quentin, qui 
en (ait un Dace, c’est-à dire un Danois (?). 

L’origine champenoise repose sur un court texte 
du moine Raoul le Glabre : un jeune homme, né 
près de Troyes, à Tranquillus, dans la dernière 
classe des paysans, (ort et robuste, d'esprit éveillé, 
mais d’une ambition sans limites, s’engage parmi 
les Normands, devient leur chef et ravage sa patrie 
sous le nom d’IIasting (1). 

Grosley, qui a consacré une note détaillée, mais 
sans critique, à Hasling, dans les EphémérUies 
troyennes (2), a longuement développé ce texte. Cette 
opinion, admise, sans discussion, par Sisinondi, 
par Augustin Thierry, (ut un instant classique, mais 
Depping doutait de sa véracité (3), Licquel s’en 
moquait (1), I.air n’osait s’y rallier, toutefois il ne 
la croyait pas dénuée de tout fondement : « Le rené¬ 
gat de Troyes a pu exisler. L’histoire de ces temps 


le défigurant. Encore moins doit-on attacher d'importance a 
JUML’S, Hisl. Bntav., p. 342, qui fait vivre Hasling avant 7U0 
et le dit velus Batavia: prosapia. 

(1) » ïn processti quoque t emporia or lus est vie quidam in 
pago Treeassino ex infnno ruslicorum generc, Aslingus nomine, 
in vico videlicet qui Tranquillus dicilur, tribus a cidiale 
dislans milibus. Qui juvenis valons mborc corpuvis, perverse:■ 
tamen indolis, superbiendo abiciens forlunam pauperum 
parentum elegit exul fore, dominandi victus cupidine ». Ed. 

Proit, Paris, 1886, in-4°, p. 18. 

(2) Paris, 1811, t. II, p. 30. 

(3) Op. cit., 2 e éd., p. 76. 

(4) Histoire de Normandie , I, 58. 


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ETUDE CRITIQUE 


malheureux nous fournit plus d'un exemple de ces 
abjurations de Dieu et du pays par des misérables 
qui s’efforçaient d’oublier, à force de crimes, la 
religion, la patrie, la civilisation foulées aux 
pieds (1) ». 

En Allemagne, la question ne fut pas posée. En 
Scandinavie, on s’en tint à l'origine Scandinave 
affirmée par Dudon. I.es historiens danois, les seuls 
consultés par M. Lair (et c’est une tradition qui 
malheureusement s’est conservée : qui n’entend 
qu’une cloche n’entend qu’un son), ne résolurent 
pas la question. Langebeck dans les Scriptores rerum 
Danicarum y renonçait (2) ; Suhm voulut distinguer 
deux Hastings et fit naître le premier dans la Gothie 
occidentale (3) ; mais disait Lair, les preuves 
manquent à son assertion. Worsaae, considéra Has- 
ting comme danois, tout en reconnaissant que son 
nom ne se trouvait dans aucune source danoise (4). 

Les historiens norvégiens avaient fait cependant 
une remarque intéressante. Munch (3) et après lui 
Storm (6) avaient noté qu’Alstignus était sans doute 
la traduction latine de Halstein, Haslein, mais ils 


(1) Éd. de Dudon, p. 37. Isembard, le compagnon de Gor* 
mond est le type du renégat. 

(2) Copenhague, 8 vol. in-fol., 1772-1792, t. I, p. 496. 

(3) Historié af Danmark , Copenhague, 1782-1824, 14 vol. 
in-4», t. III, p. 891. 

(4) Den Danske Erobring, p. 57. 

(5) Det norske Folks Historié, Christiania, 1852-59, ti vol. 
in-8“, I, pp. 427, n. 2 et 633, n. 2. 

(6) Kritiske Bidrag , p. 63. 


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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 


85 


ne s’étaient pas souciés de rechercher qui pouvait 
être cet Hastein. Jadis, Suhm, puis, en 1898, Wilbur 
C. Abbott (1) et récemment le professeur d’histoire 
de l’Université de Christiania, M. Alexander Bugge, 
ont cru trouver Hastein dans le Landnama-boc et 
l’ont identifié avec le fils d’Atle, Hastein. Reprenons 
le problème et retournons aux textes. 

Avec toute la critique sérieuse, je crois qu’il faut 
laisser de côté l’histoire de Raoul Glaber. Hasting 
n’est pas un nom franc, c’est un nom norrois, c’est 
le seul résultat incontestable sur lequel sont 
d'accord Munch, Storm et M. Alex. Bugge. Hasting, 
étant Scandinave, ne peut être Champenois. Et 
voilà le problème déjà limité. Reste à expliquer la 
légende de Raoul Glaber. On peut supposer que 
Raoul Glaber a entendu parler de l’histoire de quel¬ 
que renégat de son pays qui a rejoint les Normands 
et qu'il l’a identifié avec un chef pirate célèbre. 

L’origine neustrienne et l’origine champenoise 
écartées, il n’y a qu’à retenir l’origine Scandinave 
d’Hasting. M. Wilbur Abbott rejette l'origine danoise 
affirmée par Dudon ; le nom d’Hasting est danois, et 
non norvégien, Suhm déjà admettait qu'il y avait eu 
deux chefs du nom d’Hasting, ce qui résolvait la 
difficulté, et il croyait que l’un de ces chefs était nor¬ 
végien, qu’il était venu du pays de Sogn, et il le 
retrouvait dans l’un des fils d’Atle, confie de Gaular; 
Allé (ut tué dans ses luttes contre le comte Hakon 

(1| .-1 ri. cil. ; M. Bugge, ne paraît pas avoir connu cet 
article. 


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ETUDE CRITIQUE 


Xfi 

Griotgardsson et son fils Hasteinn, chassé de Sogn 
par Harald Harfagr’ (similitude avec Rollon) s'en 
alla en Irlan de avec sa femme Thora et ses deux fils, 
Allé et OEhvi ; il s'établit à Stokksegri Hasteinn- 
sund (I). 

M. Abbott croit que cet Hasteinn est l’IIasting des 
sources franques, anglo-saxonnes et normandes, 
le seul et unique Hasting. Mais si intéressante que 
soit son hypothèse, il ne l’appuie que sur deux 
coïncidences: Hasteinn a deux fils dans la Chronique 
anglo-saxonne, il en a deux également dans le Land- 
nama-boc; d’autre part, l’arrière-petit-fils d’Hastein 
aurait été baptisé en Islande vers l’an 1000 !2), et en 
remontant en arrière et en comptant par générations, 
Hasting, son arrière grand-père, a pu vivre au 
IX e siècle et mourir vers 910. A vrai dire, ces 
coïncidences sont, l’une et l’autre, assez faibles. 

M. Bugge s’appuyant sur des manuscrits du 
I.andnama-boc où on lit Hallstein, regarde comme 
évident que le « nom du chef viliing Alstenius ou 
Hastingus peut être regardé comme une traduction 
latine de Hallsteiu (3) ». Un savant romaniste 
suédois, favorable aux thèses danoises, M. Walberg, 
s’est élevé avec vivacité contre la thèse de M. Bugge; 
le professeur suédois ne voit là qu’une pure fan- 

(1J Landnania-boc, I. 3. 2., êd. VlGFUSSON et Powell, 
Origines Istaudicœ, Oxford, 1905, 2 vol., in-8°, I, p. 19. 

(2) Corpus poeticum boréale, éd. VlGFUSSON et PoWELt, 
Oxford, 1883, 2 vol., in-8", 11, 491. 

(3J Gange-Hoir og crubringen ar Xonnamtic (Exü\ de VHist. 
Titlsskr .), Christiania, 1911, in-8", p. 17. 


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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


87 


taisie : Hallstein n’est pas donné par tous les 
manuscrits du Landnama-boc, ceux qui le donnent 
sont sans valeur: avec ce système ou arriverait, 
dit-il, îi donner autant de (ils à Allé qu'il y aurait 
de fautes de copistes dans les manuscrits du Land- 
nama-boc (1). 

Eu admettant la critique de M. Walberg (2), il 
reste toujours qu’Hallstein et llaastein qui se 
retrouvent, et à bien des reprises, dans les Sagas, 
ont pu donner Hastingus, Alstignus en latin, d'où 
Hasting et qu’il est légitime de rechercher Hasling 
dans les recueils de Sagas. 

L’origine Scandinave d’Hasting a été affirmée par 
Dudou dans le passage où il (ait d’Hasting, sans le 
dire formellement, un Danois ; elle l'a été aussi par 
Guillaume de Jumièges. Mais on ne l'a pas assez 
remarqué, Guillaume Calcul, tout en déclarant qu’il 
résume Dudon, suit assez souvent, et nous y revien¬ 
drons, une tradition indépendante de celle que 
rapporte le chanoine de Saint-Quentin, si bien qu’on 

(1) Conférence sur l'Origine de Itollon dans le Compte 
rendu des Travaux du Congrès du Millénaire de la Normandie , 
Rouen, 1912, t. Il, p. 910. n. 1. M. Walberg parait ignorer 
que Suhm, savant danois et M. Abbott, savant anglais, ont 
déjà soutenu l’origine norvégienne d'Ilasting, lits d'Atlc. 

(2| Et il n’y a pas lieu de l'admettre ; d'une part, M. York 
Powell, le savant éditeur des Sagas, inclinait à croire qu’il 
y avait bien quatre frères, tUs du comte AUe, Ha-, Hall-, 
Her- et Holm-Steinn ; d'autre part, M. Wilbur C. Abbott, 
qui nous donne cette opinion de M. Powell, art. cit ., p. 444, 
n. 23, croit que Ha- et Hall-Steinn sont deux transcriptions du 
même nom, et qu’Hasteinn ou Hallstein, fils d’Atle, est bien 
le même personnage que le fameux Hasting. 


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KTUDE CR1T1QPF 


a conjecturé ingénieusement que Guillaume avait 
peut-être sous les yeux un manuscrit de Dudon 
différent de ceux qui nous sont parvenus (1), 
hypothèse naturellement invérifiable, mais qui est 
intéressante. Quoi qu'il en soit, il est certain que 
Guillaume de Jumièges, même dans ses quatre 
premiers livres, n'est pas seulement un simple 
reflet de Dudon. Avait-il quelque esprit critique? 
C'est possible. Avait il d’autres renseignements ? 
C'est certain. 

Il est tout à fait important de constater qu’il s’est 
en particulier éloigné de Dudon en ce qui concerne 
l’origine des chefs normands ; nous y reviendrons 
à propos de Rollon et nous verrons combien cette 
remarque pèse sur la solution du problème (encore 
qu’on ne l'ait jamais noté) ; il en est de même en ce 
qui concerne Hasting. Si Dudon laisse entendre 
que ce chef est un danois, Guillaume de Jumièges, 
lui, le présente à côté de Hier Costa; Ferrcee, Bjœrn 
Jœrnside (Côte de Fer) et dit que ces deux chefs 
et leurs bandes sont venus du Danemark et de la 
Norvège (2). 

Guillaume veut-il dire que ces bandes venaient 
des deux pays? Je le crois. Veut il dire qu’il n'y a 
pas lieu de distinguer Danois et Norvégiens? Ce 

(Il Palgrave, Ilistory of England and Normandy, t. Il, 
p. 908. 

(2) Ed. Marx, p. 5. • Qtto tempore payant, cum Lotbroci 
régis filin, nomine Hier Cosleæ tjuidem ferreæ , procurante 
ejus ejcpedilionem Hastingo, omnium pagatwntm nctpiissinw, 
a Noricis sait Danicis finibus eructuantes ». 


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SUR DL’DON DE SAINT-QUENTIN 89 

serait de la prudence, prudence normande. Peut- 
être a-t il devant lui deux traditions : l'une, la 
tradition fabriquée par le clerc lettré et stipendié, 
Dudon, pour lequel les chefs normands de Nor¬ 
mandie sont danois, l'autre dont nous allons 
rechercher l'origine et la teneur, suivant laquelle 
les chefs normands sont norvégiens. 

Remarquons maintenant que Guillaume de Ju- 
mièges présente toujours Hasting à côté de Bjœrn ; 
leurs noms sont pour lui inséparables, ce ne sont 
pas Castor et Pollux, mais Mentor et Télémaque, 
Hasting est le pœtlagogus de Bjœrn Côte de Fer. 
Légende, dira-t-on, « tradition purement légen¬ 
daire », dit M. Marx dans son édition récente de 
Guillaume de Juinièges (1). Légende si l'on veut, 
mais d’où vient elle? 

Ouvrons les recueils de Sagas, cherchons-y 
Haslein ; nous ne le trouvons pas seulement dans 
le Landnama-boc, nous le trouvons aussi dans 
d’autres Sagas ; mais s’il en est une où nous le 
retrouvions en connexion avec Bjœrn, ne serons 
nous pas frappés de la coïncidence ? Or, lisons 
l'Eyrbyggia Saga (2). 

Pour comprendre tout l’intérêt de cette Saga, il 
est nécessaire de l'analyser : Ketil Flatnefr est le 
nom d'un noble seigneur de Norvège. 11 a pour fils 

(1) P. 5., n. 1, M. Abbott la rejette aussi sans une dis¬ 
cussion sérieuse. Art. cil., p. 450. 11 ne parait pas avoir connu 
le texte de l' Eyrbyggia Saga dont nous allons parler et que 
personne d'ailleurs n'a utilisé. 

(2) Origines lslandicæ, t. I, p. 252, sqg. 


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90 ÉTUDE CRITIQUE 

Bjœrn el Helge. Bjœrn est établi dans l'est, dans le 
Iamtaland. Il arrive en ce temps que le roi Harald 
Harfagr’ devient roi de Norvège. A cause de la 
guerre civile, beaucoup de gens bien nés quittent 
leurs héritages en Norvège, les uns s’en vont vers 
l'est, traversant les Kicelen, les autres s’en vont vers 
la mer; quelques-uns s’établissent dans les Suderœ 
(les Hébrides) el les Orcades et au printemps ils 
font une expédition en Norvège et commettent 
beaucoup de ravages dans le royaume de Harald. 
Les hommes libres (bœndr) portent la question 
devant le roi el le prient de les délivrer de la guerre 
civile. Le roi décide d’envoyer une armée pour 
aller dans l’ouest sur la mereldésigue Kelil Flatnefr 
pour en être le capitaine. Kelil s'excuse, mais le 
roi lui dit de partir et quand Ketil voit que le roi 
veut être obéi, il se tient prêt et s’en va avec sa femme 
et tous ceux de ses enfants qui sont avec lui. Quand 
Ketil arrive dans l'ouest, par mer, il a des batailles 
à livrer, il conquiert les Hébrides et en devient le 
chef. Il conclut des traités avec les plus grands 
chefs à l'ouest de la mer et renvoie son armée vers 
l’est. En revenant devant le roi Harald, ces hommes 
disent que Ketil Flatnefr s'est rendu maître des 
Hébrides et que le gouvernement d’Harald ne 
s'étendra plus dorénavant à l’ouest de la mer. 
Quand Harald entend cela, il confisque les biens 
que Ketil avait en Norvège. Ketil donne en mariage 
sa fille Aud à Olat le Blauc, le plus grand seigneur 
de l’armée au delà de la mer. 

Cependant Bjœrn, fils de Ketil, était dans le 


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SIR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 91 

Iamtaland. 11 vint de l'est, en traversant les Kiœlen, 
à Trondlieim, et de là il alla vers le sud ; il prit 
possession de la terre que son père avait eue et il 
chassa les chefs (ar memr) que le roi Herald y 
avait établis. Le roi Harald se Irouvait dans le 
Viken ; quand il apprit ce fait, il marcha vers le 
nord et se rendit à Trondlieim ; il y convoqua le 
conseil des huit peuples, et à cette assemblée il 
bannit Bjcern , fils de Ketil de Norvège, ordonnant 
qu'on pourrait le tuer où on le trouverait. Quand 
ils furent arrivés au sud de Staad (cap Slat), les 
amis de Bjcern l’avertirent. Alors Iîjœrn gagna une 
barque avec les siens et avec son bétail et se dirigea 
vers le sud le long de la terre : car on était au cœur 
de l’hiver et il n'osaitaller sur mer. Bjcern longea la 
côte jusqu’à ce qu’il vint à une île appelée Mostr qui 
se trouve au sud d’Hordaland et là un homme le reçut 
dont le nom était Thor-Wolf. Bjœrn passa l'hiver 
dans cette retraite. Thor-Wolf était un grand chef ; il 
possédait un grand territoire, il gardait le temple du 
Tonnerre, Tlior, dont il était l’ami. Au printemps 
Thor-Wolf donna à Bjœrn un bon vaisseau de guerre 
et un bon équipage; il lui donna son /ils Hallstein 
pour être son compagnon (pour marcher avec lui) et 
ils allèrent sur mer vers l'ouest pour rencontrer les 
compagnons de Bjœrn. Et quand le roi Harald 
entendit que Thor-Wolf avait reçu Bjcern, fils de 
Ketil, le banni, l’out/air, il lui ordonna de s’exiler 
comme Bjœrn au delà de la mer, à moins qu'il ne 
voulût venir soumettre l’a lia ire au roi. Thor-Wolf 
fit un grand sacrifice et consulta l'oracle de Thor 


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92 


ETUDE CRITIQUE 


pour savoir s'il devait obéir au roi ou quitter la 
contrée et chercher une autre carrière (1) L’oracle 
envoya Thor-Wolf en Islande. Et après qu’il eut pris 
un grand navire, il partit avec tous ses biens, il 
emporta le temple et il s’établit à un endroit qui 
devint Thor’ness. 

Bjœrn alla aux Hébrides, mais sou père, Ketil, 
était déjà mort, Bjœrn reçut un bon accueil de son 
frère Helge et de ses sœurs. Il resta deux hivers aux 
Hébrides et il fit un voyage en Islande. Avec lui était 
Hall stein, fils de Thor-Wolf. Ils débarquent à Broad 
Fryth. L’histoire s’arrête là (2). 

Ce qui est tout à (ait digne d’attention dans cette 
Saga, c’est son haut degré de vraisemblance, de 
crédibilité, si j’ose m’exprimer ainsi. Nous verrons 
qu'il en est de même du passage delà Sagad’Harald 
Harfagr’, relatif à Hollon. Reprenons ce récit, sui- 
vons-le, la carte à la main ; c’est un travail que n'ont 
pas fait les éditeurs, uniquement soucieux — et 
avec raison — de nous donner un bon texte. Bjœrn 
est établi dans le Iamtalaude. C’est évidemment le 
Jàmtland, pays norvégien à cette époque, aujour¬ 
d’hui suédois, au revers oriental des monts 
Kiœlen. La Saga rappelle ensuite qu’au temps du 
roi Harald Harfagr’, il y eut une vaste émigration 

(1) Sur les sacrifices des vikings au moment du départ, 
voir Pineau, Les vieux chants populaires Scandinaves, p. 101. 
Sur le dieu Tlior, voir tout le développement précédent. 

(2) Notons que l’histoire de Bjœrn Ketilson et de Hallstein 
est racontée également par le Landnama-boc, 11, 9, 1, 
Origines Islandicæ, I, p. 66. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 93 

des gens bien nés ; nous avons noté déjà que ce lut 
là une des causes principales, peut-être la cause 
initiale, des expéditions des vikings ; l’émigration 
des propriétaires, des seigneurs, fut le résultat de 
la constitution même d’une monarchie puissante, 
de l'organisation même des Etats Scandinaves, de 
la Norvège en particulier. Beaucoup de ces petits 
princes répandus de Trondlieim à la Baltique, 
jusque là indépendants, préférèrent s’exiler, quand 
le roi Harfagr’ voulut les soumettre. C’est la belle 
époque des vikings ; les uns partent par la terre: 
ils traversent les Kiœlen et vont dans ce pays alors 
à peine connu, entre la Suède et la Norvège; les 
autres vont vers la mer ; ils gagnent les Orcades, 
les Hébrides, les îles du Sud (Suderoe). Mais c’est 
un jeu pour eux que de revenir en Norvège; à la 
belle saison ils font des expéditions sur la terre 
ferme; les hommes libres (bœndr) si indépendants 
en Norvège se plaignent au roi. Celui-ci désigne 
Kelil pour châtier les pirates ; il conquiert les 
Hébrides, mais il s’y rend indépendant, llarald en 
est averti, se fâche, confisque ses biens. Oiaf le Blanc, 
à qui Ketil donne sa fille, est un des chefs norvé¬ 
giens établis en Irlande (1). 

Mais Bjcern est revenu du JUmtland pour re¬ 
prendre les biens de son père, il en chasse les 
agents du roi. Celui-ci est alors dans le Viken ; c’est 
la côte orientale des détroits du nord d’où sont 
partis aussi beaucoup de pirates; il se met en 


(1) Voir Munch, op. cil., p. 441 ; Alex. Bugge, op. cit. 


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ETUDE CRITIQUE 


Ht 

marche par terre vers Trondheiin, les vallées du 
Glommen et de l’OEsterdal forment là une route 
toute indiquée. Il convoque le conseil, l'assemblée 
des huit peuples (I), ce thing norvégien, que nous 
savons avoir eu une grande importance (2). Bjœrn est 
condamné au bannissement, c'est la peine ordinaire 
prononcée contre les révoltés, et c’est une des causes 
des expéditions des vikings. Comme c’est le cœur 
de l’hiver, Bjœrn ne veut pas se lancer à travers 
la mer du Nord (3> II se contente de longer la côte, 
il va jusqu'à une ile appelée Mostr au sud de Ilorda- 
Land. Or Mostr et IIorda-Land sont des points 
qu’il est facile d’établir; ils se trouvent entre le cap 
Lindesness et le cap Stat. Là il est accueilli par 
Thor-Wolf, un grand du pays, un fervent du 
culte du Tonnerre qui subsiste encore à ce 
moment là, et c'est une nouvelle cause des expé¬ 
ditions des Normands païens; inquiétés par les 
progrès du christianisme, pour se venger des 
missionnaires, ils allaient porter la guerre dans 
les pays chrétiens. Thor-Wolf, au printemps, 
donne à Bjœrn un navire et envoie avec lui 


|t) Sur cette assemblée, voir La Norvège, Kristiania, 1900, 
in-8' 1 , p. 130. 

(2) Sur le Tliing, voir Geffroy ; L'Islande avant te Chris¬ 
tianisme d'après te Gragas et les Sagas, Paris, 1898, in-12 ; 
.1. TOUT AIN, Les Norlttmans en Islande au moyen fige, d’après 
une publication récente, Kouen, 1898 ; Henri Prentout, Essai 
sur les origines et la fondation du duché de Normandie, 
p. 207. 

(3) Il est en effet parfaitement exact que les vUtings évitaient 
cette traversée en hiver. 


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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN 95 

son fils Hallstein. Ils s’en vont à l’est pour rencon¬ 
trer les parents de Bjœrn qui sont venus au sud du 
cap Stat. Quant à Thor-Wolf, après les menaces du 
roi et après consultation de l’oracle, il s’exile égale¬ 
ment et se rend en Islande. Bjœrn, lui, va rejoindre 
Kelil aux Hébrides ou en Islande. Son père est mort 
et il est accueilli par Helge et par ses sœurs, il passe 
auprès d’eux deux hivers aux Hébrides et il s’en va 
ensuite en Islande, avec Hallstein. 

Tout cela est parfaitement vraisemblable. Ajou¬ 
tons que tout cela est parfaitement historique. Sans 
doute l’Eyrbyggia Saga nous est parvenue par une 
série de manuscrits dont le plus ancien est du 
XIV» siècle. Mais M. Vigfusson, le a sagace » éditeur 
leur des Sagas, comme l’appelle M. Steenstrup, et 
M. Powell établissent, d’après l’étude des manus¬ 
crits que ceux ci proviennent d’autres manuscrits 
plus anciens. Ils regardent comme bien antérieure 
au XIV 8 siècle la composition de la Saga elle-même; 
ils lui attribuent un fond de vérité historique incon 
testable : c’est pour eux « la plus historique des 
Sagas » (1 ). Nous avons même des poiuts de repère, 
des dates qui manquaient à la thèse de Suhm, 
d’Abbott et de M. Bugge. D’une part, celte histoire 
commence au début du règne de Harald llarfagr’ 
qui monte sur le trône en 863 (2| et, d’autre part, 
l’établissement de Bjœrn, eu Islande, est placé 


(1) Origines Islandicte , t. II, p. 9-2. 

|2) « Il arrive en ce temps qu'llarald Harfagr' devient roi de 
Norvège. » 


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96 ÉTUDE CRITIQUE 

par MM. Vigfusson et Powell, vers l’an 900 (1). 

Or, tout ce que nous savons de certain des hauts 
faits d'ilasting sur le continent, tient précisément 
entre deux dates à peu près semblables: 866, si on 
admet qu'il ait été à Brissarthe, et 895, si on admet 
le renseignement donné par la Chronique Anglo- 
Saxonne, qui le meutionne encore à cette date 
en Angleterre. 

Il ne figure dans aucune autre source franque 
sûre avant 866, et dans aucune autre source franque 
ou anglo-saxonne après 895 (2). Sa disparition s'ex¬ 
plique s’il est allé avec Bjœrn se fixer en Islande. 

Mais, me dira-t-on, et c’est la plus grosse objection 
à ce rapprochement, la Saga ignore complètement 
les expéditions de Bjœrn fils de Ketil et de Hallstein 
sur le continent (3). Nous verrons, au contraire, 


(1) ld., 1.1, p. 259. 

(2) Suivant M. Collingwood, op. cil., pp. 99, 192, 208, 
Hasting aurait été à la tête de l’armée Scandinave qui s’établit 
à Chester, dans l'ancienne enceinte romaine, nu nord du 
Pays de Galles. Sans doute les sources ne le mentionnent pas 
expressément, mais il est possible qu’il soit venu jusque-là 
au cours d’un raid à travers l'Angleterre, puis, que par l’île 
de Man, les Hébrides, les Orcades, toutes colonies norvé¬ 
giennes, il ait gagné l’Islande que les Norvégiens commen¬ 
çaient à coloniser et où il serait arrivé, suivant la conjecture 
de MM. Vigfusson et Powell, vers l’an 900. La coïncidence 
des dates est vraiment remarquable. 

(3) La même objection pourrait être faite à la thèse de 
MM. Abbott et Bugge. Tout de même la Saga ignore la 
participation de Ketil aux expéditions des Normands sur le 
continent, et cependant Richer affirme la présence de Ketil, 
Catillus dans les Gaules. Richcri hisloriarum libri quatuor, 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 97 

que la Saga connaît les expéditions de Ganger 
Rolf en Valland. Je comprends toute l’importance 
de l’objection que je me formule à moi même. 
Seule, elle m’empêche d’affirmer qu'Hasting est bien 
Hallstein, fils de Thor-Wolf et Bjœrn, le fils de Ketil. 
Mais si je ne veux pas l’affirmer, je n’en trouve 
pas moins le rapprochement très vraisemblable, 
extrêmement probable, car il reste deux choses 
frappantes : les concordances absolues des dates et 
celle surtout qui résulte de ce fait que Guillaume 
de Jumièges connaît, lui aussi, une tradition relative 
à Bjœrn et Hallstein, faisant en commun deux 
expéditions ; or, comment Guillaume de Jumièges 
a-t-il pu connaître ceci, qui n’est pas dans Dudon, 
s’il n'a pas connu la tradition dont la Saga est 
l’écho? et s’il a connu la tradition, c’est qu’elle était 
répandue en Normandie, et alors c’est qu’Hasting 
y est bien venu et alors aussi, pour la première 
fois, on s'explique pourquoi Dudon fait figurer 
Hasting dans son œuvre comme prédécesseur de 
Rollon. Car de tous les faits relatifs à Hasting que 
mentionnent les Annales franques, il ne s’en trouve 
pas un qui concerne la Normandie. 

Et si ignorant que soit Dudon de l’histoire de 
Normandie avant Rollon, il est tout de même 
extraordinaire qu’il ait l’idée d’y introduire Hasting 
si celui-ci n’est jamais venu dans ce pays. 
On dira et j’ai pensé moi-même que Dudon 


éd. Waitz. (Scr. rerum germanicarum in usum scholarumj 
Hanovre, 1877, in-8», p. 5. 

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ETUDE CRITIQUE 


avait pris Hasting comme type pour cristalliser 
autour de lui l’histoire des expéditions des vikings 
avant Rollon. Mais pourquoi raconter ses expédi¬ 
tions si elles n'intéressent pas la Normandie et 
pourquoi prendre Hasting de préférence à Godfrid, 
à Sigfrid, qui, lui, est venu en Normandie, ainsi 
que Véland ? 

Nous avons remarqué qu’Hallstein est le fils d’un 
proscrit. Or, il semble que Dudon ait quelque 
notion de cette légende. En parlant des Danois, 
dont il est le chef, il dit qu’ils out été expulsés, a 
suis erpulsi (1). Hallstein, dans la Saga, est le fils 
d’un païen convaincu qui est un prêtre de Thor. 
Or, Hasting nous est représenté parmi les chefs 
normands comme le plus hostile au christianisme, 
aux prêtres, aux églises ; il a été la terreur 
des prêtres et le destructeur des sanctuaires. 
« Tcmeracit sacerdotium, dit Dudon, coneulcacit sanc- 
tuarium » (2). Dudon revient quelques lignes plus 
loin sur cette idée. « Mulctatur clerus crudeli morte 
puni lus. Comme d’autres envahisseurs célèbres, 
Hallstein a la haine du clergé et se fait un jeu de 
supplicier les prêtres. Sa bande se revêt de vête¬ 
ments sacrés, d’aubes arrachés aux autels. « Casulas 
nefarii induunt quas altaribus sacris diripiunt. Ves- 
tiuntur alba , officio missir dedicala ». Je ne veux 

pas forcer ces rapprochements ; . ils sont des 

plus intéressants cependant. Hasting, le tueur de 

(1) Ed. Lair, p. 130. 

(2) ld., p. 131. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


90 


prêtres et le dévastateur des églises, ne serait il 
pas identique à Hallstein, fils d'un ami du dieu 
Thor ? 

Comment pourtant se fait-il que la Saga ignore les 
expéditions d’Hallstein sur le continent ? Remar¬ 
quons que nous ne sommes pas en présence d'une 
Saga d'Hallstein, mais d'une Saga relative à des 
établissements en Islande. Hallstein n’est pas ici le 
personnage principal. Il s’agit de Ketil Flatnefr et 
deThor-Wolf, l’un qui est venu aux Hébrides et a eu 
des rapports avec les rois norvégiens d'Islande, et 
l’autre qui est le fondateur d’une des colonies 
islandaises, ou plus exactement, c’est l’Islande 
même qui est le principal personnage, c’est sa 
colonisation qu’il s’agit de raconter comme dans 
le Landnama-boc. Des expéditions que ces chefs 
ont pu faire sur le continent n’a nul souci le rédac¬ 
teur de la Saga, rédacteur tardif qui résume très 
vraisemblablement, au point de vue islandais, une 
légende jadis plus riche ; de même dans la Saga 
d’Harald Harfagr’, l’expédition de Ganger Rolf dans 
le Valland n’est notée que d'un mot laconique, si 
importante qu’elle soit en conséquences historiques. 
Il ne faut pas s’étonner de la sécheresse des Sagas 
islandaises sur les expéditions des Norvégiens dans 
l’empire franc ; elles n’intéressent pas ceux qui 
les ont recueillies. 

Il reste une autre difficulté que je ne veux point 
celer. Guillaume de Jumiègesen parlant de Bjœrn, 
le compagnon d’Hasting, l’appelle Bjœrn Côte de 
Fer (Costa Ferrea ), ce qui est la traduction de 


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ETUDE CRITIQUE 


Iœrnside, et la Eyrbyggia Saga ignore ce surnom. 
On ne manquera pas de dire que Bjœrn Côte de Fer 
est le fils de Ragnar Lodbrok et que celui de 
l’Eyrbyggia Saga est le (ils de Ketil. Mais il est 
évident qu’il y a eu deux Bjœrn, que leurs légendes 
sont venues toutes deux à la connaissance des 
Normands et que Guillaume de Jumièges les a 
confondues. Ce nom de Bjœrn était très fréquent 
parmi les Scandinaves. N’est il pas bien naturel que 
les écrivains normands, qui rédigent leurs œuvres 
un siècle ou deux après les événements, fassent des 
confusions entre des gens de même nom dont ils 
ignorent l’exacte généalogie ? Il y a deux Bjœrn dont 
la tradition est particulièrement parvenue dans la 
Francia, l’un dont le nom est Bjœrn Côte de Fer, 
l'autre dont le nom est toujours rapproché de celui 
d'Hasting; un jour la confusion se fait. 

Répondons maiutenant è une objection que 
M. Walberg a faite à la thèse de M. Alex. Bugge et 
qui pourrait être faite à celle-ci : « Vouloir faire un 
norvégien d'Hasting, appelé constamment Dacus 
par Dudon et dont l’histoire est intimement liée à 
celle des fils de Ragnar Lodbrog, reconnus Danois 
par tout le monde, cela est bien difficile à admet¬ 
tre » (1). Tout le monde, c’est beaucoup dire. Il n’y 
a pas lieu de reprendre ici une question qui a été 
bien des fois discutée (2) et qui n’a point de rapport 


(1) L'Origine de ltollon , p. 6i0, n. 1. 

(2) Voir Steenstrup, IndleAning, pp. 81-127 et Bulletin 
Anliq. X, pp. 236-236, dont la discussion, si savante soit-elle, 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


101 


immédiat avec notre sujet. Je ferai remarquer 
seulement que le Landnama-boc, dont personne ue 
peut contester la grande valeur historique,considère 
Ragnar Lodbrok et Bjœrn Côte de Fer comme 
norvégiens. Voici, en ellet, une généalogie qui se 
trouve au livre III. « Tliord est le nom d’un noble 
homme de Norvège ; il est le fils de Bjœrn Butter 
Keg, le fils de llrod-wald Ryg, le fils d’Oslac, le fils 
de Bjœrn Iœrnsida (Côte de Fer), le (ils de Ragnar 
Lod-broc (1) ». Donc, suivant le Landnama boc, 
Ragnar Lodbrok et ses fils sont norvégiens et cela 
a quelque poids. Peu au reste nous importe, puisque 
nous pensons que le Bjœrn, compagnon d’Hasting, 
dont nous parle Guillaume de Jumièges est un 
autre Bjœrn, norvégien lui aussi, d'ailleurs. 

Sans vouloir nier absolument que Bjœrn fœrnside 
soit venu en Normandie, nous faisons remarquer 
cependant que Guillaume de Jumièges et ses dérivés 
Wace, BenoltdeSaint Moredonnenlseulscesuruom 
au chef Berno. Les Annales franques et la Chro¬ 
nique de Fontenelie parlent seulement de Berno 
sans épithète (2) ; en 856, le 19 août, il arrive devant 

n’est pas toujours convaincante ; il a bien montré les con¬ 
fusions de Saxo Grammaticus, niais a-t-il prouvé l'origine 
danoise de Ragnar Lodbrok? Voir aussi G. STORM, Kritiske 
Bidrag , pp. 35-129. Cette partie de son ouvrage a été vivement 
critiquée par M. B EAU VOIS dans la Revue Historique, t. VIII, 
p. 188. 

(1) Landnama-boc, III, 11, 1. dans Origines Islandicæ, t. I, 
p. 142. 

(2) Berno dux, disent les Annales Bertiniani, éd. Waitz, 
P- 39; Berno Nortmannus, dit le Chronicon Fontanellense, 


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ETUDE CRITIQUE 


le château de Pitres, où il rejoint Sydroc : les deux 
troupes poussent leurs expéditions jusque dans le 
Perche (1) où elles sont battues par Charles le 
Chauve; elles semblent se maintenir ensuite sur 
la Seine ; en 857, Bjœrn se fortifie dans Pile 
d’Oissel (?) (2), en face de Jeufosse et y passe 
l’hiver (3). En 838, il vient à Verberie prêter serment 
de fidélité à Charles le Chauve, et pendant ce temps 
une bande ravage l’abbaye de Saint-Denis et tâte 
Saint-Germain-des-Prés, ce qui détermine Charles 
le Chauve à entreprendre le siège de l’ile d’Oissel (4). 
En avril 862, les bandes de Sydroc, Bjœrn et Weland 
avaient repris le chemin de la Basse Seine. Que 
M. Vogel (5), après M. Steenstrup (6), voie dans ce 
Bjœrn, Bjœrn Iœrnside, le fils de Ragnar Lodbrok, 
nous n’y voyons aucun inconvénient (7). 


H. F., VII, p. 43, qui paraît opposer Berno Nortmannus, le 
Norvégien (?) à Sydroc qui conduit une flotte de Danois, 
maxima classis Danorum. 

(1) Chronicon Fontancllense, loc. cit. 

(2) Ce n’est pas le lieu de discuter l’emplacement d’Oscellus. 
Voir H. Prentout, op. cit., p. 111, n. 2, et L. Coutil, Incur¬ 
sions des Normands dans la vallée de la Seine, Évreux, 1913, 
in-8°, p. 12, n. 2. 

(3) Ch. Fontancllense, loc. cit. 

(4) Annales Bertiniani , p. 50, v. Lair, Les Normands dans 
l'Ue d’Oscelle , et Lot, La grande invasion de 856-862 dans la 
Bibl. Ec. Chartes, 1908, p. 38, qui rejette la date de 855 donnée 
par le Chronicon Fontanellcnsc. 

(5) Vogel, op. cit., p. 148, et passim. 

(6) lndledning, p. 96 et B. S. A., t. X, p. 24-4. 

(7) Nous n’en voyons pas non plus à envoyer Bjœrn Côte 


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SUR DUD0N RE SAINT-QUENTIN 


103 


Il reste qu’ultérieurement Bjœrn, fils de Keti 
a pu venir sur le continent avec Hasting. Guillaum 
de Juuiièges a confondu ces deux chefs du mêtm 
nom, qui peut-être se sont succédé sur le continent i 
quelques années d’intervalle, si on admet qu’IIasliiq 
et avec lui Bjœrn, fils de Ketil, aient été à Brissarthi 
en 8GG ; mais quand ils ne seraient venus que 
vingt-cinq ans plus tard, Guillaume de Jumièges, 
écrivant au XI° siècle, deux siècles après les 
événements, a pu faire facilement cette confusion. 

Cette confusion, au reste, il la devait probable 
ment, non à des Annales, qui ne l'eussent pas 
commise, mais à la tradition exprimée peut-être en 
quelque chanson. Sophus Bugge déjà, après lui 
G. Storm (1), avaient remarqué le caractère légen¬ 
daire de l’histoire d’Hasting dans les écrivains 
normands; ils conjecturaient qu'il y avait là des 
emprunts faits à des traditions françaises, à des 
romances, à des chansons en langue romane, 
dirons nous. C’est à cette conclusion que nous 
arrivons, de notre côté, en étudiant le livre de 


de Fer faire l’expédition de la Méditerranée de 859 à 862, ni à 
faire mourir Bjœrn Côte de Fer en Frise vers cette date, comme 
le fait Vogel, op. cil., p. 410. Notons que ce n’est pas Guillaume 
de Jumièges, comme le dit ici M. VoGEU qui fait mourir 
Bjœrn en Frise. Au retour de Luna, Bjœrn, selon Guillaume 
de Jumièges, serait allé en Angleterre : - Naufragium passas, 
vix apud Anglos portum obtinuit ». (Ed. Marx, p. 17). C’est 
Robert de Torigny, qui, dans une interpolation (Ibid., 
p. 202), a dit que « Bier volons redire Danemarcham apud 
Frisiam obiit ». 

(1) Kritiske Bidrag, p. 129. 


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lOi 


ETUDE CRITIQUE 


Dudon, où Hasting apparaît, comme le disait très 
bien Worsaae (1), comme un type, « le type de la 
bravoure intrépide, mais aussi de la méchanceté, le 
type de la vaillance qui triomphe du péril par les 
armes, mais aussi de l’intelligence qui en triomphe 
par la ruse ». Avant d'avoir lu ces lignes de G. Storm 
et de Worsaae, nous étions frappés de ce caractère 
de héros légendaire, symbolisant toute la puissance 
du mal, tous les maux que les vikings ont déversés 
sur la France, nous croyions à une chanson de geste 
relative à Hasting. Nous ajouterons aujourd’hui que 
cette chanson a dû emprunter à la Saga certains 
traits, c’est ainsi qu’elle lui doit la connaissance du 
lien qui unit Bjœrn à Hallstein, et c’est là que 
Guillaume de Juinièges l’aura prise ; peut-être aussi 
Dudon et Guillaume lui ont-ils emprunté ce trait 
particulier du caractère d'Hasting, son inimitié 
pour le clergé. 

En résumé, nous pouvons aujourd’hui, dans la 
biographie d’Hasting, distinguer ce qui est certain et 
ce qui est plus ou moins vraisemblable : 

1° Je crois qu’il faut écarter résolument tout ce 
qui est antérieur à l’année 850; il n’y a pour tous 
les faits antérieurs à cette année aucune source 
certaine et si on se rend fort bien compte comment 
des compilateurs sans critique ont introduit tar¬ 
divement Hasting dans des événements où il 
n’avait eu aucune part ; il est regrettable qu’ils 
aient été suivis par quelques historiens ; les 

(1) Den Danske Erobring , p. 57. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


105 


plus récents auraient pu être plus catégoriques à 
cet égard ; 

2° La participation d’Hasting à l’expédition de la 
Méditerranée est possible , si on admet qu’il s’agit 
d’Hasting, fils de Thor-Wolf, mais à condition de 
faire l’hypothèse qu’au moment du départ de Bjœrn, 
fils de Ketil, Thor-Wolf lui donne Hasting pour 
guide, précisément parce que celui-ci est déjà allé 
vers l’ouest ; 

3° Bien plus vraisemblable est la participation 
d’Hasting à la bataille de Brissarthe, en 866, puis¬ 
qu’elle se présente à la date où Hasting, fils de 
Thor-Wolf, a quitté les pays Scandinaves avec Bjœrn ; 
elle n’est pas absolument certaine cependant, parce 
qu’elle ne repose que sur l’autorité peu sûre du 
continuateur de la chronique de Régiuon et des 
Annales de Metz (1). 


(1) Munch, Del norske folks Historié, t. I, p. 524, admet 
que le départ de Bjœrn Ketilson est contemporain de la 
mort de Thorwolf ; il place ces événements en 877, date 
où Harald vint de Viken à Trondhjem, et il admet que Bjœrn 
arriva en Islande en 880. Mais on ne voit pas sur quoi reposent 
ces dates. MM. Vigfusson et PowELL, les derniers éditeurs 
des Origines Islandicæ et de Y Eyrbyggia Saga admettent au 
contraire, nous l’avons vu, que la date de l'arrivée de Bjœrn 
et d'Hallstein en Islande se place aux environs de 900. Us ne 
donnent point la date du départ de Bjœrn et d’Hasting, mais 
elle est indiquée par YEyrbyggia Saga elle-même, qui dit 
que ces événements se produisirent au début du règne de 
Harald Harfagr' : donc vers 863. Si on admet cette donnée qui 
est historique, puisque la Saga aux yeux de ses éditeurs a la 
plus haute valeur, il se peut fort bien qu’IIallstein et Bjœrn 
soient venus sur le continent en 866. Munch d'ailleurs n’a pas 
relevé le rapprochement possible entre Hallstein et Hasting 


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106 


ÉTUDE CRITIQUE 


4° Vraisemblable encore est la participation 
d’Hasting aux expéditions qui ont suivi en Bretagne 
et dans la vallée de la Loire, siège d'Angers de 873 
et expéditions sur la côte, mais non certaine, puis- 
qu’aucune des sources sur lesquelles s’appuient ces 
faits n'est absolument sûre ; 

3° Il est de même possible qu’llasling, quelques 
aunées après la mort de Charles le Chauve, se soit 
emparé d’Amboise, comme le disait une chronique 
locale ; 

6° Purement légendaires, au contraire, sont les 
exploits d’Hasting Elhelxvulf, contre Geolïroi Grise- 
gonelle ; 

7° Légendaire encore, le titre de comte de 
Chartres donné à Hasting; possible néanmoins la 
participation d'Hasting à une bataille de Dive, dont 
la date nous reste absolument inconnue et qui, en 
tout cas, ne saurait être placée en 858, comme le 
proposait Rioultde Neuville; 

8° Douteuse, la présence d’Hasting en Bourgogne ; 

9° Certain, par contre, le traité de Louis III avec 
Hasting; 

10° Par cela même, il est très vraisemblable 
qu'Hasting a été l’un des chefs des Normands de la 
Loire ; 

II» Certaine enfin, la présence d’Hasting en 890 
auprès de Noyon et sa campagne en 891 et 892 dans 
le Nord ; 

et n’a pas songé par conséquent à la possibilité d’expéditions 
d'Hallstein et de Bjœrn sur le continent. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


107 


12° Certaine aussi sa présence en Angleterre, de 
892 à 895 ; 

Il disparait à cette date, ce qui ne nous surprend 
nullement. M. Vigfusson admet que c’est vers 900 
que Bjœrn, fils de Ketil et Hasting sont allés s’éta¬ 
blir en Islande, et ceci explique suffisamment que 
toutes les sources franques et normandes n’aient 
plus jamais entendu parler de ce chef fameux et 
aient ignoré sa mort. 

Mais tous ces renseignements établis avec leurs 
degrés de crédibilité, il reste qu’il y a dans la vie 
de tout chef viking une grande part d’inconnu pour 
des raisons faciles à expliquer : les sources franques, 
bretonnes, normandes ne se soucient guère de 
donner le nom des chefs. En Normandie, nous 
sommes encore moins renseignés qu’ailleurs, car il 
n’y a pas d’annales pendant la période même des 
invasions ; seuls nous sont parvenus quelques récits 
de translations de reliques. Il se peut donc fort 
bien qu’Hasting soit venu en Normandie (1). On le 
trouve sur la Loire, on le trouve sur la Somme et 
l'Oise, pourquoi ne serait il pas venu sur la Seine 
qui était le chemin entre la Loire, l’Océan, la 
Manche et l’Oise? S’il est venu en Normandie, il 


(1) Je ne peux partager le scepticisme radical d’Auguste 
Le Prévost quand il dit dans une note de l’édition d’ORDEmc 
Vital, Hisloriæ ecclesiastica; libri tredecim (S. H. F.), t. III, 
p. 106, n. 2. « Notre auteur a le tort, commun à tous les 
historiens de la Normandie, de faire sans cesse intervenir le 
nom d’Hasting dans une province où il n’a jamais mis le 
pied ». 


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108 


ETUDE CRITIQUE 


s’explique fort bien qu’une source normande ait 
conservé la tradition Scandinave qui faisait de ce 
chef le guide d’un Bjoern qu’on a pris à tort pour 
Bjœrn lœrnside, fils de Hagnar Lodbrok. 

Hasting serait donc norvégien. Par des voies 
différentes de celles qu’ont suivies M. W. Abbott et 
M. Al. Bugge, je suis arrivé à la même conclusion 
qu'eux. Mais alors que pour ces savants Hasting est 
le fils d’Alle, je croirais plutôt qu’Ifallstein, fils d’un 
prêtre du dieu Thor, est le prototype du viking, 
persécuteur des prêtres et terreur des sanctuaires 
que nous a représenté Dudon. 

Sans doute la source Scandinave ignore tout de 
l’Hasting du continent, comme Dudon ignore tout 
du passé norvégien d’Hasling. Il est tout naturel 
que les Sagas rédigées en Islande ne se soient pas 
souciées des aventures continentales de leur héros, 
tout naturel aussi que les auteurs francs n'aient 
rien su des origines des chefs vikings ; il est vrai¬ 
semblable aussi qu’un auteur normand, Dudon, ait 
arrangé ce qu’il en pouvait savoir de la façon qui 
convenait le mieux à ses desseins littéraires et poli¬ 
tiques. 

Steenstrup a dit, dans une formule saisissante, 
qu’il y avait entre le Ganger Rolf de la Saga et le 
Rollon de Dudon un alibi double et réciproque. 
Déjà nous avons essayé et nous essaierons encore 
d’établir le contraire et de montrer l’identité de 
Ganger Rolf et de Rollon et nous croyons de même 
qu'on peut soutenir, avec un moindre degré de 
certitude, qu’il y a des chances pour que le Hallstein 


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SUR DtlDON DE SAINT-QUENTIN 


10!l 


de l'Eyrbyggia Saga et le Hasting des sources 
franques soient identiques (i). L’Eyrbyggia Saga 
nous donnerait les deux extrémités de la chaîne, 
les origines d'Hasting et sa mort en Islande, et les 
Annales franques et anglo saxonnes nous fourni¬ 
raient les mailles intermédiaires et rempliraient les 
lacunes de l’Eyrbyggia. Les deux sortes de sources, 
complètement indépendantes les unes des autres, 
nous donnent peut être la vérité totale. 

Je ne me flatte pas de voir ce rapprochement 
s’imposer à toute la critique. Il sera repoussé par 
ceux qui contestent la part très réelle que les Norvé¬ 
giens ont prise aux expéditions dans le Valland, 
dans l’empire franc; elle le sera aussi par tous ceux 
qui n'admettent comme vrai que ce qu’ils ont trouvé 
eux mêmes, par tous ceux enfin qui n'admettent 
que ce qui est évident. (Ceux-là seront sages s’ils 
s’abstiennent de faire l’histoire de la Normandie 
avant le XI” siècle). D'autres trouveront que mes 
raisons sont spécieuses. Je crois qu’elles intéresse- 


(1} La forme Alstignus, qui se trouve dans trois des manus- 
crits de Dudon, est la meilleure traduction latine de Hallstein, 
Palgrave, The history of Normandy and of England, t. I, 
p. 489, suppose qu’il y a eu parmi les chefs qui envahirent 
l’empire franc trois personnages du nom d'Hasting. Mais il 
n’apporte pas la moindre preuve à l'appui de son hypothèse. 

Pour mémoire, nous indiquerons une curieuse et amusante 
hypothèse de Paillard de Saint-Aiglan, Fragments d’un 
Mémoire sur les Invasions des Normands sur les bords et au 
midi de la Loire, dans la II. Ec. Ch., t. I, p. 34-1, qui se 
demande s’il ne faut pas voir dans Hasting « non un individu, 
mais un titre de dignité » ! 


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no 


ETUDE CRITIQUE 


ront tous ceux qui n’apportent ici, comme moi- 
même, aucun parti pris, et qui cherchent. 

On dira que j’abuse des hypothèses ; je répondrai 
que l’historien ne doit pas se les interdire ; « l’his¬ 
toire, suivant le mot de Renan, est une pauvre 
petite science conjecturale », donc, elle vit de 
conjectures, d’hypothèses. Il n’y a d’inconvénient 
à user des hypothèses que si on les prend pour des 
certitudes. Dès qu’on a soin de faire la part de la 
certitude et du doute, l’hypothèse reste permise ; 
j’ajoute qu’en histoire, comme dans toutes les autres 
sciences, elle est féconde. 


*•< 


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Sim DUDON DE SAINT-QUENTIN 


111 


LE DEUXIÈME LIVRE 


L'ORIGINE DE ROLLON 


Au second livre, après une pièce de vers imitée 
de Virgile et un développement où il expose de 
nouveau les causes des invasions, Dudon aborde 
l'bistoire de Rollon. 

Si le second livre du De Moribus est le plus 
important de l’œuvre de Dudon, puisque, sous le 
nom de Rollon, il retrace l'établissement des 
Normands, s’il est celui qui pose le plus de 
questions, provoque le plus de débats, certes le 
paragraphe relatif aux origines du fondateur de la 
Normandie a donné lieu aux discussions les plus 
vives, surtout quand le problème était traité par 
les historiens Scandinaves. 

Sans attacher la même importance que les Danois 
et les Norvégiens à cette question de l’origine de 
Rollon, parce que, nous l’avons dit ailleurs, la 
solution de cette question ne saurait donner celle 
du problème de la nationalité des colons de la 
Normandie, nous croyons devoir encore une fois 


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112 


ÉTUDE CRITIQUE 


reprendre le problème (1), nous l’étudierons en 
essayant de le pousser à fond, et, est-il besoin de 
le dire? avec la plus grande impartialité ; car, que 
nous importe à nous, Normands, d'être Danois, Nor¬ 
végiens ou Suédois? Nous ferons l’historique des 
débats auxquels cette question a donné lieu et nous 
essaierons de la résoudre par une étude minutieuse 
des sources, de toutes les sources. 

Résumons aussi rapidement que possible le 
second livre du De Moribus , en ne conservaut que 
l’essentiel ; car ce récit aux allures épiques et 
légendaires, encombré de rhétorique et d’effets 
littéraires, est extrêmement long. 

Il y a en ces temps, dans le pays de Dacie, un 
homme extrêmement riche, ayant beaucoup de 
terres, et qui n’a jamais prêté hommage à personne ; 
il possède presque toute la contrée ; il a conquis les 
pays voisins de la Dacie et de la terre des Alains. 
C'est le plus puissant des princes de l'Orient. II 
laisse en mourant deux fils, forts, beaux, robustes, 
exercés aux armes. Ils s’appellent : l’ainé, Rollon ; 
l’autre, Gurim (2). Beaucoup de jeunes gens chassés 


(1) Nous l’avons déjà traité dans notre Essai sur les Origines 
et la Fondation du duché de Normandie , pp. 153-179, et dans 
une conférence faite au Congrès du Millénaire, qui a paru 
dans le tome II des Comptes rendus , pp. 626-638. 

(2) On ne s’est jamais demandé où Dudon avait pris le 
personnage de Gurim ; serait-ce une réminiscence de la Saga 
d’Harald Harfagr’ qui nous raconte précisément (c. 2) les 
luttes du roi Harald et du duc Gutorm contre le roi Gandalfr? 
( Heimskringla, I, p. 77). L’hypothèse est plausible si l'on 
admet avec M. Lair (Ed. Dudon, p. 141, n. a) qu’ « il est 


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Sun DUDON DE SAINT-QUENTIN 


113 


du pays par un ordre royal vont les trouver et leur 
demandent humblement de les prendre sous leur 
protection. Les deux frères s’y engagent et ils consti¬ 
tuent ainsi une troupe nombreuse. Le roi déclare la 
guerre à Rollon et à Guriin. Au cours de cet'e guerre, 
Gurim est tué. Rollon ne veut pas rester en Dacie, 
il part pour l’ile Scanza et il est regretté par tous. 
Pendant son séjour à Plie de Scanza, il a un songe 
(nous sommes en pleine épopée): un chrétien lui 
apparait, lui prédit qu'il sera baptisé un jour et 
l’engage à aller en Angleterre. Rollon met immédia¬ 
tement à la voile, aborde en ce pays où il soutient de 
nombreux combats; il se demande s’il ne va pas 
partir pour la France; il a encore un songe qui lui 
annonce son baptême et sa grandeur future. Il entre 
également en rapport avec le roi très chrétien 
Alstemus, qui lui donne des navires pour de nou¬ 
velles expéditions où nous le suivrons plus tard. 

Quelle a été l'attitude de l’histoire devant ce récit ? 
Elle ne pouvait lui accorder une confiance absolue, 
car il est en contradiction avec les Sagas et notam¬ 
ment avec la Saga de Harald Harfagr’, qui s’exprime 
ainsi : 

« Il y avait un Jarl de Moêre nommé Ragnvald ; 

facile de reconnaître dans ce nom une des formes du nom 
de Gurm, Gurmond, Vurmond qui a été porté par plusieurs 
Scandinaves de cette époque, bien que Wace, Roman de 
Rou, I, 39, et Benoit, Ch. des ducs de Normandie, I, 90, le 
traduisent par Garin et Guirins ». 11 y a lieu de remarquer 
que le nom de Grim se rencontre aussi dans la Saga, et bien 
plus fréquemment que celui de Guthorm. Voir les tables des 
Origines Islandicæ, par exemple. 

B 


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tu 


ETUDE CRITIQUE 


c’était un ami très cher du roi Harald qui l’avait en 
iiaute estime. Sa femme s'appelait Hilda, fille de 
Hrolf au long nez, a Hrolfi dicti Nafja ». Ils avaient 
deux fils légitimes, Hrolf et Thor. Hrolf était uu 
pirate célèbre, d’une haute stature ; il était si grand 
qu’aucun cheval ne pouvait le porter et qu'il était 
forcé d’aller à pied : ou l’appelait Rolf Marche à 
Pied, Ganger Rolf. Il se livra souvent à la piraterie 
dans la mer Baltique. Certain été, il revint à Viken 
eu expédition de pillage et il enleva des troupeaux 
pour nourrir ses hommes. Le roi Harald se trouvait 
alors à Viken ; il entra dans une grande colère 
parce qu'il avait défendu de se livrer à la piraterie 
sur les côtes du pays; et ayant réuni l’assemblée 
(le thing), il ordonna que Rolf fût banni de toute 
la Norvège. Sa mère essaya en vain d'intervenir en 
sa faveur, Rolf s’en alla vers l’Occident ; il se rendit 
aux Hébrides, et de là en Valland (la Gaule), puis, 
s'étant emparé de l’autorité de Jarl sur le sol 
normand, il reçut toute la contrée qui s’est, depuis, 
appelée Normandie ». La Saga donue ensuite la 
liste de ses descendants et successeurs, Guillaume, 
Richard I er , Richard II, Robert, qu'elle appelle 
Longue-Epée (1). 

Des deux récits, lequel croire ? 

Historique de la question. — Dès le XVI" siècle, 
comme le montre M. Storm, la question fut débat- 


(1) Haralds Saga em Uarfagva dans VHeimskringla t. I, 

p. 100. 


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SUR DUD0.N DE SAINT-QUENTIN 115 

tue dans les pays Scandinaves. Comme en d'autres 
contrées, la Renaissance y provoqua un réveil des 
études historiques : « les premiers historiens 
norvégiens, Absalon Pederscen et Peder Clausson 
trouvèrent dans les Sagas royales l’histoire de 
Ganger Rolf et y virent comment les Norvégiens 
avaient conquis la Normandie. Mais les Danois 
trouvèrent aussi dans des chroniques que Rollon 
venait de la Dacia. Venusinus, Pontanus et Lys- 
chander avaient le plus grand mépris pour les 
vieilles Sagas norraines et ils se prononçaient pour 
l’origine danoise. Ce mépris des Sagas ne leur 
survécut pas. Torfæus plaça en bonne lumière les 
traditions islandaises. Et il fut alors admis que la 
Normandie était une colonie norvégienne (1) ». 

Cette vérité s’imposa aux Danois eux-mêmes. 
Sulim reconnaissait l'origine norvégienne de Rollon 
et, dans un tableau généalogique, le rattachait aux 
rois de Norvège d’abord, puis, par eux, au roi de 
Danemark, Sigurd (2). Schceaing, historien de la 
Norvège, qui donne aussi une généalogie du père 
de Rollon, rejette les trois premières générations 
de la table généalogique de Suhm et supprime ainsi 
la lointaine origine danoise (3). 

(1) Storm, Kriiiske Bidrag, p. 130. En Allemagne, Krantz, 
rerum gemnanicarum historicus clarissimus, dans ses Hegno- 
rum Aquilonarium Daniæ, Suæiœ , Norvegiœ chronica , Franc¬ 
fort i ad Mœnum, 1583, in-i°, place dans l'histoire de Norvège, 
celle de Rollon ; il semble donc admettre l’origine norvé¬ 
gienne, mais il utilise aussi le récit de Dudon. 

(2) Histoire critique du Danemark, t. III, p. 732. 

(3) Histoire de Norvège , t. III. 


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116 ÉTUDE CRITIQUE 

Au XIX e siècle, lors de la renaissance des études 
historiques en France et en Normandie, la tradition 
norvégienne et les Sagas triomphent avec Depping, 
qui, à vrai dire, ne discute pas scientifiquement la 
question, mais, sur la foi des historiens norvégiens 
et danois, accepte la vériLé des Sagas, dont il fait 
un très large emploi (emploi qui n’est pas toujours 
malheureux, d’ailleurs), il accepte, comme établie, 
l’origine norvégienne de Rollon. « On sait positive¬ 
ment, dit il, qu'il était fils d’un des plus puissants 
seigneurs de Norvège », et il remarque, avec une 
certaine sagacité « qu’on est fondé à soupçonner 
qu’il avait laissé lui-même, à dessein, son origine 
dans l'obscurité, de peur que les Francs 11 e vinssent 
à découvrir la cause peu honorable de sou exil (1) ». 

Licquet, qui doit beaucoup à l’ouvrage de Depping, 
déclare que les assertions de Dudon de Saint-Quentin 
et autres auteurs normands « ne peuvent balancer 
l’autorité des Sagas (2) ». 

Sans que la question eût fait l’objet de discussions 
profondes, l’origine norvégienne l’emportait encore 
eu Allemagne ; on peut même dire qu’elle n'y était 
guère contestée. Lappenberg, dans son histoire 
d’Augleterre, l’admet d’abord (3), paraît ensuite 

(1) Histoire des Expéditions maritimes des Normands et de 
Unir établissement en France au X e siècle , t. II, p. 67. Il a 
maintenu cette opinion dans sa seconde édition, p. 262 et 
app. VIII. 

(2) Histoire de Normandie , I, p. 46. Licquet n'a pas 
remarqué que Guillaume de Jumièges s’écarte sur ce point de 
Dudon, comme nous le montrerons plus loin. 

(3) Geschiclile von England, t. 1, p. 326. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 117 

hésiter entre les deux sources (1), mais son Iraduc- 
teur anglais, Thorpe, rappelle en note la Saga (2). 
De même, Zeuss tient le récit de Snorre Sturleson 
pour le plus sûr (3) et encore Büdinger, qui ne 
discute même pas la question. Pour lui, Kollou est 
un norvégien (4), ainsi que pour Konrad Maurer. 
Celui-ci croit que la légende populaire normande a 
déformé l’histoire de Kollou, que Dudon a, en outre, 
défiguré cette tradition par son propre savoir 
livresque ; pourquoi, en ce qui concerne les 
origines de Rollon, il faut retourner uniquement 
aux sources du nord (5). Waitz refuse toute con¬ 
fiance à Dudon, dans les lignes principales, comme 
dans le détail. Dümmler, qui est en général très 
défiant à l’égard du roman épique de Dudon, 
n'insiste pas sur la question de l'origine de Rollon ; 
il remarque qu’il semble y avoir, dans le récit de 
Dudon quelques réminiscences de la Saga, mais 
que Dudon ne nomme pas le père de Rollon (6). 
Au reste, il n'insiste pas sur ce point. 

Le problème ne présente pas, en eflet, la même 
importance pour les savants allemands que pour les 
Scandinaves. Il n’offre qu’un trop grand intérêt aux 

(1) T. II, p. 7. 

(2) Trad. Thorpe, p. 7, n. 7. 

(3) Die Deutschen, p. 538. 

(4) Ucber die Normannen und ihre Staatengründungen . 
dans Hist. Zeitschrift , IV, p. 357. 

(5) Die Bekehrung des Norwegiscltcn Stammes , München, 
1855, 2 vol. in-8°, t. I, p. 57-60. 

(6) Zur Kritili Dudos von Saint-Quentin , p. 368, n. 1. 


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118 


ETUDE CRITIQUE 


yeux de ceux-ci, car l'importance qu’ils attachent à 
la solution du problème les empêche de l'examiner 
en toute impartialité et avec tout le sang-froid 
nécessaire. Le sentiment national, qui s'était mani¬ 
festé, au XVI e siècle, dans l'examen de ce problème, 
reparut en Scandinavie avec le XIX e . Alors qu’au 
XVIII e siècle, savants danois et norvégiens avaient 
été d’accord pour admettre la vérité du récit des 
Sagas et l’origine norvégienne de Rollon, il n’en fut 
plus de même après 1814. Il est permis de se de 
mander si la séparation de la Norvège et du Dane¬ 
mark, la réunion de la Norvège à la Suède n'ont 
pas ravivé l'antagonisme des deux nationalités 
danoise et norvégienne. En tout cas, â partir de 
ce moment, l'union qui s'était faite sur la question 
Rollon se rompt, si on peut dire, progressivement 
Les Norvégiens restent fidèles aux Sagas, avec 
Petersen. En 1852, parait le premier volume de la 
grande histoire du peuple norvégien de Munch, 
monument d’érudition des plus remarquables, trop 
peu connu en France. Munch a étudié à peu près 
toutes les sources ; il s’appuie donc sur les Sagas 
pour faire honneur à Rollon de la conquête de la 
Normandie. Il essaie même de tracer une vie de 
Rollon, en utilisant ces sources, il note, avec beau¬ 
coup de raison, son passage en Ecosse. Malheureu¬ 
sement, par un procédé trop souvent employé de son 
temps, il essaie de combiner toutes tes données : 
celles de Dudon, dont il a fait une juste critique, avec 
celles des Sagas, afin de donner ainsi une biographie 
plus complète. Il termine par des remarques desti- 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


119 


nées à montrer que la Normandie est une colonie 
norvégienne (t). 

Mais le Danemark se détournait de la thèse norvé¬ 
gienne. Ce fut d'abord et timidement Estrup, puis 
Worsaae qui n'osait se prononcer (2). (( Worsaae, 
dira plus tard Steenstrup, a décidément plus de foi 
dans le récit de Dudon, mais il pense que l’origine 
de Rollon sera toujours un problème ditlicile à 
résoudre ». Or, Worsaae est l’auteur de la thèse 
danoise de la répartition géographique des envahis¬ 
seurs normands : à l’est, les Suédois, sur les côtes 
de la Baltique et en Russie; en Angleterre et dans 
l'empire Franc, les Danois; à l’ouest, aux Orcades, 
aux Hébrides, en Islande, les Norvégiens : thèse qui 
fait la part belle aux Danois. Worsaae va-t-il se pro¬ 
noncer catégoriquement pour l’origine danoise de 
Rollon? Non, le sens critique l’emporte ici sur 
l'amour-propre national et l’amour-propre d'auteur. 

Il devait être réservé à M. J. Steenstrup de porter 
à son point de perfection la thèse danoise, de la 
soutenir avec beaucoup d’érudition et aussi avec un 
esprit de juriste rompu à toutes les discussions 
subtiles. Mais il importe de remarquer que la 
tentative hardie de l’illustre historien danois dans 
son Indledning eu faveur de l’origine danoise de 
Rollon a été grandement facilitée par la nouvelle 


(1) Munch, Del norske folks historié, t. I, pp. 653, 683 
(n. de la p. 682). L’ouvrage a été traduit en allemand, il a 
passé malheureusement inaperçu en France. 

(2) Op. cil., p. 141. 


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120 


ÉTUDE CRITIQUE 


édition de Dudon. Sans doute, M. Lair, sur la 
question de l’origine de Rollon ne se prononce pas. 
« Si les preuves manquent, dit-il, au récit de Dudon, 
elles ne sont pas beaucoup plus fortes en faveur de 
celui de Snorre. Aussi, nous abstiendrons-nous de 
choisir entre les deux, content d’avoir donné les 
raisons de douter (1). » Mais, si M. Lair s’abstenait 
sur ce point, la réhabilitation de Dudon, à laquelle 
sa longue introduction était consacrée, allait servir 
de base il la thèse de M. J. Steenstrup. Négligeant 
Dümmler et Waitz, M. Steenstrup fonde sur la 
réhabilitation de Dudon l’origine danoise de Rollon. 
En 1876, sous le titre d’introduction aux temps 
normands, Indledning i Normannertiden paraissait 
le premier volume de la grande histoire des Inva¬ 
sions normandes, de M. J. Steenstrup, les Norman- 
nerne. M. Steenstrup se prononçait catégoriquement 
pour l’origine danoise de Rollon, il y avait, à ses 
yeux, un alibi double et réciproque entre le Danois 
Rollun, le véritable fondateur de la Normandie, et 
le Ranger Rolf norvégien de la Saga. La thèse du 
professeur de Copenhague présentait d'autant plus 
d’intérêt que l’auteur en tirait parti pour faire, non 
moins décidément, de la Normandie une colonie 
danoise. Le chapitre : la Normandie comme colonie 
danoise, Normandiel soin dansk Koloniland faisait 
suite au chapitre : Rollon, le conquérant danois de 
la Normandie : Itollo den danske Erober af Norman¬ 
diel , Déjà des relations étroites existaient entre les 

(1) Ed. de Dudon, p. 51. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


121 


savants danois et la Société des Antiquaires de 
Normandie qui, depuis un demi-siècle, avait exercé 
un rôle de direction dans les études normandes. 
Fabricius était venu en notre pays, il y avait uoué 
des relations avec les Normands, il avait même 
publié dans les Mémoires de la célèbre Société des 
Recherches sur les traces tles hommes du Nord dans la 
Normandie (1). Inspiré par ces précédents M. Steens- 
trup publia, en 1880, dans le Rulletin de la même 
Société, non une traduction, mais une adaptation 
abrégée de son Indledning qui y reçut l’accueil 
auquel cette œuvre remarquable avait droit (2) ; 
elle eut, naturellement, sur la science française 
et sur les Normands, une très grande influence. 

En Allemagne, Karl von Amira, juriste renommé, 
qui a fait dans VHistoriclie Zeitschrift un compte 
rendu des plus intéressants de l 'Indledning, et qui 
a apporté plus d’une critique intéressante, sous¬ 
crivit sur la question Rollon qui, au reste, ne l’inté¬ 
ressait pas, aux conclusions de M. Steenstrup (3). 
Mais en France, M. - Beauvois se montra plus 
perspicace, tout en rendaut hommage dans la 
Reçue historique, à la science de J. Steenstrup, il fit de 
sa thèse sur l’origine danoise de Rollon une critique 


(1) Mémoires de la Société des Antiquaires, XXII, pp. 1-10. 

(2) Je ne sais pourquoi M. Favre (Eudes, comte de Paris et 
roi de France, Paris, 1893, in-8°), a fait honneur à M. C. de 
Beaurepaire de cette traduction dont M. Steenstrup est 
l’auteur. 

(3) Die Anfange des Normannischen Rechts ( Hisl . Zeilsch. 
(1878), 241-268). 


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ETUDE CRITIQUE 


12i 

aussi pénétrante que savante, en s’appuyant sur les 
Sagas (I). 

En Norvège, non plus, la thèse de M. Steenstrup 
ne tut pas acceptée, M Storm, professeur d’histoire 
de l’Université de Christiania entreprit de la réfuter 
et ce fui l’un des Essais du Kriliske liidrag (2). 

Une polémique s’engagea entre les historiens 
Scandinaves. Elle passa inaperçue en France et 
même eu Normandie où l’on vivait sur la foi de 
l’ouvrage de Steenstrup, et où d'ailleurs les études 
normandes sommeillaient. La même indifférence 
régnait en Angleterre. Freeman entre les Sagas et 
Dudon ne se prononce pas; il u’étudie pas cette 
question qui présentait pourtant quelque intérêt 
pour son sujet (3) Palgrave rejette les Sagas, admet 
toutefois que Rollon est le fils d’un iarl norvégien, 
mais suit le récit de Dudon et au reste ne discute 
pas la question (4). On sait à quel point son ouvrage 
manque de critique. Seul, sir Henry Howorth 
critique avec vigueur dans 1 ’Ârchœologia la vie 
de Rollon telle que Dudon l’a écrite ; mais son 
remarquable article passe inaperçu (3). Green, dans 

(1) Revue Historique, IV, 421-440. Kalckstkin, op. cil. 
p. 485, a été frappé de son argumentation et tient pour vraie 
l'origine norvégienne. 

(2) Kriliske Bidrag til Vikingetidens historié (I, Ragnar 
Lodbrok og Gange-Rolv). 

(3) The Nornian Conquest, t. I, p. 187. 

(4) The Hislorg of Normcindy and of England, l, 514-516. 

(5) Mémoire lu à la séance de la Société des Antiquaires de 
Londres de juin 1874, Archæologia, XLV, 1880, pp. 235-250. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


123 


The Conquest of England, admet que les récits qui 
(ont de Rollon un Norvégien sont probablement 
exacts (1). 

En France, les rédacteurs des Annales carolin¬ 
giennes portent à Dudon quelques coups assez 
sensibles; ils ménagent cependant encore le client 
de M. Lair et en tous cas ils n’abordent pas la 
question de l'origine de Rollon. M. Eckel, chargé 
du règne de Charles le Simple , et qui, à ce titre, 
eût dû plus particulièrement s'intéresser à cette 
question, se dérobe. Il oppose bien les Sagas 
à Dudon, mais c'est pour déclarer que comme 
« aucune de ces deux sources ne nous otïre de 
garanties assez sûres, les Sagas étant une œuvre 
d'un caractère essentiellement poétique et légen¬ 
daire et l’histoire de Dudon une composition à la 
fois romanesque et apologétique, on en est réduit 
à de simples conjectures sur les points les plus 
intéressants tels que l’origine de Rollon et de ses 
compagnons... « Il ajoute « que par suite de la 
grande quantité de travaux publiés sur tel ou tel 
point particulier, dont plusieurs obscurcissent les 
questions plus qu’ils ne les éclairent, on en est 
réduit à discuter souvent des opinions plutôt que 
des faits (2) ». Quelle que soit la vérité de cette 
assertion, elle ne dispensait peut-être pas l’auteur 
de chercher à faire la lumière. Mais elle montre 
bien quel était l’état d’esprit des historiens amenés 

(1) London, 1899, 2 vol. in-8°, I, p. 272, il. 2. 

(2) Op. cil., p. IX). 


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ETUDE CRITIQUE 


12i 

à aborder ce redoutable problème. Un récent histo¬ 
rien allemand, M. Vogel, ne raisonne guère autre¬ 
ment : il adopte la thèse de M. J. Steenstrup, parce 
que, dit-il, elle lui parait plus sûre ; au fond, il se 
borne à invoquer l’autorité de Dudon qui écrit 
d'après les renseignements de Raoul d’Ivry (1) ; 
il jure par M. Steenstrup dont la grande autorité 
l'influence vraisemblablement; attitude prudente, 
normande, qui au reste, fut d'abord la nôtre dans 
notre enseignement. 

Mais survint le Millénaire de la Normandie, tout 
ce qui intéressait l'événement de 911 allait être mis 
en question. La discussion commença dans les Etats 
Scandinaves bien avant même que les fêtes du Mil¬ 
lénaire ne se fussent ouvertes à Rouen. Les revues, 
les journaux même retentirent de ces polémi¬ 
ques. MM. Bugge et Nansen Gustafson reprenaient 
hautement la thèse norvégienne, mêlaient à d’excel¬ 
lentes raisons des arguments des plus contestables 
et prêtaient ainsi le flanc à la critique acérée de 
M. Steenstrup qui, dans des articles très clairs, 
maintenait catégoriquement la thèse soutenue par 
lui trente-cinq ans plus tôt dans ses Nnrmannerne (2). 

Le Congrès du Millénaire ne fit que jeter de l’huile 
sur le feu ; avec une bonhomie souriante, bien 
normande et aussi une ignorance du débat qui 


(t) Op. cil., p. 22-23. 

(2) RoLlo og erobringcn af Normandie!, dans Politikens 
Krontk , 28 mars 1911. Voir le Danemark , mars, avril, 
mai 1911. 


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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN 


125 


venait de s’ouvrir dans les pays Scandinaves et de 
son acuité (ignorance bien française de tout ce qui 
se passe au-delà de nos frontières), le Comité invi¬ 
tait les savants de tous les pays à venir discuter la 
question Rollon au Congrès de Rouen, \1. J. Steens- 
trup s’y refusa ; dans un esprit de concorde, le 
professeur de Copenhague désirait que les Scandi¬ 
naves n’allassent pas porter au dehors l’écho de leurs 
vives querelles. En Scandinavie, le débat avait été 
courtois dans la forme, singulièrement âpre dans le 
fond ; on s’y était jeté à la tête jusqu'à... des 
baleines. Au lendeinaiu de la séparation de la Nor¬ 
vège et de la Suède qui laissait au cœur des Suédois 
un ressentiment des plus vifs, les Suédois entraient 
avec ardeur dans la lice et venaient soutenir la 
thèse danoise ; on comprend donc la réserve de 
M. J. Steenstrup. 

C'est dans celte atmosphère de bataille que s’ou¬ 
vrit le congrès de Rouen. L’accueil cordial des 
Rouennais, l’éclat des fêtes du Millénaire apaisèrent 
la violence du conflit. Mais il fallut bien remplir 
le programme. Trois champions se présentèrent. 
M. Alexander Bugge, le savant professeur de l’Uni¬ 
versité de Christiania voulut bien venir résumer en 
français le remarquable travail qu’il avait publié 
dans la Itevue historique de son pays. M. Walberg. 
uu romaniste distingué, professeur à l’Université de 
Sund présenta la thèse danoise ; en l’absence voulue 
des Danois, il était en effet très désirable que cette 
thèse fût soutenue par un Suédois, pour que tous les 
arguments fussent entendus. L’auteur de ces lignes, 


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ISO 


ETUDE CRITIQUE 


présent au Congrès, ne crut pas devoir se dérober: 
n’avait il pas déjà pris position dans son cours 
public, dans son Essai sur les origines et la fondation 
du Duché qui venait de paraître à la veille du 
Congrès? Il aurait pu par déférence, s’abstenir en 
présence de l'illustre savant danois Johannes Steens- 
trup. Mais à l’égard de collègues plus jeunes que 
lui, tels que M. Alexander Bugge et M. Walberg, 
quelque sympathiques qu'ils lui fussent, et en 
raison même de celte sympathie, il lui parut qu’il 
ne devait pas se refuser à entrer en lice avec eux. 
Et puis, il lui semblait, que sans renvoyer les par¬ 
ties dos à dos, solution prudente sans doute et qui 
eût passé pour bien normande, mais qui ue pouvait 
lui convenir, puisqu'il avait déjà adopté eu toute 
sincérité la thèse norvégienne, il pouvait prendre 
une attitude d’apaisement en montrant qu’à son 
point de vue la question de la nationalité de Rollon 
n’avait point toute l’importance qu’on lui attribuait, 
car elle n’implique pas la nationalité de tous les 
Normands (1). 

L’illustre archéologue suédois Montélius, qui 
avait assisté au Congrès — il y avait fait une confé¬ 
rence sur la civilisation des vikings qui en fut la 

(1) Voir la conférence de M. Walberg et la mienne dans 
le Compte rendu du Congrès du Millénaire , Rouen, 1912, 2 vol., 
t. II, pp. 626-646. Celle de M. Bugge était la traduction d’un 
article intitulé Gange Rolv og erobringen av Normandie paru 
dans YHistorisk Tidsskrift, Christiania, p. 160-196. Un résumé 
intitulé Gange Rolv el la conquête de la Normandie a paru 
dans la Revue Scandinave, 1911, pp. 326-340. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


127 


grande attraction — termina spirituellement le 
débat en formant le vœu que le II» Congrès du 
Millénaire, en 2911, parvint à trancher la question 
de l'origine de Rollon. 

On comprendra qu’en dépit de la suggestion si 
normande du très savant historien, nous n’ayons 
pas cru devoir attendre jusque-li’i. Nous reprenons 
d'autant plus volontiers l’examen du problème que 
nous avons beaucoup ajouté à notre livre de 1911, 
encore que, sur le fond, notre opinion soit restée la 
même et se soit affermie. 

Discussion de l'argumentation de M. J. Steenstrup. 

— De ce long historique, il résulte que la thèse 
de la véracité de Dudon n’a jamais eu de tenant 
mieux informé que M. J. Steenstrup; tous les autres 
sont pour les Sagas, pour l'origine norvégienne, ou 
s'abstiennent et M. Vogel ne soutient la thèse 
danoise que par l’autorité de M. Steenstrup. 

Aussi devons-nous d’abord discuter l’argumenta¬ 
tion du savant professeur de Copenhague ; nous la 
reprendrons point par point, comme l’avait fait, 
avant nous, M. Beauvois dans la Retue Historique ; 
et nous pousserons plus loin la critique. 

I. M. Steenstrup commence par remarquer que 
la tradition norvégienne n’a été recueillie qu’au 
XII» siècle. « Que doit-on croire? dit-il ». La tradi¬ 
tion normande, ou les Sagas du Nord écrites deux 
cents ou trois cents ans après la conquête ? » Mais, 
répondons-nous, la date ne fait rien à l’affaire si 


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ETUDE CRITIQUE 


une tradition est vraisemblable et si l’autre ne l'est 
point, si une tradition peut être justifiée par des 
concordances et si l’autre ne s'appuie sur rien. 

II. M. Steenstrup invoque les études de M. Gud- 
brand Vigfusson, 1’ « Islandais si savant et si pers¬ 
picace », sur les dates des Sagas islandaises ; il 
remarque que, suivant ce savant, Rolf n’a pu 
être exilé, d'après la tradition norvégienne, avant 
l’année 900 ; il est allé de là en Ecosse, puis à 
Valland (France). M. Steenstrup eu conclut que 
Roll n'est pas notre Itollon qui est arrivé eu 
Normandie dès 876. Mais le récit de Dudon sur ce 
point n’est rien moins que douteux; on ne trouve 
aucune mention de Rollon dans les sources les 
plus sûres à cette date ; Rollon ne semble être 
arrivé en Normandie que peu de temps avant 
l’entrevue de Saint Clair sur Epie. Ainsi, c'est la 
tradition norvégienne qui cadre le mieux avec 
les dates des sources franques et l’argument de 
M. Steenstrup se retourne contre lui. 

III. La tradition norvégienne appelle Rolf, Gange- 
Rolv, Rolf le Marcheur. La tradition normande 
ignore ce nom. Cela prouve-t-il sa fausseté? Non, 
mais cela ne prouve aucunement sa véracité. Cela 
prouve que Dudon a ignoré ou voulu ignorer la 
tradition. 

IV. La Saga représente Rollon comme un bomme 
très grand. M. Steenstrup ajoute très gros, parce 
qu’il ne peut monter à cheval, mais les chevaux 
norvégiens étant trop petits, cela peut s’expliquer 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


1Î9 


autrement. Or, la tradition normande, dit M. Steen- 
strup, ignore ce détail. Mais Dudon l'appelle le 
plus bel homme du monde, corpore pulclierrimus 
et dit que dans sa vieillesse il ne pouvait monter à 
cheval, equitare non valais, et il me semble qu’il y 
a là comme un double souvenir de la tradition. 
M. Steenslrup invoque la statue de Rollon qui se 
trouve à Rouen et qui ne le représente pas comme 
un homme gros et grand (1). Mais quelle valeur a 
comme représentation de Rollon cette statue qui 
est du XIII* ou du XIV* siècle? 

V. La parenté de Rollon, dit encore M. Steenslrup, 
n'est pas la même dans les sources norvégiennes 
que dans les sources normande et franque. Le 
Landnama-boc dit qu’Helge, fils d’Ottar, en dévas¬ 
tant l’Ecosse entre 934 et 940, fit prisonnière 
Nidjborg, fille de la fille de Ranger Rolf, Kadlin, et 
du roi Biolan. M. Steenstrup suppose qu’il s’agit 
d'un Biolan de Limerick (Irlande). M. Slorm a 
montré que ce Biolan a dû être un de ces chefs 
nommés O’Biolan, desquels descendent, suivant la 
tradition écossaise, les comtes d’Applecross, partie 
du sud du comté de Ross. Or, dit M. Steenstrup, la 
tradition normande ne connaît pas d'enfant de 
Rollon né avant son arrivée en France, elle ignorait 
la parenté de Rollon avec les familles islandaises; 
toute la famille de Rollon, c'est pour Dudon, son 


(1) On a envoyé en 1911 la photographie de la statue aux 
musées de Copenhague et de Christiania ! 

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ETUDE CRITIQUE 


frère Gorm ; pour Orderic Vital, son oucle Mala- 
hulc (1). Mais qu’est-ce que cela prouve ? Dudon a 
voulu ignorer la tradition norvégienne, il donne 
pour femme à Rollon une fille du comte Bérenger, 
Poppa; il ne peut pas lui donner pour fille une 
princesse née en Écosse. Et ne peut-on pas faire 
remarquer à l'appui de la tradition norvégienne, ce 
que dit la Complainte delà mort de Guillaume Longue- 
lipée , fils de Rollon : que ce prince était né outre¬ 
mer, in orbe transmarino ? (2) 

VI. M. Steenstrup s’efforce encore d’expliquer 
comment est née la tradition norvégienne: « 11 y 
avait une Saga relative à un Ganger Rolf, qui était 
venu aux Orcades. Les populations franques appe¬ 
lant Normands tous les envahisseurs, alors que 
pour les Norvégiens ce nom les désigne eux-mêmes, 
les Norvégiens en ont conclu que c'était l’un d’eux 
qui avait conquis la Normandie, et ils ont choisi 
Ganger Rolf pour être ce héros >'. Cette hypothèse 
est très ingénieuse, mais rien ne prouve qu’elle 
soit fondée. 


(1) Guillaume de Jumièges. Ed. Marx, Interpolations 
d’Ordcrie Vital, p. 157. 

(2) Lai h, Etude sur la vie et la mort de Guillaume Longue- 
Epce , Paris, 1893, in-folio, p. 61. Mais M. Lair, op. cit ., p. 6, 
a proposé de corriger * Aie in orbe transmarino natus » en 
« bac in urbe, transmaritw nalus pâtre », ce qui fait dire à 
la complainte que Rollon était né à Rouen d'un père d’outre¬ 
mer. M. Storm a protesté avec raison contre ce procédé de 
correction des textes qui consiste à corriger un texte authen¬ 
tique pour le mettre d’accord avec le texte que l'on discute. 
Voir J. Lair, op. cit. p. 71-74. 


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SDK DUDON DE SAIXT-t)UENTlN 


131 


VII. M. Steenstrup, sur la loi de M. Lair, 
croit à la véracité de Dudon. Nous avous dit, 
dans le chapitre précédent, ce que nous en 
pensions. 

« A qui est dû, disais-je en 1911, le revirement 
qui s’est produit depuis trente ou quarante ans, eu 
laveur de la thèse danoise ? A M. J. Lair d’abord, à 
M. J. Steenstrup ensuite. Or, qu’on y prenne garde, 
toute la thèse de l'origine danoise de Kollon repose 
en somme sur le syllogisme suivant : « Üudou nous 
représente Rollon comme ayant une origine danoise; 
or, Dudon est un historien très bien informé et très 
consciencieux, donc Rollon était danois ». Eh bien ! 
n'est-il pas remarquable que, des deux savants qui 
ont soutenu la thèse de l’origine danoise de Rollon, 
l’un, le normand Jules Lair, u’allirme pas catégori¬ 
quement la conclusion du syllogisme ; u il incline 
en laveur de Dudon, mais ne veut pas se prononcer », 
dit justement M. Steenstrup ; que l’autre, le danois 
Steenstrup, ne veut pas prendre à sou compte la 
mineure, l’affirmation de la véracité générale de 
Dudon ; il s’en rapporte sur ce point à M. Jules 
Lair. Dudon, c'est le client de M. Lair ; M. Steens¬ 
trup ne se charge pas de le détendre, il n’a pas 
étudié son dossier, il a cru pouvoir se borner à 
accepter le plaidoyer de l’éditeur de Dudon, lui-même 
n’entre pas dans le débat. Il n’a pas fait une élude 
particulière et critique de Dudon. Et cela ne nous 
donne-t-il pas à penser que le syllogisme sur 
lequel repose pourtant toute la thèse danoise est 
difficile à prononcer, puisque les deux auteurs les 


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132 


ETUDE CRITIQUE 


plus intéressés à l'aflirmer hésitent ainsi à le 
prendre eu entier à leur charge (1) ? » 

Discussion des textes. — Maintenant que nous 
avons débarrassé le terrain de l'argumentation de 
M. J. SLeenstrup, abordons la discussion même des 
textes. Nous démontrerons successivement : 1° que 
le texte de Dudon n'a aucune vraisemblance, 
aucune autorité ; 2° que le récit de la Saga est, au 
contraire, très vraisemblable ; 3° que les sources de 
provenances diverses confirment la Saga d’Harald 
Harfngr’, et contredisent le récit de Dudon ; 4° que 
le silence de certaines sources condamne le récit de 
Dudon et le réduit à néant. 

Le grand argument des derniers tenants de 
l’autorité de Dudon, c’est que celui-ci a été ren¬ 
seigné par Raoul d'Ivry, oncle du duc Richard 
et descendant de Rollon. Voilà ce que répètent 
MM. Walberg et Jorel (2). Bornons-nous à cons 
later que Raoul d’Ivry a dû fort mal renseigner 
Dudon. En 1911, M. Walberg écrivait : « Que 
dira-t-on d'une hypothèse qui pourrait faire croire 
que feu le roi Oscar II de Suède n’aurait pas su 
dire si son grand-père, le maréchal Bernadotte, était 
originaire du Midi de la France ou de Suisse? » (3). 
Eli bien ! il faut croire que Raoul d’Ivry était singu- 


(1) Congrès du Millénaire de la Normandie, t. II, p. 629. 

(2) Joret, Les noms de lieu germaniques en Normandie, 
dans Congrès du Millénaire de la Normandie, t. II, pp. 97-160. 

(3) Op. cil., p. 642. 


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SUR Dl'DON DF. SAINT-QCENT1N 


133 


librement négligent, car il ne sait pas qui est son 
grand-père ou, du moins, il ne l’a pas dit à Dudon. 
Le père de Rollon et de Gorin est uu chef puis¬ 
sant qui possède une partie de la Dacie, on ne dit 
pas au juste ce qu’il est, quel est son titre. Est ce 
un roi? On ne le dit pas, on n’ose pas le dire; les 
rnis de Danemark étaient connus dans l'empire 
carolingien et Dudon ne risque pas une telle impos¬ 
ture. Est-ce un grand chef? Dudon n’emploie pas le 
terme de iarfque donne la Saga, ni son équivalent 
cornes. Où était la capitale de ses possessions? Où 
vivait-il ? Dudon est muet sur ces points. 

Chose remarquable, ce Dudon, que l’on prétend 
avoir été renseigné de première main sur l’origine 
des ducs par Raoul d’Ivry, oncle de l’un d’eux (1), 
ne sait même pas le nom du père de Rollon, ou du 
moins il ne le dit pas. On le chercherait en vain 
dans son œuvre; et alors, ne sommes nous pas 
autorisés à tenir ce raisonnement: ou il ne le sait 
pas et alors il est fort mal renseigné, et cela est bien 
extraordinaire pour un homme en rapport avec la 
famille ducale, et parmi ces peuples Scandinaves si 


(1) C’est le grand argument de tous ceux qui, depuis 
M. Jules Lair jusqu'à M. Joret, ont voulu admettre la 
véracité du récit de Dudon de Saint-Quentin relativement 
à Kollon. Il est tout de même piquant que personne en France 
n’ait jamais fait cette remarque que cet auteur si bien informé 
par Raoul d’Ivry, n'a pas appris de lui le nom du père de 
Rollon, tige de toute la famille ducale. M. Dummler, Zur 
Kriiik, avait déjà remarqué cette ignorance surprenante, 
p. 368, n. 1, de même M. Storm, Kritiske Bidrag, p. 157. 


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134 


ETUDE CRITIQUE 


attentifs à recueillir les généalogies (1) ou bien il le 
sait et il ne veut pas le dire? El alors quelle 
confiance pouvons-nous avoir en lui ? 

C’est qu’en réalité il se pourrait bien que Dudon 
l’ait su, ce nom, qu’il ait connu la véritable origine 
de Rollon, fils d’un banni, ce qui n’était pas 
llatteur et ne pouvait cadrer avec l’histoire inventée 
par lui. M. Steenstrup reconnaissait lui-même, il 
y a quarante ans, qu’on pourrait supposer que 
Dudon a inventé son histoire pour présenter les 
aïeux de Rollon sous le jour le plus brillant 
possible. 

En réalité, Dudon a vraisemblablement connu la 
tradition relative aux origines de Rollon, telle que 
la Saga nous l’a transmise. M. Steenstrup affirme 
que le Rollon de Dudon et le Ganger Rolf de la 
Saga sont deux personnages différents : il dit, dans 
une formule saisissante, une formule de juriste, 
qu’il y a entre les deux Rollon un alibi double et 
réciproque.. Le Ganger Rolf de la Saga est un chef 
norvégien qui est allé aux Feroë, et c’est par une 
confusion avec Rollon que les compilateurs islandais 
de la Saga l’ont amené en Normandie. Il n’y a, 
suivant lui, aucun point commun entre les deux 
héros ; hypothèse extrêmement ingénieuse, mais 
pure hypothèse, assertion qui ne repose sur aucun 
fait. 

Il me semble, au contraire, en y regardant de 
près, qu'il y a quantité de rapprochements à faire 

(i) Notons ta part considérable qu'elles ont dans les Sagas. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 135 

entre le Ganger Rolf de la Saga et le Rollon de 
Dudon. 

Rollon est, comme Ganger Rolf, fils d'un riche 
propriétaire, d'un homme puissant, dont Dudon ne 
donne pas le nom ; ce qui s’explique, puisqu'il va 
dénaturer la Saga. Rollon est parent du roi de 
Danemark ; Ganger Rolf était parent du roi de 
Norvège, ainsi que le montrent les Sagas. Rollon a 
un frère Gorm, ou Gurim, Ganger Rolf a un frère 
Thur ; Rollon est obligé de quitter la Dacie à la 
suite d’une guerre contre le roi dans laquelle il a 
entraîné une partie de la jeunesse de son pays, 
Ganger Rolf est chassé de son pays par un ordre 
royal. Ici il y a une légère différence : Rolf est un 
banni ; Dudon ne le dit point. 11 nous parle néan¬ 
moins de l’habitude des rois de Danemark d’envoyer 
au loin une partie de la jeunesse du pays. Rollon est 
le plus bel homme qu’on puisse voir, corpore 
pulcherrimus ; vieux, il ne peut monter à cheval, 
equitare non valens. Ganger Rolf est si grand et si 
gros qu’aucun cheval ne peut le porter. Qu’a fait 
Dudon ? Il a en somme travesti toutes les données 
de la Saga, comme il a travesti toutes celles des 
Annales. Pourquoi les a-t il travesties ? Pour ne 
pas donner un proscrit comme tige à la maison 
ducale de Normandie, parce que, dans la France de 
son temps, on connaît mieux le Danemark que la 
Norvège, qu’il est plus facile, grâce aux rapproche 
ments, Dani, Daci ; Dani, Axvioi, d’attribuer ainsi 
une antique et classique origine aux ducs, et c’est 
une chose dont ce lettré a le souci, enfin et surtout 


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ÉTUDE CRITIQUE 


piirce qu'il y a eu une alliance entre le Danemark 
et la Normandie, entre Richard II et Svend Tvæskeg, 
au temps même où écrivait Dudon, et qu'il faut 
donner des raisons profondes à cette alliance. La 
clef des énigmes de Dudon est toujours là ; pensons 
à la date à laquelle il a écrit son œuvre, aux 
circonstances et aux gens pour lesquels il l'a 
écrite. 

Et, en effet, l’œuvre de Dudon de Saint-Quentin 
est avant tout un écrit politique, rédigé à une 
certaine date, vers 1015, au temps de la puissance 
et de la grande ambition de Richard II, pour de 
certaines fins, pour légitimer l'ambition et le rôle 
de ce duc et voilà pourquoi Dudon exalte et imagine 
les origines danoises qui justifient l’alliance avec 
Svend, et déjà peut-être préparent et légitiment la 
conquête de l’Angleterre. C'est un chef-d’œuvre, 
non de narration historique, mais d'habile politique. 

Et voilà pourquoi cette œuvre de rhéteur adroit 
et subventionné, cette épopée plus ou moins factice, 
cette histoire officielle et tendancieuse ne mérite 
presqu’aucune créance, pas plus sur les origines de 
Rollon que sur tout autre point. Tout est travesti, 
arrangé dans l'œuvre du Doyen! Pourquoi le pas¬ 
sage relatif aux origines de Rollon serait-il exact? 

Examinons maintenant le récit de la Saga ; l'épi¬ 
sode relatif à Ganger Rolf est extrait de la Saga de 
Harald Harfagr' ; ce roi est un personnage histo¬ 
rique, il a régné sur la Norvège de 863 à 930, il a 
réuni toutes les petites principautés indépendantes 
qui se trouvaient sur les côtes de ce pays, depuis la 


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Sl'R DURON DE SAINT-OUENTIN 


137 


mer Blanche jusqu'au Skager Rack ; c’est lui qui a 
fondé le royaume de Norvège (1). En faisant cette 
unité, en défendant les pilleries sur la côte norvé¬ 
gienne, il a provoqué le départ de tous les petits 
princes qui ne voulaient pas reconnaître son autorité 
et aussi de tous ces chefs enclins à la piraterie qui 
ne trouvaient plus à exercer leur industrie dans leur 
pays. Donc, historiquement, le passage de la Saga 
est très vraisemblable, si on y ajoute surtout que 
les Hébrides, les Orcades reçurent des colonies 
norvégiennes et que même elles appartinrent à cette 
maison de Moère dont il est question dans la Saga : 
le père de Rolf, Ragnvald, comte de Moêre, régnait 
sur le pays près de Trondhiem. 

Ajoutons encore que ce pays de Viken, où Ganger 
Rolf aurait enlevé des bœufs, est bien connu. C'est 
la région qui se trouve aux approches du golfe de 
Christiania et tout spécialement la bande côtière au 
nord de la rivière de Gotha; c’était jadis le royaume 
de Raurike, c’est aujourd'hui le comté de Bohus en 
Suède. M. Roos conjecture, vu le grand nombre de 
pirates qui sont partis de ce pays, que Viken a donné 
son nom aux vikings, aux chefs des pirates ; il 
croit cette étymologie préférable à celle que l’on 
donne généralement de rois des anses (2). 

Ainsi, et on ne l’a point assez remarqué, toute la 


(1) Riant. Les Scandinaves en Terre-Sainte, Paris, 1885, 
in-8°, p. 23. 

(2) The Seedish part in lhe viking expéditions dans l 'Engl, 
hist. Revieu\ 1882, VU, 215. 


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138 


ETUDE CRITIQUE 


tradition norvégienne est parfaitement admissible. 
Nous n’aflirmons pas dès lors qu'elle soit vraie, 
mais elle est vraisemblable ; elle cadre fort bien en 
sa simplicité avec les données historiques. 

Comme le disait justement M. Bugge, elle se 
présente toute nue, sans ornements adventices, sans 
être chargée de légendes, d’épisodes épiques, de 
discours : c’est une raison de lui faire confiance. 

Les autres textes. — En dehors de Dudon et de 
la Saga d’Harald Harfagr’, y a t-il d’autres sources? 
Voyons d’abord les sources franques. Flodoard, 
l'annaliste précis de l’église de Reims, nomme 
Rollon pour la première fois en 925; il l’appelle 
princeps Nortlniannorum , mais ignore ses origines. 
Richer appelle Rollon fils de Ketil (t). Il y a eu 
aux Hébrides un chef de ce nom (2), mais les récits de 
Richer sont souvent légendaires. En tous cas, le 
renseignement de Richer, si on le prend au 
sérieux, nous ramène à une origine norvégienne, 
car les Orcades ont été colonisées par les Norvé¬ 
giens. Le mot Orcades même est un mot islan¬ 
dais, île des Phoques (3). Les Orcades étaient des 
stations d’où les vikings allaient ravager les côtes 
de l'Angleterre, de l’Ecosse, de l'Islande. L’église de 


(1) Catilli filins, éd. S. H. F. I, 6*. 

(2) Ketill Flatnefr dans le Landnama-boc (Origines Islan- 
dicæ , I, p. 24, sqq/. Egrbyggia Saga (Ibid., t. Il, p. 253). Voir 
aussi le livre 1 du présent ouvrage, p. 89. sqq. 

(3) Reclus, Nouvelle Géographie Universelle, t. V, 696. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


130 


Kirkwall, capitale des Orcades, ressemble à celle de 
Trondjhem en Norvège. On peut admettre que 
Richer a entendu parler de Bjœrn fils de Ketil 
Fiatnefr et l’a rapproché arbitrairement deRollon(t). 

Prenons les sources normandes: Guillaume de 
Jumièges a une très singulière attitude ; il résume 
le récit de Dudon, mais il en supprime tout ce qui a 
trait à l’origine de Rollon, il regarde tout cela 
comme flatteries « animadvertens ea penitus adula- 
toria (2). Rollon n’apparaît ensuite dans son ouvrage 
qu’au chapitre III du livre II. Il fait partie d’une 

(1) « Un traducteur (de Richer), dit M. Lauer, op. cit., 
p. 268, n. 1, a cru que Catillus était le même mot que le latin 
Catullus (ail. Hündchen, petit chien) et a émis l’opinion que 
Catillus était la traduction de Hunedeus, qui se trouve être le 
nom d'un chef normand mentionné par les Annales de Saint- 
Vaast en 896 et en 897 ; Waitz (Ed. de Richer, p. 5, n. 1) 
a d'autre part émis l’hypothèse que ce pourrait être la traduc¬ 
tion du nom allemand Hui/, Kalckstein hésite entre l’hypo¬ 
thèse de Poinsignon et une autre plus simple qu’il propose, 
selon laquelle il faudrait voir dans Catillus le nom normand 
« Ketil » latinisé .» 

M. Lauer, lui, rapproche Catillus de Hasting. « Il est, en 
effet, très possible que le nom de Catillus ne soit qu’une 
graphie un peu singulière du nom Scandinave Hasting. 
Phonétiquement, la transformation ne semble pas inadmis¬ 
sible, le c remplaçant une aspirée et II une mouillure. Catillus 
au reste, est un nom latin qu’on trouve dans Horace ! Odes , 
livre I* r , ode XVI) c’est celui du fondateur de Tibur. Il se peut 
que ce souvenir ait guidé Richer dans le choix de cette 
notation. » 

Laissant de côté toutes ces hypothèses, si ingénieuses et 
parfois un peu bizarres, n’est-il pas préférable de voir tout 
simplement dans Catillus la traduction de Ketil? Cette idée 
s’impose à ceux qui ont lu les Sagas trop négligées. 

(2) Ed. Marx, p. 2. 


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uo 


ETUDE CRITIQUE 


bande de vikings auxquels Guillaume de Jumièges 
attribue d'ailleurs les mêmes exploits que Dudon à 
Rollon : voyage à Scanza en Angleterre, avec le roi 
Athelstan, à Walcheren, en Hainaut, arrivée en 
Normandie en 876. En somme, la critique de Guil¬ 
laume de Jumièges s’est appliquée au récit de Dudon 
en ce qui concerne l’origine première de Rollon, 
mais à ses yeux il est danois et il est devenu le chef 
de la bande en 876: sorte eligentes quem sibi domimim 
militiœque suæ principem, pacla ei fidelitate, prefi- 
ciunt (1 ). Seuls, Wace, dans le Roman de Rou (2), 
et Benoit, dans la Chronique des Dues de Normandie (3), 
suivent Dudon, mais on sait qu’ils l'ont délayé sans 
critique. La Chronique du XII* siècle donne une 
confirmation indirecte à la Saga. lYorthmanniam eo 
quod de Norlhwegia egressi sunt (4), de même une 
généalogie des ducs (5). 

Peut-on trouver ailleurs des renseignements ? 
Puisque Rollon est, aux yeux de Dudon, un Danois, 
il est tout naturel de demander à Saxo Gramma- 


(1) Ed. Marx, p. 21. 

(2) Ed. Andresen, t. I, p. 36. 

(3) Ed. H. Michel, t. I, pp. 87-105. Benoit ajoute un rensei¬ 
gnement curieux : Rou à Fasges ses genz emmeinc ; Steenr- 
trup, Indledning, p. 162, en a tiré parti pour justifier Dudon ; 
mais Benoit a sans doute ajouté ce renseignement de son 
crû, il connaissait Faxe, ville de Danemark (Ile Séeland), dont 
la géographie pouvait être mieux connue de son temps qu'au 
temps de Dudon. 

(4) M. G. SS., I, 538. 

(5) Duchesne, Historiæ Normannorum scriplores anligui , 
p. 213. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 141 

ticus, historien des Danois, ce qu'il sait de Rollon. 
Or, Saxo Grammaticus, qui connaît la Normandie et 
Rouen, et nomme le duc Richard, ignore Rollon. Il 
sait la conquête de l'Angleterre par les Normands (1) 
et il n'a pas un instant l'idée de revendiquer la 
Normandie comme colonie danoise, et pourtant il 
connaît l’œuvre de Dudon, mais il n’en parle que 
pour réfuter l’origine donnée par Dudon aux 
Danois. On peut négliger le témoignage de la Chro¬ 
nique d’Eric de Poméranie, qui fait de Rollon un 
duc danois ; cette chronique a été écrite par un 
moine de Ry, dans le bailliage d'Aarhus, au 
XIV* siècle; évidemment, l’auteur s’est inspiré de 
Dudon (2). 

Recherchons les sources islandaises. Le texte de 
la Saga d’Harald Iiarfagr’ n'est pas isolé, il est 
confirmé par le Landnama-boc rédigé par Ari, qui 
vécut entre 1067 et 1148. et dont l’ouvrage est le 
fondement de l’histoire islandaise (3). Le Landnama- 
boc confirme de tous points le récit de la Saga 
d’Harald Harfagr’ (4) ; il est confirmé aussi par la 
Saga d’OIaf le Saint qui, à propos de la venue de 

(1) Ed. Hôlder, Strasbourg, 1886, in-8", pp. 344, 316 et 359. 

(2) Chronicon Erici, c. 57 dans Langebeck, Scnptores remm 
danicanim, t. I. 

(3) Sur Ari et sur les recueils de Sagas, voir l’introduction 
de Vigfusson à la Slurlunga Saga , Orford, 1878, 2 vol. in*8". 
Démarquons qu’Ari est plus près des événements dont nous 
parlons que Snorre Sturfeson, et qu’il a recueilli, dit M. Vig¬ 
fusson, la tradition orale. 

(4) Landnama-boc , IV, 14, 1, dans Origines Jslandicæ, 1, 
187. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


142 

celui-ci en Normandie, donne une généalogie très 
exacte des ducs et la rattache à Gauger Roli, fils de 
Ragnvald, iarl de Moêre (1). 

L ’Historia Norvegiæ composée aux Orcades entre 
1180 et 1230, mentionne Rolf qu’elle appelle Rodul- 
fus, elle connaît son surnom de Ganger Rolf ; il ne 
pouvait aller à cheval à cause de l’énormité de sa 
taille. Elle le fait partir de la Norvège avec ses com¬ 
pagnons, au temps du roi Harald le chevelu ; elle 
sait qu’il est le fils de Ragnvald ; elle connaît les 
exploits de sa bande en Angleterre, en Ecosse, 
en Islande. Elle rapporte un récit intéressant sur un 
combat livré près de Rouen, Itodam ciritatem, mais 
elle fait épouser ù Rollon la veuve du comte de 
cette ville, union d’où serait né Guillaume Longue- 
Epée (2). 

Une source anglo-normande, Guillaume de Mal- 
mesbury, dit en parlant de Rollon, qu'il est 
«nobili... prosapia Noricorum ortus, regis prmcepto 
patria carens. » (3) C’est le résumé de la légende 
norvégienne. 

Examinons les sources italiennes. Aimé du Mont- 


(1) Heimskringla , t. II, pp. 18-19. Dans Torf Einar Mètre 
(Wicking Songs édités dans le Corpus poeticum boréale de 
Vigfusson et Powell, Oxford, 2 vol. in-8°, 1883, 1, 372), il y a 
un rappel de l'intervention dTiild, mère de Ganger Rolf, en 
faveur de son fils. 

(2) Monutnetila Historica Norvegiæ, Lalinske Tildenskrifler, 
éd. Storm, Kristiania, 1880, in-8°, pp. 90-91. 

(3) Gesta regurn Anglorum, lib. II, § 127, éd. Stubbs, 
London, 1887, 2 vol. in-8°, t. I, p. 138. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


143 


Cassin dit ea parlant des Normands : « Laque] gent 
premérement habitèrent en une ysulle qui se cla- 
moit Nora » (1). Nora, c’est la Norvège. 

En résumé, il est très remarquable que Dudon ne 
trouve aucune confirmation dans l’examen des 
sources : Wace et Benoit le délaient sans critique ; les 
Annales franques sont muettes ou donnent une autre 
version et une des sources normandes, source 
capitale, le contredit, puisque Guillaume de Jumièges 
considère le récit du chanoine comme ailulalorium. 
Les sources danoises elles-mêmes ne le confirment 
pas. Les sources islandaises, norvégiennes, anglo- 
normandes et normandes d’Italie confirment la 
Saga d'Harald Harfagr’jà tout le moins nous pouvons 
être certains que dans les trois siècles qui suivirent 
la fondation de la Normandie, l'origine norvégienne 
de son fondateur était acceptée par tous, sauf 
toutefois par les auteurs dérivés de Dudon 

Mais, surtout, on ne saurait trop insister sur cette 
remarque que les Sagas trouvent uue confirmation 
dans la source la plus proche des événements, 
c’est-à-dire la Complainte de la mort de Guillaume 
Longue-Epée. C’est le seul texte à peu près contem¬ 
porain (942), le seul qui puisse renfermer la tradition 
exacte, le seul aussi qui puisse être accepté en toute 
confiance, précisément parce qu’il est tout ce qu’il 
y a de plus indirect. Il ne se propose pas de donner 
un récit des origines de Rollon ou une généalogie ; 
il ignore tout ce que diront plus tard les Sagas et 

(1) Ed. Cuampollion-Figeac, Paris, 1835, in-S*’, p. 9. 


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iii ÉTUDE CRITIQUE 

Dudon. Or, la Complainte nous livre ces très pré¬ 
cieux renseignements en sa seconde strophe : 

Hic in orbe transmarino natus pâtre 
in errore paganorum permanente 
maire guoque comignata aima fi de 
sacra fuit lotus unda (1). 

Donc, Guillaume Longue-Epée est né outre mer, 
d’un père demeurant dans l'erreur des païens; mais 
par les soins d’une mère confirmée dans la foi 
chrétienne, il reçut l'onde du baptême : voilà trois 
renseignements formels, indubitables, donnés par 
un contemporain. Or, le Landnama-boc , cette œuvre 
si précise, relative aux fondateurs de la colonie 
islandaise, dit qu'Helge, fils d’Otlar, en dévastant 
l’Ecosse, entre 934 et 940, fit prisonnière Nidjborg, 
fille de la fille de Ganger Rolf, Kadlin et du roi 
Biolan (2). Or, Kadlin, comme M. Munch l'a fait 
justement remarquer (3) est un nom chrétien. C’est 
la forme écossaise du nom chrétien de Catharina ; 
donc Ganger Rolf a eu en Ecosse une fille chrétienne, 
Kadlin, dont on retrouve la descendance moins d’un 
demi-siècle plus tard. Ne sommes-nous pas fondés à 
penser que Kadlin est la sœur de Guillaume Longue 
Epée, née, elle aussi, outre-mer et baptisée par les 
soins de sa mère ? Rolf est donc bien le Ganger 


(1) Ed. Lauer, dans les pièces justificatives de Louis IV 
tVOutremer , pp. 319-323. 

(2) II. 9, 3, dans Origines Islandicæ t I, p. 66. 

(3) Op. cil., I, 653. 


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SCR DCDON DE SAINT-QUENTIN 


145 


Rolf qui alla aux Hébrides, de là, passa en Ecosse 
où il connut une femme chrétienne : et de même 
que nous retrouvions tout à l'heure dans le récit 
de Dudon une réminiscence de la Saga, de même 
le rêve fait par Rollon en Angleterre qui lui 
annonça sa conversion future ne rappelle t-il pas 
le souvenir de son séjour en Ecosse près d’une 
femme chrétienne? Dudon savait qu’avant son 
arrivée en Gaule, Rollon avait été touché une 
première fois par le christianisme (1). 

Ainsi, les données sûres, laconiques de la 
Complainte confirment absolument celles des Sagas. 
Or, il est évident qu’il y a indépendance complète 
entre les deux sources. Et le récit de Dudon au 
contraire, indirectement, est infirmé par le silence 
de Saxo Grammalicus, l’historien danois, qui ne 
sait rieu de l’origine danoise de ces ducs de Nor¬ 
mandie pourtant bien connus de lui ; il est infirmé 
plus nettement encore par la réfutation deGuillaume 
de Jumièges qui, d’habitude résumé fidèle du doyen, 
refuse ici de suivre ses contes trop flatteurs sur 
l’origine de Rollon. Avec plus de conviction encore 
qu’en 1911 nous concluons que Rollon était 
norvégien. 

(1} Sur l’importance des colonies Scandinaves aux Hébrides 
aux Orcades, en Ecosse, tout particulièrement sur les côtes 
nord et ouest, voir l’excellent petit livre de Colungwood, 
Scandinavian Britain que nous avons bien des fois cité, tout 
particulièrement la carte ; ces colonies des Hébrides et 
d’Ecosse sont norvégiennes. On sait assez d'autre part que le 
christianisme a pénétré dès le VI* siècle en Ecosse par les 
missionnaires venus d’Irlande et établis a Iona. 

dO 


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ETUDE CRITIQUE 


UC 

Toutefois nous devons discuter encore, pour 
épuiser le débat, d’autres arguments qui ont été 
employés pour ou contre la thèse danoise et aussi 
quelques questions dépendantes. 

Les autres sources islandaises. — On s’est 
quelquefois servi, pour appuyer les Sagas d’Harald 
lfarfagr' et le Landnama hoc qui donnent la thèse 
norvégienne, de deux autres sources islandaises, 
le Flateyjarboc et la Laxdœla Saga. 

Pour ce qui est du Flateyjarboc, MM. Storm et 
Steenstrup sont d’accord sur ce point que le 
Flateyjarboc a copié le Landnama-boc ; donc ce 
n’est pas une confirmation (1) 

Quant à la Laxilœla Saga, il y est bien question 
dans la généalogie d’Osvi, de Cathlin, fille de Ganger 
Rolf, mais ici s’arrête la ressemblance avec le 
Landnama-boc; cette généalogie fait en eflet de 
Ganger Rolf un fils d’Oxen Thor qui était un chef 
du Viken. File est donc en contradiction, comme le 
remarque justement M. Steenstrup, avec les autres 
données des Sagas qui font de Rollon un fils’ de 
Ragnvald, comte de Moëre. En réalité cette généa¬ 
logie est sans valeur: M. Vigfusson l'a montré; elle 
fait partie des généalogies qui ont été ajoutées aux 
Sagà'\au XIII» ou au XIV 0 siècle par leur éditeur, 
Snorro ^turleson. MM. Vigfusson et Powell ont 
détaché ceï^® généalogie avec plusieurs autres de la 

(1) Lair, ÉtiidS sur k* vie et la mort de Guillaume Longue- 
Épée y 75. ' 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN U7 

Laxdæla Saga et l’ont éditée dans les Early généa¬ 
logies (1). 

Les questions secondaires. — L’hypothèse de 
l’origine suédoise. — Maintenant, qu’y a t il à dire 
de la thèse de l’origine suédoise de Rollon ? M. Hoos 
prenant le récit de Dudou remarque que Rollou 
est battu au Danemark, il voit en lui un chef suédois 
révolté contre les Danois qui se relire à Scanza in- 
sula( 2) ; il imagine que ce chef part de la Scanie pour 
se rendre dans le Smoland ou en West Gothie où il 
recrute sa bande, donc il est originaire de la Suède 
danoise, et ses compagnons sont des Dano-Suédois. 
M. Roos traite üudon comme celui-ci traitait les 
Annales ; il lui fait dire des choses que le chanoine 
n’a pas dites. Dans la thèse de M. Roos, il n’y a que 
des suppositions; par cela même que nous avons nié 
la véracité de Dudon, nous avons écarté la thèse 
suédoise. Mais ce que l'on peut retenir de son article, 
qui est intéressant, et, en se gardant des exagéra¬ 
tions qu’il contient, c'est que des Suédois, peut-être 
contrairement à la thèse danoise de la répartition 
géographique des invasions normandes, ont pris 
part aux expéditions des vikings vers l’Ouest. 

Dani, Normanni : le texte de Widukind. — Au 

cours de ces discussions sur la nationalité des 
vikings, on s’est souvent servi comme argument à 
l'appui de l’une ou l'autre théorie, de l’usage des 

(1) Origines Islandicœ, I, 24ü. 

(2) The Seedish part inlhe Viking expéditions, p. 21. 


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H8 


ETUDE CKITIQUE 


mots Normanni ou Dani si fréquent dans les Annales 
franques ou germaniques. 

Aussi les Norvégiens sont-ils tentés de traduire 
Normannus par Normand, Norvégien et de conclure 
que partout où on trouve Normanni il faut lire 
Norvégiens. Remarquons que les écrivains francs 
n’ont pas eu la préoccupation de distinguer Dani 
et Normanni. Comme le dit Steenstrup, le mot 
Normanni. chez eux, a un sens vague, général : 
il désigne tous les vikings, sans exception de natio¬ 
nalité (1). C’est bien ce que veut dire notre mot 
français Normands, quand nous parlons, non des 
Normands de Normandie, mais des Normands 
envahisseurs de la Gaule, de l’empire franc au 
IX» siècle. M. Steenstrup a traduit Normanni des 
Annales franques par le mot qu’il a forgé : Nor- 
mannerne, qu’il a donné pour titre à son grand 
ouvrage (2). 

Mais n'est-il pas singulier de voir les mêmes 
savants qui, à juste titre, ont dénié aux Norvégiens 
le droit de tirer argument du mot Normanni, bâtir 
des théories sur l'emploi du mot Dani ? Il est 


(1) Indledning, p. 51 sqq., et Bulletin de la Société des Anti¬ 
quaires, X, 215 sqq. Voir aussi Maurer, op. cil., p. 50 et n. 1. 

(2) Budinger, Uéber die Normannen und ihre Staalen- 
griïndungen dans Hist. Zeitschrift, t. IV (1860), p. 335, suppose 
avec Mukch, que l'élément norvégien étant prépondérant 
dans la bande de Godfried, la première qui entra en contact 
avec l'empire franc, il en résulta que Normanni, Nord- 
mannen devint l’appellation prédominante dans l'empire 
franc pour désigner les Germains du Nord \Entendons, nous, 
les Scandinaves). 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


119 


évident que les annalistes francs n’ont dû faire 
que tard, ou tout à fait exceptionnellement, la diffé 
rence entre la nationalité des vikings : peut-on 
demander à ces annalistes, qui n’étaient pas des 
linguistes, de pouvoir distinguer des Danois et des 
Norvégiens, qui ne se distinguaient ni par la race, 
ni par la langue ? Car si la langue est encore aujour¬ 
d’hui commune et n'oflre que des différences peu 
sensibles, la différenciation dans ces bandes, sans 
doute composites, était encore moindre (1) et, pour 
la percevoir, encore eût-il fallu savoir et bien savoir 
la langue Scandinave. Nos annalistes l’ignoraient et 
surtout, la plupart d'entre eux, pour ne pas dire 
tous, n’avaient jamais vu ces Normands dont ils 
parlaient. 

Il est donc impossible d’alfirmer que, quand ils 
disent Normanni , ils entendent gens venus de 
Norvège ; il est non moins impossible d'affirmer 
que, quand ils disent Dani, ils veulent dire gens 
venus de Danemark ; au reste, que pouvaient-ils 
savoir de la géographie politique, si imprécise, des 
pays Scandinaves d’alors dont l’histoire est si 
souvent commune (2) ? M. Roos remarque, avec 

(1) Knut fonde à Rome un hôpital pour les hommes' de 
langue norraine. 

(2) Dudon cependant distingue les Dacigenæ et les North- 
guegigenæ lors de l’invasion de 965; (p. 282), mais sa géogra¬ 
phie des pays Scandinaves est tellement imprécise, que l’on 
peut se demander ce que vaut cette distinction. N’oublions 
pas d'ailleurs que sa thèse, dont nous avons vu les raisons, 
étant que Rollon est Danois, il y a quelque intérêt pour lui 
à ne faire venir les Norvégiens en Normandie qu’en 965. 


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150 


ÉTUDE CRITIQUE 


raison, que les Danois, convertis plus tôt au chris¬ 
tianisme et plus proches de la Germanie, ont été les 
premiers connus et que ceci explique que leur nom 
ait servi à désigner tous les vikings (1). 

Or, M. Steenstrup (2), M. Walberg dans sa 
conférence de Rouen (3) font encore état du texte 
de Widukind qui parlant de Rouen l’appelle Rothun 
Danorum (4) et ils concluent triomphalement que 
Rouen était une ville danoise, partant que Rollon 
était Danois. Remarquons que la ville de Rouen 
aurait pu être au X« siècle peuplée de Danois, et 
je suis pour ma part persuadé qu’elle en contenait 
beaucoup, que cela ne prouverait aucunement que 
Rollon personnellement fût danois. Mais encore 
que vaut le texte de Widukind ? Je crois qu’il faut 
faire là une étude attentive des textes pour chaque 
auteur et examiner si l’auteur a distingué Dani de 
Normanni , les Danois des Norvégiens. Presque 
toujours la réponse est négative ; elle l’est aussi pour 
Widukind. Qu'on lise attentivement cet écrivain: 
on s’apercevra qu’il n'a pas fait de distinction nette 
entre les Dani et les Norlhmanni , que pour lui le 
mot Dani ne veut pas dire autre chose que North- 
manni , qu’il n’entend pas par là les Danois à 
l’exclusion des Norvégiens. Au début de ses Res 


(1) Roos. op. ci i., p. 22f. 

(2) La Normandie et les Danois, dans Le Danemark , n° 3, 
mars 1011, p. 40. 

(3) Op. cit., p. 647. 

(4) Lib. IU, § 4, M. G. SS., III, 452. 


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SUR DU DON DE SAINT-QUENTIN 


151 


gestee Saxonicœ, il cherche l’origine des Saxons, 
il noie qu’il y a là-dessus des opinions divergentes ; 
les uns veulent que les Saxons tirent leur origine 
des Danois et des Normands, les autres des Grecs ; 
il rapproche donc sans les distinguer les Dani et 
les Northmanni : « Nam super liac re varia opinio 
est , aliis arbitrantibus de Danis Northmannisque 
origincm duiisse Saxones, aliis autem æslimantibus... 
de Grœcis » (1). Il y a mieux ; dans un autre passage 
il parle de Louis d'Outre-Mer emmené en capti¬ 
vité par les Normands « A Northmannis caplus » 
et il ajoute que les Normands emmenèrent son fils 
Karloman à Rouen où il mourut « Filium autem ejus 
nalu majorent Karlomannum Northmanni secum 
duxerunt Rothun » (2). Ainsi Widukind appelle 
indidéremment Rouen la ville des Danois ou la 
ville des Normands ; il ne lait donc aucune dis¬ 
tinction entre ces deux termes (3). 

Concluous par trois textes d’écrivains anciens. 
Adam de Rrême montre bien que les historiens 
francs ont désigné par Normands, Northmanni, non 
seulement les Danois, mais aussi tous les autres 
peuples au delà du Danemark. « Dani et Sueones 
et ceterique trans üaniam populi, ab hystoricis Fran- 

(1) Ibid., «7. 

(2) Ibid., U8. 

(3) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que lorsque 
M. Steenstrup et M. Walberg reprenaient l'argument tiré 
du texte de Widukind, il y a longtemps que G. Storm en 
avait fait justice. (Kritiske Bidrag, p. t32). 


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152 


ÉTUDE CRITIQUE 


corum omnes vocantur Northmanni (1) ». Helmold, 
dans la Chronica Slavorum, ajoute avec non moins 
de sens que les armées normandes étaient formées 
des plus vaillants des Danois, des Suédois, des Nor¬ 
végiens : « Porro Northmannorum exercitus collectives 
fuit de forlissimis Danorum, Sueorum, Norveorum qui 
tune forte sub uno principatu consliluli... » Il dit plus 
loin que c’est à ces Normands que la Normandie 
doit son nom « quir a Norlhmannis possessa North- 
mandie nomen accepil (2). » On ne saurait mieux 
dire. La Normandie a été colonisée par des bandes 
de Danois, de Norvégiens, de Suédois, réunis sous 
un même chef, mais ce chef était norvégien. 

Quelques autres arguments : la pêche à la baleine, 
les tombes de Groix, les noms de lieu. — Avant de 
terminer cette étude, il faut dire quelques mots des 
questions adventices qui ont été posées par les 
savants Scandinaves. Au cours des polémiques 
de 1911, on a affirmé, en Norvège, que des tombes, 
situées dans l’tle de Groix, étaient les sépultures de 
chefs norvégiens (3), on en a conclu que les chefs 
des Normands dans la vallée de la Loire étaient 
Norvégiens et qu’étant donnés les rapports qui 
existaient entre les chefs des bandes de la vallée de 
la Loire et ceux de la Seine, ceux-ci étaient Nor¬ 
végiens. Avec la haute compétence qui leur appar- 


(1) Lib. IV, c. 12. M. G. VU, 373. 

(2) M. G. SS. XXI, 14 et 16. 

(3) A. Bugge, Gange Rôle , p. 8. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


153 


tient en ces questions, M. Steenstrup d'abord (1), 
M. Oscar Montelius ensuite (2), ont répondu que de 
pareilles tombes se trouvaient en Suède et qu'il n'y 
avait aucune conséquence à en tirer pour établir la 
nationalité des chefs des vikings. Au reste, je me 
demande, quand il eût été prouvé que ces tombes 
fussent norvégiennes, en quoi elles auraient prouvé 
la nationalité norvégienne de Uollon ? 

De même, les savants norvégiens ont invoqué, en 
faveur de la thèse norvégienne, la façon dont les 
Normands pratiquaient la pêche à la baleine. 
M. Steenstrup a justement fait remarquer les simi¬ 
litudes frappantes qui existent entre un récit du 
moine Tortaire ou Le Tourlier et les documents 
danois relatifs à cette pêche. Le moine Tortaire 
visita la Normandie au Xll 9 siècle, sous Henri I er ; 
il vint à Caen, longea le littoral du Calvados ; il 
décrit, en termes très précis, une chasse à la baleine 
exécutée par les habitants de la côte. Avec la 
connaissance profonde qu'il a des documents d’ordre 
juridique et économique de l'histoire danoise, 
M. Steenstrup a montré, d'une façon convaincante, 
que la pêche pratiquée sur les côtes du Bessin res¬ 
semblait à celle qui était pratiquée sur les côtes du 
Danemark (3). 

Reste la question plus ancienne, plus compliquée 

(1) Le Millénaire Normand, dans Le Danemark , mai 1911, 
p. 79. 

(2) Congrès du Millénaire, t. II, p. 647. 

(3) Art. cité dans Le Danemark, p. 80. 


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154 


ETUDE CRITIQUE 


en apparence, plus sérieuse de la toponomastique. 
11 y a longtemps que l’attention des savants français 
normands ou Scandinaves s’est portée sur la parti¬ 
cularité que présente la topographie normande d’un 
grand nombre de noms de lieu, non romains et non 
celtiques. On a été tout naturellement porté à 
admettre que ces noms provenaient des envahis¬ 
seurs Scandinaves (1). Mais une difficulté se pré¬ 
sente : la Normandie a connu, avant les envahisseurs 
normands, d’autres envahisseurs venus par mer et 
par terre, les Francs;.par mer surtout, peut être 
quelquefois par terre, indirectement du moins, les 
Saxons. Or, étant donnée l’étroite parenté des deux 
langues germanique et Scandinave, il est bien 
difficile de déterminer quel est l’apport des deux 
races. Je faisais remarquer, en 19H, qu’il faudrait 
trouver un suffixe absolument caractéristique de 
l’un des deux établissements saxons ou norois, et 
que cela est extrêmement difficile, vu la commu¬ 
nauté d’origine des deux langues (2). M. Joret, dans 
sa nouvelle étude, si intéressante sur les noms de 
lieu non romains de Normandie, ne me parait pas 
avoir trouvé cette caractéristique (3). M. Lot, dans 
ses récentes Etudes critiques sur l'abbaye de Sainl- 


(1) Voir l'historique de la question dans Joret, Les noms de 
lieu d’origine non romane el la colonisation gctmianique et 
Scandinave en Normandie , dans Congrès du Millénaire, t. U, 
p. 156. 

(2) Essai, p. 252. 

(3) Joret, op. cit. 


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SUR DI DON DE SAINT-QUENTIN 155 

Wandrille, va jusqu'à attribuer aux envahisseurs 
saxons les noms de lieu non romains (1). La conclu¬ 
sion que M. Lot tire de la similitude des noms de 
lieu germaniques ou Scandinaves est excessive. Pour 
notre part, nous n'avons pas dit que cette étude ne 
peut mener à aucun résultat, nous dirons seulement 
qu'elle devra toujours être très prudente et qu’elle 
ne peut donner de résultats qu’à la condition 
d’être menée sans préoccupations nationales ; or, 
tous ceux qui, en Scandinavie, se sont livrés à 
cette étude, ont eu naturellement des arrière-pen¬ 
sées de ce genre ; ils travaillent pour une nationalité 
ou pour une autre. Un savant normand aurait peut- 
être pu apporter là un travail personnel. Mais il 
laut bien convenir que le résumé donné par M. Joret 
des travaux des philologues du Nord est très tendan¬ 
cieux. M. Joret est nettement pro-danois; il a cru 
en Dudon, en Raoul d’Ivry, il admet toute la thèse 
de M. J. Steenslrup, il ne veut pas changer d’opinion 
et s’il tient compte de notre Essai pour modifier 
ses opinions dans le détail, pour corriger des 
erreurs ; s’il renonce à l’identification Liltus Saxo- 
nicum , Bessin, il reste fidèle à la thèse danoise et la 
délend àprement, sans ajouter d’ailleurs une seule 
raison à toutes celles produites jadis et aujourd’hui 
rélutées ; son opinion, sur ce point, a peu de poids. 
Certaines critiques adressées par lui aux savants 
norvégiens sont manilestement erronées. 11 reproche 
à M. G. Storm d’avoir plutôt embrouillé la ques- 

11) Paris, 1913, in-8», p. XL1X. 


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i ne, 


ETUDE CRITIQUE 


tion des noms de lieu. Pourlant, M. G. Storm, 
dans ses Kritiske Bülrag (1), avait relevé les diffi¬ 
cultés qu’il y avait à se prononcer sur l’origine 
de ces noms de lieu non romains et dont on ne 
pouvait savoir s’ils étaient saxons ou norois. Il 
faisait aussi quelques remarques courtes, mais frap¬ 
pantes sur ces noms de lieu. C’est ainsi qu'il notait 
que l’on ne retrouve pas aussi bien conservée, en 
Normandie que dans le Danelag, la finale en by 
(ville), si caractéristique des colonies danoises en 
Angleterre, si fréquente dans le Danelag. En 
Normandie, nous avons Hambye, Carquebus, Tour- 
nebus, Bourguébus. Mais on trouve, au contraire, 
très fréquemment des noms en fcea, devenus tardi¬ 
vement, et par contre sens, des noms en beuf. 
Citons Criquebeuf, Daubeuf, Quillebeuf, Elbeuf ; 
dans les anciennes chartes et dans la prononcia¬ 
tion, Criquebeu, Elbœu. Cette finale rappelle la 
forme bô, qui existe en Norvège : Osterbô, et en 
Suède : Folsterbô, et il suffit de considérer une carte 
un peu détaillée de la Norvège pour y trouver ces 
noms, tandis que les finales en by sout plus nom¬ 
breuses au Danemark. Les noms en lliivaUe, désignant 
un champ en flanc d’une colline, sont regardés corn me 
plus particulièrement norvégiens en Angleterre (2) et 


;t) Pp. 131-133. 

(2) Collingwood, op. cit-, p. 19-1 et passim. Il est vrai que 
M. Joret, loc. cit., p. 151, considère les mots en thuit comme 
dérivant du danois tved. D'ailleurs si j’indique ici cette ques¬ 
tion, ce n’est pas avec la prétention de la trancher (ce n’est 
pas le lieu), mais avec la préoccupation d'indiquer à ceux qui 




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SIR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


157 


nous avons, en Normandie, Thuit-Hébert, Lanque- 
tuit, Braquetuit... Je ne veux pas exagérer la 
portée de ces remarques, mais elles montrent que 
si l’on étudiait sans parti pris, la toponomastique ne 
serait peut-être pas si défavorable que le disent les 
Danois et M. Joret à la thèse norvégienne. Très 
probablement, elle nous amènerait à cette conclu¬ 
sion qu’il y a eu, non une colonie danoise , comme l'a 
écrit M. J. Steenstrup, mais une colonie Scandinave, 
comme nous l’avons dit dans notre Essai et le vrai 
mérite des Scandinaves établis en Normandie a 
été d’amalgamer, comme nous avons essayé de le 
montrer, il y a quatre ans, ce qui restait des 
tendances résultant des conquêtes antérieures : 
romaine, franque, saxonne et même bretonne. 

Peut être plus tard, quand on aura fait les études 
préliminaires que nous réclamions au congrès de 
1911 sur l’archéologie, l’ethnographie, la linguis¬ 
tique, la toponymie, le droit coutumier, le folk lore 
de la Normandie primitive et qu’on les aura com¬ 
parés avec l’archéologie, l’ethnographie, la linguis¬ 
tique, la toponymie, le droit coutumier, le folk¬ 


s'intéressent à cette question et tout spécialement à nos 
Sociétés savantes de Normandie une nouvelle voie à suivre. 
On a été en notre province trop ignorant des travaux 
étrangers, on ne connaît que les travaux danois et sur la 
question de la toponomastique, Joret qui les résume. Il y 
aurait un grand profit à étudier les travaux anglais sur la 
question de la pénétration Scandinave en Angleterre, ils 
ont été plus poussés que les nôtres et ils sont plus impar¬ 
tiaux que les travaux Scandinaves. 


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<58 


ETUDE CRITIQUE 


lore des pays Scandinaves (1), peut-être arrivera-t-on 
à peser le plus ou moins de part de pénétration 
scaudinaveen Normandie; peut-être même arrivera- 
t-on à dire qui l'emporte de la danoise ou de la 
norvégienne, peut être même arrivera-t-on à déter¬ 
miner des zones, des colonies distinctes, peut être 
sera-t-on frappé des caractères tout particuliers 
que présente le pays deCaux avec le type de ses habi¬ 
tants, ses noms de lieu d’origine germanique si 
denses dans un rayon de plusieurs lieues autour du 
Havre, et enfin son droit coutumier propre, son 
droit d’ainesse qui se retrouve précisément en 
Norvège ? (2). 

Mais on ne dira jamais plus, nous le croyons, que 
la Normandie fut une colonie danoise ; on ne dira 
pas non plus, d’ailleurs, que la Normandie fut une 
colonie norvégienne et c’est le grand mérite des 
historiens norvégiens, M. G. Storm et M. Alex. 
Bugge, de ne pas l’avoir dit, d’avoir été moins 
tendancieux, moins systématiques, moins nationa¬ 
listes que leurs collègues danois ; d’avoir reconnu, 
— M. Steenstrup lui même le remarquait et en 
tirait argument en 1911 (3) — que la Normandie 


(1) Il semble que ces études soient plus avancées en 
Angleterre, grâce à certaines sociétés archéologiques, en 
particulier au Viking-Club. M. COLLINGWOOD, oj >. cil., a pu 
tracer une carte très vraisemblable des colonies danoises et 
norvégiennes. 

(2) Voir la note 1 de la p. 38 du présent ouvrage et 
ajouter comme référence : GÉNESTAL, Le Parage Normand. 
Caen, 1911, in 8°, passim, particulièrement, p. 9, n. 4. 

(3) La Normandie et les Danois , dans Le Danemark, p. 41. 


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SUR DUDON DF. SAINT-QUENTIN 


159 


contenait sans doute des éléments danois à côté de 
l’élément norvégien (1). Nous pensons comme eux et 
nous nous garderons bien de dire qui des deux 
éléments l’a emporté (2), mais nous pensous avec 

(1) MüNCH, op. cit. f I, 669, admettait que Rollon, viking 
norvégien, était devenu le chef de la bande danoise de 
Godfrid et de Sigfrid. Worsaae, sans se prononcer, ne paraît 
pas absolument réfractaire à cette idée, mais il se refuse à 
admettre l’hypothèse de Munch et de quelques autres savants 
que toutes ces bandes seraient parties du Sœnderjyland, 
Jutland méridional ou Sleswig, colonisé par les Norvégiens, 
faisant remarquer qu’il est bien improbable que ce petit pays 
ait pu donner naissance à des colonies aussi puissantes. 
(Op. cit., p. 141, n. 1). 

(2) Il se peut fort bien que ce soit numériquement l'élément 
danois, comme M. Alexandre Bugge l’aurait lui-même reconnu. 
M. W. G. Collingwood, Scandinavian Brilain , apporte une 
suggestion intéressante. Lui qui admet (p. 59) que les 
Normands de Normandie étaient pour la plupart d'origine 
danoise — il n’a d'ailleurs pas spécialement étudié cette 
question qui est en dehors de son sujet — reconnaît plus 
loin (p. 72) qu’en Grande-Bretagne les établissements durables 
ont été surtout fondés par les Norvégiens, et il en donne une 
raison digne de remarque. Les Danois qui occupent un pays 
riche, font surtout des expéditions de pillage ; les Norvégiens 
cherchent des terres à coloniser et à cultiver ; si les rudes 
Hébrides ou les Orcades leur parurent terres favorables à un 
établissement, que dire de la Normandie? 

Tirons encore de cet ouvrage une remarque intéressante : 
M. COLLINGWOOD note que les noms d’hommes dans le sud 
du Yorkshire sont plutôt norvégiens que danois, il fait remar¬ 
quer que la terminaison ketil qui a disparu au début du 
XI* siècle chez les Suédois et les Danois s’est maintenue 
encore parmi les Norvégiens et les Islandais, qu’elle donne 
lieu à des noms comme Alfcetel, Arcetel, Ascetel, Thorcetel. 
Or en Normandie nous avons Turquetil, Anquetil, peut-être 
Coutil, dérivés évidemment de noms terminés en ketil, donc 
plus probablement norvégiens. 


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ETUDE CRITIQUE 


eux qu’il y a eu plus d’éléments norvégiens qu’on 
ne veut bien le concéder au Danemark et, en tout 
cas, nous restituons à la Norvège Rollon, Ganger 
Rolf, objet de ce trop long débat. 

Les Campagnes de Rollon 

Rollon en Angleterre. — Nous avons longuement 
étudié la question de l’origine de Rollon à cause de 
l’importance, à notre avis excessive, qu’y a attachée 
la critique ; nous pouvons être évidemment plus 
bref sur les paragraphes suivants qui nous racontent 
les songes de Rollon ; songe (§ V) pendant son séjour 
en Scanie, où il lui est ordonné de se rendre en 
Angleterre; songe, en Angleterre qui lui prédit la 
puissance et lui promet le baptême. On n’attendra 
pas de nous que nous discutions longuement l’au¬ 
thenticité de ces songes. Nous nous bornerons à 
faire remarquer combien on sent dans ces dévelop¬ 
pements l’inspiration livresque. Ces songes, Dudon 
ne les a pris à aucune tradition, à aucune chronique, 
cela va sans dire, mais ce sont des réminiscences 
de ses auteurs favoris, Virgile et Lucain. Bornons- 
nous à constater certaines invraisemblances qui 
prouvent et l’ignorance de l’auteur et son imagina¬ 
tion ; Rollon communique le songe qu’il a eu en 
Scanie à un chrétien, sapicnti viro et christicolœ. Or, 
à la date à laquelle Dudon lui fait quitter la Scanie, 
quelques années avant 876, Rollon eût été bien 
embarrassé d’y trouver un chrétien. Remarquons 
encore ici les sources auxquelles Dudon a puisé ; 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


161 


le chrétien l’envoie « ad Anglos scilicet ad Angelos » 
réminiscence évidente d’une lecture de Bède le 
Vénérable (1). Dans les combats de Rollon en 
Angleterre, nous pouvons voir aussi une défiguration 
des combats que GangerRolf, venant des Hébrides,a 
pu livrer en Ecosse (2). 

Quant au très chrétien roi d’Angleterre : « rex 
Anglorum christianissimus, nomme, Alstemus (§ 7), » 
on pense tout de suite à l’identifier avec Athelstau, 
roi de Wessex, qui succéda à Edouard en 924 et 
régna jusqu’en 940. Comme cette époque est celle 
de la plus grande puissance, de l’hégémonie du 
Wessex, Athelstau peut parfaitement être qualifié 
de roi des Anglais. Une charte de la cinquième 
année de son règne l'appelle roi des Anglo-Saxons. 

La seule difficulté qui nous arrête — et elle est 
considérable — est d’ordrechronologique. Athelstau 
régnait cinquante ans après l'époque où Dudon le 
met en rapports avec Rollon, puisque, selon lui, 
Rollon arrive dans l’estuaire de la Seine en 876. 
Dom Morice se moque du récit du chanoine de 
Saint-Quentin comme d’une fable grossière (3). 
D’autres critiques, Trigan (4), Licquet (5) ont 


(1) Hist. eccl. gent. Angl ., lib. II, c. 1. 

(2) Le second songe de Rollon se retrouve dans la chroni¬ 
que de saint Néot, à la suite du De rébus gestis Ælfrcdi d’ Asser, 
mais c’est là une interpolation. Ed. Stevenson, p. 134. 

(3) Dom Morice, Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne , 
I, c. 970, n. XUI. 

(4) Histoire ecclésiastique de Normandie , Caen, 1759-1700, 
4 vol. in-4°, II, 251. 

(5) Histoire de Normandie, I, 47. 

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ETUDE CRITIQUE 


supposé qu’Alstemus était Alfred le Grand. Il y a 
peut être dans ce traité que Dudon suppose entre 
Rollon et le roi anglais, un vague souvenir du 
traité de Wedmore, de 878, par lequel Alfred 
partagea l’Angleterre avec les Danois. Mais les 
dates non plus ne concordent pas, puisque selon 
Dudon, Rollon serait allé en Angleterre avant 876; 
et Alfred ne saurait se traduire par Alstemus. Suhm 
a suggéré un rapprochement avec le roi danois 
Guthrum d’Estanglie qui, après avoir lutté contre 
Alfred, fut battu par lui, puis baptisé, et prit le 
nom d’Athelstan (1). Lappenberg (2), Worsaae (3), 
et Lair (4) ont repris ce rapprochement. Mais il ne 
nous paraît pas plus heureux que le rapprochement 
avec Alfred, car la conversion de Guthrum est de 
880 et parconséquent postérieure à la date à laquelle 
Dudon place le séjour de Rollon en Angleterre. En 
réalité, l’identification Alstemus Guthrum-Athelstan, 
adoptée par Suhm, Lappenberg, Lair et Vogel, 
par tous ceux qui veulent ajouter quelque foi aux 
histoires de Dudon, ne résiste pas à la critique 
et il est probable que ce sont les Bénédictins qui 
avaient raison. Athelstan a été fourni à Dudon par 
Flodoard, l'une de ses sources, sa source princi- 


(1) Scrip. rerum. Danic., V, 58. 

(2) Lappenberg, trad. Thorpe, England under lhe Anglo- 
Saxons Kings, p. 8. 

(3) Op. cit., p. 141. 

(4) Ed. de Dudon, 53. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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pale (1), et Dudon, une fois de plus, s’est peu em¬ 
barrassé de chronologie. Ou bien, si on voulait à 
tout prix attacher quelque importance b la donnée 
Athelstan-Guthrum, il faudrait supprimer la date de 
876 de l’œuvre de Dudon (2). 

Rollon en Lotharingie. — Rollon quitte l’Angle¬ 
terre pour l’ile de Walcheren. En route, il est 
assailli par la tempête et il promet de se convertir au 
christianisme s’il est sauvé. La tempête s’apaise 
immédiatement, réminiscence probable de l’histoire 
de Clovis à Tolbiac. 

A peine arrivé à Walcheren, Rollon reçoit des 
navires d’Athelstan avec des hommes et des provi¬ 
sions. A tous ceux qui auront examiné les procédés 
de composition de Dudon, cela paraîtra un transport 
évident à Rollon de l’histoire de la flotte d’Athelstan 
envoyée à Louis d’Outremer et rapportée par Flo- 
doard (3); quant à la présence d’une flotte normande 
à Walcheren, elle n’a évidemment rien que de très 
vraisemblable. Les vikings ont bien des fois paru 
aux bouches de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin. 
Dès 831, un chef danois, Hériold, reçut de Lothaire I er 
la ville de Dorstad, à laquelle il joignit l’île de 
Walcheren (4) ; il fut remplacé par un de ses 
frères, Horic. 


(1) Annales, éd. Lauer, Paris, 1905, in-8°, pp. 63, 72, 73. 

(2) Serait-elle le résultat d’une interpolation ? 

(3) Ann., 936, p. 63. 

(4) Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens » 
p. 53. 


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ETUDE CRITIQUE 


164 

Que faut-il penser de l’intervention de Régnier au 
Long Col, duc de Hainaut et de Hesbaye, comme 
l’appelle Dudon, et de Radbod, prince de Frise? 
Régnier au Long Col est bien connu ; il règne, entre 
la Meuse et l’Escaut, sur un pays moitié thiois, 
moitié wallon ; il est, aux yeux des historiens mo¬ 
dernes « l’incarnation de la féodalité lotharingienne » 
à cette époque (1). Mais, outre qu’aucune autre 
source qu’Aubri des Trois Fontaines, — qui a pris 
à Lludon cette histoire, — ne parle de ses rapports 
avec Rollon, deux difficultés se présentent : le pre¬ 
mier diplôme de lui connu est de 877, c’est-à-dire 
d’une époque postérieure à celle à laquelle Dudon fait 
de lui un prince puissant; en outre, M. Parisot ne 
croit pas que ce qualificatif de « au Long Col « con¬ 
vienne à Régnier 1" ; if pense qu’il y a là une confu¬ 
sion avec son petit fils et homonyme Régnier III, qui 
vivaitau X e siècle.Ce nom n’a étédonnéà Régnier I» r 
que par trois écrivains : Riclier qui écrivait en 99a, 
Folcuin vers 985, Dudon après996 et ce ne sont pas, 
tant s’en faut, quoi qu’en ait dit Dümmler, des 
contemporains de Regnier I er (2). Sans doute, le 
récit de Dudon a été accepté par Le Carpentier 
dans son Histoire de Cambrai (3), par Leibniz (4), 
par Depping, par le père Firmin Brabant, par 

(1) Pirenne, Histoire de Belgique, 2 e édition, Bruxelles, 
190-2, in-8», t. I", p. 42. 

(2) Parisot, op. cil ., p. 510. 

(3) I, p. 83. 

(4) Annales imperiioccidentis, éditées par PeRTZ, Hanovre, 
1813-46, 3 vol. in-8“, t. II, pp. 164-165. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


165 


M. Lair, enfin ; mais il n’a pas été admis par 
M. Parisot, qui rejette le récit de Dudon à cause de 
la présence de Radbod. 

Ce Radbod de Frise constitue en eflet une grosse 
dilliculté. La critique a vu en lui un évêque 
d'Utrecht, mais Radbod n’ayant pas été évêque 
avant l’an 900, ne pouvait convenir au récit de 
Dudon. M. J. Lair, dans la préface de son édition, a 
affirmé qu'il avait déniché un Radbod « cornes in 
Lake et Ysella en 875 » (1). Mais on peut conclure 
avec M. Vogel que l’existence d’un comte Radbod 
de Frise à la fin du IX e siècle est extrêmement 
douteuse (2). 

En réalité, si nous nous reportons aux sources, 
c’est encore à un transfert d’événements que nous 
assistons; les Annales de l’abbaye de Fulda rap¬ 
portent, en 881-882, la présence des Normands 
dans la Hesbaye, le ravage du monastère de Prüm. 
Ils s'avancent vers Coblentz et Trêves, avec les rois 
Sigfrid et Godfrid, leurs chefs Vurin et Hais (3). 
Sigfrid fait la paix avec l’empereur Charles et reçoit 
le baptême. On voit comment Dudon a transporté 
à Rollon l'histoire de Sigfrid, à moins que ce ne 


{1) Ed. de Dudon, p. 55. 

(2) M. Lair dit l'avoir trouvé dans Beka, De episcopis Ultra - 
jectinis et dans Emmius, Uist. rer. Fris. ; « mais, dit M. Vogel, 
op. cit ., p. 279, n. 3, il n’y a de Radbod de Frise en 875 ni dans 
Beka, ni dans Emmius, ni ailleurs. L’éditeur de Beka, 
Bachelius, a bien donné dans un arbre généalogique, un 
Radbod cornes in Lake et Ysella, mais en l’an 975. 

(3) Annales Fuldenses , M. G. SS. I, 396. 


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Ififi 


ETUDE CRITIQUE 


soit celle de Godfrid, qui, en 883, conclut aussi la 
paix avec l’empereur et reçut le baptême (1). 

M. Lair propose, pour obtenir une coïncidence de 
dates justificatrice de Dudon, de transporter dix 
ans plus tard tous les événements rapportés par lui 
et de les placer de 882 à 883 au lieu de 872 à 873 : 
(pour être exact, il faudrait ajouter qu’il ne s'agit 
pas de Rollon, mais de Sigfrid et de Godfrid). 

Dudon, prosateur épique, nous rapporte aussi une 
romanesque histoire, celle de Régnier fait prison¬ 
nier par les troupes de Rollon, racheté par sa femme 
qui envoie au chef normand une somme considérable 
en or et en argent et douze chefs normands. C'est 
encore un transport d’événements, c’est l’histoire 
du comte de Frise, Eberhard fait prisonnier en 880 
et racheté par sa mère (2). 

On voit que le procédé de Dudon se répète indéfi¬ 
niment et d’une façon un peu monotone. Cet écri 
vain, en qui M. J. Lair ne voulait voir que l’écho 
des traditions normandes, est tout en placages et 
en démarquages. 

Que dire de la scène invraisemblable où le puis¬ 
sant Régnier, embrassant les genoux du chef 
normand, lui demande de faire alliance avec lui ? 
C’est une belle imagination. C’est un des panneaux 
du triptyque consacré à la gloire de Rollon qui 
a traité successivement de pair à égal avec le roi 


(1) Annales Fuldenses, ibid, 402. 

(2) Réginon, 881 ; M. G. SS. I. 572. Voir Dummler, Fors- 
chungen, p. 367 bis. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


167 


d’Angleterre, Atbelstan, avec le tout puissant comte 
lorrain Régnier et avec le roi des Francs occiden¬ 
taux. M. Lair tait valoir la véracité de Dudon parce 
qu’au cours des campagnes de Rollon en Hesbaye, 
Dudon nomme Condé, et qu’il est certain qu’en 
881-882, Condé fut visité par les Normands, mais 
outre que les dates ne concordent pas, il n’est pas 
question de Rollon dans les Annales qui rapportent 
ce fait (1). A la vérité, il n’y a pas de dates dans 
Dudon ; la première que l’on trouve est celle de 
876, date de l’arrivée de Rollon en Normandie. 

Rollon en Normandie. — Ici, M. Lair, après 
Aug. Le Prévost, a remarqué avec juste raison que 
l’on avait eu tort d’attacher quelque importance à 
cette date de 87G, que toutes les sources annalis- 
tiques où on la retrouve sont, en réalité, postérieures 
à Dudon et la lui ont empruntée, ou bien, comme la 
Chronique anglo saxonne, ont été victimes d’une 
interpolation (2), Mais alors, pourquoi veut-il 
corriger le texte de Dudon, explication à laquelle il 
a trop souvent recours, et substituer à la date de 
876 celle de 886 ? En quoi cette date de 886 serait- 
elle plus fondée? Rollon, suivant Dudon, aurait 
pris part au siège de Paris en 881-882 ; alors ce ne 

(1) Annales Vedastini, éd. Dehaines, p. 313. 

(2) Ed. de Dudon, p. 52. M. Green, dit qu'aprés la paix 
de Wedmore (878 et non 87Gj, la vallée de la Seine devint le 
théâtre des exploits de Rolf (The Conquesl of England, I, 
p. 270), mais c’est par une simple conjecture qui ne repose 
sur aucun fait certain, qu’il lie ces deux choses. 


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168 ÉTUDE CRITIQUE 

serait pas en 886 qu’il a débarqué pour la première 
fois en Normandie. Toutes les corrections que 
l’on proposera ne montreront que l’impossibilité 
d’accepter la date donnée par Dudon (1). 

Après une jolie description de l’estuaire de la 
Seine, Dudon mène Rollon à Jumièges et nous 
rapporte encore une bien singulière histoire ; le 
chef normand aurait arrêté ses navires à la chapelle 
Saint-Vaast et aurait déposé sur l’autel de cette 
chapelle, le corps de sainte Ameltrude, qu’il avait 
apporté avec lui, d’où ce lieu aurait été ensuite 
appelé Sainte Ameltrude. M. Lair, toujours en peine 
de prouver la véracité de Dudon, déclare que ce 
récit est suffisamment confirmé par le fait que Guil 
faume de Jumièges, qui devait être mieux informé 
que quiconque des faits relatifs à son abbaye, a 
reproduit le récit du chanoine de Saint-Quentin (2). 
Or, Guillaume de Jumièges ne dit pas que ces 
reliques aient été apportées de Hainaut, mais bien 
de Grande-Bretagne : « Quamdam sacram virginem, 


(1) Steenstrup, Normanneme, II, 282, n. 3, propose 896. 
Munch, op. cit., 634, n. 3, propose 897. Ces dernières dates 
seraient plus vraisemblables, puisque M. Vigfusson admet 
d’après l’examen de la Saga que Ganger Rolf vint dans le 
Valland, la Gaule, vers 900. En réalité nous ne savons rien des 
circonstances de l’arrivée de Rollon en Normandie. 

(2) Ed. Laïc, p. 152, n. a. Dans son Mémoire préliminaire, 
il voit dans sainte Ameltrude une sainte honorée dans les 
environs de Murbod, près de Condé-en-Hainaut. Les Bollan- 
distes nous donnent bien la vie d'une sainte Waldelrude , mais 
ils indiquent une autre localité comme ayant reçu ses 
reliques. A cia SS. 0 april. I, 827. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


16fl 


nomme Ame/trudem, quam a Britannia asporta- 
rerant it (1). Tout ce que l’on peut dire de certain, 
c’est qu’il y avait bien en face de Jumièges une 
chapelle Saint-Vaast qui, suivant une tradition 
renfermait les reliques de sainte Ameltrude et qu’il 
y eut ensuite, près de Jumièges, une église nommée 
Sainte-Gertrude, où les reliques avaieut été trans¬ 
portées, mais on ne peut rien tirer de là pour 
prouver la véracité de Dudon en ce qui concerne 
les expéditions de Rollon. 

On se heurte d’ailleurs, immédiatement après, à 
des impossibilités. Si on peut admettre comme 
vraisemblable ce que dit Dudon que les marchands 
de Rouen, apprenant la venue des bandes de 
Normands, engagent l’archevêque à négocier — les 
marchands étaient évidemment une puissance dans 
cette ville en relation avec l’Angleterre dès les temps 
mérovingiens, sans doute même dès les temps 
romains — il est tout à fait impossible que l’arche¬ 
vêque qui a envoyé des ambassadeurs à Rollon soit 
Francon. Le nom de l’archevêque de Rouen en 876 
est bien connu ; il s’appelle Jean (2) et on aurait 
beau descendre le cours des temps et mettre la 
venue de Rollon en 886 ou en 896, il ne se peut pas 
que Francon, qui mourut en 939 (il est même dou¬ 
teux qu’il ait été archevêque de Rouen en 9H-912), 


(1) Ed. Marx, p. 20. 

(2) Fuzkt et Jouen, Liste chronologique des archevêques de 
Rouen, dans Comptes, livres et inventaires du manoir archi¬ 
épiscopal de Rouen, Paris et Rouen, 1908 in-4°, p. CCXXIV. 


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170 


ETUDE CRITIQUE 


ait joué, en 876, le rôle que lui prête Dudon. On 
voit dès lors ce que l’on peut croire de l’entrée de 
Rollon à Rouen, de son débarquement à la Porte 
Saint-Martin (1). Dudon a pu sans doute recueillir 
des légendes locales ; mais quel eu était le bien 
fondé? 

Rollon se rembarque après une visite de la ville, 
il remonte le fleuve jusqu’à un endroit appelé As 
Dans. Ici encore, Dudon utilise des traditions 
locales d’ailleurs en partie fondées. Il s’agit évidem¬ 
ment d’un lieu dit des environs de Pont-de-l'Arche, 
les Damps (2); remarquons, après Le Prévost, que 
le bras de la Seine qui s'étend en aval de Pont-de- 
l’Arche, entre la terre et l’ile Launi, s’appelait au 
XII 0 siècle Maresdans, où il n’est pas difficile de 
reconnaître Mare as Dans. C'est alors que s’avance 
au devant de lui l’armée des Francs commandée par 
Renaud, Regnoldus que Dudon appelle princeps 
totius Francia. Ici nous allons encore saisir un 
des procédés de composition de Dudon ; emprunts à 
des traditions locales intéressantes, emprunts aux 
Annales, emprunts à la légende ou invention roma¬ 
nesque. C'est dans cette dernière catégorie qu’il 
faut faire rentrer le rôle que Dudon fait jouer à 
Hasting. Nous avons vu comment Hasting disparait 
de l’histoire en 89a, de la Francia quelques années 
auparavant. Dans le livre consacré à Rollon, Dudon 

(1) Kalckstein, op. cil., p. 129, a admis tout ceci comme 
vrai, mais en te transportant à la date de 900 f ???). 

(2) Lair, p. 151, n. a. 


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SCR DODO!» DE SAINT-QUENTIN 171 

lait d’Hasting un allié des Francs. Renaud l’envoie 
en ambassade au devant de l’armée normande 
accompagné de deux chevaliers qui savent le danois. 
L’auteur nous raconte même le dialogue échangé 
entre Hasting et les chefs normands ; nous n'en 
retiendrons qu’un trait. Les éclaireurs demandent 
aux Danois à quel seigneur ils obéissent. « Au/fi 
quia œqualis potestalis sumus ; à personne, parce 
que nous avons tous pouvoir égal. Le chanoine de 
Saint-Quentin apparaît ici, comme toujours, peintre 
assez exact des mœurs des envahisseurs ; les trop 
rares traits par lesquels il essaie de les dépein¬ 
dre sont assez précis. Ce romancier épique qui 
commet de si singuliers anachronismes quant aux 
dates, n'en commet pas quant à la couleur locale, 
les vikings en ellet étaient bien des gens jaloux de 
leur égalité. Tout ce que nous savons de la société 
Scandinave, de l’Islande en particulier, colonie 
norvégienne, nous confirme dans ce sentiment. 
Un autre écrivain franc que Dudon a très vrai¬ 
semblablement lu, Abbon, avait également bien 
saisi ce point quand il dit de Sigfrid et de l’armée 
normande : Solo rex verbo , sociis tamen imperi- 
tabat (1). 

Mais quant à l’épisode même de la rencontre 
d’Hasting avec l’armée de Rollon, il parait ou 
purement légendaire ou sorti de l’imagination de 
Dudon. Nous avons déjà vu que Guillaume de 


(1) Ed. Pertz, (Script . rerum germanicarum in usum 
schoiarum). Hanovre, 1871, in-8°, p. 7. 


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17» 


ETUDE CRITIQUE 


Jumièges, racontant les mêmes événements, faisait 
de l'ancien chef viking un comte de Chartres, mais 
nous avons montré que ceci n’avait aucun fonde¬ 
ment historique. 

Le personnage de Renaud, chef de l’armée 
franque, est, au contraire, pris aux Annales ; les 
Annales de Saint Vaast racontent l’invasion nor 
mande de 883 par la vallée de la Seine, donnent 
pour chef à l’armée franque Ragnoldum ducem 
Cinomannicum, Renaud, duc du Maine (1); il est 
vrai qu’elles placent sous ses ordres tous les 
contingents de la Neustrie et de la Bourgogne, ce 
qui explique, en somme, le titre de princeps tolius 
Francité que lui donne Dudon et montre aussi où il 
a puisé ce récit. 

Reste le récit du combat qui est ici intéressant, 
parce qu’il contient évidemment des renseignements 
empruntés aux traditions locales. 

L’armée normande s’est arrêtée aux Damps (.4s 
Danos), près de Pont-de-l’Arche. Dudon rapporte que 
l’armée franque vient à l’église Saint Germain et y 
entend la messe. Or, nous savons qu'il y a une église 
Saint Germain à Louviers, ville que M. Lot a iden¬ 
tifiée d’une façon absolument probante avec Veteres 
domus (2). L’armée franque, qui se trouve sur la 

(1) Annales Vedastini, p. 321. M. Latouche se demande s’il 
existait au IX e siècle un grand gouvernement militaire qui 
aurait eu Le Mans pour chef-lieu et comme une sorte de 
marche, mais il n’ose rien affirmer (Histoire du comté du 
Maine pendant le X e et le XI « siècles , Paris, 1900, in-8°, p. 10). 

(2) Lot, Veteres Domus dans Moyen Age , 1904, pp. 65-477, et 
aussi Le Pont de Pitres, ibid., 1905, p. 22. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


173 


rive gauche de la Seine, marche donc vers les 
Damps. L’armée normande s’y est concentrée ; elle 
s’est entourée d’un retranchement, suivant son 
habitude ; l’exactitude de Dudon, quant à la peinture 
des mœurs, se montre encore. L'armée a laissé à 
dessein un espace découvert où s’engage l’armée 
franque et où le porte-étendard Rolland trouve la 
mort (1). Il est remarquable que VHistoria Norvegiœ 
raconte une ruse assez semblable dont l’armée de 
Rollon aurait usé près de Rouen ; les Rouennais 
ici seraient tombés dans des fosses cachées et les 
Norvégiens les auraient égorgés, à la suite de ce 
combat Rollon se serait emparé de la ville (2). 11 est 
évident que Dudon ici connaît les lieux ; au cours 
d’un voyage en Normandie, il sera allé de Rouen 
à Pont-de-l’Arche ; peut-être aura-t il poussé jusqu’à 
Louviers ; en tout cas, il a recueilli la tradition 
locale qui avait trait à un combat livré par les Nor¬ 
mands aux Francs, lors de l’invasion de juillet 885. 
Mais quelle preuve avons-nous que Rollon ait figuré 
dans cette armée ? Aucune. 

Cependant la mort de Rolland a jeté le désarroi 
dans l’armée franque : Hasting, Renaud et leurs 
soldats s’enfuient (3). 

(1) Cet épisode, noas apprend M. Lot, Veteres Domus, p. 469, 
n. 3, n’aurait pas été sans influence sur ta formation de la 
Chanson de Roland, selon Bartoli Foggion, Le invasioni di 
Normanni in Francia e la Chanson de Roland, 1902, in-4°, br. 
de 12 p. extrait de la Revue II Saggialore. Cette hypothèse 
paraît à M. Lot fort peu vraisemblable. 

(2) Ed. Storm, pp. 90-91. 

(3) Tcrga vertentes fugam eæ petiverunt hilares, ils tournent 


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174 


ETUDE CRITIQUE 


L’armée normande poursuit l’armée franque 
jusqu’à Meulan. Dans un dernier combat, Renaud 
est mis à mort par un pêcheur de la Seine. Tous ces 
détails, plus ou moins légendaires, se rapportent 
évidemment à la campagne de 885. Les Annales de 
Saint-Vaast ne nous disent pas où Renaud trouva la 
mort, mais il n’est pas impossible que ce soit près 
de Meulan, car l’armée normande en remontant la 
Seine passa naturellement par cette ville. 

Dudon nous mène ensuite au siège de Paris, mais 
il ne s’y arrête pas ; il a sans doute quelque hésita¬ 
tion ànousraconterlonguement ce grand événement 
historique qui était bien connu de son temps par le 
poème d'Ahhon, poème dans lequel le chef de 
l’armée normande est Sigfrid et non Rollon. Pru¬ 
demment, il s’éloigne de Paris pour nous raconter 
des incursions de l’armée normande. 

Bayeux et Évreux. — La première de ces expé¬ 
ditions est dirigée contre Bayeux, les Normands 
ravagent le Bessin, les habitants résistent, s'empa¬ 
rent d'un chef normand nommé Bothon. Des négo¬ 
ciations s'engagent. Bothon est mis en liberté 
moyennant une trêve d’un an. Au bout de cette 
année, Rollon s’empare de Bayeux, la détruit de 
fond en comble et fait un grand nombre de captifs 
au nombre desquels la Pille du puissant comte 
Bérenger ; il épouse sa captive et il en a un fils nommé 

le dos et s’enfuient joyeux ! Voilà à quelles sottises le besoin 
de faire de la prose rimée entraîne notre rhétoriqueur I 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


175 


Guillaume. Ce qu'il y a d’important, c’est le mariage, 
origine du second duc de Normandie ; il ne nous 
en faut pas moins discuter tout le récit de Dudon. 
Notons d’abord que Guillaume de Jumièges au lieu 
de deux expéditions à Bayeux n’en conte qu'une (t). 

Les Normands ont ils fait des incursions en 
France pendant le long siège de Paris ? Du récit 
d’Abbon, il résulte que le 3 février 886, Sigfrid lève 
le siège et se rend dans l'est (2). Foulques, arche¬ 
vêque de Reims, mande à l’empereur que de Paris à 
Reims rien n’est à l’abri des païens (3); mais Reims 
n’est pas dans la direction de Bayeux. M. Favre et 
avec lui M. Vogel (4) admettent que l’expédition de 
Bayeux peut être justifiée par un vers d’Abbou qui 
parle d’une captive amenée du comté de Bayeux (5). 
11 se peut en effet que ce soit là le départ de 
l'histoire de Dudon. 

Il est certain que Bayeux a été pris par les 
Normands en 858 ; l’évêque Beaufroi fut tué ; il 
résulte du récit de la Translalio Saneti Philiberti que 
la prise de Bayeux a eu lieu entre 847 et 867 (6). La 
Chronique de Saint Bénigne de Dijon nous parle aussi 


(1) Ed. Marx, p. 24. 

(2) Lib. I, v. 439, éd. Pertz, p. 20. 

(3) Flodoard, Hist. eccl. Rem. ; M. G. SS., XIII, 563. 

(4) Favre, Eudes, comte de Paris, Paris, 1893, in-8°, p. 53, 
n. 4, et Vogel, op. cit., p. 336, n. 2. 

(5) Abbon, v. 355, éd. Pertz, p. 38. 

(6) M. Lot, La grande invasion Normande de 856-862, dans 
la Bib. Éc. Chartes, 1908, p. 13, n. 3, p. 18, n. 4, p. 33, n. 3, 
a fixé la date de cette prise de Bayeux à 858. 


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ETUDE CRITIQUE 


de la destruction de Bayeux lors de la première 
invasion des Normands (1). Mais cetle destruction 
est, on le voit, bien antérieure au siège de Paris ; ou 
faut-il admettre que Dudon a fait allusion à l’expé¬ 
dition des Normands sur les confins des posses¬ 
sions bretonnes lorsqu'ils s’emparèrent de Saint Lô 
en 890? Ils semblent alors avoir remonté la Vire (2); 
auront-ils de là poussé jusqu’à Bayeux ? Ces deux 
invasions normandes à Bayeux, l’une en 858, 
l’autre en 890, sont séparées par trente deux années 
d’intervalle, dans Dudon par une seule. En tout cas 
aucune source ne nous parle de Rollon, ni d’ailleurs 
de tous les autres personnages que Dudon mêle 
à cette histoire, à savoir Bothon, Bérenger et Popa. 

Bntlion, le chef normand, se retrouve bien dans 
Dudon au livre suivant, mais ce n’est pas un nom 
Scandinave ; je l’ai cherché en vain aux tables des 
Origines Islandicœ ou de l 'Ueimskringla (3). C’est, 
au contraire, un nom franc. Admettons que Bérenger 
soit un comte de Rennes (4); qu’il ait pu étendre 
sa domination jusqu’à Bayeux, les comtés de Cou- 
tances et d’Avranches ayant été cédés à Salomon 
en 867, nous aurons fait à Dudon toutes les con¬ 
cessions possibles. Mais alors loin d’avoir été vaincu 

(1) H. F., VIII, 241. 

(2) Ch. de Réginon, M. G. SS., I, 601. 

(3) Aux tables de l’Heimskringla, je trouve Ivar Boddi. La 
ressemblance est bien vague. Boson est le nom d’un roi 
de Bourgogne. 

(4) Comme le dit Le Baud. Voir de la Bouderie, Histoire 
de Bretagne , t. II, p. 334. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


177 


par les Normands, Bérenger aura été, au contraire, 
vainqueur en 889 (t). Notons qu’un diplôme de 
Charles le Chauve de 863 pro ecclesia Rothomagensi 
est souscrit par un comte Bérenger (2) ; en 86a il est 
question d’un Bérenger qui ne fait rien contre les 
Normands (3). On trouve un Bérenger, comte du 
Mans, en 892 (4). Kalckstein, se fondant sur ce que 
Dudon appelle Bernard de Senlis l'oncle maternel de 
Rollon, amnculus, a supposé que Bernard était frère 
dePopa, mère de Guillaume et qu’il était le fils deBé 
renger, fils de Pépin, fils de Bernard, roi d'Italie (5). 
Mais c'est justifier Dudon par Dudon, mauvaise mé¬ 
thode, et il faudrait d'abord savoir ce qu'est Popa. En 
résumé, des sources franques connaissent un comte 
Bérenger (c’est là sans doute que Dudon a pris son 
personnage) mais non un Bérenger comte de Bayeux 
et les sources normandes seules connaissent Popa. 

On la trouve dans Orderic Vital (6), Wace, Benoît 
de Saint More et dans un écrivain flamand, Philippe 
Mousket, qui fait assister Bérenger, comte de 
Bretagne, au baptême de Rollon. Wace en fait une 

(1) Ann. Ved. , éd. Dehaisnes, p. 335. 

(2| H. F., VIII, 589. 

(3) Ann. Ved-, ëd. Dehaisnes, p. 152. 

(4) Favre, Eudes, p. 242. 

(5) Kalckstein, p.128, n. 1. M.Lauer, Louis IVd’outre-mer, 
p. 5, n. 2, trouve cette hypothèse conjecturale. Il en envisage 
une autre : la femme de Rollon serait la fille de Guitton, comte 
de Senlis. « Mais, il le dit lui-même, ce ne sont là que des indi¬ 
cations sans vérification possible ». Lajr, Étude sur la vie de 
Guillaume, p. 3, semble souscrire à l’hypothèse de Kalckstein. 

(6) Ed. Le Prévost, II, 7. 

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ETUDE CRITIQUE 


jeune fille non nubile que le chef normand aurait 
épousée plus tard : 

N’avait encore et sein ne triant ne mamele (I). 

Quel est le caractère de cette union? Un mariage, 
connubium, dit Dudon. Guillaume de Jumièges, 
toujours plus sincère, ne croyant pas à la possibilité 
d’un mariage entre le païen Rollon et une chré¬ 
tienne, fille du comte Bérenger, dit que Rollon l'a 
épousée à la danoise, more danico : 

Itou en a fait s’amie, 

dit Wace (2). 

Quelle est la date de cette union ? Dudon ne le dit 
pas. Guillaume dit: « Non multopost ». Wace dit que 
Rollon « mult l’a désirée ». Mais toutes ces sources 
normandes n’ont aucune valeur: ce sont toujours 
des interprétations, des arrangements de Dudon. 
Sur la mère de Guillaume Longue-Epée nous n’avons 
qu’un renseignement, certain celui là, donné par la 
Complainte de la mort de Guillaume Longue-Epée : la 
mère de ce prince était chrétienne (cela n’exclut pas 
la fille du comte Bérenger) ; la Complainte dit aussi 
que c’est cette mère chrétienne qui a fait baptiser 
Guillaume, mais si Popa est la toute jeune fille que 
nous représentent les sources normandes, elle n’aura 
pu avoir l'autorité nécessaire pour faire baptiser son 
enfant. La fille du comte Bérenger est d'ailleurs 


(1) Ed. Andresen, t. I, v. 593. 

(2) Ibid., t. I, p. 60, v. 595. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


179 


exclue par le Hic in orbe transmarino natus pâtre. 
Guillaume Longue-Epée est né outre mer et alors il 
est bien difficile d'admettre que sa mère soit la fille 
du comte Bérenger, à moins d’accepter l'hypothèse 
(que j’ai faite moi même) que Rollon ayant enlevé 
la fille d’un comte franc, l’a emmenée en Angle¬ 
terre où serait né Guillaume. Pour que tout cela 
soit vrai, il faut qu’il y ait eu un Bérenger, comte 
de Bayeux, première hypothèse; que Rollon ait 
pris Bayeux, seconde hypothèse ; qu’ensuite il soit 
retourné en Angleterre, troisième hypothèse. En 
réalité, la Complainte ne sait qu’une chose, c’est que 
la mère de Guillaume était chrétienne et que le 
prince était né outre mer, et la Saga connaît, nous 
l’avons vu, une fille de Ganger Rolf, Kadlin, Cata- 
rina, qui était chrétienne et écossaise. Voilà la vraie 
famille de Rollon. Quant à Gerloc, la sœur de Guil¬ 
laume Longue Epée, qui épousa le comte de Poitiers, 
elle peut, elle aussi, être la fille d’une Ecossaise, 
rien ne s’y oppose. Gerloc peut aussi être la demi- 
sœur de Guillaume ; elle peut être la fille d’une autre 
femme de Rollon. 

Dudon mène ensuite les Normands de Rollon à 
Evreux. La Translatio S. Wamtregesili dit que les 
Normands assiégèrent Chartres le 16 février 886 ; 
mais de ce qu'ils sont allés à Chartres, il ne s’ensuit 
pas nécessairement qu’ils soient allés également à 
Evreux (1). Dudon nous dit que l’évêque Sebar 


(i) M. G. SS., XV, 409, M. Favre, Eudes, p. 47, n. 4, voit là 
une preuve de la prise d’Évreux. 


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ETUDE CRITIQUE 


réussit à s'enfuir. Cet évéque est connu. Il assista le 
25 juin 870 au concile d’Attigny (1). La Chronique 
de Saint-Etienne de Caen place cet événement 
en 898 (2), ainsi que les Annales de l'abbaye 
d’Ouche (3) ; celles de Rouen, la Chronique Saint- 
Néot, en 893 (4). M. Vogel trouve plus vraisemblable 
la date de 886 (5) probablement parce qu’il attache 
quelque importance au renseignement de Dudon 
qui place cet événement pendant le siège de Paris. 
La raison me parait bien peu sûre ; il n’y a aucune 
preuve, en tout cas, que Rollon ait pris part à cette 
expédition. 

Rollon et Athelstan. — Après la prise de Paris, 
Dudon ramène Rollon en Angleterre où le roi 
Athelstan a besoin de son secours contre ses sujets 
rebelles. Rollon lève le siège de Paris pour aller au 
secours de son allié et les deux rois triomphent des 
Anglais. Quelles ont été les sources de cette histoire 
si étrange du retour de Rollon auprès d’Athelstan, 
de l’amitié de Rollon avec Athelstan ? 

M. Lair s’est borné à suggérer un rapproche¬ 
ment avec Allielstan-Gutlirum ; nous avons vu à 


(1) Duchesne, Les Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, 
Paris, 1900, 2 vol. in-8°, t. Il, pp. 224 et 229. 

(2) Ch. S. Cadom., Duchesne, H. Noms. Scr. f p. 1016. 

(3) Annales Uticcnses dans l’édition d’Orderic Vital (S., 
H. F.), V, 154. 

(4) Ed. Stevenson, p. 141. 

(5) Op. cil., p. 330, n. 3. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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quelles difficultés chronologiques se heurte cette 
hypothèse. Mais personne n’a jamais expliqué les 
rapports entre Athelstan et Rollon après le siège 
de Paris. Je suis persuadé que cet Athelstan est 
Athelstan roi d’Angleterre de 924 à 940, car il est 
incontestable que ce roi a entretenu des rapports 
avec les chefs Scandinaves. Il a eu des entrevues à 
Tamworlh, capitale de la Mercie, avec le roi danois 
de Northumbrie Sithric qui obtint même la main 
de sa sœur et probablement embrassa le christia¬ 
nisme, mais mourut peu après (1). Athelstan soumit 
alors le royaume danois, il expulsa Gotfrid et réu¬ 
nit tous les royaumes sous sa domination. Mais une 
coalition se forma contre lui, qui comprit Cons¬ 
tantin, roi d’Ecosse ; Houel, roi des Gallois de 
l’ouest ; Owen, roi de Gwent, et Olaf Gulhfrisson, 
roi de Dublin ou, comme l’appelle la Chronique 
d’Egil, Olaf le Rouge, roi des Scots. Peut-être y 
a-t-il une réminiscence de cette coalition dans les 
difficultés que dépeint Dudon ? Angli cœperunt arro¬ 
gantes insolescere. 

Athelstan défit ses adversaires dans la fameuse 
bataille de Brunanburh (937), qui a donné lieu à une 
ballade que la Chronique anglo-saxonne a conser¬ 
vée (2). Les Scaldes n'auraient ils point porté cette 
ballade en Normandie? Ainsi Dudon en aurait eu 
connaissance et aurait fait de Rollon un allié 


(IJ Anglo-Saxon Chronicle, éd. Thorpe, I, 199 et II, p. 85. 

(2) Ibid, II, p. 86 et I, p. 200. Sur l’emplacement de cette 
bataille, voir Collingwood, op. cit., p. 181. 


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ETUDE CRITIQUE 


d’Athelstan (1). Dudon a pu aussi trouver dans la 
Saga d’Harald Harfagr’ la tradition relative aux 
rapports d’Athelstan avec les Scandinaves. 

« En Angleterre, dit cette Saga, il y avait un roi 
Alhelstan, Adalstein, appelé leVictorieux.il envoya 
un ambassadeur au roi Harald, chargé de lui 
remettre une épée dont la gaine était tout entière 
ornée d’or et d'argentet même de pierres précieuses. 
L'ambassadeur tendit au roi cette épée (gladii capu 
lum ) en disant : « Voici l'épée que le roi Athelstan 

(1) On pourrait se demander si l'alliance d'Athelstan avec 
Rollon, l'appui donné par le chef normand au roi anglo-saxon, 
n'aurait pas eu lieu après l’établissement de Rollon en Nor¬ 
mandie, comme l’affirme Fleury, Histoire d’Angleterre , 
4 e éd., Paris, 1879, in-8°, 20. « Rollon, duc des Normands, fixés 
depuis 912 dans la partie de la Neustrie comprise entre l’Epte 
et la Manche, lui envoya aussi des secours. Mais Athelstan 
n’avait pas réuni toutes ses forces, lorsque Aulaf, fils de 
Sigtrygg, entra dans l’Humber avec six cent quinze vais¬ 
seaux, c'est-à-dire à la tète d’au moins quarante mille 
combattants. La rencontre eut lieu près de Brunanburgh dans 
le Northumberland (937) ». M. Fleury, qui n'a certainement 
fait aucune étude de la question, ne remarque pas qu'il semble 
bien impossible que Rollon ait assisté Athelstan, lors de la 
bataille de Brunanburh ; il y avait longtemps qu’il était mort au 
moment de cette bataille. Il ne serait pas impossible cepen¬ 
dant que des Normands de Normandie, ou de leur propre 
initiative, ou envoyés par Guillaume Longue-Epée, aient 
assisté à la bataille de Brunanburh, dans les rangs de l'armée 
d’Athelstan ; car nous savons par la Saga d'Egil (Egil Skalla 
Grim’s Son, dans le Corpus poeticum boreale, I, pp. 266 et 534), 
qu'il y avait des vikings mercenaires dans cette armée, (Voir 
Collingwood, op. cit., p. 135). Ainsi, la ballade de Brunan¬ 
burh a pu être apportée en Normandie par des vikings 
normands qui avaient pris part à la bataille et être connue de 
Dudon qui aura tout brouillé. 


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m’a dit de te faire accepter. » Le roi la prit et 
aussitôt l’ambassadeur lui dit : « Tu as pris cette 
épée comme le roi voulait que tu la prisses et main¬ 
tenant tu lui seras sujet puisque tu as tenu de lui 
l’épée. » Harald Harfagr’ entra dans une violente 
colère, car la remise de l’épée constituait une sorte 
d’investiture ; il s’écria qu'il ne s’était jamais soumis 
à aucun pouvoir... (1). Enfin, conclut la Saga, les 
deux princes ont essayé de se soumettre l’un l’autre, 
mais n’ont pu y réussir ; aucun des deux ne put 
diminuer la dignité de l'autre. Dudon fait comme 
la Saga, il fait de Rollon l'égal d’Athelstan, et ne 
trouve-t-on pas dans son récit un souvenir de 
l’offrande de l’épée : « Regnum quoi mihi ultra dedisli, 
per hune mucronem duodecim libras auri capulo 
habentem redda iibi (2) u 1 La coïncidence est frap¬ 
pante, Dudon est un poète épique. Il a vu la scène 
à faire (3). 


(1) L’été suivant, le roi Harald envoya un navire en Angle¬ 
terre auquel il donna pour chef Hauk dit Habrok, homme 
d’un grand courage, et il lui confia son fils Hakon. Hauk, 
arrivé à Londres à la cour du roi, posa Hakon sur les genoux 
d'Athelstan. Celui-ci demanda ce que cela signifiait. « Le roi 
Harald, dit Hauk, t’ordonne d'élever son fils (parce qu'on ne 
pouvait confier son fils qu’à un inférieur). » C’est au tour 
d'Athelstan d’entrer dans une violente colère. Harald* Saga 
ens tlarfagra , c. 41 et 42, dans VHeimskringla, I, 119. 

(2) Ed. Lair, p. 160. 

(3) D'après la Saga, Athelstan aurait fait élever Hakon dans 
le christianisme ; ses rapports avec Harald auraient été 
amicaux. Athelstan et Harald étaient alliés contre les chefs 
vikings, comme le remarque justement M. Oman, England 
before the Norman Conquest, Londres, 1010, in-6°, p.523. lime 


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ÉTUDE CRITIQUE 


Rollon et les invasions. — Que Rollon ait été le 
personnage autour duquel Dudon accumule tout ce 
qu'il sait des invasions normandes, cela apparaît 
dès le début du paragraphe où il le montre à son 
retour d'Angleterre envoyant des expéditions sur 
les bords de la Seine, de la Loire, de la Garonne. 
Qu'il y ait eu des expéditions normandes sur ces 
trois fleuves, cela n’a pas besoin de démonstration ; 
nous avons parlé suffisamment de celles sur la 
Seine, à l'occasion d’Hasting, de celles sur la 
Loire—sans nous proposer le moins du monde de 
{aire à propos de Dudon une histoire des invasions 
dans la Francia occidentalis — quant aux invasions 
sur la Garonne, elles ont eu aussi une certaine 
importance (1), quoique moindre, mais ce qui juge 
une fois de plus la chronologie du chanoine de 
Saint-Quentin, c’est qu'elles sont antérieures à 
l’arrivée de Rollon et ce qui montre son inexac¬ 
titude, c’est que jamais aucun chef normand, même 
au temps de la grande armée dont Sigfrid parait 
avoir été le conducteur principal, n’eut le pouvoir 
de distribuer ainsi les expéditions normandes entre 
les fleuves de la Gaule. 

Puis, Rollon est conduit de nouveau par Dudon 
sous les murs de Paris; au reste, il y a eu en eflet 

semble que Dudon a connu la Saga d’Harald Harfagr’ (j'avais 
déjà remarqué qu'il l'avait connue en ce qui concerne 
l’origine de Rollon) ; mais là encore il l'a défigurée, et il a 
substitué Rollon à Harald Harfagr’ lui-mème dans ce nouvel 
épisode. 

(1) Vogel, op, cit., pp. 197, 200. 


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après le siège de 885-886 de nouvelles tentatives 
des Normands sur Paris ; mais on ne sait rien de 
la présence de Rollon dans les bandes qui reparurent 
dans cette ville avaut la fin du IX» siècle. Le roi 
que Dudon appelle Charles — on a dit que Dudon ne 
paraissait jamais savoir exactement quel était le roi 
régnant — est inquiet; il tait venir l'archevêque 
de Rouen, Francon, et, par son intermédiaire, obtient 
une trêve de trois mois. Cela est assez invraisem¬ 
blable ; nous ne savons à quelle date exacte Francon 
monta sur le trône archiépiscopal de Rouen, mais il 
semble bien qu’à la date où les événements qui 
vont suivre se sont passés, c’est-à-dire vers 910, 
l’archevêque de Rouen était Guitton. Francon est 
chargé de préparer le baptême de Rollon. On serait 
tenté de rapprocher ce récit du baptême de Hundée, 
mais on le pourrait aussi bien du baptême de 
Gotlrid ou de tout autre chef. Tout cela est sans 
doute sorti de l’imaginatiou de Dudon. 

Campagne de Bourgogne. — Au cours de cette 
trêve, raconte Dudon, Richard, comte de Bourgogne, 
et Ebles, comte de Poitiers, reprochent au roi sa 
mollesse et attaquent Rollon qui, croyant qu'on le 
méprise parce qu’il ne pille plus, se met à ravager 
le pays et pénètre en Bourgogne. Richard, dont il 
est ici question, est le puissant comte de Bourgogne, 
Richard le Justicier, fils de Thierri d’Autun ; en 880, 
il était comte d’Autun (1). C’était, avec le marquis 

(1) Poupardin, Le royaume de Provence , Paris, 1901, in-8», 
p. 333. 


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ETUDE CRITIQUE 


Robert le plus puissant des grands vassaux, mais 
aussi l'un des hommes les plus capables du 
royaume (1). Ebles, dit Ebles le Manzer ou le Bâtard, 
fut comte de Poitiers de 890 à 892, une seconde fois 
de 903 à 935 (2). Que Richard de Bourgogne ait joué 
un rôle important et brillant dans les luttes contre 
les Normands, cela est certain, La chose est plus 
douteuse pour Ebles. 

Il semble bien qu’il y ait eu une campagne des Nor¬ 
mands en Bourgogne en 898. A cette date, le Chroni- 
con Besuense dit que les moines de Bèze apprenant 
l’arrivée desNormands.les uns s’enfuirent, les autres 
se cachèrent, un certain nombre furent victimes 
des Normands (3). Ceux ci marchaient sur Dijon, 
lorsque Richard le Justicier survint et leur livra 
une grande bataille en un endroit appelé Argenteuil. 
La Chronique de Saint-Bénigne de Dijon dit que l’em¬ 
placement de la bataille est situé sur le territoire 
de Tonnerre. Les Annales de Saint-Bénigne de 
Dijon parlent également d’un combat à Argenteuil 
qui eut lieu en 899, le 5 des kalendes de janvier (4). 

(t) Lauer, op. cil., p. 8. Aussi est-on un peu surpris de 
voir M. Lair traiter Ebles et Richard de politiciens. (Le siège 
de Chartres par les Normands, extrait du Compte rendu du 
LXVIII * Congrès archéologique de France , Caen, 1902, in-8°, 
P- 24.) 

(2) Richard, Histoire des comtes du Poitou, Paris, 1903, 
2 vol., in-8°, t. 1, pp. 44-49 et Sl-73. Ces dates doivent être 
préférées à celles de 902 à 932, données par M. Lair, éd. de 
Dudon, p. 160, n. b. 

(3) H. F., IX, 20. 

(4) Migne, Pat. let. CXLI, c. 879. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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Nous pouvons en déduire que les Normands ont 
été batlus par Richard le 28 décembre 898. Est ce 
à cela que Dudon (ait allusion ? On pourrait expli¬ 
quer ainsi le désir de vengeance que Dudon prête 
à Rollon ; mais si c’est ce chef qui lut battu en 898, 
il mit plus de trois mois à se venger, car ce n’est 
qu'en 910 que les Normands reparurent en Bour- 
gogne et c’est cette campagne que raconte Dudon. 
Us se rendirent, par la Seine, dans l’Yonne (1). 
D’une campagne en Bourgogne il y a, en tout cas, 
une confirmation dans les llesta ponlificum Autissi- 
diorensium ; ils racontent que le vicomte d’Auxerre, 
Rngnardus, Ragnard, fit nommer à l’évêché de cette 
ville un Français nommé Gerran qui se distingua 
lors de l'arrirée des Normands et leur infligea un 
échec. Or, le prédécesseur de Gerran, Herifridus, 
Herfroi est mort vers le 15 octobre 909 (2). Donc 
cette campagne n’a pu avoir lieu qu’à la fin de 909 
ou en 910 ; or, il est plus probable que c’est en 910, 
car la Chronique de Sainte-Colombe de Sens dit 
qu’en l’année 910 (8 knl. junii feria VI, 26 mai), 
des travaux furent entrepris à ce monastère par le 
prévôt Betton (3) et les Gesla ponti/icum Autissidio- 
rensium nous disent qu’il avait commencé ces 


(1) M. Lair propose de corriger et de lire . perque Sequa- 
nam in Jonam navigantes • par la Seine, ils se sont rendus 
dans l’Yonne. On peut admettre cependant que les Normands 
ont remonté l’Yonne par la Seine, puis, de là, ont gagné, 
par terre, la vallée de la Saône. 

(2) Duchesne, op. cit., II, 447. 

(3) Ed. dans Bibl. Historique de l’Yonne, I, p. 204. 


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ETUDE CRITIQUE 


travaux pour protéger son monastère contre les 
Normands (1). 

De la Bourgogne Dudon mène les Normands à 
Clermont. M. Vogel se demande s'il s’agit de Cler¬ 
mont en Argonne où les Normands lurent battus à 
Montlaucon, le 24 juillet 888 par le roi Eudes (2) ; 
mais nous savons que les Normands sont allés dans 
le Berry en 910, la Chronique de Massai nous dit que 
l'évêque de Bourges, Madalbert, fut tué cette année-là 
par les Normands (3). Comme il avait signé l'acte de 
fondation de Cluny le 11 septembre 910 (4), il faut 
que cette expédition dans le Berry ait eu lieu dans 
les derniers mois de l’année 910. Les Normands 
ont-ils poussé jusqu'en Auvergne, jusqu'à Clermont ? 
M. Lair le croit et justifie Dudon en s’appuyant sur 
un Fragmenlum Historiée Francorum (5) ; mais qu’on 
se reporte à ce texte, il raconte des événements qui 
ont lieu après 924, l'expédition en Auvergne reste 
donc douteuse. Du Berry, les Normands revinrent 
par le monastère de Saint-Benoit-sur-Loire. Les 
Miracula Sancli Benedicti parlent de ravages commis 
par un roi Rainaud qui mourut plus tard à Rouen (6). 

(1) Ibid., I, p. 368. 

(2) Vogel, p. 394, n. 1 ; sur cette bataille, cf. Favre, op. cil., 

p. 106. 

(3) H. F., Vni, 230. 

(4) Brukl, Recueil des Chartres de Cluny, Paris, 1876, in-4°, 
I, 124-128. 

(5) H. F., VIH, 298. 

(6) Miracula Sancli Benedicti, dans Migne, Pal. Lat., 
CXXXIX, c, 806. 


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Ne soyons pas surpris de voir le nom de Rollon 
ainsi défiguré, ce chef ne fut connu en France que 
fort tard. En tout cas, Dudon lui prête une tout autre 
attitude et le représente au contraire comme ayant 
donné l’ordre de ménager les biens de ce monastère. 

C’est au retour de cette expédition qu’il fut 
attaqué à Villemetz. M. Lair propose d’identifier 
Villemetz avec Villemeux (1). M. Vogel qui le suit 
docilement dit que la ligne de retour de Rollon de 
Bourgogne à Rouen est en effet Dreux, Villemeux, 
Maintenon, Etampes (2). Mais ce sont MM. Lair et 
Vogel qui supposent que Rollon revenait à Rouen. 
Dudon dit qu’il revenait vers Paris (3). En ce cas, il 
vaut mieux identifier Villemetz avec Villemer, 
canton de Moret, arrondissement de Fontainebleau, 
département de Seine-et-Marne, comme le fait 
M. Eckel (4). 

C’est là, s’il faut en croire Dudon, que Rollon 
aurait été attaqué par les paysans exaspérés. Ce 
soulèvement rural est il bien un fait historique ? 
Guillaume de Jumièges qui abrège Dudon en suppri¬ 
mant ce qui ne lui parait pas certain n’en parle pas. 
Benoît dit que ces paysans étaient de Beauce (S) et 
Vogel voit là une preuve que Villemetz est bien 


(T) Canton de Nogent, arrondissement de Dreux, départe¬ 
ment d'Eure-et-Loir ; Ed. de Dudon, p. 161, n. 6. 

(2) Op. cit., p. 395, n. 2. 

(3) » Hincque Parisius remeare acceleravil •. 

(4) Charles le Simple, p. 67, n. 1. 

(5) Benoit, Chr. des ducs de Normandie, I, 259, v. 5071. 


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ETUDE CRITIQUE 


Villemeux (1). Mais Benoit, nous l’avons déjà remar 
qué, a traduit Dudon en l'interprétant. Il a compris 
que Rollon revenait par Villemeux ; ajoutons que 
pour gagner Villemer, Rollon devait également 
traverser la Beauce. Avec une érudition heureuse, 
M. Vogel remarque qu’en 859 il y avait eu dans la 
même contrée une attaque des paysans d’entre Seine 
et Loire contre les Danois (2). Prudence de Troyes 
nous rapporte en effet ce soulèvement populaire (3) 
et il est infiniment probable, quand on connaît les 
procédés de composition de Dudon, que c’est là qu'il 
a pris ce renseignement, de sorte que loin de confir¬ 
mer le récit de Dudon, comme le croit M. Vogel, le 
rapprochement le détruirait plutôt. Nous n’avons là 
encore qu'une réminiscence des lectures de notre 
auteur. Le récit animé qu’il donne du combat sort 
vraisemblablement de sou imagination. 

Dudon mène ensuite Rollon sous les murs de 
Chartres. M. Lair et M. Vogel ont promené l’armée 
de Rollon à travers la Beauce, par Villemeux jusqu’à 
Rouen, puis ont conjecturé qu’elle était partie de 
Jeufosse pour marcher sur Chartres. Tout cela est 
pure hypothèse. Rollon vint mettre le siège devant 
Chartres, à quelle date? Nous ne savons. 


(1) Op. cit., p. 395, n. 3. 

(2) Id., et p. 166. 

(4) Vulgus promiscuum inter Sequanam et Ligerim inter se 
ctmjurans, adversus Danos in Sequana consistcntes fortiter 
resistit. 


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La bataille de Chartres. — Que s’est-il passé au 
siège de Chartres ? Dudon nous représente ainsi les 
choses le chef normand assiège Chartres ; les 
troupes du comte Richard attaquent l'armée de 
siège, Rollon est d’abord vainqueur. Les Francs et 
les bourguignons ramassant leurs forces, recom¬ 
mencent la lutte, la bataille est indécise, lorsque 
parait l’évêque revêtu des ornements ecclésiastiques 
et portant la tunique de la Vierge, suivi du clergé 
et des fidèles, entouré de chevaliers. Il se jette hors 
de la cité, prend à revers les Normands, et Rollon, 
s’échappant entre les deux troupes, bat en retraite. 

Quelle est la valeur de ce récit? Il est parfaite¬ 
ment vraisemblable. C’est tout ce qu’on en peut dire. 
Aucune autre source ne nous garde le souvenir de 
ce combat. Peut-on identifier ce combat avec la 
grande bataille racontée par Richer, dans laquelle 
est engagée une armée de 40.000 hommes, comman¬ 
dée par Robert, fils d'Eudes de Paris, Ricuin (peut- 
être Richwin) à la tête des Belges, Dalmate à la tête 
des Aquitains (1) ? M. Lair voit la preuve qu'il s'agit 
de la bataille de Chartres, dans le fait qu’il est 
question ensuite de la cession de la Normandie et 
de la conversion des Normands (2). Mais Dudon ne 
connaît rien de tous les détails stratégiques rapportés 
par Richer. On peut admettre que Dudon et Richer 
racontent deux batailles différentes, on peut ad¬ 
mettre aussi qu’ils racontent la même bataille, mais 

(1) Ed. Guadet, I, et. 

(2) Ed. de Dudon, p. 51. 


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ETUDE CRITIQUE 


avec des détails sortis de leur imagination. II serait 
également peu sûr de trouver dans le récit de 
la bataille de Chartres que contient le Cartulaire de 
Saint Père une confirmation du récit de Dudon ; 
le rédacteur du Cartulaire l’a visiblement emprunté 
à cet auteur. Quant aux autres chroniques, elles ne 
nous donnent que des détails sur le chilTre élevé 
des pertes des Normands, 6.800 hommes (1). Mais la 
Chronique d’Aubri des Trois Fontaines donne 
d'autres détails, la présence de Robert et de Richard 
empruntée évidemment aux sources antérieures, 
puisque cette chronique est du XIII e siècle. 

Reste la question la plus importante, celle de la 
date ; c’est aussi la plus difficile à trancher. Dudon 
n'en donne pas ; nous verrons plus loin qu’il place 
en 912 la conversion de Rollon que nous savons 
avoir suivi la bataille de Chartres. 

Au fond, ce qui importe, c’est l’indication de la 
Chronique de Sainte-Colombe de Sens, qui donne une 
date complète (2). D’ailleurs les Annales bourgui¬ 
gnonnes sont particulièrement précieuses pour cette 
histoire, puisque c’est à la suite d'une campagne en 
Bourgogne, dont nous avons pu reconstituer les 
étapes en 910 qu’eurent lieu le siège et la bataille de 
Chartres. 

L’évêque Gualtelmus est appelé Wantelinus dans 
les listes épiscopales (3) ; il succéda à Haimeri 


(1) Ch. d’Aubri des Trois Fontaines, H. F., IX, 63, et Chro- 
nique de Saint-Florent de Saumur, H. F., IX, 55. 

(2) Voir l’appendice. 

(3) Duchesse, op. cil. II, 419. 


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après 891 (1). 11 semble bien que Richard, Robert et 
aussi le comte de Dijon Manassès, aient joué un rôle 
dans cette campagne, car en marge d’un manuscrit 
de l’église cathédrale de Chartres (2) figure la note 
suivante : « Rotbertus cornes et dux Manassès Uichardo 
comili salutem, Scilote quoniam fuerimusporrecti contra 
Normannos ; sed non invenientes, regressi sumus l‘ari- 
sius, mittmtcs ad dos, et requirimus utrum vos 
necne venietis ad nos ». Cette lettre, d’une écriture du 
X« siècle, a été écrite suivant M. Merlet au lende¬ 
main de l'aflaire de Villemeux en 910, suivant 
M. Lair en 911 (3). Nous avons dit quels doutes 
nous avions sur le récit de la révolte des paysans 
par Dudon ; mais il se peut fort bien que les Nor¬ 
mands marchant sur Paris, Robert et Manassès 
soient allés à leur rencontre, puis qu’ils aient battu 
en retraite vers Paris et appelé à eux Richard. Cette 
lettre pourrait avoir été écrite au printemps de 911 
pour demander le secours de Richard. En marge du 
même manuscrit, on lit Galterius archipraesul, ou a 
supposé que ce serait l’archevêque de Sens, Gautier, 
qui aurait averti l'évêque de Chartres qu’on se 
disposait à veuir à son secours. Tout ceci s'explique 
assez bieu. Les Normands revenant de leur expédi- 

(1) Ibid, p. 427. M. Pfister traduit son nom parGouleaume ; 
Eckel par Jousseaume ; l’éditeur du Carlulaire de Saint-Père 
par Jousselin, Kalckstein par Gantelme ; M. Lair, Le siège 
de Chartres par les Normands , p. 34, n. 2, dit Gousseaume 
ou Goussiaume. 

(2) Bibt. munie, de Chartres, n° 92, fol. 30. 

(3) Lair, Le siège de Chartres, p. 35. 

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ETUDE CRITIQUE 


tion dans le Berry dans les premiers mois de 911, 
ravageât la Beauce, menacent Paris. Robert et 
Manassès couvrent Paris, appellent Richard le Justi¬ 
cier qui avertit l’archevêque de Sens de sa résolution 
de secourir Chartres. Celui-ci prévient l’évêque de 
cette ville par quelque émissaire ; et l'évêque fait 
une sortie au moment de l’arrivée des Francs et des 
Bourguignons ; le dimanche 20 juillet 911, la ville 
est délivrée. 

La bataille terminée, une partie de l'armée nor¬ 
mande, quædam acies, se retire sur une colline 
proche, ad Leugas. Elle s’y retranche et brave tous 
les efforts de l’armée bourguignonne. Cependant 
Ebles de Poitiers est arrivé le soir de la bataille ; il 
reproche aux Francs et aux Bourguignons de ne pas 
l’avoir atlendu et s’emporte véhémentement contre 
eux. Les Francs et les Bourguignons lui répondent 
que si le cœur lui en dit, il peut attaquer les Nor¬ 
mands. il se jette à l’assaut de la position, mais les 
Danois résistent énergiquement et refoulent les 
nouveaux arrivants jusqu’au bas de la colline, les 
Poitevins alors attaquent les Danois avec les fascines 
que ceux-ci avaient préparées pour le siège. Repous¬ 
sés, Ebles et Richard se décident à faire le blocus de 
la colline. Les Normands se sentent perdus. Un 
Frison leur conseille de faire une sortie dans la 
nuit en sonnant leurs trompettes ; il prévoit que 
les Francs croyant à l’arrivée de Rollon lécheront 
pied. Le stratagème réussit, une partie de l’armée 
s’enfuit. Ebles, dans le désordre de la surprise, se 
cache en la maison d'un foulon. Au matin, l’armée 


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SUR Dt'DON DE SAINT-QUENTIN 


195 


franque apercevant la colline évacuée se ressaisit 
et entame la poursuite ; mais elle se heurte à un 
retranchement fait avec les cadavres écorchés de 
tous les animaux de l’armée normande : chevaux, 
bœufs, ânes. Devant ces cadavres, les chevaux se 
cabrent et les Normands peuvent continuer leur 
retraite. 

Ce récit est extrêmement curieux ; certaines par¬ 
ticularités paraissent fort vraisemblables. Il est facile 
d’identifier Leugas ; c’est Lèves, village situé à 
quelques kilomètres au nord de Chartres, sur une 
éminence. Les ruses employées par les Normands 
rentrent dans les habitudes des guerriers vikings 
passés maîtres dans l’art de la guerre de tranchées. 
Quant à Ebles et aux paroles belliqueuses que lui 
prête Dudon, au rôle ridicule qu’il joue ensuite en 
trouvant un refuge dans la maison d’un foulon, on 
a l’impression que l’on se trouve en présence d’un 
récit épique tiré de quelque chanson de gestes. Et 
cette impression se confirme lorsqu’en lisant Wace 
et Benoît de SaintMore, on voit que tous deux 
rapportent cet incident et que ce dernier déclare qu’il 
a entendu chanter cet épisode (1). Evidemment, la 
bataille de Chartres a été le sujet d’une chanson que 
Benoit a connue, que Dudon avait connue avant lui 
et à laquelle il a emprunté les détails très précis qui 
donnent tant d'iutérét à sa narration. 

(1) Vers en firent e eslraboz 

U ont assez de vilains moi. 

V. 5911 et 5912, éd. Fr. Michel, I, p. 288. 


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ETUDE CRITIQUE 


Dudon raconte encore que Rollon,dans sa fureur, 
recommença à ravager toute la terre et à tout 
détruire. Les Gesta pontifrcum A utissiodorensium con- 
firment ici Dudon (1) : les Normands firent une 
nouvelle incursion dans le Nivernais, mais, à leur 
retour, ils furent de nouveau surpris par le duc de 
Bourgogne et l’évêque Gerran et mis en pleine 
déroute. C’est seulement après ce nouvel échec que 
s’engagèrent les négociations entre Charles le 
Simple et les Normands. 

On s'est étonué que Charles le Simple ait signé la 
paix avec Rollon après l’échec des Normands à 
Chartres, il faudrait dire après les échecs de ceux- 
ci dans l’Auxerrois, Chartres et le Nivernais. Les 
campagnes de 910 et de 911 avaient été malheu¬ 
reuses pour les Normands, mais c’était précisément 
ce qui rendait la paix possible ; tant que les expédi¬ 
tions de pillage réussissaient, les Normands s'y 
complaisaient ; ils ne se soucièrent de traiter 
qu’après avoir perdu leur butin et en présence du 
réveil de la France. Ajoutons qu’il ne faut pas 
perdre de vue ces échecs pour comprendre les 
conditions de la paix. 

Le traité de Saint-Clair-sur-Epte 

Oudon raconte longuement les négociations qui 
ont amené ce que l’on est convenu d’appeler le traité 
de Saint-Clair-sur-Epte. Il est au contraire très bref 


(1) C. 42, éd. Duru, Bibl. hisloriq. de l'Yonne, I, 370. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


197 


sur les clauses du traité, et la remarque a son 
importance, car elle met en relie! une fois de plus 
les procédés de l'auteur. Il s’étend sur des négo¬ 
ciations dont il ne sait rien et qui n'ont d’ailleurs 
qu'un intérêt secondaire, mais quand son imagi 
nation peut se donner carrière et qu’il arrive aux 
clauses du traité, aux conditions mêmes de l’établis¬ 
sement des Normands, il est laconique, vague et 
obscur, à dessein peut-être. 

On a dit récemment que l’on n’avait pas attaché 
assez d’importance aux négociations préparatoires 
racontées par Dudon (1). Résumons-les exactement. 
Dudon représente ainsi les choses : les Francs, las 
de la guerre, las de l’inertie du roi, inertie trop 
évidente, la lui reprochent vivement. Ils prennent 
l’initiative de faire proposer la paix aux Normands 
moyennant la cession du pays de l’Andelle à la mer, 
la main de la fille de Charles le Simple sera donnée 
au chef normand. Le roi fait venir l’archevêque de 
Rouen, Francon, et lui demande de servir d'interiné 
diaire. Francon va trouver Rollon, lui fait part des 
oflres du roi et l’engage à se faire baptiser. Rollon 
consulte les chefs normands, majores Dacorum (trait 
de mœurs juste) ; ceux-ci sont favorables à la paix. 
La Normandie est un pays ravagé, mais qui peut 
devenir riche. Les chefs font un éloge de Gisèle 
qui a toutes les vertus et toutes les beautés ; ils 


(1) Flach, La Normandie élait-elle un grand fief de la Cou¬ 
ronne avant le XII e siècle ? Extrait du Compte rendu de 
l’Académie des Sciences morales et politiques, 19i4, in-8° p. 12. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


conseillent un armistice de trois mois pour discuter 
de la paix. Françon retourne vers le roi, chargé de 
la réponse du chef normand et promet de sa part le 
service, servitii factum, si le roi concède la région 
maritime et la main de sa fille. Les Francs engagent 
le roi à conclure la paix. Il promet de donner Gisèle 
en gage, per pignus, et l’armistice est conclu. Cepen¬ 
dant le duc Robert apprend que la paix se négocie ; 
il se mêle aux négociations et conseille à Rollon de 
céder ; il l’engage à se faire baptiser et lui offre 
son amitié. Le chef normand se déclare prêt à venir 
au plaid projeté qui se tient à Saint Clair sur Epte. 
Rollon émet alors ses véritables prétentions. La 
Normandie est déserte, on ne peut y vivre, il veut 
la tenir quasi fundum et alodum ; mais il entend 
recevoir un autre pays d'où il puisse tirer des 
vivres. Le roi consent à donner comme terre à piller 
la Flandre, Rollon n’en veut point à cause des marais, 
le roi finit par promettre de lui donner la Bretagne 
et l’accord est conclu. 

Cette analyse permettra de mieux discuter les 
questions relatives au traité même qui peuvent se 
ramener à quatre : les limites du pays concédé, 
l’union avec Gisèle, l’inféodation de la Bretagne et 
enfin la situation de la Normandie par rapport au 
roi. 

Le territoire concédé. — Discutons successive¬ 
ment ces points : Dudon, en ce qui concerne la 
cession de territoires, s’exprime d’abord d’une 
manière assez vague. Charles le Simple laisse à 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 199 

Rollon en toute possession le pays depuis l’Epte 
jusqu’à la mer. Cela semble vouloir dire la Haute- 
Normandie. Mais au paragraphe suivant, où il relate 
la conversion de Rollon, Dudon, d'une manière 
indirecte d’ailleurs, nous suggère une tout autre 
idée. Rollon fait venir Francon et lui demande 
quelles sont les principales églises de sa terre ; 
l’archevêque répond que ce sont celles de Rouen, 
de Bayeux, d’Evreux et du Mont-Saint Michel, et 
Rollon, bon prince, fait, les sept jours qui suivent, 
des dons aux églises, à Notre-Dame de Rouen, à 
Notre-Dame de Bayeux, à Notre-Dame d’Evreux, au 
Mont Saint-Michel, à Saint-Ouen, à Jumièges, et il 
confirme la possession de Berneval à l’abbaye de 
Saint-Denis (1). On voit que Bayeux, Evreux et le 
Mont-Saint-Michel ne sont pas mis là au hasard ; 
ils nous donnent à penser que Rollon aurait reçu 
toute la Normandie depuis l’Epte jusqu’à la mer, de 
la Bresle au Couesnon. Malheureusement pour 
l’exactitude du récit de Dudon, les Annales sèches et 
précises de Flodoard nous disent que les Normands 
de la Seine reçurent, en 924, le Bessin et le Maine (2) 
et qu'en 933, Guillaume Longue-Epée, ayant prêté 
hommage au roi Raoul, reçut la terre des Bretons 
située sur le bord de la mer (3), c’est-à-dire la partie 

(1) En ce qui concerne Berneval, on sait par un diplôme de 
Richard I er de 968 que Robert (Rollon) avait confirmé cette 
possession à l’abbaye de Saint-Denis qui la tenait depuis l’an 
750 au moins. H. F., IX, 731. 

(2) Annales, p. 24. 

(3) ■ Willelmus , princeps Normannorum, eidem régi se 


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»on 


ÉTUDE CRITIQUE 


de la province de Rouen (diocèse de Coutances et 
Avranches) abandonnée à Salomon en 867 par 
Charles le Chauve. 

Si Rollon a reçu le Bessin en 924 et son fils, les 
diocèses de Coutances et d’Avranches en 933, il est 
évident que les Normands n’avaient pas eu primiti¬ 
vement ces territoires. Flodoard, d'ailleurs, daus 
Y Histoire de l’Eglise de lleims, parle de certains pays 
maritimes cédés aux Normands avec la ville de 
Rouen (t). S’il eût voulu dire que Rollon reçut toute 
la province de Rouen, il l’eût dit ; mais il savait 
bien qu'il n’en était rien, puisque dans ses Annales 
il avait consigné, eu 924 et en 933, les autres conces¬ 
sions qui devaient constituer la Normandie. 

Quelles sont donc les limites du territoire tout 
d'abord concédé à Rollon ? Dudon a indiqué l’Epte, 
c’est exact. Flodoard dit qu’en 923, le roi Raoul 


committit ; cui etiam rex dat terrant Brittonum in ora mari- 
lima sitam ». Annales, p. 55. M. Deville: Dissertation sur 
l'étendue du territoire concédé à Rollon par le traité de Saint- 
Clair-sur-Epte dans Mém. Soc. Antiq., t. VI, pp. 47-69, 
remarque justement que, quand il veut dire la Bretagne, Flo¬ 
doard écrit Britanniam, mais ici il dit terra Britonum in ora 
maritima sitam, la possession des Bretons située près de la 
mer, c’est-à-dire le pays que Charles le Chauve leur avait cédé 
en 867. Ajoutons qu’en 923, les Normands au cours de négo¬ 
ciations, demandent qu'on leur donne le pays au-delà de la 
Seine: si tamen eis daretur quant spatiosam pet chant ultra 
Sequanam (Annales , pp. 17-18j. Ils ne l’avaient donc pas reçue 
en 911. 

(1) * Concessis sibi maritimis quibusdam pagis, cum Roto- 
magensi quant pene deleveranl urbe et aliis eidem subjectis ». 
Hist. eccl. Rcmensis , IV, c. 14. M. G. SS., XIII, 577. 


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St’R DUDON DE SAINT-Ol'ENTIN 


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franchit ce fleuve pour pénétrer sur la terre qui 
avait été donnée aux Normands (1). A l’est, la 
Normandie de Rollon avait aussi la Bresle pour 
limite ; car Flodoard nous apprend qu’en l’an 925, 
le comte de Flandre, Arnoul, assiège une forteresse 
des Normands où Rollon, leur prince, avait envoyé 
une garnison de 1.000 hommes. Ce château, situé 
près de la mer, c’est Eu (2). Ainsi la Bresle forme la 
frontière. La Normandie a donc à l’est, dès le début, 
ses limites. On est plus embarrassé pour fixer le 
reste du tracé Un diplôme de 918 pour l’abbaye de 
Saint Germain-des-Prés dit que Charles le Simple 
lui donne l’abbaye de La Croix-Saint-Leufroi située 
sur l’Eure, sauf la partie qu’il a abandonnée aux 
Normands de la Seine (3). Les possessions de 
l’abbaye sont à cheval sur l’Eure qui forme donc 
une partie de la limite occidentale. Au sud, une 
chronique du XI e siècle dit que la limite fut 
l’Avre (4) : ce qui parait très vraisemblable. La mer 
étant la limite nord, il reste à trouver la limite 
nord-ouest. Le Bessin ayant été donné en 924, on 
peut admettre que jusqu’à cette date, c’est la Dive, 
frontière naturelle entre le Bessin et le Lieuvin, 
entre le diocèse de Bayeux et celui de Lisieux, qui 


(1) Annales, p. 16. 

(2) Annales, p. 31. 

(3) Original aux Arch. Nat., K., n° 9. éd. H. F., IX, 536 et 
Tardif, Monuments Historiques, Paris, 1866, in-4°, n° 229. 

(4) H. F., VIII, 302. Les Bénédictins ont compris l’Aurc, ce 
qui est étrange. 


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ETUDE CRITIQUE 


a formé la limite de la Normandie de Rollon (1). En 
somme, Rollon a reçu la Haute Normandie ; et la 
Basse-Normandie n’a été donnée que plus tard, par 
deux cessions: en 924, le diocèse de Bayeux et celui 
du Mans (2) ; en 933, le Cotentin et l’Avranchin (3). 

Quelle vraisemblance, d'ailleurs, que l'on eût cédé 
à un cbef de bandes comme Rollon qui venait 
d’être vaincu dans l’Auxerrois, vaincu à Chartres, 
un territoire aussi considérable que la Normandie ? 
Sans doute, on avait déjà cédé à Godfrid la Frise, on 
cédera aux Normands de la Loire le pays de Nantes. 
Mais jamais on n'avait fait aux chefs normands de 
cessions aussi importantes que l’eût été celle de la 
Province de Rouen, et il a fallu les embarras de la 


(1) Il y a un pays normand ultra Sequanam qu’envahissent 
les Bajocasses en 925. Flodoard, Annales, p. 30. La Dive fut la 
frontière, si les limites de l'état normand ont coïncidé avec 
celles des diocèses, ce qui est probable, puisqu'en 924 Rollon 
reçut les diocèses de Bayeux et du Mans. 

(2) Le texte de Flodoard est formel : « Ejus tamen concessu 
terra illis aucta, Cinomannis et Baiocœ * (.Ann. p. 24). Sans 
doute les Normands ne se sont emparés du Maine que sous 
Guillaume-le-Conquérant ; aussi j’avais précédemment [Essai, 
p. 184) conjecturé que par là on pouvait entendre l’Hiémois; 
M. Lot, Fidèles ou vassaux ? Paris, 1904, in-8°, p. 178, n. 1, 
avait également envisagé cette conjecture ; j’aime mieux admet¬ 
tre aujourd’hui que le Maine a été donné aux Normands en 924, 
qu’ils l’ont perdu presque aussitôt après, peut-être par la 
révolte de Rioul, sous le règne de Guillaume Longue-Epée, 
et ne l’ont recouvré qu’en 1063. Voir le livre III du présent 
ouvrage. 

(3) M. Bugge, op. cit., p. 28 a cru qu’il fallait entendre ici 
le sud de la Bretagne : aucun fait ne vient appuyer cette 
hypothèse. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


203 


royauté, la lutte entre Raoul et Charles le Simple 
(923 929), pour que le pays concédé à Rollon fût 
aussi rapidement étendu par chacun des deux compé¬ 
titeurs qui désirait s’assurer un appui. 

La Bretagne. — Passons maintenant au second 
point, la cession de la Bretagne : c’est une question 
qui a déjà donné lieu à bien des discussions depuis 
plus de deux cents ans. 

Dudon dit que Rollon a reçu de Charles le Simple 
toute la Bretagne, d'où il pourrait tirer des subsis¬ 
tances. Faut il entendre, par là, que la Bretagne 
devint ainsi un fief dépendant de la Normandie ? 
C’est ce que l’on a appelé la question de la mouvance 
de Bretagne (1). 

Dudon présente ainsi les choses : Rollon, vivant 
dans un pays épuisé, voulait obtenir, au moment de 

(1) Les feadistes prenaient le texte à la lettre et faisaient 
de la Bretagne un fief mouvant de la Normandie. Au Traité 
historique de la Mouvance de Bretagne, publié par Vertot en 
1710, dom Lobineau riposta par la Réponse au Traité de la 
Mouvance, puis Vertot répondit par l'Histoire critique de 
l’établissement des Bretons dans les Gaules et de leur dépen¬ 
dance des rois de France et des ducs de Normandie , Paris, 
1730, 2 vol. in-2°. Voir aussi ANGER, Rapports féodaux de la 
Bretagne et de la Normandie depuis le traité de Saint-Clair- 
sur-Epte jusqu’à la mort du duc Arthur de Bretagne, dans 
Bull, de la Soc. de Bibl. hist., 3 e année, 1838, et A. de la Bor- 
derie, Histoire de Bretagne, t. II, passim, notamment l’appen¬ 
dice XII, Les Fables de Dudon de Saint-Quentin, pp. 496-504. 

Kalckstein, op. cit., p. 136, insiste sur la vraisemblance de 
l'offre de la Bretagne aux Normands comme terre à piller, 
mais il montre que la Bretagne resta indépendante des 
Normands et ne fut vassale que du roi. 


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ETUDE CRITIQUE 


201 

traiter, un pays à piller : Charles le Simple lui offrit 
la Flandre. Rollon refusa, nous l’avons vu, ce pays 
marécageux qui ne lui paraissait pas assez riche. 
Charles finit par lui abandonner toute la Bretagne. 
Dans la suite de son histoire, Dudon n'oublie rien qui 
puisse nous faire croire que les ducs de Normandie 
aient eu réellement une autorité sur la Bretagne. 
Guillaume Longue-Epée y vient faire une campagne 
contre les Bretons révoltés. Au moment de la mino 
rité de Richard I", les comtes Alain et Bérenger 
viennent à Rouen et prêtent hommage à Richard ; 
Dudon a donc bien voulu nous inculquer cette idée 
que la Bretagne était un fief dépendant de la Nor¬ 
mandie. Il ne manque même point de nous parler 
du dévouement des chefs bretons aux ducs. Encore 
une fois, il écrivait pour justifier la politique et les 
prétentions des ducs normands de son temps : 
Richard I er et Richard II. Dudon a tout emprunté à 
Flodoard, mais en le travestissant, suivant son habi¬ 
tude. En 921, le duc Robert de France abandonne 
le comté de Nantes aux Bretons de la Loire ; ce fait 
devient, chez Dudon, une cession de la Bretagne aux 
Normands de la Seine. En 931,Flodoard mentionne 
une révolte sérieuse des Bretons contre les Nor¬ 
mands de la Loire, qui, depuis 919, occupent toute la 
Bretagne. Dudon nous montre, en 932, Guillaume 
Longue-Epée al lant répri mer une révol te des Bretons. 
En 942, Alain Barbetorte, comte de Rennes, prête, 
à Rouen, hommage à Louis d'Outremer; Dudon 
transporte sans façon cet hommage de Louis à 
Richard. Les chefs normands, en Bretagne, sont 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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Inkon, Félékan. Dudon met partout à leur place 
Rollon et Guillaume Longue-Épée. Dudon fait inter¬ 
venir les chefs bretons dans les affaires de Nor¬ 
mandie. A ce moment-là, ils n’ont qu’une occupation, 
chasser les Normands de la Loire, et ils n’y parvien¬ 
dront que dans la campagne de 936-939, qui aboutit 
à l’expulsion des Normands et à l’avènement d'Alain 
Barbetorte. 

D'ailleurs, le simple bon sens suffirait à réfuter 
Dudon; comment Rollon aurait-il pu, en 911, rece¬ 
voir toute la Bretagne, puisque son autorité s’éten¬ 
dait tout au plus jusqu'à la Dive? Toute la Basse- 
Normandie partage à cette date le sortde la Bretagne, 
auquel elle est liée depuis 867. Entre 919 et 924, le 
clergé de Dol s’enfuit avec le corps de saint Samson, 
pour échapper aux Normands ; il rencontre le clergé 
de Bayeux et sans doute aussi celui d’Avranches, 
qui emmènent les reliques de leurs saints, saint 
Senier, saint Paër, saint Scubilion (1). 


(1) Translatif) S. Maglorii, dans MABILLON, Annales Ordinis 
S. Benedicti , Paris, 1706, 6 vol. in-folio, III, 719, voir aussi 
R. Merlet, Les Origines du Monastère de Saint-Magloire de 
Paris , dans Bibliolh. Ec. Chartes, LVI (1895), p. 243, sqq. 
A. de la Borderie, op. cit., t. II, pp. 364-369, Flodoard, 
Annales (919) p. 1, montre que la Bretagne fut alors ravagée 
par les Normands ; voir aussi la Chronique de Nantes, éd. 
Merlet, Paris, 1896, in-8°, p. 81, qui après avoir raconté 
la cession de la province de Rouen aux Normands ajoutej: 
« Deinde, cum ingenti navium classe per marc Oceanum navi¬ 
gantes, totam Britaniam devastarunt ». On peut admettre que 
les Normands de Normandie se joignirent à ceux de la Loire 
pour des expéditions de pillage en Bretagne. 


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ETUDE CRITIQUE 


Gisèle. — Le troisième point de la convention de 
Saint Clair-sur-Epte est celui qui est relatif à Gisèle 
que Charles le Simple aurait donnée en mariage à 
son nouveau vassal. C’est l’archevêque Francon qui 
sert encore ici d’intermédiaire ; il promet à Rollon, 
s'il veut recevoir le baptême, la main de Gisèle; les 
chefs normands, consultés par Rollon, l'engagent 
beaucoup è cette union. « Il est bon que tu t'unisses 
en mariage avec cette fille de roi... Sa naissance est 
légitime du côté paternel comme du côté maternel ; 
elle est de haute taille, et, d'après ce qu’on nous a 
dit, pleine de grâce... elle est prudente dans ses 
conseils, pleine d'expérience pour traiter les affaires 
de l’Etat, d’une conversation agréable, d’uu carac¬ 
tère aimant, habituée aux travaux domestiques; 
bref, c’est la plus accomplie des jeunes filles (1) ». 

Quand il s’agit de rechercher quelle est cette 
Gisèle, les difficultés commencent; il y a bien une 
Gisèle parmi les six filles que Charles le Simple eut 
de sa première femme Frédérune ; mais elle n’est 
nommée que la quatrième, et eût-elle été l’aînée, 
qu’il est difficile qu’elle répondit, en 911, à la 
description de Dudon, car Charles le Simple avait 
épousé Frédérune en 907, de sorte que l’ainée de 
ses filles pouvait, au plus avoir quatre ans à la fin 
de 911. Il est également impossible d’admettre que 
cette Gisèle soit la fille de la seconde femme de 
Charles le Simple, puisqu'il ne l’a épousée que 

(!) Ed. Laid, p. 166. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


207 


longtemps après le traité ; pas davantage que ce 
soit une fille naturelle, tout le texte de Dudou répu¬ 
gne à cette explication, car il dit formellement que 
Gisèle était fille légitime de père et de mère. D’ail¬ 
leurs, Charles le Simple est né le 17 septembre 879, 
il avait trente deux ans en 911, il est, de toutes 
laçons, difficile qu'il ait eu, à cette date, une fille 
douée de toutes les qualités dont parle Dudon (1). 
Que croire? II y a longtemps que Paul Emile, puis 
Dom Lobineau et Licquet ont fait une supposition 
très ingénieuse, et bien naturelle quand on connaît 
les procédés du Doyen: Réginon rapporte qu'en 
cédant la Frise au chef normand Godfrid, il lui 
donne en même temps comme épouse Gisèle, fille 
de Lothaire II. C'est donc là que Dudon a pris son 
histoire, sans s'embarrasser de la première femme 
qu’il avait donnée à Rollon, Popa. 

La Normandie est-elle un grand fief de la cou¬ 
ronne? — Beaucoup plus intéressante est la question 
de la prestation de l’hommage de Rollon à Charles 
que Dudon nous affirme dans les termes les plus 
nets : « poussé par les Francs, Rollon met ses mains 
dans les mains du roi, ce que ni son père, ni son 


(1) Seul Augustin Thierry, dans l’Histoire de la Conquête 
de l’Angleterre, avait pris au sérieux tous ces détails ; Dudon 
disant que Gisèle était de haute taille, staluræ procerilate 
congrue , A. Thierry n'hésitait pas à écrire que Rollon, 
trouvant cette jeune fille d'une hauteur convenable, l’épousa. 
Ceci disparut de la seconde édition. Licquet, Histoire de 
Normandie, I, p. 91. 


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208 


ETUDE CRITIQUE 


grand père, ni son aïeul n'avaient jamais fait avant 
lui à quiconque. » On a récemment contesté que 
l’on pût tirer de ce texte la conséquence que le 
nouvel état, fondé par Rollon, fut devenu un lief de 
la couronne. Examinons de près ce problème. 

Ou n'attendra pas de nous une discussion de la 
thèse générale que M. Flach a magistralement 
exposée dans les trois volumes de ses Origines de 
l’ancienne France (1). Pour M. Flach, les chefs des 
principaux étals qui constituaient la France au X 1 2 * * * * * 8 
et au Xi* siècle n’étaient point des vassaux de la 
couronne; ils étaient des princes, principes; leurs 
états étaient des principale, mot forgé par M. Flach 
pour exprimer sa thèse ; ils n’étaient liés au roi que 
par un lien fragile ; ils reconnaissaient sa souverai¬ 
neté, non sa suzeraineté; ils lui devaient la foi, ils 
ne devaient pas l’hommage, surtout ils ne devaient 
pas l'hommage lige ; ils ne lui étaient rattachés que 
par le simple lien de pariage ou de fidélité (2). 


(1) Paris, 3 vol. in-8° ; t. I, 1886, t. II, 1893 ; t. III, 1901. Le 
quatrième volume est en préparation. Le mémoire intitulé : 
* La Normandie était-elle un grand fief de la couronne ? est 
sans doute un fragment de ce tome IV. 

(2) Voir le remarquable compte rendu des deux premiers 

volumes par M. Pfister dans la Revue Historique, t. 53 (1893), 
p. 357. M. G. Monod, rendant compte du tome III, dans la 
même revue, t. 85 (1904), p. 357, tout en montrant l'impor¬ 

tance de l’ouvrage, tout en reconnaissant que le livi;e de 

M. Flach, « fruit d’un si vigoureux et persévérant labeur, 

soulèvera de nombreuses polémiques et obligera tous les 

historiens à reviser et à préciser leurs idées sur la Société 

française des X« et XI e siècles » conteste beaucoup de points 
de vue. Voir aussi les comptes rendus de M. Es me in dans la 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


209 


Au reste, l’œuvre de M. Flach est profondément 
originale en ce sens que l’auteur a eu l’idée (avec 
M. Monod, il le dit lui-même) de l’importance 
capitale pour l’histoire de France des IX», X e et 
XI» siècles, de l’époque qu’on appelle, à tort peut-être 
selon lui, l’époque féodale ; qu’il a fort bien vu et 
montré que la France s’était alors élaborée, formée 
en ses éléments primitifs. A travers le brouillard 
qui recouvre cette époque, qui enveloppe ces temps, 
dans le chaos — qu’on nous pardonne ces images 
qui seules rendeut bien notre pensée — dans ce 
chaos inorganique il a distingué des masses qui 
s’agglutinent, des intérêts, des passions aussi qui se 
groupent autour d'un chef, d’une dynastie, un senti¬ 
ment provincial, un patriotisme régional qui se 
dégagent pour les petites « patriœ u, pour employer 
un terme contemporain. Tels sont, des aujourd'hui, 
les incontestables et fort importants résultats du 
grand ouvrage de M. Flach, de ses recherches sin¬ 
gulièrement étendues et particulièrement péné¬ 
trantes. Qu’on nous excuse si nous les mettons en 
lumière ici, c’est qu’ils nous ont vivement frappé, 
nous, professeur d’histoire provinciale, qui avons 
étudié la Normandie à celte époque et aussi, par 
extension et pour comparaison, la Flandre et le 
Maine et qui étions arrivé, sur ces points restreints, 
à des conclusions identiques. 


Nouvelle Revue Historique du Droit, t. X (1886), p. 629, et 
t. XVIII, p. 523 ; M. Esmein n’admet pas la distinction de 
M. Flach entre la fidélité et l'hommage. 

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210 


ETUDE CRITIQUE 


Mais s’ensuit il que les chefs de ces états, que ces 
dynastes locaux n’aient pas prêté l’hommage, l'hom¬ 
mage lige au roi? C’est une autre question. 

La thèse qui sépare l’hommage de la foi a été 
soutenue dès le XVIII e siècle par Brussel en son 
Nouvel examen de l'usage général des fiefs en France ( 1 ). 

Le grand feudiste distingue trois hommages : 
l’hommage ordinaire, l’hommage de piano et l’hom¬ 
mage lige (2) et il soutient (ce que n’admettront ni 


(1) Paris, 1727, 2 vol. in-4°. 

(2) « U est étonnant, dit-il, que la véritable signification des 
termes de foi et d'hommage n'ait point été comprise jusqu'à 
présent, puisqu’on regarde encore aujourd’hui ces deux mots 
comme ne présentans qu'une seule et même idée. Au lieu 
qu’il est vrai de dire que le mot de foi sert particulière¬ 
ment à exprimer les engagemens dont la personne qui fait 
l'hommage au Souverain est tenue envers lui, soit comme en 
étant née sujette, soit comme biens-tenante dans son État, et 
que quant au terme d 'hommage, il dénote les engagements 
du vasselage. Or ce sont deux choses très distinctes et qui 
peuvent subsister l'une sans l’autre, puisqu'on peut tenir des 
fiefs d'un suzerain, sans être né son sujet, et réciproquement 
être né sujet d’un Souverain sans tenir des liefs de lui, et par 
conséquent sans lui devoir, ni l’hommage, ni les services qui 
en résultent, mais simplement le serment de fidélité que tout 
homme qui est né sujet d'un Souverain, est tenu de lui faire 
quand il le souhaite de lui, et surtout dans les cas où il 
acquiert un dégré considérable dans son état ». T. I, p. 18. 

A vrai dire, quand on lit les exemples que donne Brussel à 
l’appui de sa thèse, ils semblent assez particuliers : puisqu'il 
s'agit du prévôt des marchands de Paris et des évêques. Ces 
exemples ne prouvent pas qu’il y ait lieu de faire une distinc¬ 
tion quand il s'agit de grands vassaux. Brussel le reconnaît 
implicitement d'ailleurs, car il ajoute (p. 33) : « Au reste, 
comme les engagemens du vasselage étaient par leur nature 
bien moins forts que ceux qui résultaient de la condition de 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 2H 

M. Lot, ni M. Guilhiermoz), que l’hommage lige est 
venu se surajouter à une certaine date à l'hommage 
simple pour impliquer des obligations plus strictes. 
Les auteurs que nous venons de citer pensent tout 
au contraire que l'hommage du vassal au suzerain 
fut tout d’abord lige, et que c’est du jour où un 
vassal eut plusieurs suzerains que l’on distingua de 
cet hommage lige, sans restrictions, un hommage 
simple qui ne comportait pas les mêmes obliga¬ 
tions (1). 

Nous nous garderons bien de discuter ici la ques- 

sujet.,., il arriva de là que les Souverains ne voulurent point 
recevoir à hommage leurs principaux vassaux, sans qu’ils 
leur fissent en même temps le serment de fidélité ». 

(1) M. Guilhiermoz, dans le compte rendu du livre de 
M. Lot, Fidèles ou Vassaux (Nouvelle Revue historique du 
droit, 19(tt, t. XXVIII, p. 782), s’exprime ainsi : « Rien n'est 
plus faux... comme M. Lot le montre fort bien, que de voir 
dans l’hommage lige, la forme la plus récente de l’hommage, 
car, tout au contraire, il en représente justement la forme 
primitive et pendant un certain temps unique. On n’eut l’idée 
d’en inventer une seconde forme, créant un lien moins étroit, 
qu'au jour d’ailleurs fort ancien, où, la vassalité commençant 
déjà à s’altérer, on jugea possible d’admettre un même vassal 
à avoir plusieurs seigneurs; ce vassal, dès lors, continua à 
être uni à son premier et principal seigneur par l’ancien et 
véritable hommage, l’hommage complet (lige) *. Il est très 
remarquable d'ailleurs que M. Flach admettait la même 
théorie au tome II de ses Origines, p. 527, n. 5. « Il n’est pas 
vrai, dit-il, comme Brussel l'a prétendu (Usage des fiefs, 
I, p. 109), que l'hommage lige n’apparait dans les chartes et 
dans les institutions qu'à partir du XII e siècle. 11 est vrai 
seulement que la distinction entre l’hommage lige et l'hom¬ 
mage plain (planusj est rarement faite. Mais pourquoi? Ce 
n’est pas parce que l'hommage lige était rare, c’est, au con¬ 
traire, parce qu’en règle, tout hommage était lige ». 


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212 


ETUDE CRITIQUE 


tion générale, nous ne l’avons posée que pour en 
faire saisir l’importance, la portée exacte. Non nos- 
trum inter vos lantas componere lites. Normand, nous 
nous limiterons à la Normandie. Comme nous 
l'avons fait pour une autre question, celle de l’ori¬ 
gine de Rollon, nous nous efforcerons d’abord de la 
bien délimiter ; nous ferons remarquer tout de 
suite que le problème est d’une espèce toute par¬ 
ticulière, qu'il ne peut s'agir ici d’un sentiment 
provincial ayant créé la palria, d’un attachement à 
une dynastie locale ou inversement d’une dynastie 
locale ayant, peu à peu, agglutiné autour d’elle les 
forces vives d’un pays, d’une région. Ici, cette évo¬ 
lution n’a pu jouer puisqu’il y a eu brusque création 
d’un état par ce qu’on est convenu d’appeler le 
traité de Saint Clair sur Epte ou, si l’on aime mieux, 
par la cession de certains pays maritimes « Quibus- 
dam maritimis pagis », comme dit Flodoard ; aux 
Normands, à Rollon et à ses comtes, a Rolloni 
comiübusque suis », comme dit une charte de 918. 
Ayons donc bien soin de préciser ce point qu’au 
fond il importe peu pour la vérité de la thèse de 
M. Flacli, qu’il y ait eu en Normandie hommage, 
hommage lige des ducs au roi, puisqu'il s’agit d'un 
cas particulier, d’une brusque création d’état. 

En voyant dans le texte de Dudon relatif à cette 
prestation d'hommage par les mains mises dans 
celles du suzerain la preuve d'un hommage, d’un 
hommage lige (1), j’étais d'accord avec M. Lot, avec 

fl) Je n’ai jamais vu, comme le dit M. Flach (La Normandie, 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


213 


M. Guilhiermoz, avec bien d’autres peut-être. Mais 
peu importe mon opinion, peu importent même 
d'autres opinions plus autorisées que la mienne. 
Cette discussion n’a pas pour objet d’additionner 
des autorités, de les jeter dans la balance pour taire 
contre poids à celle de M. Flach, je ne cherche même 
pas à justifier mon opinion, je me propose de recher¬ 
cher la vérité, si toutefois elle peut être dégagée, 
et de la rechercher par l’unique étude des textes. 

Quels textes s’oflrent à nous? t° Une charte 
contemporaine, celle de 918. Son authenticité n’a 
pas été niée jusqu’alors. Mais nous n’avons pas 
encore une étude critique des diplômes de Charles 
le Simple. Pour plus de sûreté, nous n’en ferons 
qu’un usage très restreint; 2° Le texte, contemporain 
aussi, des Annales de Flodoard. Les Annales ne 
commencent qu’en 919 (2) et ne peuvent conséquem- 


p. 6), dans le refus de Rollon de baiser le pied du monarque, 
une preuve qu'il y ait eu un hommage-lige; j’ai voulu dire 
simplement que Dudon, après nous avoir montré Rollon 
mettant ses mains dans les mains de Charles le Simple et 
après nous avoir donné ainsi l’idée que le chef normand 
avait prêté l’hommage au roi, avait voulu atténuer cette 
impression, et nous représenter les ducs comme indépen¬ 
dants, en rapportant une anecdote qui montre Rollon et ses 
comtes dans une Hère et sauvage attitude à l’égard du roi. 

(2) M. Lauer (voir son édition des Annales, p. XVIII) a 
montré que les Annales n'ont jamais eu d’autre début, quoi- 
qu’en ait dit M. Couderc, De la date initiale des Annales 
de Flodoard , B. Ec. Ch., t. 58 (1897, p. 615). Et ceci explique 
pourquoi Dudon est si vague sur les origines de l’établisse¬ 
ment des Normands puisque sa principale source lui fait ici 
défaut. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


214 

ment contenir une relation d’un événement qui a eu 
lieu en 9H ou 912 ; mais c’est par voie de subsé¬ 
quence que de ce qui se sera passé en 928, 933, 943 
ou plus tard encore, nous pourrons déduire ce qui 
a dû se passer en 911 ou 912 ; 3° Un court passage 
de P Historia ecclesiœ Remensis, du même auteur (1) ; 
4° Un mot de Riclier écrit en passant dans un récit 
des plus vagues : n’oublions pas que Richer a 
surtout travaillé à romancer Flodoard, ou, si l’on 
aime mieux, qu’il a combiné dans un récit dénué 
de chronologie les données certaines de Flodoard 
et celles très contestables des chansons de gestes 
ou de la tradition orale (2) ; 5° Enfin, le récit de 
Dudon et ici, nous ferons remarquer, une fois de 
plus, que ce récit n’émane pas d’un contemporain, 
tant s’en faut. Dudon, nous l’avons montré après bien 
d’autres, a écrit au XI 0 siècle, vers 1015 probable¬ 
ment, un siècle en tout cas, après les événements. Il 
a écrit pour les ducs, sur commande, dans un but 
déterminé, ad majorera ducum gloriam. Nous nous 
sommes efforcé de montrer qu’on devait, en le lisant, 
penser toujours à la date de composition de son 
ouvrage, et qu’il a toujours entrevu, à travers la 
gloire d’un Richard II qui fut le plus puissant des 
feudataires ou des princes du royaume sous Hugues 
Capet et Robert le Pieux, le petit chef de bande 
qu’avait été Rollon. 

(1) M. G. SS., XIII, 577. 

(2) Lib. I, c. XXXI, sqq. Ed. Guadet, t. I, p. 68, ou Waitz, 
éd. in tmim Scholarum, p. 22. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


215 


Au reste, M. Flach déclare lui-même qu'il n’entend 
pas entreprendre la réhabilitation du doyen de 
Saint Quentin (1). Il reste que le témoignage de 
Dudon doit être pesé à sa juste valeur qui est ici par¬ 
ticulièrement mince, et qu’au fond tout ce que nous 
pouvons savoir de certain sur l’événement de 911, 
nous ne le pouvons tirer que de Flodoard. Celui ci, 
ne commençant ses Annales qu’en 919, n’en parle 
pas, ou n’en parle qu’incidemment dans son Historia 
ecclesiœ Rememis, en sorte que nous ne pouvons rien 
savoir de précis de cet événement de 911 (pas même 
la date, peut-être). Cette réserve, cette conclusion 
négative, ce serait peut-être le sage parti, comme 
le relus de conclure était peut être la sagesse, 
disions-nous en 1911 (2), dans la question de l’ori¬ 
gine de Rollon. Mais de même qu’alors nous ne 
voulûmes pas nous dérober au débat, de même nous 
croyons qu’il y a quelque utilité à reprendre la 
question de l'hommage de Rollon. Revenons donc 
aux textes sûrs, j’entends ceux de Flodoard. 


(1) « Je ne prétends nullement, dit-il (La Normandie , p. 10), 
tenter une réhabilitation nouvelle du chanoine de Saint- 
Quentin, moins encore m’associer à l’apologie outrée de son 
moderne éditeur, M. J. Lair. Il manquera toujours à Dudon 
ces deux qualités essentielles de l'historien, l'impartialité et 
le naturel. Mais de quel droit récuser un témoin? v M. Flach 
nous donne gain de cause sur deux points : le défaut d'impar¬ 
tialité et de naturel. Nous ne pouvons lui donner gain de 
cause sur le troisième, on ne peut, à notre avis, appeler un 
témoin de l'établissement des Normands, Dudon qui écrit un 
siècle après cet événement. 

(2) Essai, p. 275. 


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516 


ÉTUDE CRITIQUE 


Le texte de VHistoria ecclesice Remensis dont je 
parlais tout à l'heure est bien explicite : la conver¬ 
sion des Normands a suivi la concession qui leur a 
été faite d’un territoire : « Concessis sibi tnaritimis 
quibusdampagis cum Rotomagensi quant perte deleverant 
urbe et aliis eidem subjcctis. » Remarquons le terme 
« concessis », il ne s’agit pas d'un don pur et simple, 
mais d’une concession. Une concession implique, 
semble-t-il, des conditions, des obligations ; la 
conversion au christianisme relatée dans ce même 
membre de phrase par l’auteur de VHistoria est 
une de ces conditions. En fut-il d’autres? Si nous 
avons recours à la charte de Charles le Simple, elle 
parle bien aussi d’une concession de territoire, elle 
l’exprime en d’autres termes : partent quant annuimus 
Nortmannis Sequanensibus videlicet Rolloni suisque 
comitibus ; et elle indique une autre condition, pro 
lutela regni , pour la défense du royaume (1). Qu’est- 
ce à dire? Que Rollon et ses comtes auront dû aider 
le roi à défendre son royaume, qu’ils auront dû le 
service militaire. Rrussel lui même, remarquons-le 
en passant, l'a ainsi compris. « Mais n’est-ce pas 
d’ailleurs une chose certaine, dit-il, que la Norman¬ 
die avait été donnée à Rollon par le roi Charles le 
Simple en !)12, pour la tenir héréditairement de lui 
et de ses successeurs à la Couronne et leur faire, 


(1) M. Flach traduit, pour la sécurité du royaume; cette 
traduction peut être admise aussi, mais elle est plus loin du 
texte. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


217 


pour raison de ce le service de guerre ? pro tutela 
Regni, .(1) ». 

Prenons les textes de Flodoard, tirés des Annales 
écrites au jour le jour et qui nous montrent com¬ 
ment cet écrivain contemporain se représente les 
rapports du roi avec le chef des Normands, princeps 
Nordmannorum, comme il dit. Je laisse de côté les 
textes relatifs à de nouvelles invasions des Nor¬ 
mands, ce n’est point l'état de guerre qui peut nous 
renseigner sur ce qu’ont dû être normalement, léga¬ 
lement, si on peut s’exprimer ainsi, les rapports du 
roi et des chefs normands ; je laisse par conséquent 
de côté les textes relatifs à la rupture de la paix 
par les Normands ; qu’importe que ceux-ci aient 
rompu la paix qu’ils avaient promise « pacem quant 
pepigerant infregere (2) »? Qu’importe qu’ils fassent 
la paix en 924 pour recevoir les pays du Mans et 
de Bayeux, pacto pacis eis concessm (3) ? Qu’importe 
qu’ils aient encore rompu cette paix en 925 ; « Nord- 
manni de Uodomo fcedus quod olim pepigerant irrum- 
pentes (4) »? Qu’il y ait un traité de paix en 911, un 
projet de traité en 923, un traité en 924, répondant 
à un accroissement de territoire, une paix en 926, 
moyennant finances (5), cela est évident; mais ces 
termes pax, fœdus ne peuvent nous donner le sens 


(1) Brussel, op. cil., t. I, p. 72. 

(2) Ed. Lauer, p. 16. 

(3) Ibid., p. 24. 

(4) Ibid., p. 29. 

(5) Ibid., p. 34. 


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ETUDE CRITIQUE 


de ce traité et nous indiquer les rapports du roi 
et du chef des Francs. Fœdus sans doute ne veut 
pas seulement dire traité, il veut aussi dire alliance. 
Mais c’est singulièrement abuser des mots que d’en 
conclure que puisqu’il y a eu alliance, il y a eu un 
traité sur un pied d’égalité ; (1) que, par conséquent, 
Rollon ne devait point l’hommage. Dans une alliance 
môme, il peut y avoir un subordonné et il y a des 
peuples qui ne comprennent pas les alliances 
autrement. Et pour nous en tenir à l’époque caro- 


(1) M. Flach écrit (p. 15) : « Que rapporte Flodoard ? Que 
les Normands de Rouen ont fait un traité de paix, fœdus paris, 
avec le roi, qu’en exécution de ce traité, le roi leur a donné 
la terre entre l’Epte et la mer, enfin qu’en échange les Nor¬ 
mands se sont convertis. Et c’est cette conversion, pierre 
angulaire du traité d’après Dudon, que Flodoard met au pre¬ 
mier plan. 11 confirme même le récit du chroniqueur au sujet 
du supplément de terre promis à titre de subside, mais il 
passe sous silence la dation de mains, qu’il n’aurait certaine¬ 
ment pas manqué de relever si, au lieu d’être une simple 
forme de conclusion du traité, elle avait constitué un hom¬ 
mage de service ». A lire M. Flach, on croirait que Flodoard 
nous a laissé un récit du traité, de la paix de Saint-Clair-sur- 
Epte. Or, il n’en est rien, Flodoard dans les Annales et aux 
dates seulement que nous avons relevées, parle de conventions 
pactum paris, fœdus entre les Normands et les rois ou les 
grands (l'expression fœdus paris ne s’y trouve pas). Flodoard 
ne parle pas de la concession de la Normandie, et pour une 
excellente raison que nous avons dite, les Annales commen¬ 
cent en 919, le traité est certainement antérieur. Quant à 
la cession de la Normandie, il n’y est fait allusion que dans 
I Histoire de l’Eglise de Reims , à propos de la conversion des 
Normands, et précisément parce que l’archevêque de Reims 
avait été mêlé à cette conversion ; il n’y est point et il ne 
saurait y être question de fœdus paris , de dation de mains et 
d’hommage. 


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sur nurioN de saint-quentin 


219 


lingienne, c’est bien ainsi sans doute que Charles le 
Simple avait compris les choses et c'est du moins 
ainsi que Dudon les représente. 

Il faut que nous arrivions à 927 pour trouver un 
texte intéressant « Karolus igitur cum Heriberto col- 
loquium petit Nordmannorum ad castellum quod Auga 
rocatur, ibique se filius Itollonis Karolo committit, et 
amicitiam firmal cum Heriberto (1) ». 11 s'agit du ûls 
de Rollon, Guillaume Longue-Epée, mais Rollon 
vit encore, car, l’an suivant, 928, Flodoard nous 
parle d’un plaid des Normands avec Herbert, à 
Laon, où Herbert et Hugues contractent amitié 
avec eux : « Hcriberlus cornes Lauduno potilur et 
eiinde placitum cum Nordmannis habuit ; ipseque et 
Hugo, filius Hotberli, amicitiam cum eis pepigerunt. 
Filius tamen Heriberti, Odo quart Rollo habebal obsi- 
dem, non redditur illi, donec se committit Karolo paler 
cum aliis quibusdam Franciat Comitibus et Epis- 
copis (2) ». Rollon ne voulut pas rendre le fils 
d'Herbert jusqu’à ce que son père se fût réconcilié 
avec Charles, se fût soumis à lui. A dessein, je ne 
traduis pas avec précision se committit. Apportons 
d'autres textes, nous traduirons ensuite. En 933, de 
nouveau, on nous parle de Guillaume Longue-Epée, 
prince des Normands après la mort de Rollon. 
« Willelmus , princeps Nordmannorum, eidem régi se. 
committit ; cui eliam rex dal terram Rrillonum in 
ora maritima silam (3) ». Il s’agit de la cession de 

(1) Annales de Flodoard, p. 39. 

(2) Ibid., p. 41. 

(3) Id., p. 55. 


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ETUDE CRITIQUE 


l’Avranchin et du Cotentin, faite par le roi Raoul, 
rival et successeur de Charles le Simple,à Guillaume 
Longue-Epée. En 936, Louis IV d'Outremer est 
proclamé roi :cui Hugo et ceteri Francorum proceres... 
sese committunt (t). En 940, il va à la rencontre de 
Guillaume, prince des Normands qui vient à lui 
dans l’Amiénois : « llex Ludowicus abiit obriam 
Willelmo, principi Nordmannorum, qui venit ad eum 
in pago Ambianensi et se illicommisit. At ille dédit ei 
terram qmm pater ejus Karolus Nordmannis conces- 
serat (2) ». 

Mais que veut dire cette expression que nous 
venons de rencontrer cinq fois, dont trois fois en 
parlant du chef normand, » se commiltere régi? » 11 
est évident, par sa répétition mime, que ce n’est 
point une expression vague que l’on peut remplacer 
par une autre. Or, toute la question est là, elle 
repose tout entière sur ces textes. Comment faut-il 
les traduire? M. Lot et M. Guilhiermoz, déjà cités, 
M. Lauer aussi, n'hésitent pas : ils traduisent se 
commiltere par se recommander. Guillaume, fils de 
Rollon, s'est recommandé au roi Charles en 927 ; 
il s’est de nouveau recommandé au roi Raoul en 933. 
Rollon n’a pas voulu relâcher le fils d'Herbert avant 
qu’il se fût recommandé au roi Charles avec les 
autres comtes et évêques de Fiance ; Rollon s’est fait 
le protecteur de Charles. Or, qu’est ce que se recom¬ 
mander , qu’est-ce que la recommandation ? Les auteurs 

(1) Id., p. 63. 

(2) Id., p. 75. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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que nous avons cités n’hésitent pas davantage, c'est 
prêter hommage au suzerain. M. Lauer, en parlant 
du texte des Annales de Flodoard en 936 où il est 
dit qu'Hugues et les autres princes francs se commit- 
lunt régi , c’est à-dire à Louis d’Outremer, leur nou¬ 
veau roi, dit nettement : « C’est la commendalio 
au suzerain, cérémonie analogue à celle de l’hom¬ 
mage, Flodoard a pris ici committunt comme syno¬ 
nyme de ctmmendanl (1) ». M. Guilhiermoz a com¬ 
pris le texte de la même manière, car il dit que 
les Carolingiens firent prêter l’hommage vassali- 
que d’une façon générale par tous les grands du 
royaume, et, à l'appui de cette assertion, il cite en 
note, outre le texte de Dudon relatif au traité de 
Saint Clair et à Rollon, les textes de Flodoard de 
927 et de 933 que nous avons cités plus haut (2). 

Si nous descendons le cours des temps, nous 
trouvous qu’en 943, après l’assassinat de Guillaume 
Longue-Epée, par Arnoul de Flandre, Louis d’Ou¬ 
tremer vient à Rouen : « il fait remise, dit M. Lauer, 
à Richard, fils naturel du duc défunt, du territoire 
que Rollon et Guillaume Longue Epée avaient tenu 
en fief des rois de France. Flodoard emploie ici 
la même expression que lors de l’entrevue de 940 
entre le duc Guillaume et le roi. Il dit que Louis 

(1) Lauer, Le règne de Louis IVd’Outre-Mer, p. 13, n. 2. 

(2) Essai sur l’origine de la Noblesse en France au moyen 
âge, Paris, 1902, in-8°, p. 128, ouvrage de premier ordre. Voir 
aussi, dans le même sens M. Ernest Dummler, Zur Kritik 
Dudos von Saint-Quentin, p. 375, n. 4, et M. Kalckstein, op. 
cit., p. 136, n. 1. 


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ET(JDE CRITIQUE 


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« donna » à Richard la terre des Normands « terrain 
Nordinannorum dédit ». C'est l’investiture féodale (1 ) ». 
Et quels auteurs cite M. Lauer à l’appui de cette 
interprétation ? M. Viollet en son Histoire des institu¬ 
tions (2) et... M. Flach (3). Mais revenons aux textes. 
Que se passe t il en 943, lorsque le roi Louis donne 
la Normandie au jeune duc Richard ? Celui-ci n’est 
pas apte à prêter l’hommage. Aussi ce sont les 
seigneurs normands, principes, qui le prêtent à sa 
place. Certains d'entre eux font scission et se 
tournent du côté du seigDeur le plus voisin et le 
plus fort. Ils prêtent leur hommage à Hugues le 
Grand » (4) « et quidam principes se régi commillunt, 
quidam vero Hugoni duci (5) ». Voilà pour la sixième 
lois celle expression se commiltere ; on sent combien 
il importe de la traduire exactement. 

M. Lauer nous a dit pourquoi il l'a traduite par 
se recommander, il croit qu’elle est chez Flodoard 
l’équivalent de se commendare. Or, tous ceux qui ont 
étudié cette question du régime des fiefs connais- 


(1) Lauer, op. cit., p. 92. 

(2) Histoire des Institutions politiques et administratives de 
la France, Paris, 1890, in-8 0 , t. I, p. 455, M. Viollet, regarde 
le duc de Normandie comme un puissant vassal. 

(3) 11 est vrai que c’est au premier tome des Origines : Le 
régime Seigneurial, t. I, p. 151 ; M. Flach ajoute que l’hom¬ 
mage et la fidélité qui rattachaient les ducs à la couronne 
« ressemblaient bien plutôt à une sorte de traité d'alliance, 
aussi souvent rompu que renouvelé. » Mais il nous suffit qu’en 
droit il y ait hommage. 

(4) Lauer, op. cil., p. 93. M. Pfister, Ilist. de France, de 
Lavisse, t. II, 1 r0 partie, p. 408, comprend la chose de même. 

(5) Flodoard, éd. Lauer, p. 86. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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sent un texte très important, relatif à la soumission 
du roi de Bavière Tassilon. Pour montrer que les 
rois exigeaient l’hommage en même temps que le 
serment de fidélité, Brussel s'appuie sur un texte 
d'Eginhard : « Illuc et Tassilo dux Bajoariorum cum 
primoribus gentil suæ venit, et more francico in manus 
regis in vassaticum manibus suis semetipsum commen- 
davit (1) ». Brussel ajoute qu’il est évident que ces 
termes marquent Vhommagc que le duc Tassilon fit 
au Roi, l’expression commendare se alicui, signifiant 
faire l’hommage à un suzerain (2). » C’est la plus 
ancienne mention connue de cet hommage, dit un 
auteur compétent (3), mais il est remarquable que 
deux siècles plus tard, Dudon racontant l’entrevue 
de Saint-Clair-sur-Epte, ne s’exprime pas autre¬ 
ment : « Statim Francorum coaclus verbis, manus suas 
misit inter manus regis (4) ». 

Est il bien surprenant que cette formalité de la 
main mise dans la main, qui était considérée par 
Brussel comme la preuve d’une prestation d’hom¬ 
mage, ait été considérée de même par les historiens 
en ce qui concernait Rollon et Charles le Simple? 
M. Lot dit : « C’est bien la formule caractéristique 
de la « commendation », de l'hommage (3) ». 

(t) Eginhard, Annales Francorum , Ed. Teulet, S. B. F., 
Paris, 1840, 2 vol. in-8", t. I., p. 134. 

(2) Op. cil., t. I, p. 35. 

(3) Guilhjermoz, op. cit ., p. 80. 

(4) Ed. Lair, p. 169. 

(5) Fidèles ou vassaux ? p. 181. 


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ETUDE CRITIQUE 


M. Guilhiermoz écrit : « On sait en quoi consistait 
l’hommage; le vassal plaçait ses deux mains jointes 
dans celles du seigneur (1) », et il cite à l’appui de 
cette définition, un grand nombre de textes, dont 
celui de Dudon que nous venons de reproduire. « A 
cette époque..., dit M. Guilhiermoz, lorsqu'on voulait 
mettre un autre ou se mettre soi même en la puis¬ 
sance ou à la merci ou au service ou sous la protec¬ 
tion de quelqu’un, on plaçait cet autre, ou ou se 
plaçait soi-même matériellement dans les mains de 
ce quelqu’un » (2). Cette cérémonie exprimait primi¬ 
tivement une tradition de la personne. Laissons pour 
le moment de côté, si intéressante soit-elle, la phrase 
de Dudon. Aussi bien M. Flach en nie la portée : 
« Il y a, dit-il, uue impossibilité radicale que la 
dation de mains rapportée par Dudon ait pu être 
regardée comme un acte d’hommage. Si ce rite, qui 
était employé à cette époque pour un engagement 
quelconque, comme la paumée l’a été si longtemps 
et l’est même encore dans le peuple, si ce rite, 
dis-je, avait constitué un hommage, Dudon l’aurait 
à coup sûr passé sous silence. — Et cela n’aurait rien 
eu de choquant, puisque vous verrez que Flodoard 
ne le mentionne pas (3) ». Remarquons de nou¬ 
veau que Flodoard ne raconte pas l’entrevue de 
Saint-Clair-sur-Epte ; les Annales ne commencent 
qu’en 919, le passage de VHistoria ecclesiœ Remensis 

(1) Op. cit., p. 79. 

(2) Id., p. 80. 

(3) La Normandie, p. 14. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 225 

parle de la conversion des Normands et incidem¬ 
ment, par un membre de phrase à l’ablatif, de la 
concession du territoire qui l’accompagna. Quant 
à la portée de la paumée, comme dit M. Flach, en 
ce qui concerne l’hommage, nous en appelons à 
M. Flach lui-même : « L’hommage exprès, dit-il 
ailleurs, constitue un engagement qui se modèle 
sur la foi naturelle. 11 ne peut, à raison de son 
caractère très personnel et très indéterminé, être 
assimilé à un contrat ordinaire. 11 consiste essen¬ 
tiellement dans l’acte symbolique de la mise des 
mains dans les mains du chef (I) ». Voilà qui est 
formel. Auparavant, M. Flach avait écrit ces fortes 
paroles : « L’autorité, au profit du seigneur, avec le 
patronage ou la protection qu’elle implique au profit 
du vassal, s’établit suivant des rites qui remontent 
aux mœurs primitives des peuplades germaniques, 
la mise des mains dans les mains du chef de famille 
auquel ou se soumet. Par là on devient, suivant 
l’expression empruntée aux Romains, son recom¬ 
mandé, son ami, son client, suivant l’expression 
barbare, son homme, et la cérémonie elle même 
s’appellera par suite recommandation ou hommage ». 
M. Flach cite encore ce trait frappant pour identifier 
l’hommage et la recommandation qu ’Homenalicum 
équivaut à commendare se in manibus (2). 

11 faut avouer que lorsqu’en 1911, nous voyions 
dans le fait de mettre ses mains dans les mains du 

(1) Les Origines de VAncienne France, ( 1904), t. 111, p. G3. 

(2) Id., t. II (1893), p. 521. 

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roi, dans celte paumée, comme dirait maintenant 
M. Flach, la preuve que Rollon prêtait l’hommage 
à Charles, nous étions en bonne compagnie avec 
M. Lot, comme le remarque M. Flach, mais aussi 
avec MM. Lauer, Guilhiermoz et avec M. Flach lui- 
même, ce qui au reste nous était et uous est encore 
très agréable et très honorable. Et il y faut joindre 
l'auteur d'un très remarquable Essai sur la conception 
féodale de la propriété foncière dans le très ancien droit 
normand, qui est, sur la question, très pénétrant: 
M. Lagouelle écrivait en 1902 : « les mots manus 
sms misit inter manus regis correspondent incontes¬ 
tablement à la prestation de l’hommage, le vassal 
plaçant ses deux mains jointes dans celles du 
seigneur (1) ». Et j’ajouterai encore M. Karl von 
Amira Dans un compte rendu du grand ouvrage de 
Steenstrup, compte rendu qui a une grande valeur, 
l’auteur, juriste comme Steenstrup lui même et se 
plaçant au point de vue juridique, remarquait que 
Rollon et ses successeurs jouent dans les textes de 
Dudon le rôle de vassaux, qu’ils doivent le servi- 
tium , que Rollon, Guillaume !« r et au nom de 
Richard I er , les grands de Normandie prêtent suc¬ 
cessivement hommage au roi et il concluait ainsi : 
« d’après ces faits, on s’explique comment les histo¬ 
riens dépendants ou indépendants de Dudon ont pu 
voir dans le don de la terre une investiture (2) ». 


il) Paris, 1902, in-8°, p. 87. 

(2) Die An fange des nomiannischen Rechts dans Historisclie 
Zeitschrift, t. 39. pp. 240-268. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


227 


Ainsi nous avons tous compris jusqu'ici que la 
recommandation impliquait l’hommage (1). Viollet 
est aussi de cet avis. « L’acte par lequel un homme 
se constitue le vassus d'un senior, est la recomman¬ 
dation, commendare, se commendare. On dit aussi 
se tradere... De la recommandation des temps méro¬ 
vingiens et carolingiens procède l’hommage des 
temps féodaux ; l’hommage, liominium, acte par 
lequel je me reconnais l’homme de quelqu’un, n’est 
autre chose qu’une recommandation (2) ». 

Mais, laissons de côté les auteurs modernes, lais¬ 
sons même, pour le moment, l’interprétation du 
texte de Dudon et la paumée dont ne parle point 
Flodoard, et revenons aux textes contemporains, 
ceux qui importent, c’est à-dire précisément aux 
Annales de Flodoard. Quand il dit que le prince des 
Normands, Guillaume, se commitlil régi, que ce soit 
à Charles, en 927, à Raoul, en 933, à Louis, en 936, 
cela ne veut il pas dire qu’il se recommande à lui; 
partant, puisque nous sommes tous d’accord que la 
recommandation entraîne l’hommage, qu'il lui a 
prêté l’hommage, lorsqu’il a mis ses mains dans 
celles du roi ? Soyons bien sur que c’est ainsi que l’a 
compris Dudon. Car, je l’ai montré et prouvé, 
Dudon a lu Flodoard et, au fond, il n’a jamais fait 
autre chose que de le délayer, lui et les autres 


(1) Voir encore Fustel de Coulanges, Histoire des Insti¬ 
tutions politiques de VAncienne France, t. VII. Les Transfor¬ 
mations de la Royauté, Paris, 1892, in-8°, p. 243. 

(2) Histoire des Institutions, I, p. 429. 


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ETUDE CRITIQUE 


sources franques, de l’interpréter et aussi de l'ar¬ 
ranger à sa manière pour ses desseins propres. 
Dudon est d’accord avec nous. Son manus miltere, 
son senilium, ce sont des commentaires, son com- 
menlaire du « se commitlere ». 

Mais, pourrait nous dire M. Flach, la recomman¬ 
dation s'exprime par le mot se commendare, elle ne 
s’exprime pas par le mot se committerc. Si M. Flach 
eût nié la possibilité de ce rapprochement entre les 
deux expressions, de cette traduction du se commit- 
tere, nous eussions peut-être été embarrassé, il nous 
aurait semblé pourtant que le rapprochement était 
évident, la traduction sûre. Mais, est-il besoin de 
dire que M. Flach est de bonne foi ? Dans un article 
récent (1), M. Flach revient sur ce point, à propos 
d’un autre texte de Flodoard, contemporain de ceux 
dont nous discutons ici le sens. A l’année 939, Flo¬ 
doard, parlant des chefs lorrains, écrit : Se régi 
commitlunt (2). « Faut-il entendre, dit M. Flach, 
ont fait hommage au roi ? Certainement non, dans 
le sens d'hommage féodal. — Committere, comme 
je le dirai encore plus loin, ne peut signifier, à cette 
époque et sous la plume de Flodoard, qu 'engager sa 
foi , ce qui est du reste la signification vraie du 
terme latin « se confier », « se fier ». Il s’agit donc 
d’un serment de fidélité, et la preuve s'en tire encore 


(1) Le Comté de Flandre et ses rapports avec la Couronne de 
France du IX e au XII e siècle, dans la Revue historique, jan¬ 
vier 1914, t. CXV, p. 1. 

(2) Ed. Lauer, p. 72. 


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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN 229 

de ce que le même terme est appliqué, dans le même 
passage, aux évêques qui ne faisaient pas alors 
hommage ». A première vue, il semble que M. Flach 
se refuse à admettre que se committere puisse équi¬ 
valoir à se commendarc et tout espoir de conciliation 
s’évanouit. Ne désespérons pas. « Je ne conteste 
nullement du reste, ajoute t il, que committere, dans 
Flodoard, puisse être synonyme de commendare 
(cf. par exemple Annales 927, p. 39, (se committit 
avec Historia ecclesiœ Remensis IV se commcndarit.) 
mais la commendatio existait bien avant qu'il y eût 
des fiefs et elle a continué à subsister avec des 
formes, des modalités et des effets très variables, 
longtemps après que le régime féodal fut pleinement 
installé. — Je remarque, à cette occasion, que le 
mot feudum, comme le terme hominium sont pour 
ainsi dire étrangers à Flodoard (1) ». 

Et M. Flach ajoute que, si on voit dans le se com¬ 
mittit un hommage, il faut reconnaître qu’en 931, 
Herbert de Vermandois, qu’en 940 ce même Herbert, 
Hugues le Grand et Roger de Laon, sese committunt 
au roi de Germanie, ce que les historiens traduisent 
imperturbablement « lui faire hommage comme à 
leur suzerain. » En réalité, dit M. Flach, dans toutes 
ces occurrences, ce ne sont pas ses vassaux qu'ils 
deviennent, ce sont ses afiés, ses pares dans le sens 
qu’avait ce dernier terme dès le IX e siècle et qu’il 
a gardé, suivant moi, aux deux siècles suivants, ce 


(1) Art. cit ., p. 19, n. 1. 


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ETUDE CRITIQUE 


sont des princes qui s’unissent et se soumettent au 
roi (1). 

Mais, dirons nous, on pourrait regarder Herbert 
de Vermandois, qui prête hommage au roi de Ger¬ 
manie, voire même encore Hugues le Grand et 
Roger de Laon comme des traîtres. Cette expression 
aurait le tort d’être inexacte ; il faut tenir compte des 
mœurs du temps et aussi de la situation politique 
à cette époque. Au X° siècle, nous sommes dans le 
chaos, disions-nous au début de cette discussion, 
dans l’anarchie, pourrions-nous dire. N’oublions pas 
surtout que si l’empire est mort en fait, il ne l’est 
pas complètement dans l’esprit des hommes de ce 
temps. Il vit toujours. La question est de savoir quel 
est le successeur de Charlemagne. Charles le Simple, 
à ce titre, a revendiqué la Lorraine ; mais la concep¬ 
tion des rois germains est que la Germanie repré¬ 
sente, elle, la véritable tradition impériale. Les 
Carolingiens veulent réaliser l’empire, comme des¬ 
cendants de Charlemagne. Les rois de Germanie le 
veulent réaliser comme Germains ; c’est le roi de 
Germanie qui est, prétendent-ils, l'héritier légitime 
de l’Empire franc, héritier lui-même de l’Empire 
romain. Toute la politique des Olton ne s’explique 
que de cette manière. On voit à quels importants 
problèmes, toujours vivants, actuels et angoissants, 
touche la question que nous traitons ici. Otton 
réalise l’empire, le saint empire romain germanique 
en 962, mais il a longuement préparé son œuvre, et 

(1) Ibid., p. 20. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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dès son avènement au trône de Germanie en 936, il 
a travaillé à asseoir son autorité sur tous les 
royaumes sortis de l’empire franc, royaume d'Italie, 
royaume de Lorraine et même royaume de la Francia 
occidenlalis, royaume de France. Louis et Hugues 
sont ses beaux-frères et se disputent son alliance. 
Ce fut un coup de maître de ce politique que d’avoir 
amené Hugues le Grand et d’autres feudataires de 
la Francia à lui transporter leur hommage ; et c’est 
aiDsi que je comprends le texte. 

Quant à la remarque de M. Flach que le mot 
feudum, et le terme liominium sont, pour ainsi dire, 
étrangers à Flodoard, elle est parfaitement juste. 
L’annaliste n’a pas besoin de ces mots ; il en emploie 
d’autres, nous l’avons vu ; quand il dit se cnmmiuere, 
cela implique dans son esprit la même idée que 
prêter l’bommage. Et ne pourrons-nous pas remar¬ 
quer une fois de plus qu'en matière d’institutions, 
les mots n'apparaissent qu’après (quelque fois avant) 
l’évolution complète de l’institution? Ailleurs, nous 
avons constaté que le mot Etats pour désigner les 
Etats provinciaux ou généraux, n’est apparu dans le 
sens que nous lui donnons que bien après qu’il y 
eut des Etats réellement constitués (1) ; de même 
pour le mot fiel qui au reste était employé (rare¬ 
ment, il est vrai) dès la fin du IX e siècle (2). 

(1) Nous avons mis ce fait en lumière dans un Mémoire sur 
Les Étals Provinciaux auquel l’Académie des Sciences 
Morales et Politiques a bien voulu décerner le prix du Budget 
en 1911 et que nous comptons publier prochainement. 

(2) Pfister, Histoire de France de Lavisse, II, 1” partie, 
p. 424, n. 2. 


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ETUDE CRITIQUE 


La recommandation préexiste au fief, ditM. Flacli. 
Nous le reconnaissons. Mais quand, à ce lien per¬ 
sonnel de l'homme à l’homme, du tassus au senior , 
à la subordination de l’homme à l’homme se fut 
joint le don d’une terre, il y eut fief. C’est ce qu’a 
bien montré M. Viollet (1); or, précisément à Saint- 
Clair-sur Epte, si quelque chose est évident, c'est 
qu’on a donné une terre à Rollon ; donc il y a eu 
un fief qui devint un grand fief. 

Et a posteriori tout ce qui suit montre que, bon 
gré mal gré, les ducs Normands se considèrent ou 
sont considérés, jusqu’en 945, comme les vassaux du 
roi, vassaux qui ne furent pas toujours aussi fidèles 
qu’ont bien voulu le dire Dudon et son éditeur, 
M. Lair, mais vassaux tout de même. Sans doute, 
M. Steenstrup a indiqué et M. Lagouëlle a bien 
montré, qu’au début, la conception a pu ne pas être 
identique des deux côtés, que le roi voyait dans 
Rollon un vassal, que celui ci répugnait peut être à 
cette idée. Mais tout de même, dans le développe¬ 
ment de l’histoire de la Normandie, c’est bien comme 
des vassaux que se comportent Guillaume et déjà 
Rollon lui-même, comme le montrent les textes et 
les faits. 

11 est maintenant acquis, de l’avis de tous, que 
l’expression se commit ter e veut dire se recommander 
et, par conséquent, prêter hommage, qu’en notant 
que Guillaume, du vivant de Rollon, puis, lorsqu’il 
fut devenu prince des Normands, que les grands 

(1) Op. cil., t. I, p. 431. 


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normands à la minorité de Richard se sont recom¬ 
mandés successivement à Charles le Simple, à Raoul, 
à Louis d’Outremer, Flodoard a voulu dire qu'ils 
avaient prêté hommage. Le don de la Normandie a 
été incontestablement une cession de territoire, il 
y a recommandation, subordination de l’homme à 
l’homme, il y a don de terre, il y a tous les élé¬ 
ments d’un fiel. 

Les textes de Flodoard sont bien clairs. En 927, 
Rollon envoie son fils Guillaume qu’il a désigné pour 
lui succéder, se commitlere régi ; en 933, Guillaume, 
prince des Normands, se recommande au roi Raoul 
et il y a, en même temps, nouvelle cession de terri¬ 
toire, le roi lui donne l'Avranchiu et le Cotentin. 
Eu 940, Guillaume se recommande au roi Louis et. 
dit Flodoard : « At ille dédit ei terrain quam paler 
ejus Karolus Nordmannis concesserat ». Et le roi lui 
donne la terre que son père Charles avait concédée 
aux Normands. Et ce texte a une importance consi¬ 
dérable qui n’a pas été suffisamment remarquée; 
si Louis donne de nouveau la terre de Normandie 
à Guillaume en 940, ce n’était pas en alleu que 
Rollon avait reçu celte terre en 911. M. Flach dit 
qu’ « il ressort avec la dernière évidence... du récit 
de Dudon que le territoire cédé aux Normands l’a 
été à titre d'alleu et non de fiel et ne comportait dès 
lors ni hommage, ni service féodal (1) ». Quand cela 
ressortirait avec la dernière évidence du texte de 
Dudon, ce qu’au reste nous ne croyons pas, nous 

(1) La Normandie, p. 14. 


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ETUDE CRITIQUE 


opposerions victorieusement au texte de Dudon le 
seul témoignage contemporain et impartial, on ne 
saurait trop y insister, celui de Flodoard. Car, si 
en 940, Louis redonne la terre des Normands à 
Guillaume, c’est qu’il s’agit bien d’un fief ; il n’y 
aurait pas lieu à une nouvelle donation, s’il s’agis¬ 
sait d’un alleu, d'un territoire donné en pleine et 
libre propriété, et c’est bien là le sens du mot alleu. 
M. Chénon (1) et M. Flach sont d’accord là-dessus (2). 
L’alleu, même si le mot est d’origine germanique, 
comme le croit M. Chénon (3), a pour équivalent en 
latin le mot hereditas. C’est le patrimoine qui se 
transmet de père en fils, c’est la propriété. Or, si la 
Normandie avait été donnée en toute propriété 
en 911, il ne serait pas besoin de la redonner en 940. 
Mais le propre du bénéfice, qui précéda le fiel, était 
d’être viager. Il devint ensuite héréditaire; néan¬ 
moins il conserva toujours quelque chose de son 
caractère primitif, en ce sens qu’il devait y avoir 
relief, lorsqu’il y avait un nouveau vassal, investiture 
lorsqu’il y avait un nouveau suzerain. « La conces¬ 
sion d’une terre..., dit excellemment M. Guilhier- 
moz, n’arrivait qu’après la commendatio, plus ou 
moins tard, et elle pouvait même ne venir jamais. 
Au contraire, à l’époque féodale, il n’y a plus guère 
d’hommage vassalique sans concession de fief ; en 


(1) Élude sur l’histoire des alleux en France , Paris, 1888, 
in-8°, p. 5, sqq. 

(2) Flach, t. I, p. 190. 

(3) Op. cit. p. 2. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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souvenir de l’ancien état de choses, dans la plupart 
des pays, il est vrai, l’hommage continue à être 
prêté avant l’investiture, mais les deux actes se 
suivent toujours immédiatement, et, si, depuis son 
origine, le bénéfice vassalique ne s’est jamais com¬ 
pris sans l’hommage, maintenant également l’hom¬ 
mage vassalique se comprend difficilement sans le 
fief (1) ». 

M. Flach dira, il a déjà dit, que la commendatio 
est distincte du don de la terre, qu’elle existait 
avant qu’il y eût des fiefs, qu’ « elle a continué à 
subsister avec des formes, des modalités et des effets 
très variables, longtemps après que le régime féodal 
fut pleinement installé ». Mais en 940 il y a incon¬ 
testablement don d’une terre, constitution de fief, 
investiture. La définition de M. Guilbiermoz semble 
faite pour ce cas; les deux actes se suivent immé¬ 
diatement. Il est évident que Guillaume a prêté 
l'hommage à Louis et que Louis lui a conféré ensuite 
l’investiture delà Normandie <c Rex dédit illi terrain ». 

Voyons maintenant ce qui se passa trois ans 
après, lors de la mort de Guillaume Longue-Epée. 
Celui ci est mort le 46 décembre 942 ; au début de 
l’année 943 (Flodoard commence l’année à Noël, 
généralement du moins) (2), le roi Louis vient à 
Rouen ; Flodoard nous dit qu’il donna la terre au 
fils de Guillaume, né d’une concubine bretonne, 
c’est Richard, fils de Sprota, — et quidam principes 

(1) Op. cit., pp. 237-238. 

(2) Ed. Lauer, p. XVI. 


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ETUDE CRITIQUE 


tpsiusseregi committunt, quidam tero Ilugoni duci (i). 
Le jeune duc — il a dix ans — ne peul prêter l’hom¬ 
mage ; les grands le prêtent pour lui mais il y a 
scission; Hugues le dispute au roi en autorité, en 
prestige ; ce pays normand a fait partie de la Neus- 
trie, des possessions des ancêtres de Hugues, toutes 
raisons pour que le fils de ce duc Robert, qui avait 
été le parrain de Rollon, eût un parti en Normandie, 
n Le roi, a dit M. Lauer, vint à Rouen et fit remise 
à Richard, fils naturel du duc défunt, du territoire 
que Rollon et Guillaume Longue-Epée avaient tenu 
eu fief des rois de France ». Et parlant du lerram 
Nortmannorum dédit de Flodoard, il ajoute ; « C’est 
l’investiture féodale » (2). 

Nous ne voulons pas pousser plus loin cette étude, 
ce seraitanticipersur le règnede Richard I er . Remar¬ 
quons encore cependant qu'on a interprété comme 
des usages féodaux deux faits rapportés par Dudon. 
D’abord, Louis IV aurait emmené à Laon le jeune 
Richard. Le suzerain avait, en effet, le droit et le 
devoir d’assurer l’éducation du fils du vassal (3), 


(1) Ibid., p. 86. 

(2) Lauer, Louis IV d’Outremer, pp. 90-92. 

(3) « C’était la coutume, dit M. Lauer, op. cil. p. 103, que 
le suzerain élevât à sa cour le fils mineur du vassal défunt 
et il cite à l'appui de sa thèse le texte de la Vie de Bouchard 
le Vénérable , écrite au XI*siècle: « Bucharduspuerilie tcmpora 
dum transigeret, curie regali, more francorum procentm, a 
paretilibus traditus est *, éd. Boukel de la Roncière, p. 5, et 
aussi d’ARBOis de Jubainville, Recherches sur la Minorité 
et ses effets dans le droit féodal français (éd. 1852), p. 2 ; et 
P. Yiollet, Hist. du droit civil français, pp. 537-538. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


237 


droit dont le roi joue fort habilement pour tenir à sa 
discrétion les Normands et leur duc. De même, le 
gouvernement de la Normandie par Raoul La 
Tourte (1) a été interprété ingénieusement comme 
une preuve que Louis d’Outremer avait placé là un 
bailli du roi chargé de la garde de la Normandie (2). 
Dudon, à vrai dire, ne le représente pas comme 
tel. Il devait bien se garder d’indiquer cet usage 
d’un droit féodal, lui qui semble parfois tenter de 
représenter la Normandie comme un alleu, mais 
Guillaume de Jumièges, toujours plus sincère et 
plus exact, le note formellement ; de même qu’il a 
rejeté la fable des origines premières de Rollori, de 
même il ne craint pas de montrer la situation de la 
Normandie sous Richard. « Uex etenirn aliquandiu 
apud Rnlhomagum morans, prœfectum comitatui pre- 
fecit Rodulfum, agnomento Torlam , qui vecligalia 
annualim a subditis exigeret , et tota bac in provincia 
jura et quœlibet negotia décernent (3) ». Que nous 
voilà loin d’un alleu « libre comme l’air ». 

Et au reste, pour en revenir à Rollon et au traité 
de Saint-Clair sur-Epte, Dudon a-t-il bien voulu nous 
représenter la Normandie comme un alleu ? Distin¬ 
guons, ou plutôt analysons rigoureusement son récit. 
Je ne me servirai point du mot msalus employé deux 
fois par Dudon quand il fait parler les chefs francs 


(1) Dudon, éd. Lair, p. 248. 

(2) Laüer, op. cil., p. 124 et n. 5. 

(3) Ed. Marx, p. 52 ; il faut évidemment lire prœfectum pour 
pcrfcclum qu’a imprimé M. Marx. 


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23» 


ETUDE CRITIQUE 


au sujet de Rullon : ils diseDt de lui à Charles le 
Simple qu’il est sagaci mente vasallus conslans et 
lenis (1) ; veuant trouver le chef normand de la part 
du duc Robert, ils répètent : « Salis plurimis péri- 
culis incubuisti, satis vassallus emerilus (2) ». Avec 
M. Guilhiermoz, je crois qu’il faut traduire ici par 
guerrier. Un exemple du IX» siècle prouve que cossus 
avait dès cette époque, à côté du sens relatif de vassal, 
le sens absolu de guerrier (3). Il n’en est pas moins 
vrai que les chefs francs insinuent à Charles le Sim¬ 
ple que ce vaillant et sage guerrier pourra lui rendre 
de grands services, ou plus exactement pourra lui 
rendre le service, le service militaire, pourra donc 
le servir comme un vassal, son suzerain. 

Dans un autre discours, Dudon fait dire à Charles 
le Simple par Francon, l’archevêque de Rouen : 
« Hollo dux Norlhmannorum tibi amoris et amicitia; 
inexlricabilis, quin etiam servitii paclum, si dederis 
filiam tuam ei, ut dixisli, conjugem, terramque marili- 
mam in sempiternum per progenies progenierum posses- 
sionem, manus suas se sulijugando tibi dabil, fidelilalis 
gratia, tuumque servitium iticessanter explebit, pote- 
risque per eum obslantium et jurganlium lumores 
contra te relunderc, nimiumque confortatus conta¬ 


it) Dudon, p. 166. 

(2] Id., p. 167. 

{3) Op. cit., p. 56 et p. 438, où M. Guilhiermoz invoque à 
l'appui de son opinion les deux textes précités de Dudon. Le 
sens de vassal, de fidèle, existait déjà. Voir charte de Louis 
le Débonnaire : bib. Nat., ms latin, 8857, fol 0 21 v°. 




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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


23!) 


lescere (1) ». Il ne s’agit pas seulement d’un pacte 
d’amitié, mais d’un service que le duc devra au roi 
if quin eliam servitii partum, tuumque sertitium exple- 
bil » et il n’y a pas de doute qu’il s’agisse d’un service 
militaire, d’un service d’ost, puisqu’on dit à Charles 
que grâce au service de Rotlon, il triomphera de 
tous ses adversaires, polerisque per eum obstantium et 
jurgantium tumores contra te relundere. 

Nous avons la recommandation, l’hommage, le se 
committere que nous a rapporté Flodoard, le don de 
la terre, don renouvelable comme il convient à un 
fief; nous avons le service militaire, qu'affirment 
Dudon et Richer (2). Encore une fois, que manque- 
t-il donc pour que la Normandie soit un fief, voire 
même un grand fief ? 

Et Rollon nous est encore représenté par Dudon, 
nous l’avons déjà dit, comme mettant ses mains 
entre les mains du roi, ce que jamais son père, ni 
son grand père, ni son aïeul n’avaient fait. « Manus 
suas misit inter manus regis, quoi nunquam patcr ejus 
et avus atque proavus cuiquam fecit (3) ». Si on nous 
dit que « ce rite était employé pour un engagement 
quelconque, qu'il y a une impossibilité radicale à 
ce que Dudon l’ait regardé comme un acte d’hom- 

(1) Dudon, p. 167. 

(2) Richer, dans l’exposé assez étrange qu’il donne de 
l’établissement des Normands, dit que les grands sont d’avis 
que la province de Rouen soit cédée aux Normands, à condi¬ 
tion qu'abandonnant l'idolâtrie, ils se convertissent à la foi 
chrétienne et qu'ils servent les rois de la Gaule. Ed. Wâitz, 
p. 22. 

(3) P. 169. 


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•240 


ETUDE CRITIQUE 


mage », on oublie le « quod nunquam pater ejus, et 
avus alque proavus cuiquam fecit » ; car le doyen de 
Saint Quentin n’était pas simplement un lettré, un 
rhétoriqueur, mais un homme fort intelligent (et 
dont il faut pour cela nous défier). Dudon, qui a 
dénaturé savamment l’histoire des ducs, mais qui a 
compris et retracé les mœurs de son temps et de 
cette société normande, si nouvelle pour lui, Dudon 
a parfaitement compris que Rollon ne connaissait 
pas le régime féodal ; il n’aurait pas dit ce qu’ont 
dit les historiens du XIX e siècle, comme Depping (1), 
que les Normands ont apporté la féodalité en Nor¬ 
mandie, il comprenait fort bien la société égalitaire, 
qui était celle des vikings, celte union entre chefs 
militaires sur le pied d’égalité, que M. Steenstrup a 
si bien mise en lumière (2), et il se rendait compte 
que c’était chose toute nouvelle et solennelle pour 
Rollon que de mettre ses mains dans les mains d'un 
suzerain, chose que ni son père, ni son grand-père, 
ni son aïeul n’avaient faite. 

Suit le récit qui représente les évêques disant à 
Rollon : « Celui qui reçoit un tel don doit baiser le 
pied du roi. —Jamais, dit le chef normand, je ne 
courberai les genoux devant les genoux d'un autre 
et ne lui baiserai le pied. » Contraint par les prières 
des Francs, il ordonna à un soldat de le remplacer 
dans cette cérémonie. Celui-ci, prenant le pied du 


(1) Histoire des Expéditions Maritimes des Normands , 1" éd., 
t. I, p. 28. 

(2) Indledning et Bulletin Soc. Antiq., t. X, p. 322. 


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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN 211 

roi, le porta à sa bouche, tout en restant debout, 
donna le baiser et fit ainsi tomber le roi, d'où il 
s’éleva un grand rire et un grand tumulte dans le 
peuple (t). L’anecdote se retrouve daus la Brice 
chronique île Saint-Martin de Tours de Pierre 
Béchin, qui ajoute ce détail que Rollon s’écria en 
anglais, linguu anglica : « Ne se bi Goth » (ce qui est 
du norrois). « Non sûrement, par Dieu », d’où le roi 
et ses amis, en riant, l'appelèrent Bigolh, nom qui 
est resté aux Normands (2) ». 

En rapportant ces textes, je n’y ai pas vu la 
preuve de l'hommage lige comme me le reproche 
M. Flach et, au reste, aurais-je eu tort ? Je disais au 
contraire que Dudon en nous montrant le retus de 
Rollon de baiser le pied du roi a voulu atténuer 
l’impression produite par le manus suas misit inter 
manus regis (3) ». J’ajoutais prudemment qu’on ne 
pouvait garantir la véracité d’une anecdote rapportée 

(1) Dudon, p. 169. 

(2) H. F., VIII, 316. 

(3) Freeman, The history of the Norman Conquest of 
England, t. I, p. 192, qui croit que la Normandie fut donnée 
en pur alleu, a cependant compris comme nous cet inci¬ 
dent. 11 déclare qu'il ne peut y avoir aucun doute raisonnable 
sur le fait que Rollon devient, dans le plein sens du mot, 
vassal du roi Charles. Il s’élève contre l’idée que la Nor¬ 
mandie ait pu constituer, comme l’ont dit les écrivains 
Normands, un état indépendant, raille les expressions de 
Dudon lorsque celui-ci écrit, en parlant de Rollon : « Tenet 
sicuti Rex monardiiam regionis ». Freeman montre que 
Rollon a fait hommage, que son successeur a renouvelé cet 
hommage. Il reconnaît, comme nous môme d’ailleurs, que 
cet hommage impliquait bien peu de sujétion réelle, quand 

IG 


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242 


ETUDE CRITIQUE 


par un historien tel que Dudon. Mais plus j’y réflé¬ 
chis, plus je suis porté à croire avec M. Lot que 
« l'anecdote du baisement de pied refusé par Rollon 
doit être authentique. La famille de Normandie 
a pu se transmettre le souvenir de cet épisode 
amusant (1) ». M. Flacli dit qu'il n’y a là que la 
cérémonie de l’aller au pied si fréquente dans les 
Chansons de gestes ; il a diligemment exploré les 
Chansons, et il nous déclare qu'eu recevant le fief, 
« le vassal ne devient, en général, et sauf certaines 
fonctions personnelles qui peuvent lui être imposées, 
l'obligé du seigneur que dans l'acception moderne 
du mot. Il lui doit de la reconnaissance, un redou¬ 
blement d’alleclion, de dévouement, d’amour féo¬ 
dal, et, suivant les règles de la courtoisie, il le lui 
exprime par des remerciements publics que les 
textes appellent hommage comme la recommanda¬ 
tion, mais qui ne constituent qu'un acte d’humilité 
et de gratitude. Vous le verrez embrasser ainsi le 
pied ou le bras du seigneur (2) ». 

Ainsi, si je comprends bien, quand un vassal 
reçoit un fief, il exprime son remerciement à son 
seigneur par l'hommage, la recommandation, et au 

le suzerain était faible et que le vassal était fort. Nous ne 
disons pas autre chose, et ce pourrait être notre conclusion. 

Glasson, Histoire du Droit et des Institutions de la France , 
Paris, 1891, 7 vol. in-8°, t. IV, p. 493, croit aussi que « la Nor¬ 
mandie est sans contredit l’un des grands fiefs les plus beaux 
de la France au moyen âge ». 

(1) Fidèles ou Vassaux ? p. 181, n. 3. 

(2) T. II, pp. 532-533. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 213 

cours de cette cérémonie, il embrasse le pied ou le 
bras du seigneur. Donc nous avons là une preuve 
de plus que Dudon considérait bien la cession de la 
Normandie à Rollon comme la remise d’un fief (1). 

Il ne nous reste plus qu'un problème à résoudre : 
pourquoi Dudon qui semble avoir compris les choses 
comme nous même, qui en combinant Flodoard et 
la tradition orale, nous a laissé l’impression de la 
constitution solennelle d’un fief au profit des Nor¬ 
mands, ajoute t-il qu’il lui donne cette terre in 
alodn et in fundo ? Comment expliquer que Dudon 
de Saint-Quentin qui représente Rollon comme 
mettant ses mains dans celles du seigneur, cérémo¬ 
nie dans laquelle tout le monde, avait jusqu'alors 
vu un hommage? comment se fait-il que Dudon, 
qui nous parle du servitium que devra rendre 
Rollon, représente-t-il la terre donnée à Rollon 


(1) 11 est vrai que M. Flach ajoute en note : « 11 apparaît 
tout aussi clairement que cette cérémonie n’est pas une 
recommandation, un hommage proprement dit, quand on voit 
le seigneur en dispenser l’homme qu'il gratifie. » Mais il nous 
parait que cette remarque explique très bien ce qui s'est 
passé lors de l’entrevue de Saint-Clair, si le récit de Dudon 
est exact. D’après les usages féodaux, Rollon aurait dû, non 
seulement mettre ses mains dans les mains du roi, formalité 
indispensable, il aurait dû aussi, mais le roi pouvait l'en 
dispenser , baiser le pied de son suzerain. Malgré les avis 
pressants des grands, Rollon s'y est refusé, puis il s'est 
déchargé de cette obligation sur un de ses lieutenants qui, 
feignant de ne pas comprendre ce qu'on lui voulait, — le trait 
est bien normand, — jeta le roi par terre. Le roi n'a pas 
insisté, n’étant pas d’humeur à recommencer la guerre avec 
de pareilles gens. 


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ETUDE CRITIQUE 


ïii 

comme lui étant donnée in alodo et in fundo (1)? 
M. Flach a négligé le servilium (2) a expliqué le manus 
mitlere en y voyant une paumée sans importance 
et s’est attaché au in alodo. 

M. Lagouêlle, après avoir reconnu, comme nous, 
dans tous les détails donnés par Dudon, les indica¬ 
tions d’une cession de fiel, tente une explication 
ingénieuse. « 11 est vrai que Dudon n’emploie pas la 
qualification de leodum, il nous parle, au contraire, 
de concession in alodo. Faut il voir dans cet alodum 
une propriété libre, absolue et indépendante ? Nous 
ne le croyons pas. Il n’y a pas de terminologie plus 
incorrecte que celles des périodes de transition où 
se forme un droit nouveau et Dudon a écrit son 
histoire précisément à une époque présentant ce 
caractère. Au X° siècle, bien que l’on commence à 
entrevoir le sens définitif du mot, il évoque encore 
l’idée d'un bien héréditaire (3) ». M. Lagouêlle fait 
remarquer en note que cette idée est exprimée dans 
le chapitre de la loi salique consacré aux successions, 
et il trouve que M. Chénon lui donne au IX» siècle 
une signification trop déterminée. Selon lui, l’alleu 
« opposé au bénéfice essentiellement viager, désigne 
la valeur patrimoniale qui se retrouvera au jour du 
décèsdans la succession de celui qui la détient actuel- 

|1) Ed. Lair, p. 169. 

(2) Remarquons que Geoffroi Malaterra reconnaît aussi au 
roi de France le droit de réclamer le sercitium du duc Muua- 
toiu, S. rerum liât. Mediolani, 1723-1751, 29 vol. in-folio. 
V. p. 5i9. 

(3) Op. cit-, p. 87. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


245 


lement. Si, dans un autre passage de Dudon, nous 
trouvons l’expression alodum suivie de ces mots in 
perpeluum , il y a là une simple redondance, une de 
ces répétitions si communes chez les chroniqueurs 
de l'époque et notamment chez Dudon ; ce qui 
démontre bien que ce ne sont pas deux idées diffé¬ 
rentes qui se trouvent exprimées dans ce passage, 
c'est que quelques lignes plus loin, Dudon reprend 
la formule alodum et fundum sans ajouter in perpe 
tuum. Par ces expressions donc, Dudon a voulu 
souligner, non pas l'indépendance du droit de 
propriété concédé à Rollon, mais le caractère per¬ 
pétuel et foncier de la tenure qui lui était acquise, à 
lui et à ses héritiers (t) ». 

Cette explication est fort ingénieuse ; elle est en 
même temps satisfaisante. Le fief, comme l’alleu, 
est perpétuellement héréditaire, seulement il ne 
l’est pas de plein droit, il faut, à chaque vacance du 
fief, une réinvestiture, il faut qu’un nouveau contrat 
se forme (2), mais le caractère d’hérédité y est bien 
contenu, contrairement au bénéfice, et c’est bien, 
sans doute, ce qu’a voulu dire Dudon. Fustel de 
Coulanges remarque que l’expression ex alode s’op¬ 
pose généralement, dans les formules de Marculfe et 
dans les chartes, à ex comparato, exattracto, ex labore, 


(1) Op. cit., p. 88. 

(2) M. Imbart de la Tour, L’évolution des idées sociales au 
moyen âge, dans les Mém. de l’Académie des Sciences Morales 
et Politiques , 1896, voit aussi un contrat à la base du régime 
féodal, notamment p. 426. 


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ETUDE CRITIQUE 


246 

qui se disent des acquêts (1); c’est la propriété 
patrimoniale. C'est probablement dans ce sens que 
Dudon a employé le mot aloJum ; à partir de cette 
cession de 911, la terre déterminée de l’Epte à la 
mer sera possédée par les Normands in alodo et in 
/undo ; il ajoute d'ailleurs plus loin qu’ils se la trans¬ 
mettront de génération en génération (2). Ainsi, il 
lui donna la terre déterminée du fleuve l'Epte à la 
mer, en alleu et en fonds, et toute la Bretagne, sur 
laquelle il pourrait vivre ». Et ici, je me demande si 
Dudon n’a pas voulu opposera la Bretagne, qui n’est 
pas donnée à Rollon en toute propriété, qui lui est 
donnée seulement comme terre de pillage, la Nor¬ 
mandie, de l’Epte à la mer, qui lui est donnée en 
toute propriété? Alleu n’est point ici opposé à fief , 
alodum à fcodum, mais la terre donnée en propriété 
à celle donnée passagèrement. L’explication que je 
propose n'exclut point celle de M. Lagouëlle, elle a 
l’avantage de traduire rigoureusement tout le pas¬ 
sage (3). 

Maintenant, que Dudon ait employé des expres¬ 
sions quelque peu équivoques pour ménager l’a- 
mour-propre des ducs normands, cela est encore 
possible. (Un Richard II était au moins aussi indé- 

(1) L’Alleu et le Domaine rural, tome V de l'Histoire des 
Institutions politiques de l’ancienne France, Paris, 1889, 
p. 154. 

(2) Ed. Lair, p. 169. 

(3) « Tcrram determinatam in alodo et in fundo a flumine 
Epie us que ad mare, totamque Britanniam de qua posset 
vivere ». 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


217 


pendant de Robert le Pieux, un Richard I" de 
Hugues Capet, que Rollon l’était de Charles le 
Simple). Mais que Dudon ait exclu formellement 
l’idée de fief, cela, à mes yeux, ne se peut soutenir. 
Il reste qu’il n’emploie pas le mot feodum, mais tout 
le monde l'a dit, l’usage de ce mot ne devient régu¬ 
lier qu’assez tard et on n'a pas remarqué que le 
rhétoriqueur Dudon de Saint Quentin, soucieux de 
bonne latinité, n’introduit jamais de mots germa 
niques dans sa prose. Mais, me dira-t on, et le mot 
alodum ? Il n'est pas du tout certain <\u’alodum soit 
germanique. M. Fustel de Coulanges en doute et 
pour de bonnes raisons (1). 

Nous sommes donc ramenés à cette proposition 
que, dès le début de son existence, la Normandie fut 
un fief de la couronne, grand, cela va sans dire. 
Que les titulaires de ce fief furent toujours fidèles à 
la monarchie ? c’est une autre question. Il en était 
ainsi, à cette époque d'anarchie, de tous les grands 
vassaux, de tous les autres princes (2). 

Nous pourrions, en concluant, répéter le mot de 
Freeman : « un tel hommage impliquait bien peu 
de sujétion réelle quand le suzerain était faible et 
que le roi était fort (3) ». Et après tout, le fait 
importe plus que le droit. Avec M. Viollet (4) et 

(1) L’Alleu , p. 161. 

(*2) M. Lot, Fidèles ou Vassaux? p. 5, dit de môme : « La vue 

des excès et des révoltes des grands vassaux ne doit . 

nullement nous influencer dans la recherche que nous 
avons entreprise. ». 

(3) Op. cit., t. I., p. 193. 

(4) Op. cit., I, p. 455. 


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2i8 ÉTUDE CRITIQUE 

M. Flach lui-même, nous dirions encore que 1' « hom 
mage et la fidélité qui rattachent à la couronne un 
duc de Normandie ou un duc de Gascogne, ressem 
blent à une sorte de traité d’alliance aussi souvent 
rompu que renouvelé (1) ». En droit, la Normandie 
fut un fief de la couronne jusqu’en 9io ; en fait, 
Rollon et Guillaume Longue Epée ne furent pas les 
fidèles vassaux que M. Lair a représentés. 

Maintenant que nous avons terminé cette longue 
dissertation, qu’il nous soit permis de dire que ni 
cette discussion, ni l’article de M. Flach n'ont dimi¬ 
nué la considération que nous avons pour une 
œuvre aussi importante que la sienne. Nous avons 
dit, quels étaient à nos yeux ses mérites. Il en est de 
cette œuvre comme de toutes les grandes tentatives 
de synthèse ; il est inévitable qu’elles présentent des 
points discutables et contestables ; précisément 
parce que étant systématiques, elles ne peuvent pas 
enfermer l'infinie complexité des faits. Faudrait-il 
pour cela renoncer à les tenter? Je ne le crois pas. 
Tous ceux qui ont eu le courage et se sont senti la 
force de les entreprendre ont rendu à la science un 
grand service. Elles ont ce grand avantage de provo- 

(1) Ici nous sommes d’accord, puisque nous n'avions jamais 
fait des ducs de Normandie des vassaux fidèles et que nous 
avions démontré les mensonges de Dudon sur ce point. 

U resterait à examiner, comme l’a fait M. Flach, les rapports 
des ducs de Normandie et des rois de France, au-delà des 
débuts du régne de Richard I". 

Nous montrerons plus loin, au livre IV de cet ouvrage qu’à 
partir de 945, Richard I er ne fut plus vassal des Carolingiens 
mais de Hugues. 


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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN 249 

quer la contradiction, de (aire réfléchir ; c’est ce qui 
m’est arrivé et si j'ai davantage creusé la question 
des rapports des ducs de Normandie et des rois de 
France, je remercie M. Flach de m’y avoir appelé. Des 
œuvres comme la sienne posent des problèmes, elles 
font faire de nouvelles recherches, elles alimentent 
l’activité intellectuelle(1 ), tandis quel’érudition pure 
et simple, si utile qu'elle soit, n’aligne jamais que 
des faits, résultat précieux d’ailleurs sans lequel 
toute synthèse serait impossible. Comme je le disais 
en parlant d’une autre grande œuvre, celle de mon 
maître et ami Albert Sorel : « Si nous nous défions 
trop aujourd'hui des vastes synthèses, ceux-là seuls 
pourtant furent des poètes au sens étymologique du 
mot, qui les ont osées (2) ». 

(1} La grande Histoire de France de Lavisse, malgré les 
inévitables défauts d'une œuvre collective, n’est pas seule¬ 
ment utile au grand public, en lui offrant une histoire natio¬ 
nale écrite dans un esprit moderne, au courant de tous les 
travaux récents ; aux étudiants, en leur donnant de l'excel¬ 
lente matière ; elle l'est aussi aux professeurs, aux savants en 
leur montrant les lacunes, en leur proposant indirectement 
des sujets de travaux. 

Pour l’histoire du XVI e siècle, M. Imbai\t de la Tour, dans 
ses Origines de la France Moderne , a ouvert des perspectives 
nouvelles ; nul n'écrira plus l’histoire du XVI e siècle, de la 
Réforme, des guerres de Religion, môme dans l’une de nos 
provinces, sans s’être rendu familier avec cette belle œuvre 
si suggestive et dont l’intérêt croît à chaque volume. 

(2) La Normandie, (Coll, des Anthologies), Paris, 1914, in-4°, 
p. 92. Parmi les contradicteurs de M. Albert Sorel, certains, 
tels que M. Guyot dans la préface de sa remarquable thèse, ou 
encore que M. Driault qui, dans un article récent de la Reçue 
des Etudes Napoléoniennes, t. VII, p. 8, loue la largeur d’esprit 


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250 


ETUDE CRITIQUE 


La conversion de Rollon et des Normands 
au Christianisme 

Sur la conversion des Normands au christianisme 
qui a été, en somme, l’une des conditons de la paix 
et dont il a été souvent question dans les négocia¬ 
tions préliminaires, Dudon ne nous renseigne guère. 
Après que Rollon a pi été l’hommage au roi, celui-ci 
se retire, Robert et Francon restent avec le chef nor¬ 
mand. A la suite d’une apostrophe en vers à Rollon, 
le chanoine de Saint-Quentin nous dit simplement : 
« L’an de l'incarnation de Noire-Seigneur, 912, 
l’archevêque Francon baptisa Rollon, le duc des 
Francs. Robert le tint sur les fonts, lui donna son 
nom et lui fit de nombreux cadeaux. Rollon fît 
baptiser tous ses compagnons et soldats et les fît 
instruire dans la foi chrétienne r. 

Ces quelques lignes posent au moins deux pro¬ 
blèmes importants. A quelle date eut lieu cette 
conversion et quel archevêque convertit les Nor¬ 
mands ? Les deux problèmes sont liés. 

Le premier est d'une solution facile. Je ne crois 
pas que Dudon ait trouvé dans quelque source 
normande une indication de date de la conversion 
de Rollon, mais il a raisonné ainsi : le 20 juillet 911, 
Rollon a été battu à Chartres (ce renseignement lui 
était fourni par la Chronique de Sainte-Colombe de 

de notre maître, ont su rendre hommage à la profondeur de 
son œuvre. 


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SUR DUDON DE SA1NT-QLF.STÎN 


251 


Sens) ; d'autre part, Flodoard dit, qu’après cette 
bataille, eut lieu la cession de la Normandie ; le 
chanoine de Saint-Quentin a supposé que quelques 
mois avaient dû se passer avant qu’on ne se fût 
mis d’accord, et il en a conclu que ce n'était pas 
avant 912 que les Normands avaient été baptisés. 
Son raisonnement parait exact, Rollon est battu le 
20 juillet 911; mais, quelques jours après, il reprend 
l’offensive, fait une expédition dans le Nivernais. 
En admettant comme vrai cet armistice de trois 
mois dont parle Dudon, il se peut que les négocia¬ 
tions aient rempli les derniers mois de l'année 911 
et aient abouti au mois de décembre de la même 
année. Si, suivant la conjecture de M. Eckel, c’est la 
vacance du trône de Lorraine qui a déterminé 
Charles le Simple à faire des concessions aux Nor¬ 
mands, le prince a dû traiter avec eux avant de se 
rendre en Lorraine ; il était le 1" janvier 912 à 
Metz; le 20 décembre 911 à Cruztiaco (dont l’iden¬ 
tification est difficile) (1), il avait pris le titre de roi 
de Lorraine, il a vraisemblablement conclu la paix 
avec les Normands auparavant, c’est à-dire dans les 
derniers mois de 911 Et la couversion de Rollon, 
qui a suivi, aura eu lieu en 912. 

Mais alors se pose uneautie question depuis long¬ 
temps débattue, l’eut-on admettre avec Dudon que 


il} Diplôme pour l’église de Cambrai, H. F., IX, 513, Eckel, 
Charles le Simple , p. 97, ne donne pas d’identification, et 
Paiusot, op. cil., p. 581, il. 1 dit Croissy, Oise, arr. de Cler¬ 
mont. 


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252 


ETUDE CRITIQUE 


ce soit Francon qui ait baptisé Rolion? Bien des 
systèmes ont été proposés. Beaucoup d’auteurs pen¬ 
sent qu'il n’y aurait eu là qu'une confusion plus ou 
moins volontaire faite par le chanoine de Saint- 
Quentin avec l'évêque de Liège (1) qui baptisa 
Godfrid suivant Réginon et Folcuin (2). Cette opi¬ 
nion a été soutenue par Paul Emile (3), pardom Lobi- 
neau (4), par Licquet (5), et, enfin, par Dümmler (6). 
Qu’elle renferme une grande part de vérité, que 
Francon de Liège soit pour beaucoup dans le rôle 
que Dudon fait jouer à Francon de Rouen, cela est 
très vraisemblable. Mais il semble bien qu'il y ait 
eu à cette même époque un Francon, archevêque 
de Rouen. Un catalogue des archevêques donne ce 
nom, place Franco après Witto et Johannes, et 
avant Gunhardus (7) ? En outre, Guillaume de 
Jumièges parle incidemment de la mortde Francon : 
quo tempore Franco Rothomagensis archirpiscopus 
morilur cui succcssit Gunardus (8). Or, il vient de 
parler de l’intervention de Guillaume Longue-Epée 


(1} Evêque de Liège de 856 au 9 janvier 901 ou 904, PlRENNE, 
Histoire de Belgique, I, 406. 

(2) Folcuin, Gesta abbatum Lobiensium, M. G. SS., IV, 61. 

(3) De rebus geslis Francorum , f n 59. 

(4} Histoire de Bretagne, II, col. 77. 

(5) Histoire de Normandie, I, 85-88. 

(6) Forschungen, VI, 371-373. 

(7| Cod. Paris, Bibl. Nat., lat. 1805, cf. Vogel, op. ciï.,p. 393, 
n. 1. 

(8) Ed. Marx, p. 42. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


253 


à Montreuil, qui se produisit en 939 (1). Ainsi Fran- 
con serait mort en 939 (2). Mais ce qui nous importe, 
c’est de savoir quand il est monté sur le trône 
archiépiscopal. Pour M. l’abbé Sauvage, Francon 
succède à Guitton en 909 (3) ; il est évident que 
l’abbé Sauvage est influencé par Dudon de Saint- 
Quentin qui place la conversion des Normands 
en 912 et l'attribue à Francon ; Guitton, son prédé¬ 
cesseur, ne peut mourir avant 909, puisque nous 
savons qu'il assiste au synode tenu à Trosly cette 
année là (4). Précisément, certains documents nous 
représentent Guitton, archevêque de Rouen, comme 
ayant été mêlé à cette conversion. 

Etudions tous les documents relatifs à la conver¬ 
sion des Normands de la Seine. Les Annales de 
Saint Vaast nous parlent de la conversion d'un chef 


(1) Annales de Flodoard, p. 72. Aussi je ne puis com¬ 
prendre la note de M. Marx: « Gunard, archevêque de Rouen 
de 919 à 942 ». Il faudrait lire évidemment de 939 à 942. La 
date de la mort de Gunard est donnée par les Annales 
Uticenses. Ed. d’Orderic Vital (S. H. F.), t. V. f p. 155 et par 
Orderic Vital lui-même, II, 362. 

(2) Je ne comprends pas comment Mfl r Fuzet et le chanoine 
JOUEN, Liste chronologique des archevêques de. Rouen dans 
Comptes , devis et inventaires p. CCXXV, peuvent placer Gon- 
thard, successeur de Francon, de 920 à 942 puisque Francon, 
d’après Guillaume de Jumièges, est mort en 939. Il est bien 
vrai que Flodoard note qu’Hugues le Grand enleva en 931 
Braisnes à l’archevêque de Rouen (Ed. Lauer, p. 49), mais 
il ne donne pas le nom de l'archevêque alors régnant. 

(3) Analecta Dollandiana, VIII, 410-411. 

(4) Duchesne, Fastes épiscopaux, II, p. 211. 


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Î5i 


ETUDE CRITIQUE 


nommé Htindeus qui remonte la Seine en 897 : 
Charles le Simple le fait venir et le fait baptiser le 
jour de Pâques, 27 mars (1). Dès ce temps sans doute 
il y eut un projet d’entente avec les Normands ; car 
nous voyons que l'archevêque de Reims, Foulques, 
le principal partisan du roi Charles, lui écrivit pour 
blâmer cet accord ; il dit que s'allier aux païens, c'est 
la même chose qu’adorer les idoles (2). Mais cetle œu¬ 
vre de conversion fut reprise par Hervé, successeur 
de Foulques. L 'Hisloria ecclesiœ Remensis de Flodoard 
montre que Hervé envoya â l'archevêque de Rouen, 
Guitton, 23 chapitres ou textes (3). Hervé avait éga¬ 
lement écrit au pape, dont la réponse a été con¬ 
servée (4). Ajoutons que Richer parle, lui aussi, de 
la conversion des Normands qu’il attribue à Guitton 
et à Hervé (S). Mais aucun de ces documents ne 
nomme Rollon ; aucun ne donne une date for 
nielle. 

Une opinion très hardie a été soutenue par Sir 
Henry Howorth (6). Il déclare que le texte de 1 ’His- 
toria ecclesiœ Remensis permet de placer ces évé- 


(1) * In Cluniaco monaslerio * que M. Eckel, Charles le 
Simple, p. 61, a.identifié avec Klingenmunster dans le Pala- 
tinat. 

(2) M. G. SS., XIII, 565. 

(3) H. F., VIII, 163. Ces textes nous ont été conservés, voir 
Dom Pommeraye, Sanctœ Rothomagensis ccclesiæ concilia, 
Kothomagi, 1677, in-8°, p. 49 sqq. 

(4) Dom Pommeraye, p. 47. 

(5) Ed. Guadet, I, 710. 

(6) Art. cit., Archœologia, XLV, p. 235. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


255 


nements en 920, la cession de la Normandie serait 
donc bien postérieure à la date qu'on lui attri¬ 
bue habituellement. Mais cette date ne se dégage 
pas du texte de l 'IHstoria ecclcsiœ Remensis ; bien au 
contraire, Flodoard parlant de l'œuvre d’Hervé dit 
qu’il a travaillé avec énergie à l’apaisement et à la 
conversion des Normands, si bien qu’enfin, après la 
bataille livrée à Chartres par le comte Robert, ils 
reçurent la (oi chrétienne ; certains pays maritimes 
leur étant cédés (1), et il ajoute qu’à la demande de 
Guitton, le pape envoya une consultation. La bataille 
de Chartres étant de 911, c'est bien quelque temps 
après qu'eut lieu la conversion. 

Une autre question s’est posée. De quel pape 
s’agit-il ? La lettre pontificale émane d'un pape 
nommé Jean. Mais quel Jean ? Pour les premiers 
éditeurs de cette lettre, il s’agissait de Jean IX dont 
ils plaçaient le pontificat de 901 à 90a (2) ; il aurait 
pu écrire cette lettre à Hervé, qui était archevêque 
de Reims, depuis l’an 900. Guitton aurait été arche¬ 
vêque avant 905, il l’était encore en 909; Françon 
lui aurait succédé, aurait achevé la négociation et 
aurait baptisé Rollon. 

Mais, depuis lors, la critique a modifié les dates 
du pontificat de Jean IX ; ce pontificat irait de 898 
à 900. On n’est pas d’accord sur le mois dans lequel 


(1) H. F., VIII, 163. 

(2) Labbé et Cossart, Sacrosancla concilia, Paris 1671, 
17 v. in-folio, IX, c. 482. 


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256 


ETUDE CRITIQUE 


Jean IX mourut : mai (1), juillet (2), 30 novem¬ 
bre (3). 

Dans le premier cas il est de toute impossibilité 
qu’Hervé ait pu recevoir la lettre de Jean IX, puis¬ 
que l'arcbevéque n’a été élu que le 6 juillet 900. Si on 
admet la date de juillet, cela est encore impossible ; 
dans le seul cas où on admettrait la date du 30 no¬ 
vembre pour la mort du pape, il aurait eu tout le 
temps d'écrire à Hervé. 

Ainsi, deux solutions sont à envisager : 1° la 
lettre est de Jean IX. Alors, elle peut concerner les 
Normands de Hundée convertis en 897, puisque le 
pape y parle des Normands convertis qui tendent à 
retourner au paganisme. Remarquons que Guitton, 
archevêque de Rouen, était auprès d’Hervé lorsque 
celui-ci lut élu archevêque de Reims ; ils auraient pu 
s’entendre sur cette question de la conversion des 
païens; 2» si on n’admet pas que le pape Jean IX 
soit mort le 30 novembre, la lettre ne peut être de 
lui ; elle est alors du pape Jean X, et comme ce pape 
est monté sur le trône eu 914, elle ne peut être 
antérieure à cette date. 

Examinons les capitula envoyés par Hervé à 
Guitton et la lettre du pape. Il est remarquable que 


(1) Jaffé-Lœwenfeld, Regesta Pontificum romanorum , 
2 e éd. Leipzig, 2 vol., I, 443. 

(2) Hékélé, Histoire des Conciles, trad. Delarc Paris, 18 vol. 
in-8*, 1871, VI, 143, et Gregorovius, Geschichte der Stadt 
Rom, Stuttgart, 8 vol. in-8°, 1870, III, 250. 

(3) Roiirbachkr, Histoire universelle de l'Église , Paris, 1865, 
29 vol. in-8», t. XII, p. 504. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


257 


la consultation d’Hervé à Guitlon porte surtout sur 
le cas des païens baptisés qui retournent aux pra¬ 
tiques païennes. 11 est question de ceux dont le 
baptême est douteux, qui ont mangé des viandes 
des sacrifices, ou qui, par crainte, suivent les rites 
des païens, de ceux qui immolent aux idoles, ou qui 
ont pris part à des repas de ce genre, ou encore qui 
ont été forcés de sacrifier aux idoles (1). Toutes ces 
indications nous donnent l'idée d’une société plus 
qu’à demi-païenne, à tout le moins d'une société 
où chrétiens et païens vivent côte à côte et où 
beaucoup de païens convertis retournent aux pra¬ 
tiques du paganisme. La lettre du pape précise bien 
ce dernier point. Il se réjouit de ce que la nation 
des Normands ait été convertie à la foi parla clé¬ 
mence divine ; jadis elle se plaisait à verser le sang 
humain ; maintenant, avec l'aide de Dieu, elle est 
rachetée par le sang du Christ II y a lieu de rendre 
grâces à Dieu et de le supplier de les confirmer dans 
la solidité de la vraie foi, car, précisément, l’arche¬ 
vêque l’a informé que certains ont été baptisés et 
rebaptisés ; ils ont vécu eu païens après le baptême, 
égorgé des prêtres ; ils ont mangé la viande des 
sacrifices offerts aux idoles. Le pape s’en rapporte à 
l'archevêque sur la conduite à tenir. Qu’il veuille 

agir doucement avec eux. « votre expérience le 

sait assez, il faut les habituer à un joug qui leur 
parait insupportable ; soyez vigilant en toutes 
choses, afin de venir devant le tribunal éternel avec 


(1) C. 9, 12,15, 16... 


17 


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ETUDE CRITIQUE 


la plus grande récolte d'àmes ». Ne croirait-on pas 
entendre le langage tenu par les papes à saint 
Boniface lors de la conversion de la Germanie, deux 
siècles auparavant? Ce sont bien là les conseils de 
prudence que la papauté a toujours donnés en sem¬ 
blable occurrence. 

A qui peut s’appliquer la lettre du pape ? A la 
petite bande de Hundée ou à la colonie normande 
établie, récemment, sur les bords de la Seine ? 
Evidemment, il s’agit d’un groupe assez nombreux ; 
le pape se réjouit de cette conversion récente et 
encore très précaire. Si la conversion est de 912, la 
lettre pontificale peut parfaitement être de l'an¬ 
née 914. 

Remarquons qu’Adémar de Cliabannes, a con¬ 
servé le souvenir de ce retour des Normands au 
paganisme, retour que nous verrons se produire de 
nouveau après la mort de Guillaume Longue-Epée. 
L'histoire racontée par le chroniqueur poitevin est 
en partie vraisemblable. Rollon (Rosus) aurait été 
battu par Raoul de Bourgogne à Limoges; plus tard 
il se serait fait chrétien, mais au moment de mou¬ 
rir, il était en démence et il aurait fait mettre à 
mort en l’honneur des idoles cent captifs chrétiens, 
toutefois il aurait donné aux églises cent livres 
d'or en l’honneur du Dieu dont il avait reçu le 
baptême (1). 

On ne trouve rien de tel dans Dudon sur la mort 
de Rollon, mais il est remarquable que le chanoine 

(i) M. G. SS., IV, 133. 


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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 


259 


de Saint-Quentin passe prudemment sur la (in et les 
dernières années du chef normand ; il le représente 
comme ayant abandonné, à cause de la vieillesse, le 
pouvoir à Guillaume Longue Epée. Si l’histoire 
racontée par Adémar de Chabannes n’est pas sûre 
dans ses détails, vu son origine (1), elle est loin 
d’être invraisemblable ; elle correspond parfaite¬ 
ment à la mentalité d’un païen converti et elle reçoit 
une confirmation formelle du texte contemporain 
de la Complainte de la mort de Guillaume Longue- 
Epée : 

Moriente infidèle suo pâtre (2). 

Pour conclure, il semble certain que Roi Ion avec 
sa bande s’est converti en 912 pour obtenir la cession 
de la Normandie, que cette conversion fut l'œuvre 
de Guitton, archevêque de Rouen (3) et de Hervé, 
archevêque de Reims. Francon n’y a eu aucune 
part (4). Nous ne voulons pourtant pas nier son exis- 


(1) L'auteur écrivait en Aquitaine au XI e siècle; la victoire 
qu'il rapporte a été remportée par Raoul sur les Normands 
de la Loire en 930 ; il semble avoir confondu deux événements 
distincts. Voir Laukr, Robert I « et Raoul (le Bourgogne, 
Paris, 1910, in-S°, p. 59. 

|2) Ed. Lauer, p. 320. 

(3) Guitton est mentionné dans un acte du 30 septembre 892; 
il assiste, nous l’avons vu, en 900, à l’élection de l’arche¬ 
vêque de Reims, Hervé ; en 909, il assiste au concile de Trosly. 
Duchesse, Fastes épiscopaux de VAncienne Gaule, II, p. 211. 
On ne sait quand il mourut. 

(4) .l’avais conclu dans un sens différent en 1911, dans mon 
Essai, p. 192. J'admettais alors que Guitton avait pu com¬ 
mencer l’œuvre d’évangélisation des Normands, en prenant 


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260 


ÉTUDE CRITIQUE 


tence ; on ne le pourrait faire qu’en supposant une 
double interpolation : 1° au catalogue des arche¬ 
vêques de Rouen ; 2° au texte de Guillaume de 
Jumièges. Mais sa présence sur la liste des arche¬ 
vêques a aidé Dudon à le confondre avec Francon de 
Liège, confusion plus ou moins involontaire ; l’apo¬ 
logiste des chefs normands ne se souciait pas de 
nous donner une histoire exacte et de nous rapporter 
le retour au paganisme de Rollon et de sa bande. 
Néanmoins, Francon a pu jouer un rôle secondaire 
dans la conversion des Normands. 

L'Établissement des Normands et la 
Législation de Rollon 

Si Dudon s’est longuement appesanti sur les 
campagnes de Rollon, il est très bref sur le règne 
même de ce prince et ne lui consacre que cinq para- 


les instructions de l’archevêque de Reims et que Francon 
l’avait terminée en 912, et aurait baptisé Rollon. Ce système 
pouvait se défendre, mais en y réfléchissant je crois décidé¬ 
ment plus probable que la conversion est l’œuvre d’Hervé et 
de Guitton, les documents, en tout cas, ne nous parlent pas 
de Francon. 

Au cours de cette étude, je reprends toutes les questions 
que j'avais examinées, il y a quatre ans ; presque toujours un 
examen plus approfondi n’a fait que me confirmer dans ma 
première opinion, mais ici je n’hésite pas à venir à l’opinion 
qui avait été soutenue par M. Albert Petit. Le Millénaire de 
la Normayidie, Le traité de Saint-Clair-sur-Epte , dans la 
Revue des Deux-Mondes du 15 mai 1911. M. G. Monod, d'accord 
avec moi sur tous les autres points, se rangeait ici à l’avis de 
M. Albert Petit (Revue Historique, t. CVH (juillet-août 1911, 
p. 401), avec raison je pense. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 2fil 

graphes, d'ailleurs bien laconiques sur les choses 
les plus essentielles, et bien vides, si on en retire 
les légendes. 

Il n’est pas difficile, quand on a saisi les procédés 
de composition du chanoine de Saint-Quentin, de 
comprendre les motifs de cette singulière et si 
fâcheuse disproportion. De Rollon, avant la cession 
de la Normandie, les Annales n’apprenaient rien à 
Dudon, mais il était écrivain de ressources, et avec 
des traits qui convenaient à Hériold, à Godfrid, à 
Sigfrid, il réussit à faire au premier duc Nor 
mand une biographie sortable ; mais voici Rollon 
maitre de la Normandie en 911 ; or, par une très 
fâcheuse coïncidence, les Annales présentent ici 
une lacune complète; les Annales de Sainl-Vaast 
s’arrêtent à 900, et celles de Flodoard ne com¬ 
mencent et n’ont jamais commencé qu’en 919. Le 
bon lettré se trouva donc fort eu peine, car il ne lui 
était plus possible d'avoir recours à son procédé 
familier ; aussi ne s'est-il que péniblement tiré 
d’affaire. Un paragraphe (30) est consacré aux dons 
de Rollon aux églises. Il est très facile d'en faire 
la critique. Dudon a voulu, en attribuant au duc 
normand des dons à toutes les églises cathédrales 
ou abbatiales alors subsistantes, nous donner l’idée 
que Rollon possédait déjà toute la Normandie : 
nous avons vu ce qu’il en est ; il est tout à fait 
impossible que Rollon ait fait en 911 un don à 
Notre-Dame de Bayeux, puisqu’il ne posséda cette 
ville qu’en 924, et au Mont Saint-Michel, qu’il ne 
posséda jamais. 


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2fiî 


ETUDE CRITIQUE 


Le partage des terres. — Bien plus intéressant est 
le passage relatif au partage des terres: « Rollon, 
le huitième jour de sa pénitence, après les sept dons 
aux églises, revêtu des vêteineuts du baptême, a 
commencé de partager la terre à ses comtes et à 
faire des largesses aux fidèles ». Deux lignes plus 
loin, Dudon nous dit « que Rollon a divisé la terre 
entre ses fidèles, au cordeau ; que ce pays, alors 
désert, il l’a remis partout en valeur, en le peuplant 
de ses compagnons de guerre et d’étrangers (1) ». 

Essayons de bien comprendre quelle a été la 
pensée de Dudon. Il a certainement l’idée que 
Rollon a divisé la terre entre les comtes, comilibus. 
Car, au moment de faire les donations à l'arche¬ 
vêque Francon, Rollon lui dit qu’il va procéder à 
ces donations, avant de diviser la terre entre les 
principaux de son armée : anlequam dividatur terra 
meis principibus. 11 a donc partagé la terre, orale¬ 
ment, verbis, à ses comtes, et il a fait des largesses 
à ses fidèles (2). 


(1) » Cœpit metiri terrant verbis suis comilibus atque largiri 
fidelibus... Securitatem omnibus gentibus in sua terra manere 
cupientibus fecil. lllam terram suis fidelibus funiculo divisit, 
universamque diu deserlam reædificavit, atque de suis mili- 
tibus advcnisque gentibus refertam rcstwjcit. • Dudon, éd. 
Lair, p. 171. 

(2) Selon M. Steenstrup, B. S. A., X, 339, n. 1, et Itidle- 
dning, p. 298, n. 1, le mot rerfewn'apas de sens. M. Lagouelle, 
dans son très remarquable Essai sur la conception féodale de 
la Propriété foncière dans le très ancien droit normand , p. 92, 
n. 4, propose de remplacer verbis par vergis, et il voit là une 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


263 


Il est très naturel que Rollon ait ainsi fait leur 
part aux chefs de farinée ; il a dû donner à chacun 
d’eux un château, une ville, le territoire qui en 
dépendait : ce fut plus tard un comté. Ainsi la con¬ 
quête normande n’a pas établi le régime féodal en 
Normandie; mais, peu à peu, les Normands accep¬ 
taient cette conception. 

Faut-il entendre que des fiefs ont été distribués 
par Rollon à ses fidèles? (1) Les largesses faites aux 
fidèles, fiiteUbus largiri , peuvent s’entendre de sim 
pies dons en nature (2). Fideles n’implique pas 
nécessairement des vassaux, mais comme le dit 


allusion à l'arpentage pratiqué h l aide de la perche. Mais 
perche se dit pertica ; quant au mot vergée pour indiquer une 
mesure de superficie, il se dit virgata, virgeia , vergea et môme 
virga (Léopold Delisle: Éludes sur la condition de la classe 
agricole et l’état de l’Agriculture en Normandie au moyen âge , 
Paris, 1903, in-8", p. 534). Voilà deux raisons de fait de rejeter 
la correction proposée par M. Lagouelle. Je crois, avec mon 
regretté maître Guiraud, qu’il faut toujours essayer d’expli¬ 
quer les textes sans les corriger, sauf erreur évidente. Or, il 
n’y a pas de variantes dans les manuscrits. Je pense que 
Dudon a voulu dire que verbalement, verbis , Rollon a attribué 
les principales terres à ses comtes (nous n'avons pas de 
chartes de ce prince). — Verbis et funiculo s’opposent : à ses 
comtes, il a donné la terre par parole ; à ses fidèles, il a divisé 
la terre funiculo, par le sort ou au cordeau, suivant que l'on 
adoptera l’une ou l’autre interprétation, qui, d'ailleurs, ne 
s'excluent pas : on peut tirer au sort des parts que l’on a 
d'abord divisées au moyen de l’arpentage au cordeau. 

(1) Voir sur cette question notre livre 111. 

(2) Wace et Benoit de Saint-More ont compris que Rollon 
distribua de véritables fiefs, mais ils ont pu transporter au 
IX* siècle ce qu'ils voyaient de leur temps. 


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26i 


ÉTUDE CRITIQUE 


justement M. Lagouêlle (lj, il y a maintenant les 
éléments de la concession vassalique, si ces éléments 
ne sont pas encore arrivés à maturité la conception 
ne tardera pas à s’imposer. Plus loin, Dudon dit que 
Rollon assura la sécurité à tous ceux qui s’établis¬ 
saient sur sa terre, qu’il divisa ensuite cette terre 
entre ses fidèles, au cordeau. M. Steenstrup ne peut 
pas admettre que l’on ait arpenté au cordeau toute 
la Normandie (2). M. Lagouêlle, avec tous les auteurs 
qui se sont occupés jadis de cette question (3), croit 
qu'il y a eu réellement arpentage, toutefois il ne 
croit pas non plus qu’il s’agisse d’uue division de 
tout le territoire par bandes égales, mais plutôt de 

(1) M. Lagouelle, op. cit., p. 98, ne croit pas à l'introduction 
immédiate du régime féodal, mais Waitz, art. cit., Kahl von 
Amira, art. cit., avaient soutenu cette thèse. Cela se peut 
discuter et est à peu près insoluble. 11 y a eu sans doute 
une rapide évolution vers le régime féodal. 

(2) Il propose ingénieusement et savamment, comme tou¬ 
jours, de traduire funiculo divisit par il tira la terre au sort, 
funiculum ayant le sens de sort, tirage au sort dans la tra¬ 
duction latine de l'Ancien Testament, dont le style de Dudon 
est souvent imprégné. M. Storm, op. cit., p. 132, nie la possi¬ 
bilité de cette interprétation. Sans doute dans un autre pas¬ 
sage, comme l'a remarqué M. Steenstrup lorsque Rollon fait 
prêter hommage par les grands à son fils Guillaume, Dudon 
lui fait dire : Vos quoque terra quam sorte dedi vobis, non 
frustrabil (Ed. Lair, p. 182). La terre que je vous ai donnée 
par le sort il ne vous l'enlèvera pas, mais les deux explica¬ 
tions ne s’excluent pas. M. Flach, II, p. 76, a également 
compris l’opération de cette manière. « En Normandie, Rollon 
partage la terre au cordeau ou au sort entre ses compagnons ». 

(3) Steenstrup, B. S. A., X, 339, remarque que Sulm, 
Depping, A. Thierry, Licquet, Munch, Worsaae, Waitz ont 
interprété ce passage de cette manière. 


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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN 


265 


la division d’un grand domaine, d’une villa. Je suis 
de cet avis et je crois même que l’on peut préciser 
l’explication de M. Eagouêlle, en la rapprochant du 
passage suivant de Dudon où il dit que le chef 
normand repeupla le pays et qu’il y attira avec ses 
soldats des étrangers sur des terres désertes. Evi¬ 
demment Rollon établit ses soldats et des hôtes 
appelés de toutes parts sur les domaines aban¬ 
donnés, et il les leur divisa sans doute au cordeau, 
suivant le mode en usage parmi les peuples du Nord, 
pour le partage des communautés rurales et que 
notent plus tard 1a loi d’Erik et la coutume de 
Shonen : ainsi se fondèrent ces villages dont la terre 
était distribuée en parties égales, et qui, parmi les 
Normands de Scandinavie, s'appelaient bôl, mot qui 
a conservé ce sens en Normandie, les [jmgs boels ; 
d’où, par déformation, les Baux, mot qui sert à 
désigner bien des villages normands fondés à une 
époque ultérieure dans de pareilles conditions : les 
Baux Sainte Croix-des-Ventes, les Baux de Bre- 
teuil (1). 

Cette explication est d'autant plus vraisemblable 
que Rollon a gardé pour lui une partie du territoire 
de la Normandie, il n’a pas tout partagé entre ses 
comtes. A l’époque de Guillaume le Conquérant, le 
domaine ducal, qui a déjà subi bien des démembre¬ 
ments, nous apparaît encore comme très étendu. Il 
est possible que Rollon se soit réservé, pour les parta¬ 
ger aux soldats, sinon l'ancien domaine des Caro- 

(1) L. Delisle, op . cil., p. 396. 


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îfifi 


ETUDE CRITIQUE 


lingiens, du moins les domaines abandonnés. C’est 
celte colonisation Scandinave dans des terres désertes 
qui pourrait expliquer le très grand nombre de 
noms de lieu qui, dans le pays de Caux, ont une 
physionomie germanique (1), j’entends, Scandinave. 
C’est, entre Yvetot et Le Havre que se trouvent le 
plus grand nombre de ces noms de lieu. Dudon 
peut donc avoir eu connaissance des opérations de 
mesurage, de tirage au sort, effectuées dans le pays 
de Caux, le premier colonisé. 

Les lois de Rollon. — Dudon, dans la suite du 
chapitre extrêmement confus qu’il a consacré à 
l’administration de Rollon en Normandie, où il parait 

(1) Depping, op. rit., 2 e éd., p. 450, mon Essai, p. 256 et 
M. SlON, Les Paysans de la Normandie orientale, Paris, 1908, 
in-8°, p. 498. Celui-ci remarque qu'au XIII e siècle, des lois 
Scandinaves règlent l'occupation du sol par les communautés 
rurales ... « Chaque paysan reçoit en toute propriété un coin 
de terre » ; pour égaliser les lots * on procéda par des 
« partages au cordeau ». Tout habitant disposait, pour bâtir 
sa maison, d'un espace appelé lopt ou tomt (le tôt de la 
toponymie cauchoise) ». Tomt veut dire aujourd’hui encore 
terrain, emplacement. Des villages de ce genre se trouvaient 
dans tout le Danemark, le sud de la Suède, la Dalécarlie et 
dans toutes les plaines et vallées de la Norvège méridionale. 
Après Mkitzen, M. Sion a recherché dans la disposition du 
village normand d'aujourd'hui des traces du village normand 
d'autrefois ; et il s'est efforcé de déterminer le pays originaire 
des colons, ses recherches ont eu un résultat négatif. • Il 
semble, dit-il, que si les Normands ont commencé de bâtir 
près d'Yvetot des villages du type danois, ils ont ensuite 
renoncé à suivre ce plan pour profiter des avantages de la 
dispersion ». Ce qui a dominé, c’est comme dans une grande 
partie de la Norvège, les bâtiments isolés. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


267 


avoir jeté les idées pèle mêle, ajoute que ce prince a 
donné au peuple un droit et des lois sanctionnées et 
arrêtées par la volonté des chefs. Un peu plus loin, 
après une phrase consacrée aux expéditions contre 
les Bretons rebelles, il ajoute qu'il mit sur les terres 
de sa dépendance le ban, l'interdiction, c’est-à-dire 
la défense qu’il y eût sur sa terre aucun voleur ou 
larron et que personne leur prêtât assistance. Entiu, 
il interdit que chacun rapportât à sa maison le soc 
de la charrue, on devait le laisser aux champs avec 
la charrue elle même, et nul homme ne devait met¬ 
tre de garde auprès de son cheval, de son âne et de 
son bœuf. Suit l’histoire de la paysanne déliante qui 
a caché la charrue de son mari parce que celui-ci, 
conformément aux lois, n'a pas voulu la mettre à 
l'abri. 

Il y a évidemment trois choses à distinguer dans 
ce texte, une indication générale sur la législation 
de Rollon, des renseignements sur les règlements 
de police de ce prince, et une légende. On a vu 
quelquefois dans Rollon le législateur de la Nor¬ 
mandie; pour un peu, on lui attribuerait la Coutume 
de Normandie, qui n'a été rédigée, à notre connais¬ 
sance, qu’au Xll 0 siècle, et qui, comme toutes les 
coutumes, s'est formée au cours des temps par 
un amalgame de règles, d’usages, de traditions, 
où domine le droit franc et où M. Steenstrup re¬ 
connaît que le droit Scandinave a peu de part (1). 


(1) Bull. Anliq., X, p. 375. Laferrièhe, Histoire du droit 
français, Paris, 1852-Ô8, 6 vol. in-8", t. III, p. Î15, et V, p. 627, 


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268 


ETUDE CRITIQUE 


Cependant, M. Sleenstrup croit aussi qu'il y a eu 
des lois de Rollon, et ces lois, il croit les reconnaître 
dans les lois de Frode dont nous parle Saxo Gram- 
maticus. Le vieil annaliste danois rapporte dans un 
de ses livres qu’un roi Frode, qui a soumis la Suède, 
la Norvège, les côtes de la Baltique, est l'auteur 
d’une législation dont il indique les principales dis¬ 
positions (I). M. Steenstrup, particulièrement com¬ 
pétent dans ces questions juridiques, a étudié en 
détail cette législation, il a essayé d'en déterminer 
le caractère, il s'est eflorcé de montrer que cette 
législation est une sorte de code militaire, qu’elle 
est destinée à un peuple en armes; qu'en un mot, 
ces lois ont été « (ailes pour l'armée des vikings à 
l’étranger (2) ». Remarquons que Frode a donné des 
lois particulières à la Norvège. Dans ces lois de 
Frode, il y a une disposition qui promet de rendre 
la valeur de la chose perdue, mais il est défendu de 
serrer quelque chose sous clef ; il est remarquable 
que Rollon défend de garder en plein champ les 
objets susceptibles de vol ; si ce n’est pas tout à fait 
la même chose, il y a cependant analogie. M. Steens¬ 
trup dit que selon les lois de Rollon, le recéleur 

soutient que les Normands ont introduit dans la province des 
institutions Scandinaves. Glasson, Histoire du droit et des 
institutions de l’Angleterre, Paris, 1882-83, 6 vol. in-8®, t. I 
et II, passim., s’est élevé contre cette idée. La question n’est 
pas mûre, nous ne connaissons assez ni le droit Scandinave 
primitif, ni le droit normand avant le XII* siècle pour pouvoir 
faire des comparaisons utiles. 

(1) Ed. Hôlder, pp. 152-153. 

(2) B. S. A., X, p. 355. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


26a 


était puni du même châtiment que le voleur. Il fait 
allusion au passage de Dudon où il est dit que l'on 
ne doit prêter aucune aide au voleur: cette loi se 
retrouve dans le paragraphe 6 des lois norvégiennes 
de Frode (1). Rollon fait pendre le larron et le recé- 
leur, puisqu’il fait pendre la femme et son mari qui 
ne l'a pas dénoncée. Cette disposition est encore une 
des règles du roi Frode ; seulement, elle ne se 
trouve pas parmi les lois de l’armée, mais parmi 
celles qu’il donna en Norvège. Ainsi, dit M. Steens- 
trup, les lois de Rollon sont analogues aux lois du 
roi Frode; nous ajouterons: analogues aux lois du 
roi Frode pour la Norvège, et, tout en adoptant la 
conclusion de M. Steenstrup, nous en tirons cette 
autre conclusion qu’il n’a pas dégagée — on com¬ 
prend pourquoi, — c'est que les lois importées par 
Rollon ressemblent à une législation en usage en 
Norvège (laissons de côté le roi Frode, personnage 
légendaire). Et voilà une indication très précieuse 
et qui nous confirme dans notre hypothèse de l’ori¬ 
gine norvégienne de Rollon (2). 

Dudon de Saint-Quentin conclut que Rollon a fait 
régner l’ordre et la paix en Normandie : ce dut être 
en eflet son principal souci de faire respecter la 
propriété, la vie, l'honneur de ses nouveaux sujets 


(1) Id., p. 380. 

(2) M. Lagouelle, op. cil., p. 102, croit que a la législation 
de Rollon s’est bornée a quelques règlements de police ou 
d’administration destinés à la protection de l’agriculture. » 
Cette hypothèse n'exclut pas celle de M. Steenstrup qui est 
beaucoup plus intéressante. 


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570 


ETUDE CRITIQUE 


par ces vikings habitués au pillage. 11 est remar¬ 
quable que certaines des lois de Frode, rapportées 
par Saxo Grammaticus, se retrouvent dans les dis 
positions prises par Guillaume le Conquérant en 
Angleterre, par exemple l'article 8 des lois du roi 
Frode, qui punit la violence exercée contre une 
femme, la disposition de la loi sur le ran , rapine. 
Enfin, la fameuse loi d’anglaiserie, qui rendait le 
village anglo-saxon responsable du meurtre d'un 
Normand, présente une analogie avec le paragra¬ 
phe 15 des lois de Frode, qui veut que le meurtre 
d’un Danois soit puni de la mort de deux étran¬ 
gers (1). Rollon fit respecter sans doute l’ordre 
établi, aussi bien par les habitants du pays conquis, 
que par les colons ou les Scandinaves. Et celte 
tradition commune â tous les conquérants, elle a 
été traduite par une autre légende bien connue. 
Rollon, pendant une partie de chasse, se repose 
avec sa suite près d’une mare, non loin de Rouen ; 
pour éprouver la probité des paysans, ses compa¬ 
gnons suspendent aux chênes des anneaux d'or 
qui y restèrent trois années. Le lieu était encore 
appelé Routnare, mare de Rou, de Rollon, au temps 
de Guillaume (2). Cette légende se retrouve un peu 
partout : dans l’histoire d’Alfred le Grand (Chro¬ 
nique anglo-saxonne), dans l'histoire d'Ædwin de 


(1) Voir Steenstrup, op. cil., passim. 

(2) Guillaume de Jumièges, livre II, c. 20, éd. Duchesne, p. 232. 
Elle a disparu de l’édition Marx, sans que l'éditeur nous en ait 
avertis. Elle était sans doute le résultat d’une interpolation. 


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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN 


271 


Norlhumberland racontée par Bède, plus ancien¬ 
nement encore dans l’histoire de Théodoric, roi 
des Ostrogotlis et conquérant de l’Italie, le Dietrich 
de Bern (Vérone) de la légende. Etant donnés les 
rapports de l'Angleterre avec les pays Scandinaves 
et la Normandie, la légende a pu en être importée; 
elle pourrait même être une réminiscence de la 
légende de Dietrich de Bern qui a été connue en 
Scandinavie (1). M. Steeustrup s’efforce de démon¬ 
trer que c’est de Danemark qu’elle a été importée 
en Normandie, mais elle a tout aussi bien pu 
venir de Norvège, où on la trouve fixée dès le 
milieu du XIII 0 siècle, et aux lies Féroë où passa 
Ganger Rolf. Selon Saxo Grammaticus, Frode a sus¬ 
pendu un anneau d’or à un rocher de Norvège, nommé 
plus tard le rocher de Frode (2). il yen avait un autre 
dansla provincedeVilcen. Ainsi nous relevons encore 
ici des indices qui nous font de plus eu plus pen¬ 
cher vers le Rollon norvégien. Ajoutons que les témoi¬ 
gnages concordants de Glaber et de Guillaume de 
Poitiers montrent que dans cette société de vikings 
une police rude amena une répression rapide du 
brigandage (3). 


(1) M. Pineau, dans son remarquable ouvrage déjà cité, 
p. 341, dit que la légende de Dietrich se trouve fixée par 
l'écriture dès le milieu du XIII" siècle, dans la Thidrikssaga 
norvégienne, et qu’elle revit de nos jours dans les chants 
populaires de la Suède, du Danemark et des îles Féroë. 

(2) Ed. IIolder, p. 164. Voir B. S. A., X, 383. 

(3) Raoul Glaber, éd. Prou, p. 20, et Gesta Willelmi ducis 
Normaimurum , éd. Giles, Londres, 1845, in-8°, p. 80. On a 


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272 


ETUDE CRITIQUE 


Cette législation a été sanctionnée par les chefs. 
Dudon, ici comme en bien d’autres passages, nous 
conserve le souvenir d’un Etat oü les chefs au moins 
sont associés au gouvernement (1), où il y a une 
assemblée délibérante, quelque chose d'analogue au 
Thing norvégien ou danois, à l’Althing islandais. 

On voit combien il est intéressant d'étudier de 
près ces lignes, si obscures à première vue, de 
Dudon ; elles sont chez lui des réminiscences con¬ 
fuses d’une société qu’il n’a pas connue, de choses 
que Raoul d’fvry peut être lui a racontées, qu’il n’a 
pas très bien comprises, mais nous y pouvons 
retrouver le souvenir chez les hommes du XI" siècle 
du premier établissement des Normands, les traces, 
sinon de leurs institutions politiques et sociales, du 
moins de leurs tendances propres. 

Les dernières années et la mort de Rollon 

Après ces trop courts paragraphes sur la législation 
de Rollon, le chanoine de Saint Quentin raconte une 
histoire bizarre dont on ne peut dire qu’elle soit 


quelquefois attribué à Rollon la clameur de haro, disposition 
particulière de la coutume de Normandie, c’est la clameur, 
l’appel en cas de violence, on y a vu une interjection. Ua-Rou ! 
Voir là dessus, Depping, op. cit., 2« éd., p. 427. Guillouard, 
De l’origine de la clameur de haro (Mém. S. A., t. XXVIII). 
Glasson, Etude historique sur la clameur de haro, Paris, 
1882, qui ont montré que la clameur est bien antérieure à 
Rollon. 

(1) • Leges sempitemas voluntate principum sancitas *. Ed. 
LAIR, p. 171. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


273 


légendaire, mais qui a bien l’air d'êlre sortie toute 
entière de son imagination. Le roi Charles le Simple 
envoie deux émissaires à sa fille Gisèle, celle ci les 
cache ; les Normands les dénoncent et Rollon les 
fait mettre à mort. De cet épisode ne retenons qu'un 
mot des chefs normands: ils disent: « Itullonemeam 
non cognovisse marilali lege »; plus loin, il est ques¬ 
tion de la mort de Gisèle. Par là, Dudon nous 
avertit lui-même de l'invraisemblance du mariage 
de Gisèle et de Rollon. 

Cependant le duc Robert, qui sait que la paix est 
menacée, entre en guerre avec le roi et demande 
l'appui de Robert de Rouen, c'est à dire de Rollon ; 
celui-ci le lui refuse. Ce qui arriva entre Charles et 
Robert, Dudon ne le raconte pas, parce que cela est 
rapporté ailleurs, c'est la bataille de Soissons (f). Il 
y a évidemment là une réminiscence des luttes entre 
Charles et Robert. Quant à Rollon, il aurait fait 
recounaitre son fils Guillaume par les chefs nor¬ 
mands; Dacorum Britonumque principibus, puis il 
aurait vécu un lustre encore, ne pouvant plus monter 
à cheval, souvenir et explication du Ganger Rolf 
de la Saga qui lui, ne peut aller à cheval sur les 
petits chevaux norvégiens ou écossais parce que ses 
jambes sont trop longues. Le chef normand rend 
son âme au Christ : autre invraisemblance, si on 
admet le récit d’Adémar de Chabannes. 

Essayons maintenant de nous représenter sans le 
secours de Dudou, ce qui s’est passé en Normandie 

(1) Annales de Flodoard, p. 13. 

18 


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274 


ETUDE CRITIQUE 


de 9H à la mort de Rollou. Demandons-nous aussi 
à quelle date mourut Rollon, ce que Dudon ne nous 
dit pas d’une façon exacte et ceci montre encore 
qu’il n’a pas de renseignement personnel en dehors 
de Flodoard qui ne mentionne pas celte mort. 

Les événements du règne de Rollon, de 911 à 923, 
nous sont inconnus. Avant 919, les Annales de 
Flodoard nous font défaut ; de 919 à 923, Flodoard 
ne parle pas des Normands. Peut être ceux-ci se 
tenaient-ils tranquilles à ce moment là ? 11 se peut 
que ce soit la guerre entre Charles le Simple et les 
grands vassaux révoltés qui ait été l'occasion de 
leur rentrée en campagne. 

En 922, les grands, laïques et ecclésiastiques, réu 
nis à Reims, élisent roi Robert, duc de France (1). 
Ce fut le point de départ de la guerre. Flodoard et 
Richer nous racontent la bataille de Soissons, où 
Robert périt. Les grands s’adressèrent alors à Raoul, 
duc de Bourgogne, dont ils firent un roi, et Charles 
ht appel aux Normands. Un certain nombre de 
Normands de la Seine se joignant aux Normands 
de la Loire vinrent sur les bords de l’Oise pour 
porter secours à Charles. Raoul les arrêta ; pour 
les punir d’avoir ravagé le Beauvaisis, il franchit 
l’Epte et entra en Normandie, la dévasta par le 1er 
et le feu. Les Normands, à leur tour, envahirent 
de nouveau les territoires au delà de l’Oise, on leur 
envoya de nombreuses ambassades; ils promirent 
enfin la paix à Séulfe, archevêque de Reims et à 

(1) Eckel, op. cil., p. 119. 


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SUR DUDON PE SAINT-QUENTIN 


275 


Herbert, comte de Vermandois, si on voulait leur 
laisser le pays au delà de la Seine (1). Probablement 
aussi on leur donna de l’argent, car, en 924, on leva 
un impôt spécial (2) ; puis le roi leur abandonna le 
Bessin et le Maine (3). 

En 925, les Normands de Rouen (Nortmanni de 
Rodomo ), rompant la paix, envahissent le Beauvaisis, 
ravagent l’Amiénois, brûlent Amiens, s’avancent 
jusqu'à Noyou où ils sont repoussés par la garnison 
du château et la population des faubourgs (4). Pen¬ 
dant ce temps-là les Bajocasses (5) ravagent le pays 
normand au delà de la Seine, c’est-à-dire le pays 
entre la Seine et la Dive, limite de la Normandie 
de 911 à 924; les Bajocasses ne veuleut donc pas 
reconnaître la domination normande (G). Puis les 


(1) Flodoard, Annales , p. 17. 

(2) Ibid., p. 19. 

(3) Ibid., p. 24. 

(4) Ibid., p. 30. 

(5) M. Eckel, op. cit., p. 77, n. 4, se demande s’il ne faudrait 
pas corriger Bajoccnses par Belvacenses. Mais le récit de 
Flodoard est des plus clairs : les Bajocasses envahissent le 
pays des Normands, ultra Sequanam, nu delà de la Seine, 
c’est-à-dire, situé, pour lui, Flodoard qui est à Reims, à 
l’ouest de la Seine, tandis que les Parisiens et Hugues enva¬ 
hissent le pays, cis Sequanam, en deçà de la Seine, c’est-à- 
dire, comme le contexte l’indique, le diocèse de Rouen. 

(6) Qu’est-ce que ces Bajocasses ? Les savants, qui tiennent 
pour la continuité de l’élément saxon à Bayeux du III e au 
XI e siècle, diront : des Saxons. On pourrait, en s'appuyant sur 
un rapprochement avec le texte de Guillanme de Jumièges, 
qui nous montre Hagrold, chef Scandinave, s’établissant dans 
ces pays sous Guillaume Longue-Epée, dire que c’étaient les 
Normands établis à Bayeux, qui s’opposeraient ainsi aux 


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276 


ETUDE CRITIQUE 


Parisiens se mettent de la partie et avec les fidèles de 
Hugues, fils de Robert, et les garnisons de quelques 
châteaux, ils envahissent la partie du pays de Rouen 
qui se trouve en deçà de la Seine, la ravagent, 
brûlant les villages, enlevant les troupeaux el tuant 
quelques habitants. Les Normands qui ont envahi 
le Beauvaisis, se décident alors à rentrer chez eux. 

Mais la même année, Herbert, à la tête de troupes 
franques des pays maritimes, avec les contingents 
de l’église de Reims et Arnoul de Flandre, attaque 
la partie orientale de la Normandie; il vient assiéger 
Eu, et Rollon est obligé d'envoyer de Rouen mille 
hommes pour renforcer la garnison de la place. 

Les Francs franchissent le retranchement exté¬ 
rieur, ils arrivent jusqu’à la muraille, s’emparent de 
la place, en massacrent la garnison et mettent le feu 
au château. Quelques Normands s’échappent et se 
réfugient dans une lie voisine. Les Francs s’en 
emparent après un certain temps ; au moment où ils 
vont être pris, les Normands essaient de s’échapper 
à la nage, quelques-uns sont égorgés en arrivant à 
la rive, d'autres, criblés de flèches (1). 

Ici se pose la question de savoir quand est mort 
Rollon. Certainement Richer, en lisant ce récit dans 


Normands de Rouen : Nortmanni de Rodomo, dont parle 
Flodoard plus haut. Peut-être Flodoard dit-il Dajocenses, les gens 
du Bessin, comme il dit plus loin, Parisii , les gens de Paris. 

(1) Flodoard: Annales, p. 31. Remarquons que Flodoard, si 
laconique d'habitude, donne, sur cet événement, des détails 
précis, ce qui s’explique, puisque les contingents de l’église 
de Reims font partie de l'expédition. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


277 


Flodoard, auquel il dut beaucoup, il le dit lui-même, 
a cru que Rollon avait été tué à Eu, car il a intitulé le 
chapitre qu’il consacre à la prise de cette ville : Rollo- 
nis pyralœ intérims ; puis il a raconté la mort de 
Rollon en une ligne : « Oppidoque potili , Ilollonem 
or.ulis effusis, suggillant ». Il a ensuite barré ces mots 
sur son manuscrit (1). Sans doute il avait lu d’abord 
distraitement le texte de Flodoard, et il en avait con¬ 
clu que Rollon était au siège d’Eu et que tous les 
Normands qui s’y trouvaient ayant été égorgés, Rol¬ 
lon avait aussi trouvé la mort dans ce siège. Richer, 
en relisant Flodoard, s’aperçut que le texte ne disait 
pas que Rollon était à Eu, mais qu’il y avait envoyé 
des renforts, et il biffa ce passage sans modifier le 
titre du chapitre. 

Mais quand est mort Rollon ? Dudon ne donne 
pas de date. Les Annales lllicenses( 2) et la Chronique de 
Rouen le font mourir en 917 (3), Hugues de Fleury et 
la Chronique de Tours en 922(4), Aubri des Trois- 
Fontaines eu 928 (3). Sauf la dernière, toutes ces 
dates sont manifestement fausses ; car Rollon vivait 
encore en 928. Flodoard note qu’en 927, Charles eut, 
à Eu, une entrevue avec les Normands, à laquelle 

(i| Ed. S. H. F., I, 06. 

(2) S. H. F., V. p. 155. 

(3) H. F., IX, 88. 

(4) C’est du moins la date que l'on peut tirer de ce rensei¬ 
gnement que Rollon serait mort dans la XII* année de son 
gouvernement. H. F., IX, 51. 

(5) H. F., IX, 65. 


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278 


ETUDE CRITIQUE 


Herbert étant présent, le fils de Rollon prêta l’hom¬ 
mage à Charles (1). 

En 928, Flodoard nous dit que Rollon tient en 
gage le fils d’Herbert et il ne veut pas le rendre à 
son père avant que celui-ci ne se soit recommandé 
et n’ait prêté l’hommage au roi Charles |2). Rollon 
restait donc fidèle au Carolingien et Dudon est exact 
sur ce point. Mais on n’entend plus parler de lui 
dans la suite. Quant au lustre qui, suivant Dudon, 
s’écoule entre le moment où Rollon a fait recon¬ 
naître son fils et la date exacte de la mort, il est 
probable qu’il faut l’expliquer par les deux serments 
que Guillaume a prêtés, l'un en 927 à Charles, 
l’autre en 933 à Raoul. Dudon travaille toujours 
d'après Flodoard et il ignore comme nous, Flodoard 
ne l’ayant pas dit, la date exacte de la mort de 
Rollon, dont on peut dire seulement qu'elle est 
postérieure à 928. 


* 


(1) Flodoard, Annales, p. 39. Si nous nous rappelons que 
selon Dudon, après avoir présenté Guillaume, fils de Popa, 
aux chefs normands, Rollon aurait encore vécu un lustre, 
cinq ans, il est évident que nous tenons l'explication de la 
date 917 des Annales Uticenses; le rédacteurs compté un 
lustre à partir de 912. M. Lair, lui, concluait que Rollon était 
mort en 932, un lustre après 927. Ed. Dudon, pp. 173-174. 

(2) Annale s, p. 41. 


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SUR DUDON DE SAIXT-QUEXTIN 


279 


LE TROISIÈME LIVRE 


GUILLAUME LONGUE-ÉPÉE 


La révolte des Bretons. — Après des pièces de vers 
où s'exercent la science métrique et la verve latine 
du doyen, Dudon, revenant à la prose, annonce en 
uu prologue l'objet de son nouveau livre et, dès les 
premiers mots, il montre en quel esprit il va le 
traiter : Guillaume Longue Epée est comparé aux 
martyrs, c’est le Normand chrétien. Et tout de suite 
aussi nous voyons quelle a été la principale source 
où l’auteur a puisé son inspiration, la Complainte 
de la mort de Longue-Epée. 

Les premiers paragraphes ne méritent pas de 
nous retenir longtemps. Dudon répète, sans rien 
ajouter de bien nouveau, ce qu'il a dit au livre 11 
des origines de Guillaume Longue Epée; pâtre üaco, 
maire Francigena ; ceci fait penser à l’opposition que 
met précisément la Complainte entre le père païen 
et la mère chrétienne du second duc normand. 
Dudon remplace païen par Dams, chrétienne par 
franque, et voilà même probablement l’origine de 


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280 


ÉTUDE CRITIQUE 


l’histoire de Popa. Dudon, sachant que la mère de 
Guillaume était chrétienne, s'est imaginé qu’elle 
était franque ; remarquons-le bien, c’est une sup¬ 
position que tout historien eût faite à sa place ; 
or, la mère de Guillaume était vraisemblablement 
écossaise, comme nous l'avons vu ; niais Dudon fait 
naître le duc à Rouen : ce qui est en contradiction 
avec le renseignement précis de la Complainte qu’il 
est né outre mer, Dudon ajoute queRollon l’a confié 
à Bothon pour le faire baptiser. Qui est-ce Bothon ? 
Est ce le même personnage dont se sont emparés les 
Bajocasses lors de la campagne de Rollon dans le 
Bessin ? C’est un nom franc et il se pourrait fort bien 
d’ailleurs que le jeune Guillaume, baptisé, ait été 
confié à un Franc chrétien de préférence à un Nor¬ 
mand d’un christianisme récent et douteux. 

Le chanoine trace ensuite du prince un portrait 
très séduisant, tant au point de vue physique que 
moral ; nous sommes démunis de tout moyen de 
contrôle. Et après une apostrophe à Guillaume, tou¬ 
jours inspirée de la Complainte, il nous raconte de 
nouveau, mais plus longuement, son association au 
pouvoir. Ce lui est surtout un prétexte pour faire 
intervenir en cette cérémonie les comtes Bérenger 
et Alain avec tous les chefs bretons et normands ; 
il veut ainsi bien mettre en lumière ce fait que la 
Bretagne et la Normandie auraient été confondues 
sous la même domination. Alors que dans le livre II 
il faisait la distinction entre la Normandie donnée 
en toute propriété, in alodo et in fundo, et la Bre¬ 
tagne, qui était donnée à Rollon comme terre à 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 281 

piller, de qua posset vivere , il confond ici volontaire¬ 
ment les deux pays et il répétera constamment cette 
confusion. 

Cette reprise d’événements déjà racontés peut 
s’expliquer par le désir de faire une œuvre de lon¬ 
gue haleine digne des ré ompenses ducales, mais 
le bon chroniqueur tire-t-il simplement à la ligne? 
Ne serait-ce pas à la prière des ducs qu’il arrange¬ 
rait cette histoire pour affirmer leurs droits sur la 
Bretagne? Il se pourrait bien que le livre III ait été 
composé longtemps après le livreII et à un moment 
où le duc Richard II avait précisément des préten¬ 
tions sur la Bretagne. Quant à sa façon de présenter 
les choses, elle est manifestement fausse et M. de la 
Borderie l’a très bien montré (1). 

Au reste, voici le récit de Dudon : les Bretons se 
révoltent, ils envoient des émissaires au duc pour 
déclarer qu’ils ne le serviront plus. Guillaume con¬ 
voque les grands; Bernard, son secrétaire, Bothon, 
chef de la milice, racontent pour justifier la pré¬ 
tention des ducs normands toute l’histoire de Rollon. 
Guillaume alors se décide à envahir la Bretagne; 
il franchit le Couesnon (2). Ce fleuve était bien la 
limite de la Normandie au temps de Dudon, mais 
non pas au début du règne de Guillaume. Les Bre¬ 
tons se cachent, Guillaume occupe toute la terre 

(1) Op. cit., t. H, pp. 373-383 et app., Les fables de Dudon de 
Saint-Quentm, pp. 496-504. 

(2) P. 185. Lair a imprimé • ivitque super fluvium Coysnon, 
Britonum (sic) dominaturus ». Il me semble qu'il faut lire 
ivitque super fluvium Coysnon Britonum, dominaturus. 


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282 


ÉTUDE CRITIQUE 


des Bretons, terram Dritonum. Puis il rentre à Rouen 
et les Bretons se révoltent et s’emparent du Bessin. 
Guillaume revient avec son armée, leur livre bataille, 
tue leurs chefs, dévaste leur pays. Alors Bérenger 
et Alain se décident à se soumettre. Alain abdique 
et se retire eu Bretagne auprès d’Athelstan. 

Pourquoi Dudon représente-t-il toujours la Bre¬ 
tagne par ces deux chefs, Alain et Bérenger ? C’est 
qu’il les trouve tous deux dans Flodoard. C’est aussi 
à Flodoard qu’il a pris ce détail, qu'Alain s’était 
réfugié auprès d’Allielstan, mais ce qu'il ne dit pas 
et ne sait pas, c’est qu'Alain était un enfant lorsqu’il 
se réfugia à la cour de son parrain Atbelstan, qui 
n’était pas encore roi et qu'il y a été mené par son 
père, Matuédoi, comte de Polier (I). On voit combien 
Alain était alors hors d’état de se révolter contre le 
duc normand Guillaume, d’autant plus qu’il partit 
vraisemblablement en 919, ou auparavant, à une 
date où Guillaume n'était pas duc (2). 

M. Lair a entrepris de justifier Dudon en le 
rapprochant de Flodoard (3). Nous ne perdrons pas 

(1) Dont le nom ne se trouve pas dans Flodoard, mais se 
trouve dans la Chronique de Nantes , éd. Merlet, p. 82. 

(2) Ceci a échappé à Licquet, op. cil., 1,107, qui accepte 
sur ce point le récit de Dudon. 

(3) « Qui au reste, dit-il, n’est pas plus impeccable que les 
auteurs de son temps « et à qui il reproche de n’avoir rien 
dit du départ d'Alain Ilarbetorte et de Matuédoi. Mais il se 
peut que ces événements se soient passés avant le début 
même des Annales , qu’ils soient de 918 ; puis, Flodoard, s’il 
est exact, est laconique. M. Lair, qui reproche à Flodoard son 
inexactitude, place en 927 l'hommage d'Alain et de Bérenger 


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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 


283 


notre temps à réfuter toute sa spécieuse argumen¬ 
tation ; on ne pourrait lui donner raison que sur un 
point : il est certain que les Normands de la Loire 
ne furent pas les seuls à ravager la Bretagne et que 
les Normands de la Seine y ont eu leur part, mais 
quant à sa prétention de confirmer Dudon par Flo- 
doard, nous allons voir ce qu’il en est. Il n’y a qu’à 
confronter le texte de Dudon avec les Annales sèches 
et précises de Flodoard pour faire éclater la fausseté 
du récit de l’apologiste des ducs. Dès le début de son 
œuvre, 919, Flodoard nous représente les Normands 
comme maîtres de la Bretagne, omnem Britanniam in 
Cornu Gallice, in ora scilicet maritima sitam (t), il veut 
dire évidemment par là la Bretagne française par 
opposition à la Bretagne qu’il n’était pas encore 
d'usage d’appeler l’Angleterre ou la Grande Breta 
gne(2). En 921, le comte Robert abandonne aux Nor¬ 
mands cette Bretagne qu’ils ont ravagée et le comté 
de Nantes (3). Dix ans après, les Bretons se soulè¬ 
vent et, aux fêtes de la Saint-Michel, ils tuent tous 


à Guillaume, alors qu’à cette date Alain était en Angleterre 
(éd. de Dudon, pp. 68-70). 

(t) Ed. Lauer, p. 1. 

(2) Cette explication qui n‘a jamais été donnée me parait 
bien rendre le sens exact de Brilannia chez Flodoard, elle est 
la Bretagne qui est en Gaute, à la corne de ta Gaule ; qui est 
une presqu’île, in ora maritima, et le terme omnem exclut 
l'hypothèse qu'il faille traduire par Cornouaille. Toutefois 
M. Lauer hésite entre la Bretagne et la Cornouaille et parait 
plutôt admettre la Cornouaille: voir la table de son édition. 

(3) Annales, p. 6. 


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284 


ÉTUDE CRITIQUE 


les vikings qui demeuraient parmi eux et d'abord 
leur chef nommé Flestan (1). 

Ici nous pouvons peut être trouver ailleurs des 
détails complémentaires Racontant le soulèvement 
des Bretons contre les Normands, le vieil historien 
de la Bretagne, Pierre Le Baud (2), qui emploie des 
annales (des chroniques annaux pour s’exprimer 
comme lui), malheureusement perdues aujourd’hui, 
relate ainsi une bataille qui aurait eu lieu à Caen : 
« Adonc, dit-il, ceux qui en la région estoient de- 
mourez s’assemblèrent et armèrent, et leurs occu¬ 
pants assaillis chassèrent par terre et par mer. 
Pourquoi il est à savoir que Juhaél, le comte de 
Rennes, fils de Berenger, duquel a esté parlé devant, 
assembla exercite de Bretons et entreprint les dé¬ 
bouter du pais. Si les assaillit à Kan par bataille et 
premier Flestan leur duc, qui, avecques grant puis 
sance desdits Normans, vint fièrement contre les 
Bretons, espérant les vaincre comme aux temps 
devant, mais ledit Flestan fut navré dès le commen¬ 
cement de l’estrif et cheut mort entre les siens. 
Lesquels donc, parcelle adventure destituez d’espé¬ 
rance et de victoire, fuirent au rivage de la mer où 
ils avoient plusieurs nefs ancrées, mais avant qu’ils 
peussent entrer dedans, ils furent ratteints par les 


(1) Annales , p. 50. 

(2) Pierre Le Baud a composé, entre 1498 et 1505, une 
Histoire de Bretagne qu'il dédia à la reine Anne. D'Hozier 
t'édita en 1638, à Paris, en un volume in-folio, aujourd’hui fort 
rare. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


285 


Bretons qui s’en vengèrent cruellement, car les uns 
navrez de plusieurs plaies mortelles se précipitèrent 
dedans la mer salée, et les autres les Bretons dé- 
tranclièrent sur les bords de leurs navires. Et tant 
que, de merveilleuse multitude desdits Normands 
qui s’étoient assemblez contre Juliaêl Berenger, n’eu 
demoura que peu en vie que les Bretons gardèrent 
pour en avoir rançon (1) ». 

11 y a là un récit très détaillé, tel que nous en 
voudrions avoir pour beaucoup d'autres événements 
de la même époque : il semble que 1’hislorien du 
XV e siècle ait eu sous les yeux quelque chronique 
qu'il a visiblement traduite, suivant un procédé qui 
lui était familier (2). Il n'aurait pas imaginé, tiré de 
son cru des détails si précis et très vraisemblables, 
sur le lieu de la bataille et ses péripéties. 

Mais, pour comprendre tout l'intérêt de ce pas¬ 
sage, pour pouvoir en faire la critique, il faut bien 
se pénétrer de la situation respective des Bretons et 
des Normands dans cette région de la Basse-Nor¬ 
mandie au X e siècle. 

Eu 867, Charles le Chauve céda à Salomon le 


(1) Histoire de Bretagne, p. 132. 

(2) « Pierre Le Baud a le plus souvent traduit littéralement et 
abrégé quelquefois les principaux passages des annales et 
chroniques qu’il découvrit au cours de ses investigations 
dans les archives bretonnes... Quand on considère avec quelle 
exactitude il a reproduit les œuvres que nous connaissons 
d’ailleurs, on est tenté d'accorder à ses traductions d’annales 
perdues une confiance approchante de celle qu'on aurait pour 
les originaux eux-mêmes ». R. Merlet, La Chronique de 
Nantes, XII. 


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286 


ETUDE CRITIQUE 


comté de Coutances avec toutes ses dépendances (1). 
Jusqu'où s'étendait la domination bretonne ? Peut-on 
en tracer précisément les limiles ? Evidemment, la 
cession du comté de Coutances comprenait, entraî¬ 
nait celle de l’Avrancliin, car, en 872, la Translation 
de saint l.omer parle du pagus Abrincadinus comme 
d’un pays appartenant à Salomon (2). Mais en outre 
il semble que la pénétration bretonne ait dépassé 
les limites du comté de Coutances, et que, profitant 
de la décomposition de l’Empire, les Bretons aient 
poussé jusqu’à l’Orne, jusqu’à la Dive même. Que de 
noms de lieux, en Basse Normandie, rappellent l’éta¬ 
blissement des Bretons ! Dans le Bessin, c’est Bret¬ 
teville sur-Bordel ; sur la Sirande, Bretteville-l’Or- 
gueilleuse;Bretteville sur Odon,aux portes de Caen ; 
Bretteville-sur-Laize, au delà de Caen ; Bretteville- 
Rabel, au delà de la Laize, et, sur la Dive même, 
Bretteville-sur-Dive (3). On dirait que des colonies 
bretonnes, peut-être des postes, ont été placés sur 
tous les cours d’eau, depuis la Vire jusqu’à la Dive, 
surveillant tous les passages. Il semble que tout ce 
pays ait subi pendant près d’un siècle la domination 
bretonne. En 86G, le concile de Soissons, adressant 
au pape un appel contre les Bretons, leur reprochait 


(1) Ann. Bertiniani, éd. Waitz, pp. 87, 88. 

(2) Mamllon, Acla, SS. Ord. Benedicli. Paris, 1680, 9 vol. 
in-folio, Sæc. IV, pars 2, p. 216. 

(3) Notons encore des hameaux : Bretteville, commune de 
Blav, canton de Trêvières ; Bretteville, commune de Crouav, 
même canton ; un autre à Sainte-Honorine-du-Fay, canton 
d’Evrecy. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


287 


d'avoir usurpé les biens de presque toutes les églises 
de la Neustrie (I). 

C’est peut être l’invasion bretonne qui a détruit 
l'Otlinga Saxonia, cette division administrative dont 
on ne trouve plus aucune mention après 836 (2). 
Sans avoir été (ormellement livrés aux Bretons 
comme le Cotentin et l'Avranchin, on peut admet¬ 
tre que le Dessin et l'Hiémois sont.de fait, tombés 
sous leur domination. La Dive était vraisemblable¬ 
ment, de 911 à 924, la limite des possessions du duc 
normand de Rouen. 

Mais la domination bretonne dans ces régions a 
été ruinée précisément par d’autres bandes nor¬ 
mandes qui, depuis 919, ont envahi toute la Breta¬ 
gne et contraint à l’exil les chefs bretons Matuédoi 
et son fils Alain Barbetorte, le petit fils d'Alain le 
Grand. 

En 921, Raoul, le roi rival de Charles le Simple, 
qui n'a pu triompher des Normands de la Seine, et 
a dû leur payer un tribut, sur leur demande répétée 
d’une extension au delà de la Seine, leur abandonne 
le Bessin et le Maine (3). Peut-être l'occupation du 
Maine n’a t-clle pas été effective? L’occupation du 
Bessin par les Normands de la Seine n'a pas été non 
plus opérée immédiatement: en 923, les Bajocasses 
ravagent le pays entre la Seine et la Dive. Lorsqu’en 


(1) Dom Morice, Preuves de l’Histoire de Bretagne, Guin- 
gamp, 1835, t. I, col. 321-323. 

(2) Voir II. Prentout, op. cil., p. 74. 

(3) Flodoard. Annales , éd. La ueh, p. 25. 


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ETUDE CRITIQUE 


927, Guillaume, fils de Rollon, prêtait hommage à 
Charles, sans doute il n’était pas encore réellement 
maître du Bessin, mais il a pu entreprendre cette 
conquête entre 927 et 931. 

Telle était la situation lorsque éclata, en 931, la 
révolte des Bretons contre les Normands, révolte 
constatée en quatre lignes par Flodoard. Le récit 
de Le Baud est vraisemblable. Juhaêl, comte de 
Rennes, rassemble une armée ; il marche contre les 
Normands et contre leur chef Flestan ou Félécan, 
qui pourrait être un lieutenant de Guillaume Longue- 
Epée. Il les assaille à Caen, sur les bords de l'Orne, 
où ceux-ci se trouvaient rassemblés à portée de leur 
flotte. Félécan marche au-devant des Bretons, est 
tué au commencement de la bataille (Bretteville- 
sur-Odon rappelle peut-être un camp breton à une 
lieue de Caen?) Les Bretons repoussent les Nor¬ 
mands « jusqu’au rivage de la mer salée », jusqu’à 
Ouistreham, où était leur flotte, et leur infligent là 
une seconde défaite, en tuant un grand nombre au 
moment où ils vont se rembarquer. Cette défaite du 
général normand aura été suivie d’un soulèvement 
général, celui de la Saint-Michel 931, rapporté par 
Flodoard, qui s'étendit à tout le pays breton et aux 
pays soumis jusqu’alors aux Bretons et envahis par 
les Normands (1). 

(1) « Interea Brittones, qui remanserant Nordmannis in 
Cornu Galliæ subditi consurgentes ad versus eos qui se obti- 
nuerant, in ipsis sollemniis sancti Michaelis omnes interemisse 
dicuntur qui inter eos morabantur Nordmannos, ceeso primum 
duce illorum nomine Felecan *. 


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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


-289 


« Et de cette victoire, dit encore Le Baud, qui 
semble développer Flodoard, survint autre misère 
aux autres Normans, qui au pais estoient demourez, 
car les Bretons qui avoient yaincu Fleslan priudrent 
audace d'envahir le demourant et s'espandireut par 
la région ; et, selon les clironicques annaux, le jour 
de Saint Michel, en l’an de Notre-Seigneur 931, 
occirent tous les Normans qu'ils peurent trouver en 
Bretagne après Flestan, leur duc. Après laquelle 
occision, le surplus desdits Normans qui eschappè- 
rent efîrayés par le péril de leurs compagnons, se 
retraïrent ès forts qu’ils tenoient, et par l'aide d'au¬ 
tres Normans qu’ils mandèrent quérir en Neustrie, 
les deflendirent contre les Bretons ». 

On peut parfaitement admettre que tous les Nor¬ 
mands n’ont pas été chassés, ni exterminés; leurs 
bandes ont pu regagner ces forts naturels qu’ils 
avaient i> occuper. On peut reconnaître encore au¬ 
jourd'hui certains de ces forts, la péninsule du Hom, 
par exemple, en face de Thury-Harcourt, sur les 
bords de l’Orne, qui rappelle évidemment leur pré¬ 
sence ( Holm , lie), et qui est si admirablement faite 
pour enfermer un camp de ces Normands qui lui 
auront laissé son nom. Plus loin, en remontant le 
même fleuve, les rochers de la Houle (en Scandinave 
holl ), en face de Clécy, rappellent un autre poste, 
un autre fort normand (1). 


(I) N'est-ce pas encore un camp normand que ces levées 
de terre circulaires qui se trouvent à Clermont-en-Àuge et 
que nous a signalées le docteur Moutier? 

19 


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290 


ETl ! DE CRITIQUE 


Pendant ce temps, Incon, avec les Normands de 
la Loire, envahissait la Bretagne et en chassait une 
partie des habitants (1). 

Guillaume Longue Epée a pu ensuite envoyer une 
armée de secours à des postes normands, réoccuper 
tout ce pays, et même pousser des conquêtes jus¬ 
qu’au Couesnon. 

Aussi, quoi qu’en dise Dudon, Rollon n’a jamais été 
mattre de la Bretagne. Elle était indépendante en 
911 avec Wrmaêlon. Le cartufaire de Redon permet 
de constater qu'en 913 Rudalt, comte de Vannes, 
Maluédoi, comte de Poher, s'inclinaient encore 
devant son autorité (2). En 914, elle est envahie par 
les bandes d’Obtor(Ottar)etdeHroald,quila ravagent 
jusqu’en 913, date à laquelle ils partent pour l’An¬ 
gleterre (3). En 919, elle est saccagée par les Nor¬ 
mands de la Loire, elle leur est cédée en 921 et se 
révolte en 931. 11 est probable qu’à ce moment là les 
Normands de la Seine, ayant reçu le Bessin en 924, 
se trouvaul ainsi sur les confins de la Bretagne qui 
comprenait alors les diocèses d'Avranches et de 
Coutances, ont subi les contre coups de cette révolte. 
Que cette révolte se soit étendue jusqu’au Bessin 
normand, qu’une armée ait été battue par les popu 

(1) Flodoard, Annales, p. 51. 

(2) Cartulaire de Redon, n°» 276 et 279 et de la Borderie, 
Histoire'de Bretagne, t. II, pp. 348 et 498. 

(3) Chronique Anglo-Saxonne, II, 79. Boald a-t-il été con¬ 
fondu par Dudon avec Rollon ? Et cette confusion serait-elle 
légitime ? Il ne serait pas impossible que Rollon, maître de la 
Normandie, ait tenté quelque expédition en Bretagne, en 914, 
puis en Angleterre en 915. 


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SUR DlIDON DE SAINT-QUENTIN 


•291 


lations soulevées à Caen et rejetée à la mer, que 
l’armée normande ait eu du mal à se maintenir et 
ait dû demander des renforts, tout cela est vrai¬ 
semblable, et c'est à la suite d’une campagne 
victorieuse que Guillaume aura reçu du roi Raoul 
la terra Brilonum, l'Avranchin et le Cotentin en 933. 

Sprota. — Dudon parle ensuite, avec la discrétion 
qui convient à un écrivain de cour, de la passion de 
Guillaume pour une femme très noble, très belle, 
pourvue de toutes les vertus. Guillaume de Jumièges 
la nomme Sprota.ee qui devieutSprote dans Benoît, 
Cyproete dans Philippe Mousket; c’est sans doute, a 
dit M. Lair, un butin de l’expédition de Bretagne (l). 

Quel caractère eut cette union ? Dudon ne le dit 
pas formellement ; il semble indiquer que le prince 
voulait avoir des héritiers ; connexuit se jure conser- 
vandœ successionis, les bâtards avaient d’ailleurs 
droit à la succession chez les Scandinaves ; par une 
pièce de vers, le bon chanoine rassure le duc sur le 
caractère de cette union. Guillaume de Jumièges dit 
qu’il l’épousa more danico (2), ce qui indiquerait un 
mariage non chrétien, mais si Sprota est bretonne, 
elle est chrétienne. Guillaume l’étant aussi, il serait 
absurde de soutenir qu’il ait épousé, suivant la mode 
Scandinave et païenne, une femme chrétienne. Il 
s’agirait donc d’une concubine d'origine bretonne, 


(1) Ed. de Dudon, p. 185, n. a. 

(2) Ed. Marx, p. 33. 


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ETUDE CRITIQUE 


comme le dit simplement Flodoard (I), ainsi que 
Raoul Glaber (2). Cette Sprota, d’ailleurs, épousa plus 
tard un autre chef normand dontelle eutRaoul d'Ivri, 
l’ami et l’inspirateur de Dudon, ce qui légitime la 
discrétion de celui ci. 

Guillaume, suivant Dudon, aurait ensuite con¬ 
tracté amitié avec Hugues et Herbert. Ceci est encore 
un emprunt à Flodoard. mais avec la défiguralion 
qui est propre à Dudon. 

Dès 924, les Normands avaient fait la paix avec 
les Francs par l’intermédiaire de Hugues et de 
Herbert (3), en 923, Hugues conclut la paix avec les 
Normands (4), enfin en 928, en même temps qu’Her- 
bert, il fait amitié avec eux (3). Or, Dudon, avec son 
mépris habituel de la chronologie, place cet événe¬ 
ment après la guerre de Bretagne qui eut lieu de 931 
à 933. 

La révolte de Rioul. — Dudon raconte ensuite la 
révolte d’un chef normand, Rioul. Trois questions se 
posent à ce propos : la première est celle de l'origine 
de ce chef, Guillaume de Jumièges ne donne aucune 
indication; Orderic Vital dit laconiquement: rc Tune 
Cruillelmus Longa Spalha Ililhulfum Ebroïcensem, in 


(1) Annales, p. 8(5. 

(2) Ed. Prou, p. 88. 

(3) Flodoard, Annales, p. 24. 

(4) Ibid., p. 32. 

(5) Ibid., p. 41. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


293 


loco qui Pralum belli dicitur, vieil (1) ». Waee dit 
que Rioul : 

Quens fil de Costenlin entre Vire e la mer (2) ; 

Le Prévost pense que l’on pourrait concilier les deux 
renseignements. Evreux serait le lieu d’origine, le 
Cotentin, le pays soumis à l'autorité de Rioul. Il 
ajoute : « Nous pensons que la rapidité avec laquelle 
Hioulle se porta jusque sous les murs de Rouen, in¬ 
dique une expédition partie de très près de là, et 
par conséquent de l'Evreciu plutôt que du Coten¬ 
tin. Soit d’ailleurs que nous adoptions la date de 
933 ou celle de 933 ; dans le premier cas, la révolte 
du Cotentin n’était pas possible, puisque c'est l'an¬ 
née même où il tut cédé ; dans le second, Rioulfe 
aurait eu bien peu de temps pour la préparer et il 
aurait toujours fallu traverser de vastes contrées, 
plus anciennement soumises aux hommes du Nord, 
qui seraient nécessairement deveuues le théâtre de 
la guerre. » Quelle que soit la valeur de ces objec¬ 
tions, il faut remarquer: 1° que Rioul et ses conju¬ 
rés réclament la terre jusqu’à la Risle, ce qui semble 
indiquer qu'ils sont au delà de ce cours d’eau par 
rapport à Rouen. Or, Evreux n’est pas au-delà de la 
Risle par rapport à Rouen, mais en deçà. Le plus 
probable est que ni Orderic Vital, ni VVace, ne sa¬ 
vent rien de Rioul autrement que par Dudon qu'ils 
essaient d’interpréter. La Risle suggère Evreux à 

(1) Ed. S. H. F., I, p. 162, n. 3. 

(2) Ed. Andhesex, I, p. 88. v. 1376. 


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*Jl 


ETUDE CRITIQUE 


Orderic, Wace comprend que Rioul demandait le 
pays jusqu’à la Risle et place ce chef en Cotentin. 

Aucun autre texte n'est relatif à ce chef. Mais 
G. Paris a justement remarqué qu’il y avait un lien 
entre le soulèvement de Rioul et l'assassinat de 
Guillaume Longue-Epée. Il suppose qu'il y a eu, en 
dehors de la Complainte latine sur la mort de Guil¬ 
laume Longue Epée, une Chanson de la Vengeance 
de llioul (1). Or, ce personnage de Rioul se retrouve 
en effet dans une chanson de geste, Fierabras, d'ail¬ 
leurs très postérieure ; Rioul n’y joue aucun rôle 
qui puisse nous éclairer sur sou passé historique 
au X e siècle. Il y figure au même litre que d'autres 
personnages épiques : Ogier le Danois, Rolland ; 
mais il y est qualifié de Riol du Mans (2). Il ne 
serait pas impossible que la Chanson ait conservé 
le souvenir d’un Rioul du Mans, personnage histo¬ 
rique. Toutefois, il serait imprudent de fonder quoi 
que ce soit sur une mention de ce genre. Mais, si 
on se rappelle qu’en 924, le roi Raoul donna le 
Maine à Rollon, que, dans la suite, avant le règne de 
Guillaume le Conquérant, on ne voit point que les 
Normands aient occupé le Maine, on peut se deman¬ 
der si le Maine n’a pas échappé aux Normands par 
suite de la révolte de Rioul. Si on objecte que Du- 
don l'eût dit, nous répondrons que Dudon écrit 
quatre-vingts ans après les événements, qu'il n’est 


(1) Romania, XVII, 1888, 276. 

(2) Fierabras, éd. Guessard. Les Anciens Poètes de la 
France, Paris, 1860, 10 vol. in-16, t. IV, p. 154. 


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SCR DCDON DE SAINT-QCEXTIN 


295 


pas Normand, qu’il est mal informé et que d’ail¬ 
leurs, écrivant pour les ducs, il devait dissimuler 
leur échec. Il n'a laissé subsister de Rioul que le 
souvenir de la victoire du duc au Pré de la Bataille. 
Mais le fait que cette victoire a été gagnée sous les 
murs de Rouen indique bien que la révolte a d’abord 
triomphé. 

Vient ensuite la question de date. Aucun texte n’en 
donne; Orderic Vital,au récit de la bataille, ajoute: 
<« Arnulfut Flandriee satrapa ipsum posl VIII antios, 
XVI 0 kal. januarii Guilhelmum occidit », et Dudon dit 
que Guillaume a appris, le jour de la bataille, la 
naissance de son fils Richard, auquel il donne dix 
ans à la mort de son père. Le Prévost tire de là deux 
dates différentes, 933 et 933. Eu réalité, la mort de 
Guillaume Longue Epée n'a pas eu lieu en 943, mais 
le 17 décembre 942; huit ans avant donnent : 934. 
On peut entendre que Richard était dans sa dixiéme 
année à la fin de 942. La bataille du Pré pourrait 
avoir eu lieu à la fin de 933 ou au commencement 
de 934. 

La cause de la révolte? Selon Dudon, il n'y en a 
qu'une. Guillaume Longue Epée se laisse gouverner 
par ses amis francs (1). N’oublions pas aussi que 
Dudon donne à Guillaume Longue-Epée, fils de Popa, 
une parenté franque; Guillaume serait le neveu de 
Bernard de Sentis. Ce que veulent les chefs nor¬ 
mands, c’est écarter du pouvoir les parents francs 
de leur duc. Ce que leur promet Guillaume au mo- 


(1) Francigenas amicos acquirit sibi. Ed. Lair, p. 187. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


29fi 

meut ou il semble disposé à subir leurs conditions, 
c’est d’éloigner cette parenté pour se mettre dans 
la main des chefs normands, suivre tous leurs con¬ 
seils, épouser toutes leurs querelles (1). Mais la 
révolte n’a-t-elle eu pour cause que l'inimitié des 
Francs et des Normands, le mépris des Normands 
pour un chef chrétien et francisé ? Il se pourrait 
qu'il y ait eu d'autres motifs. 

A travers le récit toujours si obscur du chanoine, 
daus les quelques traits de lumière qui filtrent 
parmi les discours qu'il prête aux antagonistes, et 
par lesquels il prétend indiquer leurs sentiments, 
on voit que les chefs veulent deveniraussi puissants 
que leur duc, qu’à cet effet ils veulent obtenir de lui 
des cessions de territoires considérables, le pays 
jusqu’à la Risle. Acculé, le duc leur promet le 
pays jusqu’à la Seine. Ils ont voulu redevenir les 
égaux du duc, dit M. Karl von Ainira (2), æqualis 
potestalis, comme le disaient les compagnons de 
Rollon à Hasting et aux envoj'és de Renaud du 
Maine. Au cours du même développement, les chefs 
normands déclarent que, grâce à cette cession, 
Guillaume aura moins de soldats. Il est de toute 
évidence qu’en tout temps, à une perle de territoire 
correspond une perte en hommes et, par conséquent, 
une diminution de force militaire. On est en droit de 
se demander si les ducs normands, soit Guillaume 
I-ongue-Epée, soit Rollou avant de mourir, n’avaient 


(1J Francigenas amicos acquirit sibi. Ed. Lair, p. 187. 
(2) Art. cil., p. 266. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


297 


pas introduit dans le nouvel État le régime féodal 
avec les obligations militaires qu'il comportait, et 
si ce u’est pas là la cause du soulèvement des chefs 
normands. M. Karl von Amira l’a nié, parce que 
Dudon n’en parle pas et prête à la révolte d’autres 
causes (1). La raison n’est pas péremptoire ; il y a 
tant de choses dont Dudon ne parle pas et dont il 
aurait dû parler I Certes, on chercherait en vain dans 
Dudon, en effet, un texte d’où il résulterait claire¬ 
ment que le régime féodal a été implanté par les 
ducs normands, Rollon, Guillaume ou Richard I» r . 
Et pourtant, il est certain que les barons normands, 
avant la conquête de l’Angleterre, tenaient les fiefs 
du duc et devaient le service militaire. Cela a été 
mis en évidence par Brünner (2), Pollock et Mail- 
land (3), M. Flach (4) et M. Haskins (5). Celui-ci 
prouve par des textes que ce régime existait dès 
le temps de Richard le Bon. Est-ce le duc qui l’a 
introduit ? \1. Haskins a, en outre, montré que ce 

(t) Art. cil., p. 266. 

(2) Entstehung der Schivurgerichte, Berlin, 1871, in-8°, p., 
131, n. 3. 

(3) The Hislory of English Une, Cambridge, 2 vol., in-8, 
1898, 2 e éd. I, 70-72. 

14) M. Flach, op. cit., III, 88, dit que l'Etat féodal s’est cons¬ 
titué premièrement en Normandie et il en donne justement 
pour preuve ce fait que les deux pays étrangers où la féodalité a 
été le plus fortement organisée dès le XI- siècle, sont ceux-là 
même où elle l’a été par les Normands, 1 Angleterre et les 
Deux-Siciles. 

(5) Knighl Service in the Eleventh Century, dans [ English 
Hislorical Review, octobre 1907, p. 636-049. 


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298 


ETUDE CRITIQUE 


service avait eu en Normandie une précision singu¬ 
lière ; chaque fiel doit, selon son importance, un 
nombre déterminé de chevaliers, presque toujours 
cinq ou un multiple de cinq. C'est à cette organisa¬ 
tion, d’ailleurs, qu'est due la force numérique et 
aussi la force d'organisation de l’armée normande 
lors de la conquête de l’Angleterre. 

Evidemment le régime féodal a été emprunté par 
les conquérants à l'empire franc. Rollon ne pouvait 
songer à introduire de son pays d’origine le régime 
féodal en Normandie puisque jamais ce régime n’a 
existé en Norvège (1). On ne saurait oublier toutefois 
que le roi Harald Harfagr’ qui régnait au IX 8 siècle, 
celui-là même qui exila Rollon, établit dans chaque 
territoire un Iarl, un Skatkonung, un chef d'impôt 
qui devait rendre la justice, lever les contributions 
et fournir GO guerriers. A ces larls étaient subor¬ 
donnés d’autres chefs qui commandaient 20 guer¬ 
riers (2). Voilà une organisation militaire précise. 
Rollon l’aura-t-il établie en Normandie? On objec¬ 
tera, on a déjà objecté qu’il serait bien invrai¬ 
semblable que les chefs normands aient établi en 
Normandie un régime analogue à celui qu’ils vou¬ 
laient fuir (3) Il me semble qu’il y a lieu de distin¬ 
guer. Harald Harfagr' a mis la main sur les terres 
communales si importantes en Norvège, il a exigé 

(1) La Norvège , Kristiania, 1900, in-8°, p. 321. 

(2) Meitzen, Siedelung und agrarwesen der Westgermanen 
und Ostgermanen, Berlin, 1895, 3 vol. in-8° et un atlas, 
t. II, p. 521. 

(3) Lagouelle, op. cil., p. 80. 


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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN 


299 


l’impôt. Il a, d’autre part, transformé les iarls en 
fonctionnaires, il en a fait quelque chose d'analogue 
à ce qu’étaient, dans l'empire franc, les comtes, à ce 
que furent, sous les Capétiens, les baillis. Il n'y a 
dans tout cela rien qui constitue un régime féodal. 
Rollon, sans doute, ne veut pas se soumettre aux 
ordres du roi. 11 en fut de même de beaucoup 
d’autres qui ne voulurent pas, de iarls indépendants, 
de rois qu’ils étaient, devenir des fonctionnaires et 
se firent rois de mer. Mais Rollon arrivé en Nor 
mandie n'aura-t-il pas pu exiger de ses comtes à qui 
la charte de Charles le Simple dit que la terre fut 
donnée en même temps qu'à lui, qu’ils vinssent à 
l'armée avec une quantité déterminée de guer¬ 
riers (I) ? Si on admet, comme nous l’avons vu, que 
chacun de ces comtes avait reçu une terre, il y eut 
là bientôt tous les éléments du fief. Qu’on exige de 
ce chef l’hommage et la foi, ou d’autres services de 
cour et de justice, et on aura tout le régime féodal. 
Il ne serait pas impossible que Guillaume ait achevé 
l’œuvre de son père et provoqué aiusi la révolte 
de Rioul ; il se pourrait encore que tout ceci se soit 
fait insensiblement et qu'un jour l'humeur indé¬ 
pendante des Normands ait voulu secouer le joug 
d’obligations trop strictes (2). Mais il n'y a là que 

(1 Rollon ne serait pas le premier qui aurait soumis les 
autres à une règle qu’il trouvait détestable pour lui-même. 
Remarquons bien, d’ailleurs, que ce n’est pas l'autorité donnée 
aux iarls qui a été la cause du départ de Rollon. 

(2) De même sous Richard II, ce même esprit d’indépen¬ 
dance excite la révolte des paysans. Ils veulent jouir libre- 


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300 


ÉTUDE CRITIQUE 


des hypothèses plausibles et nous ne voulons rien 
affirmer. Peut-êlre n'y eut il là qu’uue lutte de l’élé¬ 
ment Scandinave épris d'égalité contre l’élément 
franc (1). Peut-être cet épisode symbolise-t-il la lutte 
de l'élément païen contre le Normand christianisé. 
N’oublions pas que Guillaume, tombant sous les 
coups du fils de Rioul, comme nous le verrons plus 
tard, est qualifié par la Complainte de martyr chré¬ 
tien. 

Avec un corps de trois cents jeunes gens choisis 
qui ont prêté serment de fidélité en frappant leurs 
armes les unes contre les autres, Guillaume triomphe 
des révoltés au Pré de la Bataille. Il se peut que 
Dudon suive ici une tradition locale. On aura pu lui 
désigner à Rouen ce pralum belli ; dans une prairie 
voisine du Mont Riboudet, on montrait il y a un 
siècle au nord-ouest de Rouen ce Pré de la Bataille (2). 
Ces Trecenti viri (3) nous paraissent analogues aux 


ment des forêts et des eaux. (Guillaume de Jumièges, éd. 
Maux, p. 73), ils étaient, en effet, habitués en Norvège à jouir 
librement des biens communaux, almende , Meitzen, op. cil., 
p. 523. 

(1) Sur ce sentiment d'égalité et d'indépendance chez les 
Normands, voir Allen, Histoire du Danemark , Copenhague, 
1878, 2 vol. 10 - 8 ", tr. fr., I, 35. Riant, Les Scandinaves en 
Terre Sainte, Paris, 18Ü5, in- 8 °, p. 24. Stebnstrup, B. S. A., 
X, p. 322 et passim. Prentout, op. cil. p. 205 et passim. 

(2) Abbé Cochet, Répertoire archéologique du département 
de la Seine-Inférieure, Paris, 1871, in-4°, p. 374. 

(3) » Qui unanimes ante ilium venerunt, judicium fæderis 
fideique, et adjutorium more Dacorum facienles, tela, mutuæ 
voluntatis pacto, una concusserunt ». Dudon, p. 190. Voir 
M. Flach, op. cit., III, 438. 

N’y a-t-il pas dans les Trecenti viri, une nouvelle réminis- 


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SUD DlIDON DE SAINT-QUENTIN 


301 


bersekers Scandinaves et ce serment prêté au bruit 
des armes, c’est le vaynalak Scandinave (1). 

Guillaume, victorieux, apprend la nouvelle de la 
naissance de son (Ils à Fécamp, et il envoie l'évêque 
de Bayeux, Henri, le baptiser (2). 

Dudon nous représente alors, avec son exagéra¬ 
tion habituelle, Guillaume comme le plus puissant 
des princes. Personne n'ose lutter contre lui et les 
Danois, les Flamands, les Anglais, les Irlandais lui 
obéissent (3) ! Ceci est destiné à préparer le récit 
des unions que va contracter la nouvelle famille 
ducale avec les grandes familles féodales franques. 

Les mariages. — Guillaume, au cours d’une chasse 
dans la forêt de Lyous, reçoit la visite de Hugues le 
Grand, de Herbert, de Guillaume Tête d’Etoupe, 
comte de Poitiers. Celui-ci lui demande la main de 
sa sœur, et, après quelques railleries sur les Poite¬ 
vins, écho de quelque chanson de geste (rappelons- 
nous le rôle d’Ebles à Chartres), le duc la lui accorde. 


cence de la Saga d'Harald Harfagr’ où le roi Hak part pour le 
Vestfold avec 300 hommes, Heimskringla , I, p. 25. 

(1) Ces assemblées en armes ont donné lieu dans les colo¬ 
nies Scandinaves de la Grande-Bretagne, à une division admi¬ 
nistrative, le wapenlake. 

(2) Il semble y avoir eu en effet un évêque de ce nom au 
X* siècle. Abbé Laffetay, Histoire du diocèse de Bayetuc, 
XVII • et XVIII• siècles , 1855, in-8», p. LXXXIX. 

(3) Rappelons qu'au livre précédent, nous avons montré 
qu’il est assez vraisemblable que des Normands de Nor¬ 
mandie ont secouru Athelstan contre la coalition qui s’était 
formée contre lui, et ont pris part à la bataille de Brunau- 
burh (937.’. 


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302 


ETUDE CRITIQUE 


Enfin Herbert, sur le conseil de Hugues, donne égale¬ 
ment sa fille à Guillaume. 

Deux questions se posent à propos de ce double 
mariage : authenticité du fait et date. 

Il semble qu’il n'y ait pas lieu aujourd'hui de 
révoquer eu doute les deux mariages princiers. 
Guillaume de Jumièges qui, sur quelques points, 
précise Dudon, répète ici son récit et donne le nom 
de la sœur de Guillaume Longue-Epée, Gerloc (I). 
Ce récit trouve une autre confirmation dans Adémar 
de Chabannes, chroniqueur poitevin (2) qui, à vrai 
dire, fait épouser à la fille de Rollon, filiam Rosi 
Rolomagensis qu'il appelle Adèle, Ebles, père de Guil¬ 
laume Tête d'Etoupe. Une petite difficulté se présente 
donc au sujet du nom de la princesse. Wace, dans le 
Roman de Rou, l’appelle Elborc (3). Andresen a dit 
qu 'Elborc était une mauvaise lecture pour Gerloc [ 4). 
Un diplôme de Lothaire nomme Adèle comme femme 
de Guillaume Tête d’Etoupe (3): ce qui rend sus¬ 
pect le témoignage des deux écrivains normands à 
M. Lauer (6). Mais on peut expliquer cette diver 
gence : Gerloc ou Ælborc est un nom étranger (7), 
Adèle est le nom chrétien, francisé. 


(1) Ed. Marx, p. 35, 

(2) Ed. Chavanon, PAris, 1897, in-8», p. 143. 

(3) Ed. Andresen, v. 1584, t. I, p. 96. 

(4) Ibid., I, 226. 

(51 Besly, Histoire des comtes de Poitou, Niort-Paris, 1846, 

p. 282. 

(6) Louis IV d'Outremer, p. 80, n. 2. 

(7) Il est très vraisemblable que Gerloc ou Ælborc est née 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


303 


La possibilité d’un mariage entre Guillaume et la 
fille d’Herbert a été niée par M. d’Arbois de Jubain- 
ville : Herbert, dit-il, a eu deux Hiles, l'une qui (ut 
mariée, en 934,à Arnoulde Flandre,l’autre Ledgarde, 
qui (ut mariée à Thibaut de Champagne. Celle-ci 
ne peut avoirépousé Thibaut de Champagne qu’après 
la mort de Guillaume Longue Epée, en 943. Mais 
alors, comment Hugues, né de ce mariage entre 
Thibaut et Leutgarde, peut-il être archevêque de 
Bourges en 930? Comment Eudes, leur autre fils, 
peut-il porter, dès 930, le titre de comte (1)? M. Lot 
a réfuté cette argumentation. Il montre que la charte 
où se trouve cette souscription est de 933(2), re 
marque que l’on ne sait pas à quelle date un prince 
pouvait porter le titre de comte; quant à la souscrip¬ 
tion de Hugues, elle a été apposée après coup. 
Kalckstein avait supposé que Guillaume avait ré¬ 
pudié Lieutgarde ou Liégeard vers 940 (3;: cette 
supposition paraît inutile à M. Lot (4). Le récit de 
Raoul Glaber d’après lequel Thibaut, assassin de 
Guillaume Longue-Epée, aurait demandé, après la 
mort du duc, la main de sa veuve è son frère (3). est 
purement romanesque. 

en Angleterre ou en Ecosse, outre-mer, comme son frère 
Guillaume. 

(1) Histoire de» Comtes de Champagne , Paris, 1859, 7 vol. 
in-8°, I, p. 130, n. 2. 

(2) Cette charte se trouve dans le Cartulaire de Saint-Père 
de Chartres y I, 49. 

(3) Op. cit., p. 214, n. 3. 

(4) Etudes sur le règne de Hugues Capct ., Paris, 1903, 

in-8°, p. 398, n. 2. 

(5) Ed. Prou, p. 88. 


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301 


ETUDE CRITIQUE 


Les deux mariages étant authentiques, reste à en 
déterminer la date. M Lair la place après 935. C'est 
à cette date seulement, dit il, qu'Herbert et Hugues 
ont pu se rencontrer avec Guillaume Longue Epée 
et Guillaume Tête d'Etoupe (I). M. Lauer trouve que 
c'est trop préciser (2). Mais nous avons un diplôme 
du temps du roi Raoul, qui mourut le 14 jan¬ 
vier 936, où la femme du comte Guillaume sous¬ 
crit à une donation faite au monastère de Saint- 
Cyprien (3) Ce mariage est donc bien de 935. Quant 
au second mariage, il fut plutôt une remise d’otage 
pour garantir une alliance et on ne peut en fixer 
la date. 

Guillaume et Louis d'Outremer 

La suite du livre 111 peut se résumer eu cinq 
points : participation de Guillaume au retour de 
Louis d'Outremer j rôle de Guillaume comme inter¬ 
médiaire entre le roi de Germanie et le roi Louis ; 
occupation de Montreuil; travaux à Jumièges, et 
mort du duc. 

Notous-le tout d'abord ; quand on y regarde de 
près, tous ces points, sauf en ce qui concerne 
Montreuil, sont le développement des strophes de la 
Complainte de la mort de Guillaume Longue Épée ; 
dévouement de Guillaume à Louis, monastère de 


(1) Ed. de Dudon, p. 192, n. c. 

(2) Op. cit,, p. 80, n. 2. 

(3) Richard, Histoire des comtes de Poitou, I, p. 76, n. 2. 


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Sl'H UL'DO.V DE SAlNT-QfEXTIX 305 

Jumièges, mort de Guillaume, tout cela se retrouve 
dans la Complainte. S’il fallait en croire Dudon, 
Atlielstan aurait demandé l’intervention de Guil¬ 
laume Longue-Epée pour rétablir son neveu Louis 
d'Outremer sur le trône de France et il lui aurait 
également demandé de recevoir en grâce Alain de 
Bretagne (1). 

Richer et Flodoard racontant le retour de Louis 
d’Outremer, ne mentionnent même pas la part qu’y 
aurait eue Longue-Epée ; mais, suivant Flodoard, 
ici plus particulièrement laconique à cause de son 
voyage à Rome, il y aurait eu simplement réunion 
des grands; ceux-ci, après un discours de Hugues, 
duc de France, décidèrent d’envoyer une ambas¬ 
sade auprès d’Athelstan (2). 

Orderic Vital représente les choses comme Dudon. 
Le Prévost, éditeur d’Orderic, pense que son auteur 
a été trompé par le doyen, qui aura confondu Guil¬ 
laume, archevêque de Sens, qui fit partie de l’am¬ 
bassade avec Longue-Epée (3) : erreur volontaire 
et que M. Freeman attribue au désir qu'avaient 
les historiens normands d’exalter leur duc (4). En 
somme, Dudon a très habilement mêlé deux choses : 

(1) Kalcksteix, o/ï. cif., p. 195, admet comme vraisem¬ 
blable cette intervention ; Guillaume aurait été fidèle à Charles 
le Simple, et il aurait aidé Louis dans l'espoir de trouver 
contre les païens dominant dans le duché un appui dans la 
Francia occidenlalis. Tout ceci est purement conjecturnl et ne 
concorde guère avec les faits établis. 

(2) Annales, p. 63. 

(3) T. II, p. 361, n. 1. 

(4) Freeman, pp. cil., I. 223. 

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ETUDE OHITIUIE 


3t*i 

le retour en Bretagne d’Alain Barbetorte et celui de 
Louis d'Outremer. Il rapporte les deux faits en une 
seule phrase. Lair explique par cette confusion 
l’erreur de Dudon. D’ailleurs, ce que dit Flodoard 
du retour d’Alain Barbetorte est, quoi qu’en pense 
M. Lair(l), en contradiction avec Dudon. Flodoard, 
en effet, dit bien qu’Alain Barbetorte est rentré par 
la force dans ses états. M. Lair veut en vain distin¬ 
guer deux choses : le retour des Bretons en 936, 
qui aurait pu avoir lieu avec le consentement de 
Guillaume, et la guerre contre le duc en 937. Or, il 
y a là un seul et même fait, le recouvrement de la 
Bretagne sur les Normands, fait confirmé par la 
Chronique de Nantes (21. Alain conquit même au-delà 
de la Loire les pays de Mauge, Tliiffaulges et Iler- 
bauges (3). En somme, nous ne savons rien de la 
participation de Guillaume au retour de Louis ou à 
celui d’Alain. 

Guillaume et le roi de Germanie. — Il se passe un 
lustre, pour employer la vague façon de compter qui 
est propre à notre auteur, et Guillaume entre en 
rapports avec un roi de Germanie que Dudon appelle 
Henri. Guillaume joue ici le rôle d’intermédiaire 
entre les deux rois de France et de Germanie, Henri 
ayant été son allié et ne voulant contracter amitié 


(1) Ed. de Dudon, p. 193, n. c. 

(2) Ed. Merlet. pp. 88, 89, 91, 93, 98. 

(3) /rf., p. 96. 


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SIH Dl'DON DE SAIXT-QIEXTIX 


307 


avec Louis que par l'intermédiaire de Guillaume 
Longue-Epée. 

Une première difficulté se présente : Henri 1 er 
était mort en 936; c’est Otton qui régnait à l’avène¬ 
ment de Louis, c’est lui qui fut constamment solli¬ 
cité par les deux partis qui se disputaient alors le 
pouvoir : celui du roi Louis et celui du duc Hugues 
le Grand. A vrai dire, un frère d’Otton, Henri, lui 
suscita des difficultés au début de son règne, mais 
il n'y a aucune preuve que ce prince ait jamais eu 
le moindre rapport avec Guillaume. Dudon parle 
bien d’un roi de Germanie, regem Transrhcnanum. 
Peut être a-t-il fait une confusion avec l’empereur 
contemporain Henri 11, 1024-1039? Etrange erreur; 
mais il faut toujours penser pour comprendre Du¬ 
don à la date de la rédaction de son ouvrage. 

Une telle erreur nous avertit déjà de nous défier 
du récit du chanoine. Nous devons, en ellet, nous 
demander si Guillaume était à même de jouer ce 
rôle d'intermédiaire que lui prête Dudon entre Louis 
et le roi de Germanie; il semble bien avoir été 
occupé alors par la lutte contre les Bretons. Flodoard 
dit que les Normands avaient envahi le pays voisin 
« terrain conliguam sibi pervaserant » et que les Bre¬ 
tons furent plusieurs fois victorieux eu 937 (1). En 
939, c'est avec Arnoul de Flandre, son autre voisin, 
que Guillaume est en lutte; il a dévasté et incendié 
certaines villes de celui-ci el, pour ce fait, il a été 
excommunié par les évêques qui se trouvaient avec 

(1) Flodoard, Anna/es, p. 68. 


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:juk 


KTl'DE CIIITIQI'F. 


le roi. Louis IV n’est nullement en bons termes avec 
Guillaume; il marche contre lui; et les évêques, ses 
partisans, excommunient le duc normand (1). Il 
faut bien voir qu’il y a à ce moment-là une révolte 
générale des grands, comme Dudon le dit; mais 
que Guillaume fait partie de ces grands révoltés. Le 
roi n'a pour appui que son oncle Alhelstan dont la 
flotte vient ravager la côte des Morins (le Boulon¬ 
nais); les grands, Hugues et Herbert, Arnoul et Guil¬ 
laume de Normandie se sont au contraire tournés 
vers Otton le Grand (2). 

A la fin de939, Hugues et Herbert ont une nouvelle 
entrevue avec Otton ; mais Guillaume Longue Epée 
n’y figure pas. Peut-être était il occupé ailleurs ? 
Rappelons-nous ce que Flodoard nous dit d'une 
victoire des Bretons sur les Normands cette année-là. 
Ceux-ci furent alors chassés de Bretagne par la 
bataille deTrans, (3). Richer raconte bien qu'en 940 
Guillaume, piralarum du-r, envoya des députés au 


(1) Ibid., p. 71. M. Lair, Essai sur la vie et la mort de 
Guillaume Longue-Epée p. 32, nie cette excommunication, 
Guillaume Longue-Epée, un si saint homme, excommunié ! Il y 
a pourtant ici un texte formel de Flodoard : Ludowicus... pergit 
contra Hugonem, filium Rotberti et WillelmumSordmannorum 
principem. Qui quoniam villas nuper Arnulfi comitis quasdam 
praedis inecudiisque vas laverai, excommunicatur ab episcopis 
qui erant cum rege ». M. Lair veut rattacher qui à Hugo ; 
cela ne soutient pas l’examen. 

(2) Flodoard, Annales, p. 73. 

(3) (llle-et-Vilaine, nrr. de Saint-Malo, canton de Pleine- 
Fouques), dont les Bretons ont longtemps célébré l'anniver¬ 
saire, le l nr août. Chr. de Nantes, éd. Merlet, p. 91. 


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sun nu don de saint-Quentin 


309 


roi pour l'assurer de sa fidélité, lui dire qu’il se 
porterait partout où il lui plairait et lui engager sa 
foi envers et contre tous (1). Mais on sait comment 
Richer et Dudon travestissent l’histoire ; Dudon nous 
laisse ignorer que Guillaume a été jusqu’ici l'un de 
ces grands en perpétuelle révolte contre le roi, l’un 
de ceux qui se tournent vers Otton. 11 ne garde que 
le souvenir de l'entrevue entre Louis et Guillaume 
en 940 (2), qui eut lieu dans le pays d'Amiens. 11 
nous donne une indication précise et place cette 
entrevue ad Bdionis montera (3). Mais cette entrevue 
de 940, il la confond avec une autre entrevue qui 
eut lieu en 942, car il raconte ensuite que Guillaume 
conduisit Louis à Rouen ; or, cette réception de 
Louis IV dans la capitale normande n’a eu lieu que 
deux ans après: « Willelmus regem Ludouicum rega- 
liter in Itodomo suscepit (4) ». 

Dudon a les meilleures raisons pour confondre les 
deux entrevues de Guillaume et de Louis de 940 et 
de 942, c’est que, dans l’intervalle, ce chef qui vient 
de se faire confirmer la possession de la Normandie 
a pris part avec Hugues le Grand et Herbert à 
l’expédition contre Reims (o) ; c'est qu’il a assisté 


(1) Ed. Waitz, p. -49. 

(*2) Rapportée par Ktodoard, Annales, p. 75. 

(3) Boisemont (Seine-Inférieure), suivant M. I,ai a (Ed. de 
Dudon, p. 194, n. a ; ou plutôt Montbaiüon (Aisne, arr. de Ch⬠
teau-Thierry, canton de Condé-en-Brie, commune de Baulne), 
suivant M. Lauer (Louis IV, p. 79, n. 4). 

(4) Ftodoard, Annales , p. 84. 

(5) Ibid., p. 76 et Hisl. eccl. Rem-, M. G. SS. XIII, 581. 


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ETUDE CRITIQUE 


au premier siège de Laon. Tout ce que l'on peut 
admettre, c'est qu'à la fin de 941, Guillaume se dé¬ 
tachait peut-être des coalisés pour se rapprocher de 
Louis. Il les a abandonnés pendant le siège de Laon, 
mais il ne rompt pas encore avec eux. Hugues et 
Herbert, Guillaume et Arnoul ont encore, à la fin de 

941, une conférence à la suite de laquelle Herbert 
va au delà du Rhin trouver le roi Otton (1). Mais en 

942, Guillaume reçoit Louis à Rouen et il est remar¬ 
quable qu'en même temps Guillaume de Poitiers, 
son beau-frère, les Bretons avec leurs chefs viennent 
également vers le roi. II semble qu’une scission se 
soit faite parmi les grands. Hugues le Grand et 
Herbert restent fidèles à Oltou ; Guillaume et son 
beau-frère et aussi les Bretons se rapprochent de 
Louis. Quant à la présence de Guillaume Tète 
d’Etoupe et des princes bretons, Dudon n’en parle 
pas ; il s'en garde bien ; ce serait diminuer le rôle 
du duc normand que Dudon veut faire passer pour 
le seul sauveur de la monarchie. Mais la présence 
des chefs bretons est mentionnée par Flodoard. 

C'est en 942 et dans ces conditions que se produit 
l'intervention du roi de Germanie en faveur de 
Louis. S’il fallait en croire Dudon, ce serait Guil¬ 
laume qui l’aurait préparée. Dudon raconte ici une 
très longue histoire : Guillaume envoie un messager, 
Tetger, à Henri. Celui-ci lui renvoie en échange le 
duc Conon qu’il gardera comme otage pendant que 
Guillaume mènera Louis auprès d’Otton. Guillaume 

(I) ytmi., p. Kl. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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pour éprouver la foi du chef allemand, se montre 
disposé à l'envoyer auprès des Danois de Bayeux. 
Conon accepte (i). Guillaume l'emmène avec lui. 
Ils se rendent dans le pays de Laon où Herbert et 
Hugues les attendent, puis auprès d'Henri qui fait 
bon accueil à Guillaume, venu en avant-garde avec 
500 cavaliers ; mais les Lorrains et les Saxons se 
moquent du duc. Grâce à sa connaissance du danois, 
Guillaume comprend leurs railleries, « per Daciscam 
linguam, q\m dicebant subsannantes intelligendo subau 
dit. » il dissimule sa colère, mais les soldats nor- 


(I) N’y aurait-il pas là le souvenir d une armée danoise 
campée à Bayeux, sur la frontière bretonne? On y a quelque¬ 
fois vu une survivance d'une colonie saxonne, des Saxonet 
Bajocassini , de l 'Otlinga Saxon ta. Mais l'Otlinga Saxonia ne 
parait plus dans aucun texte postérieur à 8G0. 

Conon dit : Mille me quovis etiam Dacis luæ dilioni subditis ; 
on l'envoie donc dans une ville danoise, disons normande. 
Plus loin, p. ‘221, Dudon nous dit que Guillaume envoya son 
lils Richard à Bayeux pour y apprendre le danois, et Guillaume 
de Jumièges le répète (Ed. Marx, p. 40). • Quem confettim 
paler Bajocas mittens, Bothoni militiæ suæprincipi nutriendum 
tradidit, ut ibi lingua eruditus Dan ica , suis exterisque homi- 
nibus sciret aperte dare responsa ». Pourquoi le duc pensait-il 
que son fils apprendrait mieux le danois à Bayeux ? Dudon 
l'indique: Richard est conflé à Bothon, le chef de l’armée; 
militiæ pnncipi. Bayeux a été une ville frontière pour le 
duché de 024 à 933; il a fallu maintenir ensuite une armée 
dans le pays contre les Bretons et contre les Normands de 
Bretagne. C’est au milieu des guerriers que Richard apprendra 
le danois et que Conon est envoyé. Il se pourrait aussi que 
la survivance de la langue germanique dans le pays des 
Saxonet Bajocassini ait contribué au maintien de la langue 
norraine. Mais nous croyons que la véritable explication de 
cette persistance de la langue danoise à Bayeux est dans 
l'existence à Bayeux d'une armée normande. 


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ETUDE CRITIQUE 


mands veulent enfoncer les portes de la demeure où 
se trouve Henri. Conon ne peut les apaiser. Guil¬ 
laume lui remet sa magnifique épée qui en imposera 
aux Normands, puis l’entrevue a lieu. Guillaume 
force Henri à venir au devant de Louis. Au cours de 
cette entrevue, le duc est interpellé en danois par 
Hermann duc de Saxe, car Hermann a appris le 
danois, ayant été prisonnier sur les frontières du 
Danemark. 

Où eut lieu cette entrevue? Dudon dit: à Veuscgus 
super Mosam. Lappenberg traduit par Vouziers (t). 
Lair dit quec'est le monastèrede Voyse-sur-Meuse (2). 
Dümmler suit Lappenberg. Kalckstein hésite (3) ; 
mais, remarque M. Lauer (i), il y a un diplôme 
d’Otton du 17 novembre 942 (5)'daté de Vuegesata -, 
c’est Visé, diocèse de Liège,à mi-chemin entre Liège 
et Maêstricht, en plein pays carolingien. L’entrevue 
de novembre 942 est donc historique. 

Mais que faut-il croire des détails donnés par 
Dudon ? Dans la mission de Tetger au roi de Germa¬ 
nie, n’y a-t-il pas une déformation de la mission du 
comte Roger de Laon qui chargé d’une ambassade 
de Louis vers Guillaume, mourut auprès de celui-ci, 
détail que Dudon trouvait dans Flodoard (6) ? 


(1) Op. cil ., Il, 25. 

(2) Ed. de Dudon, p. 196, n. a. 

(3) Op. cil., 224, n. 1. 

(4) Op. cil., p. 83, n. 5. 

(5) M. G., Dipl., I, 135. 

(6) Annales, p. 84. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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Conon joue le rôle d’otage d’Otton auprès de 
Guillaume. (Nous savons que des otages furent remis 
à Olton). Qu’est-ce que Conon ? Dudon l’appelle plus 
loin ducem Saxonum ; mais il n'y a pas de duc de 
Saxe à cette époque, c'est le roi de Germanie qui 
est duc de Saxe ; Olton a confié l'administration de 
la Saxe à Hermann Billung et à Géro. Ne serait-ce 
pas Conrad le Sage, Kurzbold. qui vainquit le duc 
lorrain, Gislebert (1) ? Dümmler le fait comte de 
Niederlahngen ; c’est probablement un personnage 
à demi légendaire. M. Lauer suppose que ce serait 
le fameux duc de Francouie, Conrad II le Houx, 
939 955 (2). Enfin, n’oublions pas qu’au temps où 
écrivait Dudon, Conrad 11 de Franconie succéda à 
Henri 11. 

Quant au rôle de Guillaume, seul Ricber le rap¬ 
porte, mais d’une manière différente. Pendant l’en¬ 
trevue des deux rois, Guillaume a été laissé à la 
porte du palais, soit à dessein, soit par hasard, 
« consilio incertum anfortuitu ». Il attend longtemps, 
puis, comme on ne l'appelle pas, il force les portes. 
Il aperçoit alors sur le lit royal Otlou à la place 
d’bonneur, au côté le plus élevé, le roi Louis à 
l’extrémité la plus basse, Hugues et Arnoul étaient 
sur deux sièges. Guillaume, ne supportant pas l’in 
jure qui avait été faite au roi Louis, lui ordonne 
de se lever. Guillaume s’asseoit et dit qu'il ne con¬ 
vient pas que le roi soit dans une situation inférieure. 

(1) M. G. SS., XVI, 144. Le continuateur de Rêginon , M. G., 
SS., I., 618, l'appelle Chuonradus. 

(2) Op. cil., p. 82, n. 5. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


Otlon se lève, cède la place au roi. Guillaume 
s’asseoit près de Louis, le roi à la place supérieure, 
Guillaume plus bas. Ottou, appuyé sur uu béton, 
dissimule sa colère ; il se hâte de mettre lin à la 
délibération et sort (1). Tout ce récit de Riclier 
a pour but de nous expliquer la mort de Guillaume 
Longue-Epée qui serait due au ressentiment d'Otton. 

Rapproché de celui de Dudon, le récit de Riclier, 
pose une question intéressante et délicate. Quelle 
est la source où les deux auteurs ont puisé ces 
détails. Sans doute les détails diflèrent : chez Dudon, 
ce sont les partisans de Guillaume qui lorcent la 
porte du palais royal ; dans Richer, c’est Guillaume 
lui-même. Les deux récits attribuent au prince Nor¬ 
mand un rûie important: seulement Dudon, apolo¬ 
giste des ducs, fait de Guillaume l’honune qui tient 
tous les fils de la politique et Riclier affirme qu’il a 
été laissé à l’écart de la conférence, d’où sa colère 
épique. Si le récit de Dudon était isolé, on invo 
querait une tradition locale transmise par Raoul 
d'Ivry. Mais il a manifestement avec celui de Richer 
une source commune. Ce ne peut être une chro¬ 
nique contemporaine; les détails mêmes de ces 
deux récits n’ont rien de la sécheresse des Aunales ; 
il faut donc qu'il y ait eu une chanson de geste qui 
racontait les exploits de Guillaume, un chant plus 
complet que la Complainte latine de la mort de Guil¬ 
laume Longue-Epée, un chaut qui développait la 
strophe de celte Complainte : 


il) Ed. W’AITZ, pp. 54-55. 


•v 


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S ni DL'DON DE SAINT-QUENTIN 


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Hic audacer olim regcm Hehulowicum 
sibi fecit seniorem regmturum 
ut cum eo superaret liostem suuni 
regnarelgue région more ; (1) 

et cette remarque nous amène à étudier une autre 
question depuis longtemps posée, les rapports de 
Guillaume Longue-Epée avec la chanson de gestes 
intitulée le Coronemenl Loois. 

Guillaume Longue-Epée et le Coronement Looïs. — 

La troisième branche du Coronement Ij>ois raconte 
la lutte de Guillaume, fils d’Aimeri de Narbonne, 
contre les conjurés qui veulent empêcher, à la mort 
de Charlemagne, le couronnement de Louis le Dé 
honnaire. Arneïs d’Orléans a réclamé la lieutenance ; 
Louis refusant de la prendre, Charles y a consenti. 
Mais Guillaume qui est allé à la chasse survient, il 
est mis au courant de ce qui se passe, pénètre dans 
la chapelle, rompt la presse des barons, s’avance 
vers Arneïs et le tue d'un coup de poing, puis il 
saisit la couronne sur l'autel et la pose sur le front 
de l'héritier légitime en lui jurant de toujours la 
défendre. Le vieil empereur en verse des larmes de 
joie. 


« Sire Guiltelmes, 'granz merciz en criez 
Vostre lignages a le mien esalcié ». 


ft) Ed. Lait: n. p. 


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ETUDE CRITIQUE 


Après avoir tué Arneïs, Guillaume 

Veit la corone qui desus l’altel siet : 

Li cuens la prent senz point de l'atargier 
Vient a l’enfant, si li assiet el cbief : 
o Tenez, bels sire, el nom del rei del ciel, 

Qui te doint force d’estre buens justiciers (1) ». 

Guillaume fait donc roi, Louis, l’héritier légitime, 
en dépit des barons. 

Que la troisième branche du Coronement Loois ait 
pu avoir pour base historique le régne de Louis 
d’Outremer, cette idée a été d’abord soutenue 
par Paulin Paris. II voyait déjà dans Guillaume 
Longue-Epée l'un des personnages qui ont pu 
concourir à former le Guillaume d'Orange de 
nos chansons (2;. Cette idée a été aussi admise 
par Jonckbloet, dans sou édition de Guillaume 
d'Orange (3). Sur la foi des iiistoriens qui, eux- 
mêmes, s’en rapportaient à Dudon, il admettait que 
Guillaume Longue Epée avait concouru à faire 
monter sur le trône Louis IV, rappelé d’Angleterre. 
(Nous avons vu que rien n’était moins certain que 
celte collaboration). 

Mais P. Paris et Jonckbloet étaient bien obligés de 
reconnaître que la fidélité de Guillaume Longue- 
Epée à l’égard de Louis d’Outremer avait été très 
intermittente et qu’il avait, en somme, figuré bientôt 

(1) Ed. Langlois. ( Soc . Ane. Texl.), Paris, 1888, in-8°, 
v. 142, sqq. 

(2) Les Manuscrits français, lit, 120. 

(3) La Haye, 1854, 2 vol. in-8", t. II, p. 94. 


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SLR DUDO.N Ut SAINT-QUENTIN 


:ii7 


dans le camp ennemi avec Hugues le Grand et 
Herbert. Aussi les deux romanistes se trouvèrent-ils 
d’accord pour admettre que si « la poésie populaire 
a confondu quelquefois le Guillaume d'Orange de 
nos chansons, personnage très complexe, avec 
Guillaume Longue-Epée, duc de Normandie », cela 
devait être par l’intermédiaire du comte Guillaume 
de Poitiers (1) M. Léon Gautier a accepté le système 
de l'origine historique du Coronement I.odis (2), mais 
il s'est refusé à admettre que Guillaume Longue- 
Epée ait pu entrer pour quelque chose dans la for¬ 
mation du personnage d’un Guillaume, fidèle servi¬ 
teur de la monarchie ; il a fait remarquer que le 
duc de Normandie n’a guère joué ce rôle. « Nous 
avons encore beaucoup plus de peine à comprendre 
qu’on ait fait entrer dans la galerie des hommes 
illustres qui, sous le nom de Guillaume, ont enrichi 
notre légende épique, le fils et successeur de Rollon, 
Guillaume I er , dit Longue Epée, duc de Normandie 
en 927. Il est vrai qu’en 936, il fit bon accueil à 
Louis IV d’Outremer, qu’il voulut le conduire à Laon 
et assister à son couronnement, et l'ou a pu, d'après 


| 1) JoNCKBLOET, op. Cil., II, 96. 

(2) Léon Gautier. Les Epopées Françaises , Paris, 1865-66, 
4 vol. in-8r, 111, 73. Un autre savant hollandais, M. ! riz Y, 
Recherhes sur l'histoire et ta littérature de l'Espagne, 2 éd., 
Il, 26, avait même entrepris d’établir l’origine normande d’un 
certain nombre de chansons de geste et en particulier du 
Coronement Loois : il renonça à son système dans la troisième 
édition de son œuvre, sur les observations de G. Paris, 
Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1865, in-8°, p. 82 et 
de Léon Gautier. 


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ETUDE CRITIQUE 


318 

ce seul épisode de sa vie, supposer qu’il lui le type 
de cet admirable Guillaume du Couronement Looys... 
Mais tout d’abord le rôle historique du duc de Nor¬ 
mandie a été beaucoup moins considérable et beau¬ 
coup moins actif que le rôle légendaire de notre 
héros dans le (ait même de ce couronnement d'un 
jeune roi faible et menacé ». (Nous irons même plus 
loin que Léon Gautier et dirons que du rôle de Guil¬ 
laume dans l’avènement de Louis IV on ne sait rien). 
n Puis, Guillaume Longue Epée n’a pas tardé à se 
brouiller avec Louis IV ; en 939, ou le voit, malgré 
les excommunications de l'Eglise, entrer contre le 
roi dans une ligue à la tète de laquelle sont avec lui 
Hugues le Grand et le comte Héribert. En 940, même 
rébellion. Voyons-nous rien de pareil dans la légende 
de Guillaume? Et croit-on que le peuple, qui méprise 
tous les changements d'opinion (??) ait pu (aire une 
popularité profonde et durable à ce Normand qui a, 
tour à tour, détendu et attaqué la même royauté et le 
même roi »... (1). 

M. E. Langlois, lui, voit dans la troisième branche 
du Coronemenl une réminiscence du rappel de 
Louis IV par les grands barons, desluttes de Louis IV 
contre ses barons. « Notre poème, dit-il..., nous 
montre un Guillaume d’Aquitaine défendant Louis 
contre les usurpations du duc de Normandie. 11 est 
vrai que le trouvère appelle ce duc de Normandie 
Richard et non Guillaume, mais cette objection est 
sans valeur, car Richard le Vieux ou le Roux est le 


(1) Op. cil., IV, 93. 


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SL R Dl'DOX DK S.UNT-Ol'ENTIN 


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nom épique des ducs de Normandie au moyeu 
âge (1) ». Mais il se formule à lui-même une objec¬ 
tion : « le principal ennemi du roi n'avait pas 
été le duc de Normandie, mais Hugues de France. 
Pourquoi donc, si notre chanson se réfère à ces 
luttes, n'a-t-elle pa9 donné à ce dernier le rôle 
qu'elle assigne au Normand ? Hugues triomphe 
de la race carolingienne et sa victoire valut la cou - 
ronne de France à son fils. C’était un de ses descen¬ 
dants qui occupait le trône lorsque les souvenirs de 
celte triste époque vinrent se condenser dans notre 
chanson. I)ès lors, la poésie ne pouvait lui faire 
jouer un rôle criminel ». 

A ces explications un peu subtiles, M. F. I.anglais 
finit par en préférer une autre qui ne l'est pas 
moins : la chanson aurait été chantée d'abord dans 
une région où le héros était populaire, ce qui 
expliquerait, en même temps, le lieu choisi pour 
le théâtre des événements : Tours, qui se trouve 
entre l’Aquitaine et la Normandie, sur la route 
de Poitiers â Rouen ? M. E. Langlois relève encore 
d’autres éléments historiques empruntés à l’his¬ 
toire des ducs de Normandie qui ont pu contri¬ 
buer à la formation du Coronemenl de Loois. Ce sont 
les faits « qui se sont passés pendant que Richard 
le Roux était duc de Normandie qui ont dù exciter 
chez les Français une grande haine contre les Nor¬ 
mands et qui, à mon avis, ont eu une profonde 


(1) Op. cil., p. LV. 


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ETUDE CRITIQUE 


iullueuce sur notre légende (I) ». M. E. Langlois 
rappelle comment, après l’assassinat de Guillaume 
Longue Epée, le roi de France fit venir le jeune 
Richard à Laon et comment les Normands attachés 
à leur prince firent le roi prisonnier. « Cette trahi¬ 
son, dit-il, dut inspirer aux partisans de la famille 
carolingienne la haine que nous retrouvons dans 
notre poème contre les Normands. Il semble même 
que la légende ait gardé un double souvenir de ces 
faits dans la captivité de Richard et dans le guet- 
apens du duc de Normandie, qui se précipite sur 
Guillaume, lorsque celui-ci, confiant dans la paix 
qu’il a faite avec lui, vienlsans escorte à Rouen (2) ». 

Le système étant admis, il est étonnant que les 
romanistes n'aient pas fait un rapprochement de 
plus entre l'histoire et la chanson. Comment n'ont- 
ils pas vu dans certains épisodes de la chanson de 
geste une réminiscence des incidents rapportés par 
Dudon et Richer, lors de l’entrevue d'Otton et de 
Guillaume? De même que dans le Couronnement, 
Guillaume Fièrebrace vient mettre la couronne sur 
la tête du jeune Louis, de même dans Richer, Guil¬ 
laume Longue-Epée veut forcer Otton à laisser la 
première place au roi Louis, de même, dans Dudon, 
le roi Henri (?) contraint par Guillaume, est amené 


(I) Remarquons que si teduc de Normandie rappelle Richard 
le Houx dans la légende, il ne s'appelle jamais ainsi dans 
les textes historiques. On comprend d'ailleurs fort bien qu'un 
duc normand reçoive ce nom de Roux, les Normands pou¬ 
vaient avoir fréquemment ce type. 

Ç2) Op. cil., p. LVI. 


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suit UCDON DE SAIXT-UIENTIN 3SI 

à se rendre au devant du roi Louis. Mais nous nous 
garderons d’insister : car un critique récent a 
démoli tout le système des rapprochements entre 
les chansons de geste et les événements historiques ; 
il s'est refusé à admettre que les chansons de geste 
du XII» siècle fussent dérivées de cantilènes anté¬ 
rieures, proches des événements historiques et plus 
conformes à ces événements. Pour lui, les chansons 
de geste sont des romans épiques nés générale¬ 
ment auprès des cloîtres et des lieux de pèlerinage 
renommés ou sur les routes de ces lieux de pèleri¬ 
nage ; ils sont l’œuvre, le produit combiné de la 
science des clercs et de l’imagination des jongleurs 
attachés à ces lieux de pèlerinage. Devant ce sys¬ 
tème, toutes les identifications historiques tombent. 
M. Bédier détruit tous les rapprochements histo¬ 
riques tentés è propos du Couronnement Louis. 
« Jamais, dit-il, Tours n’a été le théâtre d’événe¬ 
ments qui rappellent en quoi que ce soit les inci¬ 
dents du poème. Jamais, à Tours ni ailleurs, aucun 
roi de France, qu’il s’appelât Louis ou autrement, 
n'a été le prisonnier des moines d’un monastère. 
Jamais aucun Guillaume n’est venu de Rome ni 
d’ailleurs délivrer de captivité aucun roi de France. 
Jamais aucun roi de France, prisonnier de vassaux 
rebelles, n’a été tiré de prison par un combat livré 
dans les rues d’une ville quelconque (1) ». 

il n’a pas de mal à démontrer que s'il est un roi 
carolingien qui ressemble peu au roi imbécile et 


(1) Les Légendes épiques, Paris 1008-19-13, 4 vol. in-8", I, 247. 

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ETUDE CRITIQUE 


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couard du poème, c'est l'énergique Louis d'Ou- 
tremer. Il cite le mot d'un historien repris par 
M. Lauer : « Par lui eût été relevée la maison de 
Charlemagne si elle eût pu l’être ». Il faut, en effet, 
tout l'entrainement des théories acquises pour que 
M. Lauer, qui a écrit ces lignes, ait souscrit après 
MM. Jonckbloet, L. Gautier, Langlois et Willelms, 
au rapprochement entre Louis IV et le Louis du 
Couronnement. 

AL Bédier raille les critiques qui voient tour à tour 
dans Guillaume Longue-Epée et dans Guillaume 
Tête d’Etoupe, comte de Poitiers, le Guillaume 
épique. M. Willelms s’est demandé quel était le 
Normand orgueilleux qui a prétendu à la couronne 
de France. Il a répondu que ce ne pouvait être aucun 
des fils de Richard le Vieux, mais que ce pouvait être 
son père Guillaume, qui fut, à diverses reprises, 
l'adversaire de Louis. Or, M. Lauer a démontré 
qu'il avait, au contraire, soutenu Louis (en certaines 
circonstances, du moins). «Ainsi, dit M. Bédier, le 
même Guillaume Longue-Epée est, au gré des cri¬ 
tiques, le traître ou le personnage sympathique du 
roman (1) ». M. Bédiera, ici, une occasion de plus de 
railler « des constructions qui, de loin, semblaient 
imposantes et harmonieuses. Dès qu’on approchait, 
dès qu’on les considérait d'un regard clair, elles se 
dissipaient en fumée, comme des palais de rêve (2) ». 
Et de même, le travail de M. Jonckbloet et de ses 

(1) Op. cit.y I, 251, n. 1. 

(2) Ibid., p. 259. 


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SL'H Dl'DO.V DE SAI.NT-ULENTIX 323 

disciples qui ont produit successivement seize Guil¬ 
laume prototypes de Guillaume d'Orange [chacun 
en admettant un certain nombre et rejetant les 
autres), inspire sa verve ironique. « Comme en un 
jeu de massacre, chaque critique s’est amusé à cul¬ 
buter trois Guillaumes, ou quatre ou cinq, tantôt le 
Guillaume au nez postiche et tantôt le Guillaume 
à la tète d’étoupe ; mais un autre redressait aussitôt 
les fantoches obsliués, et parfois la même main 
qui venait de renverser l’un des deux Fièrebrace 
relevait pieusement l’autre (1) ». M. Bédier, lui, 
les massacre lotis les seize, y compris Guillaume 
Longue Epée. Pour lui, le couronnement de Louis 
n’a ni cinq branches, ni quatre (2) ; il ne s’est pas 
formé par l’amalgame de poèmes du nord et du 
midi, n c’est un roman très simple et, pourrait-on 
dire, trop simple. Deux personnages: un roi tout 
jeune, faible et lâche, un vassal fidèle. Le vassal a 
pris le roi sous sa tutelle et a promis qu’il le défen¬ 
drait loyalement envers et contre tous ; il tient sa 
promesse et c’est tout le sujet. La faiblesse et la 
lâcheté du roi en contraste avec les prouesses et le 
dévouement du vassal, c’est la seule idée que le 
poète veuille mettre en œuvre, et, pour y réussir, il 
n’aura qu’à imaginer quelques incidents tels que le 


(1) Op. cil., p. 261. 

(2) Les critiques, depuis un travail de M. Lot, Guillaume de 
Montreuil, dans la Rumania, XIX, p. 290, ont abandonné la 
cinquième branche imaginée par Caston Paris. 


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ETl'DE CRITIQI'E 


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dévouement du vassal s’y déploie sous des aspects 
aussi variés que possible (1) ». 

Mais M. Bédier admet que les chansons de geste 
telles qu’elles nous sont parvenues, sont des rema¬ 
niements de chansons plus anciennes. Avec M. Jean 
roy (2), il a entrepris la reconstitution d'un couron¬ 
nement de Louis plus ancien ; nous ne voyons pas 
davantage la place que Guillaume Longue-Epée 
aurait pu avoir dans ce remaniement. Notre conclu¬ 
sion provisoire est donc celle-ci : il n’y a entre le 
Coronement Loois et l’histoire des ducs de Normandie 
aucun point de contact historique. 

Cependant nous retenons l’hypothèse de M. Bédier 
que nos chansons de geste sont des remaniements ; 
donc, tout en rejetant l'existence decantilcnes méro 
vingiennesel carolingiennes d’où seraient sortis nos 
poèmes par transformations successives, il faut bien 
admettre qu'il a pu éclore une floraison épique anté¬ 
rieurement au X1I« et au XIII” siècle ; donc il aurait 
pu y en avoir une au XI”, voire même au X e siècle ; 
donc Dudon de Saint-Quentin et Richer, des œuvres 
desquels on a remarqué depuis longtemps le carac 
1ère épique (3', ont pu puiser à celte source ; donc 
l’œuvre de Dudon, qui, comme je l’ai démontré, 
n’est personnelle que dans l'arrangement, mais dont le 
fond est tout entier fait d’emprunts, — le chanoine 

(1) Dédier, I, p. 280. 

(2) Eludes sut- te cycle de Guillaume au Court-Nez. Le Cou¬ 
ronnement de Louis, dans la Homania, XXV, 253, sqq. 

(3) Pour Dudon, voir te passage de Dcmmler, que nous 
avons cité dans notre Introduction. 


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Sun DUDON DE SAINT-QUENTIN 


345 


prend son bien où il le trouve, — peut renfermer, à 
côté d’emprunts aux Annales carolingiennes et des 
Sagas Scandinaves, des emprunts aux données des 
chansons de geste. Ainsi s’expliquent les innom¬ 
brables incidents de caractère légendaire qui se 
retrouvent dans son œuvre et qui nous embarrassent 
souvent. Celte hypothèse est d'autant plus plausible 
que la Normandie encore Scandinave du X" et du 
XI” siècle est un pays de légendes. « Dudon écrit, 
disions nous déjà en 1911, chez un peuple jeune 
encore, plein de poésie, amateur de chansons 
héroïques, pays de Saga, disons le mot ». 

La mort de Guillaume Longue-Epée a inspiré une 
complainte eu vers latins ; M. Gaston Paris a sup¬ 
posé qu’elle avait, en outre, suscité une chanson de 
geste, la Chanson de ta Vengeance de Itioul. Ne peut- 
on imaginer qu’un incident de cette chanson était 
la rébellion de Rioul contre Guillaume et son châti¬ 
ment, qu’un autre racontait la conduite deGuillaume 
Longue-Epée protégeant son roi contre les préten¬ 
tions du roi allemand? Là auraient puisé Dudon et 
Richer. Ne peut on aussi désigner le lieu où s'est 
élaborée cette légende? M. Bédier ne nous a-t-il 
pas mis lui même sur la voie en nous invitant à 
le chercher près d'un sanctuaire où les fêtes reli¬ 
gieuses et des foires attiraient les pèlerins ( 1). N’a-l-il 
pas indiqué lui même Fécamp à propos de Richard 
le Vieux? N'a t il pas fait remarquer très justement 
que Fécamp est un lieu de pèlerinage à cause de la 


\1) Ibid.. I, 405 et iiassim. 


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3Î6 


ETUDE CRITIQUE 


très précieuse relique que coulieut l'abbaye, le Pré¬ 
cieux Sang? (I) N'a-t-il pas démontré que Richard 
est tnélé à ces légendes. « Si les jongleurs, dit il (2), 
ont introduit Richard de Normandie dans les chan¬ 
sons de geste, c'est qu'ils connaissaient ces légendes, 
du moins les plus anciennes; c’est qu'ils avaient 
visité l’abbaye de Fécamp ». 

Qu’il nous soit permis d'insister sur l'importance 
de Fécamp dans l’historiographie de la Normandie 
et dans l'histoire littéraire. Fécamp, c'est le Saint- 
Denis des ducs de Normandie. Son abbaye est aux 
duc$ ce que la célèbre abbaye de l’ile de France 
était aux rois de France. Les rois sont élevés à 
Saint-Denis, les ducs à Fécamp. C'est là qu’est né 
Richard 1°', qu’il a été élevé (3). C'est aussi le lieu 
de sépulture des ducs. Richard 1" y meurt. Richard II 
y est inhumé. Un fils de Richard II, Guillaume, y 
lut moine, ainsi qu'un fils de Richard III, Nicolas (4). 
Cette abbaye ducale est, par la volonté des ducs, 
abbaye bénédictine et clunisienne. Si au temps de 
Richard I", Maieul a échoué dans son projet de 
réforme, au temps de Richard H, Guillaume de 
Saint Bénigne a réussi dans l’œuvre de réformation 
de l’abbaye, en l’an 1001. Du temps même de Dudon 
l'abbaye est donc devenue un foyer de renaissance. 
Or, l'abbaye ducale était à la fin du XII” siècle, 


(1) Voir sur ce point Leroux de Lincy, op. cit. 

(2) Ibid., t. IV, 15. 

(3) Dudon, éd. Lair, p. 2!8 

(4) Guillaume de Jumièges. éd. Marx. pp. 88 et 99. 


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SUR DIDON DE SAItiT-Ol'ENTIN 


327 


comme le montre une charte, le siège d'une con¬ 
frérie de jongleurs, et il est formellement dit dans 
cette charte que cette confrérie existait déjà au 
temps du duc Richard I er , qu’elle dura tout le temps 
du duc Richard 11 (1). « La fraarie , dit M. Bédier, 
tlorissait donc à la belle époque des chansons de 
geste et, s’il fallait en croire la tradition du mo¬ 
nastère, elle remonterait au temps même du duc 
Richard (2) ».« Certes, ajoute M. Bédier, ce trait est 
légendaire ». Cela ne veut pas dire qu'il est inexact. 
S’il y eut, comme le dit formellement la charte 
rédigée par Raoul d'Argences, abbé de 1188 à 1219, 
une fraarie reconstituée sous Henri de Sully, abbé 
de 1139 à 1188, fraarie qui avait disparu après la 
mort du roi Henri (sans doute pendant les troubles 
du roi Etienne), on ne voit pas pourquoi cette fraarie 
n’aurait pas existé au XI e siècle, à tout le moins, 
pourquoi quelque poète n'y aurait pas chanté les 
ducs. 

Dudon connaît Fécamp : c’est de toutes les villes 
de Normandie celle qu'il cite le plus souvent dans 
son œuvre (3). M. Lauer a remarqué que l’abbaye 
de Fécamp, très riche en manuscrits, contenait un 
manuscrit des Annales de Flodoard (4). N’est-ce pas 

(1) Texte latin d'après un vidimut du XV* siècle, publié par 
M. Leroux de Lincy, op. cit., p. 378. 

(2) Bédier, IV, 18. 

(3) 11 est remarquable qu'il connaît fort peu les villes nor¬ 
mandes ; on énumérerait très vile celles qui sont citées dans 
son œuvre : Pont-de-l'Arche, Bayeux, Evreux ; c'est à peu 
près tout. 

(4) Mélanges de l’Ecole de Rome, 1898, p. 507. 


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KTUDE CRITIQUE 


là que Dudon, au milieu des moines, aura composé 
son œuvre, amalgamant les renseignements fournis 
par les Annales et les données des chansons de 
geste du temps, chansons qui malheureusement ne 
nous sont pas parvenues ? Cette conjecture explique¬ 
rait le caractère épique de l’œuvre qui a frappé depuis 
longtemps ceux qui l’ont étudiée avec soin. Dudon 
n’a-t il pas utilisé des sources poétiques, des récits 
de trouvères ? Si Dudon et lticher, comme l'admet 
M. Lauer (1) et comme je le crois de plus en plus, 
ont une source commune, une chanson normande 
quelconque, il se pourrait que nos deux chroni¬ 
queurs épiques y aient précisément puisé les deux 
faits qui se trouvent en commun dans leur récit : 
le fait que Guillaume n’a pas été admis à la confé¬ 
rence royale et le mécontentement que ses soldats 
et lui en out éprouvé. 

Le baptême du fils de Lothaire. — Au retour de 
cette entrevue de Visé, Louis, suivant Dudon, appre¬ 
nant la naissance de son fils, a demandé à Guillaume 
d’en être le parrain. Ceci ne se trouve que dans 
les sources normandes. M. Lair lui-même a de la 
peine il l'affirmer : « Lothaire était né l’année pré¬ 
cédente ; ce n’est donc pas à ce moment-là que 
Louis IV a pu apprendre sa naissance ». « Il est tou¬ 
tefois peu probable, ajoute-t-il, qu’il soit complè¬ 
tement inexact et il est permis de supposer que la 
cérémonie du baptême n'avait pas immédiatement 

(IJ Op. cil,, p. 84, il. t. 


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SIR DUDON DE SAINT-gl'ENTlSi 


349 

suivi la naissance de l'enfant (1). J’ajoute qu'il est 
également permis d’en douter. Il parait même 
impossible, Lothaire étant né en 941, que Louis 
d’Outremer ait pris pour parrain Guillaume Longue- 
Epée, avec qui il ne se réconcilia qu’eu 942, mais 
Dudon a brouillé habilement la chronologie. 

M. Lot a admis la réalité de ce parrainage (2). 
Pourtant, il serait bien invraisemblable, comme le 
remarque M. Lauer (3), que le jeune Lothaire fût resté 
un an sans être baptisé, ce qui était contraire aux 
habitudes du temps (4) et aux prescriptions des 
Capitulaires de Charlemagne (3). Ajoutons qu'il est 
bien étonnant que Flodoard n’ait rien dit du parrai¬ 
nage de Guillaume Longue-Epée, alors qu’il men¬ 
tionne celui de Hugues le Grand. Dudon n’a-t-il pas 
voulu expliquer ainsi l’assassinat de Guillaume 
Longue-Epée par la jalousie des grands ? 

S'il faut en croire Dudon, Guillaume aurait ensuite 
fait son entrée à Laon, précédé par le chœur des 
évêques ; il aurait été reçu en grande pompe par le 
clergé de cette ville. Ce détail du chœur des évêques 
est intéressant à relever parce qu'il est une preuve 
de plus que Dudon avait lu Fludoard ; il ne fait, eu 
elfet, par un procédé qui lui est familier, que trans- 

(1) Ed. Dudon, p. 198, n. b. 

(2) Les Derniers Carolingiens, Lothaire, Louis V, Charles de 
Lorraine, Paris, 1891, in-8°, p. 10, n. 1. 

(3) Louis IV, p. 107, n. 4. 

(4) Flodoard, Annales, p. 134, au sujet de la mort d’Henri, (Ils 
de Louis. 

(5) M. (î. Capital., I, 159. 


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ETUDE CRITIQUE 


porter à Guillaume ce que l'annaliste rémois dit de 
Louis : celui-ci, à son retour de l'entrevue avec Otton, 
est reçu par les évêques du diocèse de Reims (1). 

Guillaume serait ensuite revenu à Rouen, où il 
aurait fait une entrée triomphale. Son apologiste 
nous dit uu mot de son administration, mais si 
vague, qu'il défie tout commentaire, puisqu’il se 
borne à cette affirmation que le duc maintint les lois 
et le droit et les décrets de son père qui avaient 
été négligés en son absence. 

Guillaume et l'abbaye de Jumièges. — Le chanoine 
de Saint Quentin s’étend ensuite longuement sur 
la restauration de Jumièges. Cette abbaye fondée 
eu 654 par saint Philibert, avait été incendiée par 
les Normands, le 24 mai 841. Peut-être l'abbaye 
dut-elle subir une nouvelle destruction en 851 ? (2) 
A l'approche des Normands, les moines s’étaient 
réfugiés à Haspres, au diocèse de Cambrai avec les 
reliques de saint Achard et de saint Hugues (3). 
La congrégation semble avoir vécu quelque temps 
encore ; car en 862, Charles le Chauve ratifie un 
échange conclu par l'abbé Josselin (4). Mais une 
réorganisation était sans doute nécessaire, ou bien 
le monastère avait subi une nouvelle destruction 
qui fut, cette fois, totale ; car Guillaume de Jumièges 

(1) o Revertente rege, Remensis dioceseos episcopi ad eutn 
veniunt », Ann., p. 86. 

(2) Vogel, op. cit., pp. 85 et 133. 

(3) Gesta episcoporum Catneracensium, M. G. SS., VU, 461. 

(4) H. F. VIII, 571. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


331 


donne des détails sur la refondation de l’abbaye 
qu’il place après le prétendu baptême de Lothaire. 
En ce temps, il arriva que deux moines nommés 
Baudouin et Gondouin, venus du territoire de Cam¬ 
brai, d’une ville qui est appelée Hespera, Haspres, 
entrés daus la vaste solitude de ce lieu, se mirent 
à défricher les terres abandonnées (1). Le duc 
Guillaume venant chasser dans ce lieu les rencon¬ 
tra. Des serfs étaient groupés autour des moines, 
un cloître fut élevé. Pendant ce temps, Gerloc.sœur 
de Guillaume, lui envoya de Poitiers douze moines 
avec l’abbé Martin appelé du monastère de Saint- 
Cyprien de Poiliers (2). Le duc les reçut avec grand 


(1) Disent les Annales de Jumièges (nu Regina 553, part. 2 : 
au Vatican), qu’il est intéressant de rapprocher de Guillaume 
de Jumièges, comme le remarque M. Ch. H. Haskins dans 
son compte rendu critique de l'édition de Guillaume de 
Jumièges de M. Marx ( English Hist. Revietv, XXXI, p. 150). 

Les Annales de Jumièges semblent dire que les moines 
Baudouin et Gondouin qui refondent l’abbaye, avaient jadis 
appartenu à l’abbave : ils étaient jeunes quand ils étaient 
partis pour Haspres, vieux quand ils revinrent. S’ils étaient 
moines à l'abbaye en 851, ce doit être bien avant 942 qu'ils 
en sont revenus. Il est évident qu'il y avait déjà un certain 
nombre d’années qu’ils s’étaient établis sur les ruines de 
Jumièges, c’est peut-être lorsque Rollon eut assuré à la Nor¬ 
mandie une tranquillité relative, qu’ils sont revenus ; Guillaume 
Longue-Epée n’a donc fait que continuer un établissement 
déjà existant. L'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pici're de 
Jumièges, éd. par l'abbé Loth, Rouen (S. H. N), 1882, 3 vol., 
in-8°, place la visite de Guillaume en 928 ce qui est bien plus 
admissible que la date de940 que donne Mabillon, Annales,... 
III, 448. 

(2) Voir Ord. Vital, éd. Le Prévost, II, p. 8 et p. 361, n. 2; 
Robert de Torigny, éd. Delisle, I, 16, II, 192. Sackur, Die 


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ÉTUDE CRITIQUE 


honneur à Rouen et les conduisit, escortés de trou¬ 
pes, à Jumièges. Il leur livra le pays avec tout le 
territoire qu’il racheta des alleutiers à prix d’or et 
s’obligea par un vœu à se laire moine. Le duc eût 
accompli son vœu, si l’abl)é ne s’y était opposé avec 
énergie, lui faisant remarquer que son Qls Richard 
était encore un petit enfant, et qu'à cause de sa fai¬ 
blesse, le pays normand, patria, pouvait être troublé. 
Cependant Guillaume emporte un babil monastique, 
la cuculle, qu’il enferme dans un écrin, dont il sus¬ 
pend à sa ceinture la clef d’argent, puis il regagne 
Rouen, supportant difficilement la défense de l'abbé. 
Là, il réunit tous les chefs normands et bretons, 
leur expose son état d'àme et exprime son désir 
d’abdiquer. Les chefs stupéfaits, demandent « pour¬ 
quoi il les abandonne et à qui il confie le comman¬ 
dement ». Le duc leur répond : « J’ai un fils nommé 
Richard. Je vous demande, si vous avez quelque 
affection pour moi, de le reconnaître comme duc à 
ma place, afin que vous me laissiez libre d'accomplir 
ce que j'ai promis à Dieu. » Ils y consentent, il 
fait venir de Fécamp son fils Richard, lui fait prêter 
serment de fidélité, par tout le duché normand et 


Cluniacenscr in ihrer kirchlichen und allgemeingeschichllichen 
wirksamkeit bis tur mille des clften Jahrunderts , Halle, 1894. 
‘2 vol. in-8°, dit, (t. I, p. 82), qu’il ne sait pas d’où venait cet 
abbé Martin, mais qu'il venait, selon toute vraisemblance, 
d’un des monastères réformés par Eudes de Clunv ; car il 
est protégé par des amis de Cluny. Après avoir réformé 
Jumièges, il avait réformé Saint-Jean-d'Angely en 932. Richard, 
nj). cil., 82. 84, 85, 9G. 




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SIR DUDON l)E SAINT-QUENTIN 333 

breton et le confie à Bothon, chef de la milice, afin 
qu'instruit dans la laügue danoise, il pût parler avec 
ses hommes. Dudon n’a fait que résumer une tra¬ 
dition (ou des Annales ) que Guillaume de Jumièges 
a plus longuement utilisée (1). il ajoute que Guil¬ 
laume engagea une conversation avec l'abbé Martin 
sur la Trinité et sur les trois ordres de la société : 
religieux, écclésiastique et laïque. Ce pourrait être 
le développement d’une des strophes de la Com¬ 
plainte : 


Idem dodus Trinitatis unitatem 
a Mnrtino, unitatis Trinitatem 
tria unum alijue unum trio esse 
monasterium fundavit (2) 

Dudon a aussi développé une autre strophe de la 
Complainte où le duc est représenté comme voulant 
entrer à Jumièges pour y vivre de la vie monas¬ 
tique. Et, en même temps, il a expliqué comment le 
mari de Lieutgarde, sans attendre de l'union de 
cette princesse un héritier, associa son fils Richard 
à la couronne : c’est que le prince voulait ainsi se 
donner le moyen de se retirer plus tard dans un 
cloître. Celte reconnaissance a-t-elle eu lieu ? On 
comprend, en tout cas, que Dudon l'ait affirmée 
pour justifier la légitimité des droits de Richard, 
fils d'une concubine. 


(1) Ed. Marx, pp. 39-40. 

(2) Ed. Lauer, p. 320. 


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ETUDE CRITIQUE 


331 

Montreuil. — Dudon, au lieu de nous raconter ce 
qui, chronologiquement, a suivi presque immédia¬ 
tement le retour de Guillaume en son duché après 
l’entrevue de 942 avec Otton et Louis, c’est à-dire la 
mort du duc, revieut en arrière et nous raconte 
l’affaire de Montreuil, qui est bien antérieure, puis¬ 
qu'elle est de 939. 

Montreuil-sur-Mer était alors une ville impor¬ 
tante par son commerce et le produit de ses douanes. 
Lecomte Ilélouin se maintenait difficilement entre 
ses trois puissants voisins : Arnoul, Hugues et le 
duc de Normandie. Montreuil constituait sur la 
Canche une petite principauté picarde entre le Ter- 
nois, le Boulonnais et le Ponthieu. 

« Arnoul gagna, selon Richer, un des gardiens de 
la place, qui s’appelait Robert, par des promesses et 
en lui faisant dépeindre la domination normande 
comme imminente s’il ne lui livrait la ville. Il put 
ainsi pénétrer de nuit dans Montreuil, grâce à la 
trahison de Robert qui avait fait ouvrir une des 
portes de la place. Les trésors d’Hélouin furent pris, 
sa femme et ses bis emmenés en captivité, furent 
envoyés au roi Athelstan. Quant à Hélouin, il parvint 
à s’échapper à la faveur d’un déguisement (1) ». 

Dudon de Saint-Quentin assure que Guillaume est 
venu en personne au secours d'Arnoul. Flodoarddit 
simplement qu’Hélouin a repris la ville avec une 
troupe de Normands (2), et Richer, que Guillaume 

(1) Lacer, op, cif., p. 38. 

(2) Annales, p. 72. 


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SIR Dl’DO.N DE SAINT-QUENTIN 335 

lui a accordé des secourset confié des troupes « auxi- 
liumannuit acmilitum copiant eicommiltit (1) ». 

M. Lair ajoute : « Il parait, par le récit de Flo- 
doard et celui de Riclier, que la place de Montreuil 
fut remise en bon état (2) ». Cela est vraisemblable, 
mais il n'en est pas question dans Richer et Flo- 
doard. D’après Richer le siège fut difficile. Hélouin, 
s’empara des soldats d'Arnoul, en tua une partie, en 
réserva uneautre pour les échanger contre sa femme 
et ses enfants (3). Ajoutons qu’Arnoul essaya de 
reprendre celte place, ce que ne dit pas Dudon. 
Flodoard y fait allusion eu une phrase brève. 

La mort de Guillaume Longue-Epée 

La mort de Guillaume Longue-Epée nous est ra¬ 
contée par Dudon après un nouvel éloge du duc qui 
n’est pas seulement d'un apologiste, mais d'un his¬ 
torien désireux d'expliquer les événements, car 
pour Dudon, la seule cause de l’assassinat du duc 
est la jalousie des grands et, en particulier, celle 
d’Arnoul. Le comte de Flandre, goutteux et désirant 
la paix, envoie une ambassade au duc de Norman¬ 
die, il lui demande un armistice et pendant cet 
armistice une entrevue. Guillaume consulte les 
grands, il accorde une suspension d'armes de trois 
mois et se rend au plaid projeté, après avoir convo- 

(1) Ed. Waitz, p. 46. 

(2) Ed. Dudon, p. 205, n. a. 

(3) Ed. Waitz, ibid et Flodoard, Annale», p. 72. 


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que les contingents normands et bretons. Arnoul 
est à Corbie prés d'Amiens, il envoie à Guillaume 
un message fixant le rendez-vous à Picquigny, 
dans une lie de la Somme. Guillaume s'y rend 
avec douze chevaliers seulement. L'entrevue est 
longue. Guillaume réconcilie Arnoul avec Hélouin, 
puis il s’embarque seul ; une autre barque emmène 
ses douze compagnons. Mais alors, de l'autre rive, 
Eric, Galzo, Robert et Rioul le rappellent et au 
moment où la barque du duc revient seule, ils se 
jettent sur lui et le tuent. 

Tel est le récit de Dudon, récit assez laconique, 
si on en relire les discours que le doyen prèle à 
Arnoul. Tout y est parfaitement vraisemblable. Il 
est en parfait accord avec ce que dit Flodoard qui, 
en trois lignes précises, déclare qu'Arnoul, par ja¬ 
lousie, fit tuer le duc des Normands. Il est également 
conforme à la donnée de la Complainte qui attribue 
également le meurtre à Arnoul, mais parait dire 
qu’il n’y eut que deux meurtriers. Flodoard semble 
même croire qu'il n’y en eut qu’un, puisqu'il racon¬ 
tera plus tard qu’IIélouin a fait mettre à mort le 
meurtrier de Guillaume et a envoyé sa main coupée 
aux Rouennais (t). 

Il est intéressant de comparer le récit de Dudon 
avec ceux des autres écrivains. On peut laisser de 
côté celui de Guillaume de Jumièges (2) répétition 
exacte de celui de Dudon. Mais un historien franc, 


(1) Annales, p. 89. 

(2) Ed. Marx. p. 43. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


337 


d’ailleurs peu exact, Raoul Glaber, racoute cet évé¬ 
nement d'une façon très différente : Thibaut le 
Tricheur s’est entendu avec Arnoul pour assassiner 
Guillaume, le duc de Rouen. Il l’a convoqué à une 
entrevue sur la Seine; après l'entrevue, c’est lui qui 
rappelle Guillaume. Celui-ci revient seul, défendant 
qu'on le suive et, dès qu'il met le pied sur la rive, 
Thibaut lui tranche la tète (1). Pourquoi a t on 
attribué ce meurtre à Thibaut? Sans doute, à cause 
de sa mauvaise réputation. Peut-être aura-t-on rap¬ 
proché du nom de Bauce, le meurtrier, le nom de 
Thibaut (2) ? 

Un écrivain anglo normand du XII» siècle, Guil¬ 
laume de Malmesbury, indique aussi les bords de la 
Seine comme le lieu de la rencontre. Le meurtrier, 
dans son récit, est Bauce le Court, qui venge Rioul 
et le (ils de celui ci, Anquelil, victime de Guillaume 
Longue-Épée (3) : « L'an 944, Guillaume, fils de 
Rollon, duc de Normandie, fut assassiné, par ruse, 
en France, ce qui, d’après les anciens, n’aurait pas 
été fait sans motif (4). Rioul, un des grands de la na¬ 
tion normande, étant venu à combattre Guillaume, 
je ne sais pour quelle cause (preuve que Guillaume 
de Malmesbury n’a pas lu Dudon), l’attaqua de plu¬ 
sieurs manières. Son fils Anquetil, pour plaire au 


(1) Ed. Prou, p. 87. 

(2) Laukr, Louis IV , p. 279, n. i. 

(3) De gestis regum anglorutn , éd. Stubbs, R. S., London, 
2 vol. in-S", I, 160. 

(4) Quod non immerito factum majores tradunt. 

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ÉTUDE CRITIQUE 


comte, osa braver la nature au point qu'il combattit 
sou père dans un combat singulier et le livra au 
pouvoir du comte, confiant dans le serment de 
celui-ci qu’il ne serait fait à Rioul d’autre mal que 
de 1’enchaiuer. Mais toujours la méchanceté est la 
cause du malheur. Peu de temps après, saisissant 
quelque occasion, le comte envoya Anquetil à Pavie, 
portant une lettre au duc d’Italie ordonnant sa mort. 
Anquetil, accomplissant son voyage, fut reçu magni¬ 
fiquement. Le duc, ouvrant les lettres de Guillaume, 
fut fort étonné qu’on lui ordonnât de tuer un che¬ 
valier aussi insigne, mais, comme on ne désobéit 
pas à un comte aussi puissant, il fit assaillir Anque¬ 
til, déjà sorti de la ville, par mille chevaliers ; celui- 
ci résista vigoureusement avec ses bons chevaliers 
normands ; mais il succomba enfin et n'eut point la 
mort d'un lâche. Seul de l’un et l’autre parti sub¬ 
sista le Normand Bauce (Balzo), Hauzon, homme de 
petite taille, mais d’un courage immense, que l’on 
appelait par ironie le Court. Seul il assiégea la cité, 
seul avec son glaive, il effraya les habitants : ce qui 
ne paraîtra pas extraordinaire à ceux qui savent ce 
que peut l’audace d’un homme fort et le peu que 
valent au combat les gens du pays. A son retour, il 
se plaignit au roi de France de la perfidie de son 
maître ; car la renommée rapportait que Rioul avait 
eu les yeux crevés. Pourquoi Guillaume fut appelé 
en jugement à Paris et décapité par Bauzon, sous le 
prétexte d'une entrevue au milieu de la Seine. » 
Evidemment, nous avons ici le souvenir d’une 
légende où entraient Rioul, Bauce, Anquetil. Rioul 


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SUR DUDON DE SAINT-Ql’ENTIN 


339 


avait eu les yeux crevés; Bauce vengeait Anquetil 
et Rioul. Cette légende devait avoir trouvé sa (orme 
dans une chanson , car Wace semble en avoir eu 
connaissance; il y fait allusion : 

A jugleurs oi en m'eflance chanter 
Que Willeame jadis tisl Osmunt essorber 
E al cunte Riuf les dous oilz crevez, 

E Anquetil le pruz flst par enging tuer, 

E Baute d'Espaigne o un escu garder; 

Ne sai nient de ceo, n’en puist rien truver, 

Quant jeo n’en ai garant, n’en voil nient cunter (1) 

A la chanson Wace a pris le rôle de Balces : c’est 
Bauces qui rappelle Guillaume. 

Sire duc, ceo dit Balces, rclurnez à nus ca! 

Laissiez passer voz humes, li batel revuendra. 

C’est lui qui frappe le duc. 

Balces leva l’espee que suz ses pels porta, 

Tel l'en duna el chief que tut l’escervela. 

Les autres conjurés ne jouent qu’un rôle secondaire. 

Li altres treis feriient, e li dus trébucha (2). 

Il est remarquable que Wace qui paraît rejeter la 
légende en ce qui concerne le châtiment des coin 
pagnons de Rioul lui emprunte cependant le rôle 
de Bauce dans l’assassinat. Ne serait ce pas qu’une 
complainte relative à Rioul circulait en Normandie 

(1) Roman de Rou, éd. ANDRESEN, I, p. 88, v. 1361 à 1367. 

(2) Ibid., I, p. 110, v. 1972. 


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3i0 


ETUDE CRITIQUE 


(sans être normande peut-être) et que les historiens 
normands, favorables aux ducs, n’avaient pas voulu 
l'adopter ? 

Plus prudeut que Wace, Dudon a bien donné les 
noms de quatre conjurés, mais n’a pas dit un mot 
qui pût permettre de deviner quel rôle ils jouaient, 
quelle vengeance ils exerçaient; c’est qu’il s’inspire 
des Annales franques; il faut toujours en revenir 
là. Avec Flodoard, il désigne Arnoul comme le seul 
fauteur de l'assassinat; et pourtant, il est remar¬ 
quable que Dudon lui même conserve la trace de la 
part que les conjurés normands ont eue à la mort 
de Guillaume. Le roi de France reproche à Arnoul 
l'assassinat de Guillaume. « Une fausse renommée, 
répondent les partisans du comte de Flandre, t'a rap¬ 
porté qu’Aruoul notre seigneur a contribué à la mort 
injuste du duc Guillaume, mais il veut se justifier 
devant toi et les tiens par l’épreuve du feu. Ce sont 
des nobles que Guillaume a accablés de maux qui 
ont résolu sa perte ,1) ». 

Il est donc évident que Dudon connaît déjà la 
version d’une participation des conjurés normands, 
et il la met dans la bouche du traître Arnoul comme 
une excuse. Il se peut d’ailleurs que la Flandre ait 
été le refuge des mécontents normands ; les deux 
versions ne sont pas inconciliables. 

Philippe Mousket, au XIII® siècle, fond dans sa 
chronique la légende de Rioul et le récit de Raoul 
Glaber ; le meurtre a lieu en présence du roi à 

(1) Ed. L.UR, p. 228. 


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SUR DUDON RE SAINT-QUENTIN 341 

Picquigny, en « Iislet de Sainne » (1). C’est Arnoul 
qui rappelle Guillaume et Bauce qui le tue (2). 

Au XIV 8 siècle, Jacques Meier, dans ses Commen¬ 
tant sire Annales rerum Flamlricarum (3) raconte 
l'entrevue de Picquigny. Bauce le Court devient 
Baudouin le Court, llalduinus curtus ; ses compa¬ 
gnons, sont Ridoul, Eric, Robert, Kioulf (4). Jacques 
Meier se fait, en outre, l'écho d’une tradition d’après 
laquelle ce serait Louis qui aurait fait périr Guil¬ 
laume. Il a aussi conservé l’épitaphe de llalduinus 
Balzo cognomine Brevis, mort en 975, où, chose 
curieuse, il est fait mention du siège de Pavie et de 
la mort de Guillaume Longue-Epée. 

Or Baudouin est un personnage historique ; c'est 
Baudouin Balzo, cousin germain d’Arnoul et cousin 
d’Arnoul II, qui fut tuteur de ce prince (965). Et 
Bauce est aussi le héros d’un roman, d'un poème 
encore inédit, « Anseïs, fils de Girbert » (5). 

L'origine de ce Baudouin nous est connue par 
les Annales Blandinienses. C’est le fils du comte 
Raoul de Gouy, qu’on appelle dans l'épopée Raoul 
de Cambrai, ce qui n'est pas tout à fait inexact, 

(1) Fusion géographique des deux légendes. 

(2) Ed. Reiffenberg, I, 83. On y retouve aussi une réminis¬ 
cence de la légende rapportée par Guillaume de Malmesbury. 
Et puis tout seus assist Pavic. 

(3) Anvers, 1561, in-folio, p. 17. 

(4) Ridulfus, Ericus, Robertus, Chiulfus. Ce ne sont pas 
tout à fait les mêmes noms que dans Dudon. 

(5) Raoul de Camlo'ai (Société des anciens textes), Paris, 
1882, in-8°, p. XX. 


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312 


ÉTUDE CRITIQUE 


puisque Gouy était situé dans le pagus Cameracensis, 
au milieu d'une région forestière, l’Arrouaise. Ce 
comte Raoul avait pris part, à côté d’Herbert de 
Vermandois, aux luttes contre les Normands(923) (1). 
Il mourut en 926. Dans le poème de Raoul de Cam¬ 
brai, à la mort du comte de Vermandois, Herbert 
dispute aux quatre fils de celui ci l'héritage. Ce 
Raoul est le héros du poème de Raoul de Cambrai 
et son fils Baudouin est aussi le héros d’un poème 
aujourd'hui perdu. Ainsi les poèmes relatifs à Raoul 
de Cambrai et à Baudouin Bauce, son fils, sont venus 
de bonne heure contaminer le récit historique. 

Mais un autre poème de la vengeance de Rioul 
se retrouve dans les sources normandes ; il apparaît 
nettement dans Guillaume de Malmesbury ; Wace, 
s’il n’a pas voulu s’en rapporter aux jongleurs, l’a 
connu et peut être très vraisemblablement avant 
lui, Dudon l'a connu aussi et lui a pris le nom des 
quatre meurtriers de Guillaume Longue-Epée. 

Maintenant, le duc a t-il été assassiné par quatre 
conjurés? La Complainte latine, qui est la source 
la plus sûre avec Flodoard, n’en indique que 
deux « duo punitores » dont elle ne donne pas les 
noms. 

Le seul point certain, c’est qu’Arnoul a été, 
sinon l’auteur direct, au moins l’inspirateur de 
cette mort. Des vengeances privées ont pu aussi y 
trouver satisfaction, mais c’est là un élément légen¬ 
daire et nous nous trouvons en présence de deux 

fl) Flodoard, Annales, pp. 15-16. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 343 

groupes de légendes que l’on peut voir reparaître 
l'un et l’autre dans l'histoire. 

Guillaume, raconte Dudon, lut enterré à Notre- 
Dame de Rouen, l’église cathédrale. On y montre 
encore son tombeau. Dudon, ainsi que Guillaume de 
Jumièges, dit qu’il est mort en l’an DCCCCXL1II, 
XVI kalendas januarii. 

Wace écrit : 

Noef cens e seisante ans, et sis acumplizerent 
Puis que Jhesu nasquit, si cum li clerc cunterent 
Quant li dus fut ocis e Normant l’enterrerent (î). 

Guillaume de Malmesbury dit 944 (2). La date de 943 
a été généralement acceptée par les historiens (3) 
qui ont cru la trouver dans Flodoard (4) ; ils n’ont 
pas remarqué que Flodoard avait placé cet événe¬ 
ment au début de l’année 943, et que la date du 
jour est donnée par Dudon: XVI kalendas januarii 
est le 17 décembre et par conséquent se place en 
942. D’après certains autres manuscrits de Dudon, 


(1) Ed. Andresen, v. 2010-2012, I, p. 112. 

(2) Gesla regum anglomm , I. 160-161. 

(3) Luchaire, Histoire de France de Lavisse, t. II, p. 53. 

(4) Si Orderic Vital, (II, p. 9), les Annales Uliccnscs , les 
Annales Cadomenses, (M. G. SS., XXVI, 498 et 499), disent 942, 
les Annales Hotomagenses (M. G. SS., XXVI, 498), disent 943, 
16 kal. jan., les Annales Gemeticenses (Ibid., 499), 943 ; les 
Annales du Mont-Saint-Michel (Labhk, Bib. nov., I, 348), les 
Annales Lindisfarnenses (M. G. SS., XIX, 507), les Annales 
Fiscannenses (M. G. SS, XVI, 482), les Annales Sancti Quintini 
Viromandensis (Ibid., XVI, 508) disent 943. 


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ETUDE CRITIQUE 


344 

il faudrait lire 13 kalendas, ce qui ferait le 20 dé¬ 
cembre. Mais l’anniversaire de la mort de Guillaume 
était célébré à Fécamp le 17 décembre. D’autre 
part, les manuscrits de Rouen, Londres et Cam¬ 
bridge donnent XVI Ical, donc le 16 décembre (1). 
Ainsi Guillaume Longue Epée est mort le 17 ou le 
20 décembre 942 (2). 




(1) Ainsi qu’un Obituaire de Jumièges, H. F., XXIII, 422. 

(2) C'est, sans cloute comme le remarque M. Lauer, op. 
cit., p. 88, n. I, par suite d’un lapsus que M. Lair, dans son 
Etude sur la vie et la mort de Guillaume Longue-Epée, p. 43, 
donne la date du 16 janvier 943. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


345 


LE QUATRIÈME LIVRE 


RICHARD l £ " 


On a été quelquefois tenté d’accorder plus de 
crédit à la partie du De moribus relative au duc 
Richard qu'au reste de l’ouvrage. Il semble, à pre¬ 
mière vue, que Dudon, plus proche ici des événe¬ 
ments, mérite plus de confiance. Mais qu’on y 
regarde de près, on s’apercevra qu’il faut examiner 
ses récits avec une critique toujours défiante. Con 
temporain, Dudon ne l’est pas encore. Il entre en 
relations avec Richard I« r vers 994, c’est à-dire à 
la fin du règne, plus d'un demi-siècle après l’avè¬ 
nement du duc ; les survivants des temps si troublés 
qui suivirent cet avènement étaient des vieillards 
quand Richard I er connut Dudon. Au fond, un 
examen attentif de ce livre nous mènera encore à 
des constatations identiques à celles déjà faites sur 
les livres précédents: Dudon a écrit d’après Flo- 
doard, et quand Flodoard lui fera défaut après 
l'année 966, il n’y aura plus rien que de vague 
dans les récits du chanoine. Chose remarquable et 


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ETUDE CRITIQUE 


qui a pourtant échappé à l'attention de la critique: 
si Dudon représentait véritablement une tradition 
orale, s’il était, comme on l’a répété d’après lui, un 
écho précieux de Raoul d’ivri, il nous eût abon¬ 
damment renseignés sur les dernières années du 
règne, il nous en eût parlé plus longuement que 
des premières plus lointaines et pour lesquelles 
cette tradition s'eflaçait. Or, c’est tout le contraire 
qui se produit: il est extrêmement prolixe sur les 
vingt-trois premières années du règne (§§ 66 à 125), 
pour les années 942 à 965 où Flodoard lui sert de 
guide, mais il est très bref sur les trente dernières 
années du règne, seulement cinq paragraphes, (§§ 125 
à 129), et combien vides I 

Au reste, analysons son oeuvre, et rapprochons-la 
constamment du texte des Annales: nous étudie¬ 
rons successivement les premières années du règne, 
l’invasion allemande de 946, la lutte contre Thibaut 
de Chartres, les dernières années du règne et les 
rapports avec l'Eglise. 

Les premières années du règne, la minorité, 
la réaction païenne 

Dudon, après une invocation aux neuf Muses, 
pour les prier de l’aider à célébrer la gloire du 
fameux duc et marquis Richard, après quelques 
préfaces en vers adressées à l’archevêque de Rouen, 
Robert, et une nouvelle préface en prose, après 
toutes ces préparations qui ne nous apprennent rien, 
nous redit ce qu’il a dit au livre précédent de l’ori- 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


347 


ginede Richard, de sa naissance à Fécamp, de son 
baptême par les soins de l’évêque Henri de Bayeux 
et de Botlion, chef de la maison ducale. Le chanoine 
de Saint Quentin a pu ici recueillir quelques traits 
d’une tradition fécampoise. Il nous rappelle com¬ 
ment le jeune prince a été amené à Quevilly, villa 
ducale où son père lui a fait prêter serment par les 
grands, comment il l’a fait élever à Bayeux plutôt 
qu’à Rouen où on oubliait la langue norraine ( 1 ). Le 
fait est vraisemblable et montre qu'à Rouen, ville 
marchande, plus proche de l’Ile de France, les Nor¬ 
mands se sont francisés assez vite. A Bayeux, l’usage 
de la langue norraine aura pu se maintenir au mi¬ 
lieu de l’armée dont nous allons voir bientôt appa¬ 
raître le chef Hagrold. Guillaume a fait élever 
Richard I» r au milieu de ses soldats pour s’assurer 
de leur fidélité, rien de plus naturel. 11 se pourrait 
aussi qu’à cause de ses démêlés avec le comte 
Arnoul, il n’ait point trouvé son fils en sûreté sur 
la frontière de l’est, dans ce pays de Caux, où il 
pouvait être enlevé par un raid de la cavalerie fla¬ 
mande. Dudon nous montre le duc passant les fêtes 
de Pâques et de la Pentecôte à Bayeux et y faisant 
reconnaître son fils par les grands, Bretons et Nor¬ 
mands ; en ce qui concerne les Bretons, nous avons 
déjà montré que c'était une imposture; mais que 
Guillaume ait pris la précautionde faire reconnaître 


(f) Il est confirmé par Adémar de Chabannes, éd. Cha- 
vanon, p. 148: Genlilem linguam obmittens, lalino sermonc 
an me facta est. 


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m 


ETUDE CRITIQUE 


son fils comme son successeur éventuel par les 
chefs normands des pays de l'Ouest, du Bessin, du 
Cotentin, de l'Avranchin, plus récemment réunis à 
l’état normand, cela n'a rien que de vraisemblable. 

Après avoir fait l’éloge de toutes les vertus de ce 
prince (qui avait de huit à dix ans à la mort de son 
père), il nous dit comment il fut accepté comme duc 
par les chefs normands lors delà mort de Guillaume, 
et il ne manque pas de faire prendre rang parmi 
eux à Alain et à Bérenger de Bretagne. Cependant, 
le roi Louis IV, apprenant la mort de Guillaume, 
accourt à Rouen. Les Rouennais l’accueillent bien, 
parce qu’ils pensent qu’il va venger la mort de leur 
duc. Le roi se fait amener le jeune prince et le 
garde auprès de lui. Alors les gens de la ville et des 
faubourgs s’assemblent et se rendent à la demeure 
des grands. La ville est bientôt en armes. Le roi 
demande la raison de cette agitation et, sur les 
conseils de Bernard, chef de l’armée, il se présente 
au peuple, portant le jeune duc Richard dans ses 
bras, puis il tient conseil avec les grands et, sur leur 
avis, il donue à Richard la terre qu’il devait possé¬ 
der à titre héréditaire. Il réclame ensuite la per¬ 
sonne du jeune duc pour l'instruire à sa cour. Les 
grands y consentent et le roi l'emmène à Evreux, 
puis revient à Rouen ; il promet aux chefs normands 
de marcher sur Arras pour punir Arnoul. Celui ci, 
cependant, a envoyé des émissaires au roi, il se dis¬ 
culpe de la mort de Guillaume et l’engage à se 
méfier des Normands. Le roi Louis se décide à gar¬ 
der Richard ; mais le précepteur du jeune prince, 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


3i9 


Osmond, essaie de l'emmener pendant que le roi 
est à la chasse ; il ne réussit qu’à provoquer la 
colère du roi. Osmond fait demander aux Normands 
et aux Bretons des prières pour leur duc, et, un 
beau jour, l'emmène à Coucy en le faisant passer 
pour mort, puis l'y laissant en sûreté, il va trouver 
Bernard de Senlis; celui ci prévient à son tour 
Hugues le Grand qui promet son appui. 

Louis se rapproche d’Arnoul ; sur les conseils de 
celui-ci, le roi appelle le duc Hugues à sa cour et il 
lui offre de partager la Normandie : le roi aura le 
pays jusqu’à la Seine, Hugues, le pays au delà. Pour 
réaliser ce dessein, ils entreront aussitôt en cam¬ 
pagne ; le roi marchera sur Rouen, Hugues sur 
Bayeux. Mais Bernard de Senlis avertit les Nor¬ 
mands. Le roi ravage le pays de Caux, les Normands 
lui ouvrent les portes de Rouen et lui remontrent 
qu’il a eu bien tort d’augmenter les forces de son 
rival, Hugues, en lui donnant le Cotentin et le Bes- 
sin, c’est-à-dire 20.000 bons soldats. Le roi se laisse 
persuader et ordonne à Hugues d’arrêter sa marche. 
Louis est un instant maître de la Normandie que les 
guerriers francs ravagent. Les Normands appellent 
alors au secours de leur duc, le roi de Danemark, 
Hagrold, qui débarque aux Salines de Corbon où 
le rejoignent les Cotenlinois et les Bajocasses. Les 
Normands, rusés, engagent Louis à les défendre, il 
arrive à Rouen avec Hélouin, puis de là va à la 
rencontre d’Hagrold sur les bords de la Dive. Les 
Cotentinois et les Bajocasses passent la Dive ; au 
cours d’une entrevue avec les Normands où le roi 


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350 


ÉTUDE CRITIQUE 


se montre avec le comte Hélouin, une bataille s’en¬ 
gage; Louis IV est obligé de s’enfuir, mais est fait 
prisonnier par Hagrold ; les Normands anéantissent 
l’armée franque. 

Le roi gagne Rouen, mais c'est pour tomber entre 
les mains de Bernard le Danois. La reine Gerberge 
apprenant la captivité de Louis, appelle à son secours 
le roi Henri et son frère Otton. Ceux ci refusent leur 
concours et Hagrold reste maître de Rouen. La 
reine Gerberge réussit à provoquer une entrevue 
à Saint Clair-sur-Epte entre le duc Hugues, le roi 
et les Normands. La Normandie est rendue solen¬ 
nellement à Richard qui ne devra aucun service, 
les Normands et les Bretons reconnaissent Richard 
comme duc. 

Voyons maintenant ce que nous pouvons tirer de 
Flodoard pour comparer ses laconiques données 
avec le récit de Dudon: Louis donne, dans un pre¬ 
mier voyage à Rouen, la terre de Normandie à 
Richard. Le prince est trop jeune pour faire hom¬ 
mage, ce sont les chefs normands qui le prêtent (1), 
les uns à Richard, les autres au duc Hugues, ce 
qui nous montre que Hugues a disputé la Normandie 
à son roi. On a vu là une habileté des Normands 
qui ont ainsi empêché la Normandie d’être absorbée 
par le roi ou le duc en les opposant l’un à l'autre. 
Nous avons dit qu’Hugues pouvait réclamer des 
droits sur le pays au delà de la Seine, la Transsé- 
quanie sur laquelle avaient régné ses ancêtres. 

(1) Voir le livre H, pp. 221, 235-23B. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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Louis est ensuite occupé par la succession d’Her¬ 
bert de Vermandoisetla lutte contre l’archevêque de 
Reims. Pendant qu'il est retenu au siège de Mouzon, 
la guerre s'engage entre Hugues et les Normands : 
Hugo dux Francorum crebras agit cum Nordmannis, gui 
pagani advenerant, vel ad paganismum reverlebanlur, 
congressiones ; a guibus peditum ipsius christianorum 
multitudo interimitur (I). 

Tous ces mots demandent à être pesés. Hugues, 
appelé peut-être par certains chefs normands, a 
occupé une partie de la Normandie, mais il est 
entré en lutte avec de nouveaux venus, Nordmanni 
gui pagani advenerant, ou avec les Normands revenus 
au paganisme et il perd une multitude de fantassins 
dans ce combat. Nous avons déjà noté l’arrivée de 
nouveaux vikings à cette époque. Dudon ne nous 
en parlera que plus tard ; ce sont pour lui les Nor¬ 
mands d’Harold, roi de Danemark, mais Guillaume 
de Jumièges, qui ne copie pas toujours Dudon, et 
qui semble quelquefois utiliser une autre source, 
place cet événement plus tôt (2). On peut dire que 
l’émigration normande continue ; elle s’accompagne 
en outre, par le fait des nouveaux venus, d’un retour 
au paganisme. Nous avons noté la conversion peu 
sincère de Rollon ; Guillaume, chrétien, est mal vu 
des païens : de là est peut être sortie la révolte de 
Rioul ; on reprochait à Guillaume d'êlre un francisé. 


(1) Annales , p. 88. 

(2) Au livre III relatif à Guillaume Longue-Epée au temps de 
l'affaire de Montreuil. Ed. Marx, p. 41. 


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ETl'DE (.HITIUI E 


Le duc mort, la réaction païenne éclate ; il semble 
que les Normands païens aient été un instant maîtres 
de tout le pays à l'ouest de la Seine; peut-être y 
eut il une révolte du corps d'armée de Bayeux après 
le départ de Louis? Car Hugues semble avoir subi 
quelque échec à la tête des Normands chrétiens (1) ; 
il réussit cependant, grâce à ces Normands chré¬ 
tiens, à s’emparer d’Evreux (2). La réaction païenne 
ne s’est pas étendue seulement sur la rive gauche 
de la Seine, elle a atteint Rouen; son chef ici est un 
Normand dont Flodoard nous donne le nom, Tur- 
moud, qui a forcé le jeune duc lui-même à revenir 
au paganisme. Louis doit se rendre à Rouen pour 
arrêter ce mouvement (3). Ce Turmoud a préparé 
aussi des embûches contre le roi, il a tenté de lui 
enlever le duché, il avait pour appui le chef vikiug 
Selric (4), un roi païen, un chef viking. 


(1) « A quibus pedilum ipsius christianorum muUiludo intc- 
rimitur ». 

(2) « At ipsc, nonnullit quoque Normannorum interfcctis 
cclcrisquc aclis in fugam, caslrum Ebroicas , faventibus sibi 
qui touchant illud Nordmannorum christianis, oblinet ». 

(3) • Ludowicus Hodnmum répétons Turmodum Nordmannum 
qui, ad idolalriam gcntilemque ritum recersus, ad hæc ctiam 
/ilium Willelmi aliosque cogebat rcgi que insidiabatur ». 

(4) a Simul cum Sctricn, rcgc pagano, congressus, cum eis 
intcremit ». J'ai essayé d’identifier ce Setrie, je n'ai pu y par¬ 
venir, il ne peut s'agir de Sigtrygg Cam, qui attAque Dublin 
en 901 (Colmnowood, op. cit., p. 139), puisque suivant 
Richer, Setrie est tué en 943, ni de Sigtrygg O lvar, roi des 
Gaill Iilancs et Noirs d'Irlande puisqu'il mourut en 927. 
(Ulstcr Annales, cf. Collingwood, p. 131), ni même sans 
doute de Sigtryggr Snarfare dont le Landnama-boc fait un 


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SUR MJD0N DE SAINT-QUENTIN 


353 


C’est ce combat entre Setric et Turmoud que 
Richer nous raconte beaucoup plus longuement (1). 
Notons quelques divergences avec le récit de Flo- 
doard. Turmoud est représenté comme un général 
de Setric, dux. Flodoard le représente comme un 
Normand de Normandie, un renégat retourné au 
paganisme. M. Lauer croit au caractère légendaire 
du récit de Richer. A l’appui de cette thèse, il invo 
que certains détails : le nombre des combattants, 
l'incident du buisson derrière lequel se cachent les 
Normands, les grands coups échangés (Louis enlève 
d’un coup d'épée la tête et l’épaule d'un chef nor¬ 
mand, il est lui-même blessé). Il pense que le récit 
de Richer doit être rapproché d'un fragment de 
poème retrouvé en Belgique dans une reliure, poème 
que l’on a intitulé Isambart et llormond , et qui aurait 
pour sujet la lutte d'un roi Louis contre les Nor 
mands, la fameuse victoire de Saucourt, en Vimeu. 
Or, selon M. Lauer, le héros de ce fragment ne serait 
pas Louis III, mais bien Louis IV d’Outremer. 

M. Lot n’admet pas cette hypothèse ; il croit que 
Richer, ici, comme il lui arrive souvent, ne fait que 
développer, amplifier Flodoard, en tirant des déve¬ 
loppements de son cru, de son imagination (2). 

contemporain de Harald Harfagr', 863-933 (Origines Islandicæ, 

I, pp. 36 et 203. 

(1) Ed. Waitz, p. 57. Voir Lauer, Louis IV d'Outremer, app. 

II, p. 272 et Louis IV d’Outremer et le fragment d’Isembard 
et Gormond, dans la Romania, 1897 (XXVII), p. 168. 

(2) Gormond et Isembard, Recherches sur les fondements 
historiques de cette épopée, dans la Romania, XXVII, pp. 3-4. 

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354 


ÉTUDE CRITIQUE 


Peut être Riclier a-t-il connu une chanson de geste 
analogue à celle de Bruxelles et s'en est-il servi en y 
remplaçant les noms d’Isembart et de Gormond par 
ceux de Setric et de Turmoud qu’il trouvait dans 
Flodoard ? 

Après ce combat, Louis remet Rouen à Hélouin 
de Montreuil : Erluino liodomum committil : choix 
habile, étant donnée l’inimitié d'Hélouin et d’Arnoul 
de Flandre, et il retourne à Compiègne ( 1). 

A Compiègne, le roi se réconcilia avec les fils 
d'Herbert par l'intermédiaire de Hugues et il fit 
sans doute avec celui-ci un accord relatif à la 
Normandie, car c’est alors que le duc lui laissa 
Evreux (2). Le roi tomba ensuite malade chez son 
allié, à Paris. 

Dudon rapporte la réconciliation d’Arnoul et de 
Louis ; mais ce qu’il ne dit pas, c'est la lutte entre 
Arnoul et Hélouin que nous avons déjà rapportée, 
que Flodoard (3) et Riclier (4) racontent en termes 
identiques, lutte dans laquelle le meurtrier de 
Guillaume Longue-Epée trouva la mort. Le rap¬ 
prochement entre Louis et Arnoul a été l'œuvre 
de Hugues (3). Cette réconciliation eut lieu eu 
943 ; elle fut complétée l’année suivante par celle 

(t) Flodoard, Annales, p. 88. 

(2) « Item rex Litdawicus Rodomum profeclus Ebroicas ah 
Hugone duce recepit ». 

(3) Annales, p. 89. 

(4) Ed. Waitz, p. 59. 

(5) « Idemvero Hugo Arnulfum ctim regc pacificavil cui rex 
infensus cral ob necem Willelmi ». 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


355 


d’Hélouin et d’Arnoul (1). En somme, la trame du 
récit de Dudon est dans Flodoard. 

Venons maintenant au récit de la captivité et de 
la fuite de Richard. Que Louis d’Outremer ait em¬ 
mené le jeune duc Richard à sa cour, cela est très 
vraisemblable ; il ne faisait qu'exercer comme suze¬ 
rain son droit de garde, ce qui prouve bien que la 
Normandie était un fief de la couronne (2). Quant 
à l’évasion du jeune duc, il y a lieu de remarquer 
que Guillaume de Juinièges, tout eu suivant une 
version très proche de celle de Dudon, donne des 
détails qui ne sont pas pris dans cet auteur. Lors 
de la querelle avec Osmond, le roi appelle le jeune 
duc revenant de la chasse, « merelricis filium »\ il le 
menace, s’il ne renonce à ces passe-temps, de lui 
faire briser les jarrets; il ordonne de le garder avec 
de grandes précautions. Osmond s’entend avec Ives 
de Bellème; il cache Richard dans une botte de 
foin (3). Le personnage d'Osmond n’existe que dans 
les sources normandes, il présente un certain in¬ 
térêt. Alors que l'on n’a aucune preuve de l’exis¬ 
tence d’autres chefs normands nommés par Dudon : 
Anslec, Bernardet Bothon, Osmond figure dans une 
charte du duc Richard pour les moines de l’abbaye 
de Saint-Denis (4). Ives, nommé par Guillaume de 

(1) • Ludowicus rex , pace facta inter Erluinum et Arnul- 
fum castrum Ambianensium eidem Herluino dédit ». 

(2) Voir au livre II notre discussion intitulée : La Nor¬ 
mandie est-elle un grand fief de la couronne ? 

(3) Ed. Marx, p. 49. 

(4) H. F., IX, 731. 


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356 ÉTUDE CRITIQUE 

Jumièges comme ayant aidé Osmond, est vraisem¬ 
blablement la tige de la maison de Belléme ; il 
aurait reçu cette importante principauté en récom¬ 
pense de ses services. Orderic Vital l'appelle arba¬ 
létrier du roi, regis balistarium (1). Ceci donne de la 
vraisemblance au récit de Dudon et de Guillaume 
de Jumièges, encore que quelques détails en puissent 
paraître légendaires; ils peuvent être sortis d'une 
chanson de geste où Guillaume de Jumièges aurait 
puisé plus de détails. Il se peut d’ailleurs aussi bien 
qu'ils soient sortis de l'imagination des deux auteurs. 
Ajoutons toutefois que Flodoard apporte une confir¬ 
mation indirecte du fait, puisqu’à la date de 94a, 
il nous dit que Bernard de Sentis enleva la chasse 
royale, chasseurs, chiens, chevaux (2). Ne serait-ce 
pas au cours de ce coup de main préparé peut-être 
avec certaines complicités, que Bernard de Senlis se 
serait emparé de la personne du jeune duc? 

On peut en somme se représenter ainsi les choses : 
Louis a enlevé Richard pour exercer le droit de 
garde, en attendant sa majorité, il administre le 
duché directement, car il est fréquemment à Rouen: 
en 943 au début de l'année, il y revient pour châ 
tier la révolte de Turmoud. En 944 il se récon¬ 
cilie avec Arnoul et les deux princes envahissent la 
Normandie. Les Normands sont vaincus à Arques. 
Hugues, pendant ce temps, assiège Bayeux (3) ; c'est 

(1) Orderic Vital, S. II. F., Ut, p. 89. 

(2) Annales , p. 96. 

(3) Id., p. 95. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 357 

le partage dont Dudon parle si longuement. Mais le 
roi et le duc se fâchent; le roi ordonne au duc d’a¬ 
bandonner le siège de cette place, il entre lui-même 
à Bayeux. Un conflit éclate au sujet de cette ville et 
de celle d’Evreux (1). En 945, Louis est à Rouen au 
moment de la naissance de son fils ; il est si bien le 
maître du duché qu’il emmène un contingeut de 
Normands en Vermandois (2). Cependant Hugues, 
qui avait d’abord reçu en 943 le serment de fidé¬ 
lité d’une partie des chefs normands, qui en 944 
avait fait la paix avec eux, qui avait cru pouvoir, 
cette même année, soumettre une partie du pays, 
est en 94a en lutte avec les Normands : ceux-ci enva¬ 
hissent son territoire, mais il les arrête par une im¬ 
portante victoire (3). Tandis que le vrai maître de la 
Normandie, Louis, en est chassé par Hagrold qui com¬ 
mande à Bayeux et l’attire en un guet-apens à Dive. 
Flodoard montre bien que c’est par l'intermédiaire 
de Hugues que la paix fut conclue ; le roi renonça 
à toute autorité sur la Normandie; il dut en outre 
remettre en otage l’un de ses fils. Les Normands en 
réclamaient deux, Gerberge n’en envoya qu’un qui 
fut accompagné par l’évêque Guy de Soissons (4). 

En somme, Flodoard est encore là la source prin¬ 
cipale que Dudon a développée d'une façon intelli¬ 
gente, en essayant d’expliquer les événements et en 


(1) Annales, p. 95. 

(2) Ibid., p. 96. 

(3) « Non modica c«de », Ibid-, p. 97. 

(4) Ibid., p. 99. 


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358 


ETUDE CRITIQUE 


mettant en relief l’attachement des Normands à leur 
dynastie (ce qui ne pouvait manquer de flatter les 
ducs et Richard 1°' lui même) ; en plaçant aussi en 
lumière l’habileté des Normands qui auraient su 
opposer Hugues à Louis pour sauvegarder leur indé¬ 
pendance, ce qui au reste est vraisemblable. 

Mais il y a deux points où Dudon et Flodoard 
diffèrent. Dudon ne dit rien de la réaction païenne 
et Scandinave que Flodoard a bien marquée et qui 
correspond peut-être à l’arrivée d’un nouveau groupe 
de vikings,commandé parTurmoud etSetric. Richer, 
au contraire, semble avoir développé ce point, peut 
être en s'inspirant de chansons de geste relatives à la 
bataille de Saucourt. Mais on comprend très bien que 
ces deux auteurs ayant tous deux pris pour base le 
récit de Flodoard, l’un ait insisté sur celle réaction 
païenne, l'autre l'ait supprimée. Pour Richer, les 
Normands sont des pirates ; piratarum dus, dit il de 
leur duc ; il insiste tout naturellement sur ces com¬ 
bats au reste glorieux pour la dynastie carolingienne. 
Pour Dudon, au contraire, il y avait intérêt à sup¬ 
primer cette réaction païenne qui a pu gagner 
jusqu'au duc Richard 1 er . Le duc, très chrétien, 
très francisé, le réformateur de Fécamp et son fils, 
le pieux Richard II, auraient été très peu flattés du 
rappel de ces incidents. Quand on nous dit qu’on ne 
voit pas que l’histoire de Dudon ait été défigurée 
par des soucis d'apologie (1), c'est qu'on n'entre pas 
dans le détail. 

(i) Walberg, op. cil. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-tiUENTIN 359 

Hagrold. — Dudon diffère encore de Flodoard sur 
un point important ; il s'agit de l’intervention de 
l’armée bajocasse. Pour Flodoard, Harold est sim¬ 
plement un chef qui commande à Bayeux, « llagrol- 
dus gui Bajocis praerat » ; pour Dudon, c’est un roi 
de Danemark. Il a fait volontaireineut et volontiers 
cette confusion qui avait un double avantage : 
1° Renforcer ce qu’il avait dit de l’origine quasi 
royale et danoise de Rollou en montrant un roi de 
Danemark venant au secours de son successeur ; 
2° Être agréable au duc contemporain Richard II, 
qui venait de conclure une alliance avec le Dane¬ 
mark. 

Pour M. Steenstrup (t), et d'ailleurs pour d’autres 
historiens (2), Hagrold, qui entra en lutte avec 
I.ouis d’Outremer, est le roi de Danemark, Harald 
Blaatand. 

Examinons les sources : Dudon de Saint Quentin 
raconte que les grands de Normandie envoient une 
ambassade à Hagrold, roi de Dacie; celui-ci, par 


(1) Etudes préliminaires, B. S. A., X, p. 293. 

(2) Licquet, Histoire de Normandie, I, 130 ; Toutefois 
Freeman, Hislory <>/ thc Norman Conques t, I, p. 210, n. 1, 
émet des doutes. Il est à remarquer qu'Ai-LEN, Histoire du 
Danemark , I, p. 03, emploie une forme dubitative: « Les 
Normands de Neustrie étant pressés par le roi de France, qui 
s’était môme emparé par ruse de leur duc, Harald, avec une 

grande flotte, doit avoir porté secours à ses compatriotes. 

Plus certaines sont ses relations avec la Norvège ». M. Col- 
lingwood, op. cil., p. 140, dit que même si la flotte d'Harald 
est allée en Normandie en 945, il n'y a aucun témoignage 
qu elle ait touché la côte anglaise. 


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360 


ETUDE CRITIQUE 


amour pour son parent Richard, reçoit honorable¬ 
ment les envoyés ; il fait construire une flotte et 
vient débarquer aux Salines de Corbon, à l’embou¬ 
chure de la Dive. 

Guillaume de Jumièges qui, comme tous les 
auteurs normands, a copié Dudon en essayant de 
l’expliquer, raconte que Hérold, roi des Danois, a 
été expulsé de son royaume par son fils Suénon 
(Svend), il s’est rendu en Normandie en suppliant 
avec 60 navires. Le duc Guillaume Longue-Epée l’a 
fort bien reçu, lui a donné le comté de Cotentin 
pour s’y ravitailler jusqu’à ce qu’il rentrât dans son 
royaume (1). Lorsque Bernard le Danois, quelques 
années plus tard, craint que Louis d'Outremer et le 
duc Hugues n’oppriment les Normands, il envoie 
des émissaires à Hérold, qui se trouvait alors à 
Cherbourg ; à cet appel, les gens de Bayeux et du 
Cotentin devront venir par terre, Hérold, avec sa 
flotte, les suivra par mer. Il arrive eu effet à l’es¬ 
tuaire de la Dive (2) où a lieu le combat contre Louis. 
Mais, dans les sources franques contemporaines, 
nous ne trouvons aucun de ces détails, il est seule¬ 
ment question d’un Ilagrold qui commandait à 
Bayeux (3). 

Chose très remarquable, Saxo Grammaticus, qui 
raconte l’histoire d’Harald Blaatand, qui connaît les 
ducs Richard 1" et Richard II, qui raconte les 


(1) Lib. III, c. 9. Ed. Marx, p. *1. 

(2) Ibid., liv. IV, c. 7, p. 53. 

(3) Flodoard, Annales, 98, et Richer, éd. Waitz, p. 63. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


361 


démêlés de Harald avec Svend, ignore absolument 
sa fuite en France (1) ; il parle bien des expéditions 
d'Harald vers l’est (2), mais non vers l’ouest, vers la 
Gaule. 

Il est donc très probable qu’Hagrold n'est pas 
Harald Blaatand; le silence de Saxo serait vraiment 
ici trop surprenant. Si Dudon avait été bien ren¬ 
seigné, il aurait parlé, lui le premier, des démêlés 
avec Svend, iln’en souffle mot; il ne dit pas Harald, 
mais Hagrold, qu’il a pris comme toujours à Flo- 
doard. C'est Guillaume de Jumièges qui, comme de 
coutume, expliquant le texte de Dudon, a rapproché 
cet événement de la légende d’Harald Blaatand. 
Mais Svend, ou n’était pas né, ou n’était encore 
qu’un enfant en 942 ; il n’avait pu expulser son père 
à cette date (3). 


(1) Ed. Hôlder, pp. 331-332. 

(2) Ed. Hôlder, pp. 3*22-323. « C’est un procédé tout à fait 
arbitraire, comme le fait remarquer Beauvois : Revue histo¬ 
rique , t. IV, p. 427, que de substituer le terme d'Occident à 
celui d’Orient ». On a fait grand état en Danemark, pendant 
les polémiques de 1911,d'une inscription runique relative à 
Harald, mais je ne vois pas qu'il y soit question de son expé¬ 
dition en France. Voir le texte et la traduction : du Chaillu, 
The Viking âge , t. I, p. 184. 

(3) Munch, t. I, 21» partie, p. 213. Un célèbre savant danois, 
Suhm, répondant à des questions que lui avait posées un érudit 
cherbourgeois, M. de Chantereyne, écrivait, en 1766, que 
Svend n'avait pu chasser Harald en 942, pour cette simple 
raison « qu’il n’était pas encore né. Svend était petit, parvulus, 
en 965. Comment pouvait-il chasser son père avant 943? II 
mourut en 1014 !.... La vérité est que Harald ne fut chassé par 
son fils qu’en 980 ! » Dans Depping : Histoire des expéditions 


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362 ETUDE CRITIQUE 

M. Beauvois, relevanl l'épithète de Nordmannus, 
qui est accolée au nom du chef qui commande à 
Bayeux selon Flodoard, épithète qui, pour lui, veut 
dire Norvégien, voit dans Hagrold « Harald Gràfeld, 
prince norvégien, fils d’Erik Blodœxe, dont la sœur 
Aaluf avait épousé Thori, frère de Ganger Rolf et ser¬ 
vait de trait d’union entre la famille royale de Nor¬ 
vège et celle de Rollon. La Saga d’Hakou le Bon 
recueillie par Snorré Sturleson et la Saga d’Egil 
Skallagrimsson nous apprennent précisément que 
les fils d'Erik Blodœxe, après la mort de leur père, 
avaient quitté le Northumberland, s'étaient emparés 
des Orcades et des Shetland, et avaient passé l'été 
en course à l’ouest, nestrmking, ce qui peut s'entendre 
de courses en Gaule (1)». Remarquons que cet Harald 
Gràfeld serait un cousin de Rollon et de ses descen¬ 
dants. Or, précisément, c'est à ce titre que Dudon 
veut qu’il soit intervenu en faveur de Richard. 
Guillaume de Jumièges l'interprétant aura fait faci¬ 
lement une confusion avec Harald Blaatand, dont la 
légende sera venue contaminer l'histoire (2). 

Quant à Flodoard et à Richer ils n’avaient vu 
en lui que le chef qui commande à Bayeux. Harald 
Gràfeld s'était-il établi dans ce pays oii l'autorité 
des comtes de Rouen était précaire ? Son parent 
Rollon le lui avait-il cédé à titre de vassal en 924 ? 


maritimes des Xormands , 2 e édition, p. 432, on trouvera toutes 
les consultations de Schlegel, Sun» et Mallet sur ce petit 
point d’histoire. 

(1) Beauvois, ltevue historique, t. IV, p. 428. 

(1) Lauer, op. cit., p. 289. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


363 


On peut faire toutes ces hypothèses ou même ne 
voir simplement dans Hagrold qu’un chef normand 
établi à Bayeux, commandant dans l’ouest, dans ce 
pays à demi indépendant des comtes de Rouen. 

Grâfeld est le chef d’une armée réunie à Bayeux 
pour contenir les Bretons ; il était nécessaire de 
maintenir la conquête dans le pays où les Nor 
mands avaient en 931 subi un rude échec, pays 
qui n’avait été cédé qu'en 933. C’est cette armée qui 
est venue de Bayeux sur les bords de la Dive où elle 
a remporté la victoire des Salins de Corbon à cinq 
lieues de la mer (1) ; elle n’était donc point venue 
par mer. 

Raoul La Tourte. — Louis a si bien exercé le 
droit de garde sur la personne du jeune duc qu’il a 
en même temps confié l'administration du fief nor¬ 
mand à un bailli, Raoul La Tourte, Rodulfus nominc 
Torta. Voilà encore une des énigmes de Dudou, ou 


(1) M. R. N. Sauvage dans son excellente thèse, L'Abbaye 
de Saint-Martin de Troarn au diocèse de Bayeux des origines 
au XVI• siècle, publiée dans les Mémoires de la Société des 
Antiquaires de Normandie, t. XXXIV, Caen, 1911, in-4°, p. 249, 
a supérieurement traité la question de l’emplacement de la 
bataille, et démontré contre M. 4. Lai R, contre l'abbé de 
la Rue, Nouveaux essais historiques, t. U, pp. 22-23, et surtout 
contre M. F. Dunot de Saint-Maclou, Recherches sur le lieu 
où s'est livré le combat de la Dite en 945 (Mém. Soc. Antiq. 
Norm., t. XXVI, 1869, p. 718 et suivantes) que la bataille de 
la Dive avait eu lieu à Corbon, canton de Cambreiner, tout 
proche du confluent de la Vie et de la Dive, et non à Varaville 
comme le voulaient ces auteurs. Nous ne pouvons que ren¬ 
voyer à sa péremptoire démonstration. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


plus exactement de l’histoire des ducs de Norman¬ 
die, car il n’est pas le seul à l'avoir posée ; l’histoire 
de Rodulfus Torta se trouve aussi dans Guillaume 
de Jumièges, elle s’y trouve même plus détaillée et 
présentée d’une façon un peu différente, du moins 
à une autre place du développement de l’histoire 
de Richard I er . Dudou ne nous parle de Raoul 
La Tourte qu’au moment où Richard 1" le contraint 
à quitter la Normandie, mais il dit très clairement 
lui-même qu'il joue un rôle depuis la mort de Guil¬ 
laume : Eo namque temporc erat quidam Rodulfus , 
cujus agnomen Torta cocabatur, qui lolius Northman- 
niœ honorem, post morlem Willelmi, ahius céleris 
comparibus sibi rindicabat, et res dominici juris inde- 
center sibi usurpahat (1). » Cette phrase est très claire : 
il y avait en ce temps un certain Raoul surnommé 
La Tourte qui depuis la mort de Guillaume reven 
diquait tout le fief de Normandie et usurpait les 
droits seigneuriaux. Il ne peut s’agir là, évidem¬ 
ment, que d’un baillistre royal puisqu'il s’arroge 
l’administration de tout le fief de Normandie, totius 
Norlhmanuiœ honorem , qu'il revendique les droits 
souverains et qu’il s'empare de l’administration de 
la justice et de toutes les affaires et lève les impôts. 
Guillaume de Jumièges dit formellement qu’il a 
été placé là par le roi, qu’il est un agent du roi (2). 
Qu'il l’ait été, cela résulte de la concordance for¬ 
melle de Dudon et de Guillaume de Jumièges et ici 

(1) Ed. Lair, p. 248. 

(2) Ed. Marx, p. 52. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


365 


Guillaume de Jumièges est indépendant de Dudon ; 
car il donne des détails précis qui ne sont pas dans 
le De moribus (1) Guillaume le dit nettement : Ilex 
praefecit ; et Dudon le dit indirectement puisqu’il 
racoûte que c’est après la mort de Guillaume Longue 
Epée, posl mortem Willelmi, que Raoul La Tourte a 
commencé à jouer ce rôle. Qui a pu, après la mort 
de Guillaume, nommer un baillistre pour admi¬ 
nistrer la Normandie en son absence, si ce n’est 
Louis qui venait de réclamer le droit de garde du 
duc en même temps qu’il lui reconnaissait la pos¬ 
session de la Normandie ? 

M. Lot a vu en lui un agent du duc de France (2); 
mais M. Lair (3) et M. Lauer (4) avaient compris 
comme nous que c'était Louis qui avait nommé 
Raoul. Seulement M. Lauer croit que la mission de 
Raoul a commencé en 943, lorsque le roi quilla Rouen. 
Dudon dit formellement: l’ost mortem Willelmi-, 
et il parait bien plus naturel que ce soit à celte date 
qu’ait commencé l’administration de Raoul Torta ; 
elle a commencé dès les premiers jours de 943, 
lorsque Louis IV eut reçu le serinent des chefs nor 
mands. 


(t) Guillaume de Jumièges est ici particulièrement précieux, 
puisque Raoul La Tourte fit enlever à Jumièges une partie 
des pierres qui servaient à sa reconstruction pour les trans¬ 
porter à Rouen. Ed. Marx, p. 52. 

(2) Fidèles ou vassaux ? p. 188, n. 5. 

(3) Ed. de Dudon, p. 92. 

(4) Louis IV, p. 124. 


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ETUDE CRITIQIE 


Je ne comprends pas pourquoi Lappenberg (1) dit 
qu’il est évident, d’après Guillaume de Jumièges, 
que Raoul Torta n’était pas nu agent royal puisque 
cet auteur dit formellement : Re.r prae/ecit (2) ; pas 
davantage pourquoi Kalckstein suppose qu'il était 
un frère de l’archevêque de Rouen (3). Je ne pous¬ 
serai pas le scepticisme jusqu'au point où vaM. Lauer : 
« L'existence de Bernard le Danois, dit-il, est aussi 
peu sûre que celle de Raoul La Tourte ». Il peut y 
avoir des doutes sur l'existence de Bernard le Danois, 
qui pour un Danois porte un nom bien franc, mais il 
ne saurait y en avoir, me semble-t-il, sur celle de 
Raoul La Tourte; les détails que donne Guillaume 
de Jumièges sont ici précis. Seulement on peut sup 
poser que Bernard le Danois aurait élé le comman¬ 
dant de l'armée normande à Rouen, tandis que Raoul 
La Tourte était le bailli du roi. Quant à Hélouin 
de Montreuil, en 943, il a battu Arnoul, a tué l’assas¬ 
sin de Guillaume Longue-Epée et a envoyé la main 
coupée de l'assassin à Rouen (4). En 944, Louis le 
réconcilie avec Arnoul et lui donne le château 
d'Amiens (5) ; il ne vient en Normandie qu’en 9i5 
avec l’armée du roi (6) ; il fait partie de cette armée 

(1) Op. cil., II, p. 30 et trad. Thorpe, II, p. 29. 

(2) Comme le fait remarquer M. Lauer (op. cil., p. 124, n. 5), 
l’argument tiré de ce qu'Hélouin et Bernard le Danois étaient 
plus influents à Rouen que Raoul La Tourte est peu concluant. 

(3) Op. cil., p. 253, n. 1. 

(4) Flodoard, Annales, p. 89. 

(5) lit., p. 91. 

(6) ld., p. 95. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


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dans l'expédition en Vermandois (1) et il ne vient à 
Rouen qu'avec Louis et, plus tard,avant le combat de 
la Dive (2). 

Ainsi nous concluons que Raoul La Tourte a été le 
baillistre pour Louis IV. Avec la paix de 945, ses 
fonctions cessèrent, Louis ayant vraisemblablement 
renoncé à exercer tout droit sur la Normandie, 
Dudon affirme même que la Normandie n’aurait plus 
dù aucun service. Ce point mérite d’être examiné. 

La Normandie et les Capétiens. — Nous avons 
démontré que, d'après la concordance de tous les 
textes, la Normandie, le pays créé par la cession 
de Sainl-Clair-sur-Epte, était incontestablement un 
fief de la couronne, qu’elle avait conservé ce carac¬ 
tère sous Rollon, sous Guillaume Longue-Epée. 
C’était si bien un fief, que Louis IV devait le remet¬ 
tre à Richard à la mort de son père, en 942, et qu’il 
exerçait le droit de garde pendant sa minorité, que 
Raoul La Tourte exerçait les lonctions de baillistre 
dans tout le fief, totius Northmannice honorem. Mais 
la Normandie reste-t-elle un fief de la couronne sous 
ce duc, après les événements du début du règne, 


(1) Flodoard, Annales , p. 96. 

(2) Id... p. 97. Avec M. Lot, je ne comprends pas pourquoi 
M. Lair voit dans Raoul La Tourte un nom bien normand. 
Dudon nous dit qu’il était le père de l’évêque de Paris. On a 
discuté la question de savoir s’il s’agit de l'évêque Gautier. 
M. Lacer suppose contre Kalckstein et Le Prévost que 
Raoul La Tourte est le père d'Aubry, auprès duquel il se réfugia 
en 946, lorsque Richard, revenu en Normandie, l’expulsa. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


après l'abus que Louis IV a fait du droit de garde, 
après la révolte des Normands, après l’échec subi 
par le roi à la bataille de Dive (945), après qu'il a 
été lait prisonnier, après qu’il n'a été délivré qu'en 
vertu, sans doute, d’une nouvelle convention conclue 
par l'intervention de Hugues le Grand? Nous ne le 
croyons pas, nous ne soutenons pas ici de thèse, de 
système, nous n’envisageons que les textes et les 
laits. Raoul Lu Tourte qui a été, selon nous, bail- 
listreau nom du roi, lut renvoyé par Richard, lors¬ 
que celui-ci eut recouvré sa liberté dans des circons¬ 
tances restées mystérieuses. Les Annales Iranques 
sont muettes sur les années du gouvernement per¬ 
sonnel du jeune duc, Flodoard devient de plus en 
plus laconique ; il ne mentionne Richard que deux 
lois lors de son mariage avec Emma en 960 et 
en 961, lorsqu'il essaie de troubler le plaid de Sois- 
sons (1). Aucun texte ne permet de définir sa si¬ 
tuation exacte respectivement à Lotliaire. Aussi, ne 
ierai-je pas difficulté d’admettre ce que dit Dudon 
de Saint-Quentin, qui mérite créance quand il n’a 
pas intérêt à altérer l’histoire, que Louis IV libéré 
en 945 par l’intermédiaire du duc, avait renoncé à 
exiger le service des Normands, et que le prince 
normand avait transporté son hommage au duc de 
Transséquanie, Hugues, dont au reste il épousa la 
fille en 960 (2), mais dont il peut avoir été le 

(1) Annales , p. 150. 

(2) * Richardus filins Willelmi , Nordmannorum principis, 
filiam Hugonis, Transequani quondam principis ducit uxo- 
rem •. Id. p. 148. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


369 


vassal depuis 945. Et ceci expliquerait parfaitement 
que le duc de Normandie se soit retrouvé, eu 987, 
sous les Capétiens, vassal de la couronne. Richard 
aura facilement transporté au roi Hugues Capet, son 
beau-frère, l'hommage qu’il avait prêté à Hugues le 
Grand La Normandie a donc cessé d'étre un fief de 
la couronne, mais pour devenir un fiel des Rober 
tiens ou Capétiens et elle est aussi redevenue tout 
naturellement un fief de la couronne à l'avènement 
de Hugues Capet, en 987. 

Remarquons, d'ailleurs, qu'il est tout naturel 
qu’en présence de l’échec décisif subi en 945 par 
le roi, Hugues qui intervint pour le faire remettre 
en liberté ait été à même de se faire céder la Nor¬ 
mandie dont une bonne part avait été jadis partie 
intégrante de cette Neustrie, de cetteTrausséquanie, 
de ce pays entre Loire et Seine où les descendants 
de Robert le Fort exerçaient leur autorité. La Nor¬ 
mandie rentrant en 945 dans l'orbite de la puissance 
robertienne, cette puissance se trouvait singulière 
ment accrue et on peut considérer cet événement 
comme ayant préparé celui de 987. Que la Norman¬ 
die soit un fief de Hugues à partir de 945, et que le 
duc Hugues y trouve un supplément de puissance 
appréciable, cela ressort d'un texte de Flodoard qui 
nous montre, en 948, Hugues rassemblant une armée 
importante de Normands et faisant, avec cette armée, 
le siège de Soissons (I). En 949, c'est encore avec 
une armée composée non seulement de ses troupes, 

(1) Annales, p. 117. 

24 


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370 


ÉTl’DE CRITIQUE 


niais aussi de Normands, qu’il envahit de nouveau 
le Soissonnais (1). En 930, le fort de Braisnes, fief 
de l’église de Rouen, a été envahi par Renaud de 
Roucy (2). Hugues s'en plaint au roi, enfin il rend la 
terre de Berneval à l’abbaye de Saint-Denis avec le 
consentement de son seigneur, Hugues Capet (3). Or, 
tout cela, non seulement Dudon le dissimule, mais 
incidemment il le nie, car dans un de ces dialogues 
qui lui sont si commodes pour représenter les 
choses à sa manière, il fait tenir par Hugues lui- 
même à Bernard de Sentis un discours où le duc 
dit : Ricardus nec régi nec duci militât , nec ulli nisi 
Deo obsequi praestat. Tenet sicuti rex monarchiam Nvrth- 
manicic reginnis (4). Mais Dudon est contredit ici par 
les faits formels que nous venons d’énumérer. 

Au cours de l’entrevue dont nous parlions tout à 
l’heure, Hugues le Grand aurait proposé le mariage 
de sa fille Emma avec Richard ; en réalité, ce ma¬ 
riage ne put avoir lieu avant l’invasion allemande 
de 946, comme le dit Dudon. Richard avait alors dix 
ou onze ans ; ce mariage est de 960, après la mort 
de Hugues le Grand, comme nous l’apprendra encore 
Flodoard. 

Dudon, peintre exact de la société féodale, fait tenir 
à Hugues, en cette circonstance, un curieux discours 


(1) * Hugo igilur, non modico tamsuorum quant Nordman- 
norurn collecta exercitu, in pagurn Suessonicum venit ». 
Annales, p. 125. 

(2) A nnales, p. 128. 

(3) H. F., IX, 731. 

(4) Ed. Lair, p. 250. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 371 

que devra méditer l’historien qui voudra nier l'exis¬ 
tence de la féodalité à cette époque. Hugues le 
Grand dit aux deux chefs : « Ce n'est pas l’habitude 
en France que chaque prince ou duc, qui ait une 
armée si abondante, se mette dans cette condition 
qu’il ne se soumette, soit par sa volonté, soit con¬ 
traint par la force, à quelque empereur, roi ou chef 
(peut on mieux définir la féodalité ?) et s’il persé¬ 
vère dans cette audacieuse témérité qu’il ne se sou¬ 
mette à quelqu’un, il lui arrive toujours quelque 
malheur. C’est pourquoi si le duc Richard veut se 
soumettre à me servir, je lui donnerai ma fille « (f). 
Bernard de Sentis y consent. Aussi Dudon, qui a 
représenté un instant Richard comme un prince 
indépendant, n'a pas osé soutenir cette erreur. En 
réalité, la Normandie n’échappa à la vassalité des 
Carolingiens que pour retomber dans celle des 
Robertiens ou Capétiens. 

La première invasion allemande en Normandie 
(946). — S’il fallait en croire Dudon, l’alliance intime 
de Richard et de Hugues, le mariage de Richard 
avec la fille du puissant duc auraient excité la jalou¬ 
sie du comte de Flandre, Arnoul, l’ennemi irréconci¬ 
liable de la Normandie, et sur son conseil, Louis 
d'Outremer aurait demandé l'appui du roi de Germa¬ 
nie Otton et lui abandonnant la Lorraine l’aurait 
engagé à venir ravager Paris et la Normandie, 
terre fertile. Tout cela est manifestement inexact ; 

(1) Ed. Lair, p. 230. 


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372 


ETUDE CRITIQUE 


ce D'est pas le mariage de Richard et d’Emma qui a 
pu provoquer l’expédition allemande de 946, puis¬ 
que ce mariage n’eut lieu qu’en 960 ; ce n’est pas 
Arnoul qui a poussé Louis à demander le secours 
d’Otton, c’est la reine Gerberge, sœur d’Otton, qui 
l’a appelé à son aide. Flodoard nous le dit formelle¬ 
ment (1), enfin Otton était surtout appelé contre 
Hugues et non contre les Normands. Il est vrai que 
le duché de Normandie était maintenant dans la 
dépendance de Hugues le Grand et aussi que Ger¬ 
berge et Louis pouvaient désirer se venger des Nor¬ 
mands qui avaient tant humilié le roi. 

L’expédition elle même nous est ainsi racontée 
par Dudon : poussé par Arnoul, Otton réunit une 
grande armée, se dirige sur Paris dont il ravage les 
environs, mais il ne peut s'emparer de la ville pro 
tégée par le fleuve et Arnoul l’engage à marcher sur 
Rouen, lui promettant que dès qu’il se présentera, 
les clefs de la ville lui seront apportées. Otton se 
transporte sur l’Epte, il y attend vainement les clefs 
de la ville. Arnoul lui conseille alors de menacer 
Rouen par la vallée de l’Andelle ; le roi de Germa¬ 
nie envoie une avant-garde commandée par son 
neveu. Celui-ci attaque la porte Beauvoisine, au nord 
de Rouen ; le corps de Normands qu’il rencontre 
près de la ville s'enfuit, les Saxons le poursuivent. 
Mais arrivé près de la porte, le neveu du roi est 
enveloppé par les Normands qui sautent sur les 
Saxons comme des lions. Beaucoup de Saxons sont 


(1) Annales, p. 101. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


373 


tués dont le neveu du roi lui même, et les Normands 
font un grand nombre de prisonniers. Les Saxons 
emmènent le corps de leur chef. Alors Otlon, Louis 
et Arnoul se préparent à attaquer la ville au nord ; 
Otton veut interrompre les relations par bateau 
entre les deux rives, mais la marée l'empêche 
d’établir un pont de bateaux. Richard conclut alors 
une trêve et Otton demande à aller visiter le 
monastère de Saint Ouen avec ses généraux et les 
évêques. Il y est autorisé. Otton propose de mettre 
fin à la guerre en livrant Arnoul à Richard qui 
aurait pu ainsi venger sou père. Cette proposition 
n'est pas acceptée par les chefs de la coalition, 
qui ne croient pas devoir pousser le siège. Arnoul 
décampe secrètement la nuit suivante ; les Alle¬ 
mands se croyant attaqués par les Normands s’en¬ 
fuient. Ceux ci ont couru à leur poste, croyant à une 
attaque de nuit. Au jour, ils voient leurs adversaires 
en fuite. Richard veut attaquer, on l'en dissuade, 
mais une partie de ses troupes poursuit les ennemis 
jusqu’à la Itougemare qui aurait reçu ce nom d'un 
combat qui y aurait été livré. Il y a un nouveau 
combat dans la forêt de Maupertuis (1) ; enfin les 
ennemis sont poursuivis jusqu’à Amiens par une 
autre armée. 

Pour contrôler le récit du chanoine de Saint-Quen¬ 
tin, nous avons plusieurs sources. D’abord, un récit 
très clair dans les Annales de Flodoard qui consacre 

(1) Maupertuis, partie de Lyons-ia-Forèt, canton de Lyons, 
arrondissement des Andelys, département de l'Eure. 


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374 


ETUDE CRITIQUE 


aussi à l'expédition normande quelques lignes iden¬ 
tiques dans YHistoria ecclesice Remensis (1), puis 
trois chapitres de Riclier (2) et une courte men¬ 
tion des Gesta episcoporum Cameracensium (3) ; nous 
avons, d’autre part, les sources allemandes : Widu- 
kind (4), les Annales Einsidlenses, Mellicenses (3) 
(ce ne sont que des mentions) et le continuateur 
de Réginon (6); mais le récit de Widukind est le 
seul important. 

Flodoard rapporte qu'Otton a réuni une grande 
armée, il emmène avec lui Conrad, le roi de la Gaule 
cisalpine, la Bourgogne jurane. Louis se rend au- 
devant d'eux et est reçu assez aimablement parles 
coalisés, salis amicabililer (7). (Otton le protège, mais 
le traite de haut). Les rois font d’abord le siège 
de Laon, ils ne peuvent enlever la ville, ils s’em¬ 
parent ensuite de Reims, subissent un échec sous 
Senlis ; ils traversent alors la Seine et ravagent le 
pays et la terre des Normands, puis rentrent dans 
leur pays (8). 


(1) Ann., p. 103, et Hisl. eccl. Rem., IV, c. XXXII. 

(2) Ed. Wajtz, pp. 66-68. 

(3) M. G. SS., VII, 426-427. 

(4) M. G. SS., III, p. 451-452. 

(5) M. G. SS., Ul, 142, IX, 496. 

(6) Id. I, 620. 

(7) Et non de la façon la plus amicale, comme traduisent 
Kopke et Dummler, Kaiser Otto der Grosse , Leipzig, 1876, 
in-8", p. 151. 

(8) La date du séjour à Reims, 19 septembre, est donnée par 
un diplôme d’Otton, M. G., Dipl., Hanovre 1879-1881, in-4°, 
I, 160. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


375 


Richer donne un récit plus détaillé, mais chargé 
de traits légendaires; il raconte comment Hugues 
a fait eulever toutes les barques pour empêcher les 
Allemands de franchir la Seine. Quelques jeunes 
gens, par ruse, s’emparent des barques de Paris, 
et l’armée allemande passe la Seine sur un pont 
de bateaux. Hugues se retire à Orléans et les coa¬ 
lisés ravagent tout le pays jusqu’à la Loire, le 
duc de France réunit une armée pour marcher 
contre Arnoul. Richer ne parle poiut du siège de 
Rouen. 

Widukind donne la version allemande; le roi a 
réuni son armée à Cambrai. A ses sommations, 
Hugues répond par des paroles méprisantes pour 
les Saxons ; il déclare que ce ne sont pas des sol¬ 
dats. Otton outré, répond qu’il amènera une telle 
multitude de chapeaux de paille — l’armée aile 
mande de ce temps était ainsi coiffée — que ni 
Hugues, ni son père n'en ont jamais vu de telle et il 
réunit trente deux légions (1). L’armée allemande 
marche sur Laon, puis assiège Hugues dans Paris, 
et Otton se rend en pèlerinage à Saint-Denis, il se 
dirige sur Reims dont il s'empare; enfin, ayant 
réuni un corps de soldats choisis, il marche sur 
Rouen, la ville des Danois, Rnthun Dannrum urbem ; 
mais la difficulté du pays, un hiver d'une âpreté 
exceptionnelle s’annonçant, un grand désastre frappe 

(1) C'est une armée de fantassins, comme le remarque 
M. L. Reynaud, Les origines de l’influence française en Alle¬ 
magne, Paris, 1913, in-8°, t. I, p. 376. 


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376 ÉTUDE CRITIQUE 

son armée (1). Après trois mois de campagne, elle 
rentra en Saxe. 

Ce récit est embarrassé ; on se demande quelle 
est celte plaie, plnga , quia affligé les troupes d’Otton. 
Comment Widukind peut il dire que l'armée est ren¬ 
trée saine et sauve, les affaires non terminées, infecto 
negotio, si elle n’a pas subi un échec ? Les autres 
sources n’ajoutent rien d’essentiel ; les Gesta episco 
porum Cameracensium constatent seulement la dévas¬ 
tation de tous les environs de Rouen. Le continua¬ 
teur de Réginon se borne à dire, après une mention 
de l’attaque sur Rouen, que tous les grands du 
royaume, sauf Hugues, avaient été soumis à leur 
roi. Les autres sources ne dounent que des dates. 

Les historiens allemands modernes ont essayé 
de nier l’échec subi par Otton sous Rouen. Kalcks- 
tein suppose que le mauvais temps et la fiu de la 
durée du service dans l’armée allemande amenèrent 
la fin de l’expédition (2). Dümmler remarque avec 
raison toutes les invraisemblances du récit de 
Dudon ; « il est évident, dit-il, que Louis IV n’a 
pu céder la Lorraine en échange de l’interven¬ 
tion d’Otlon, puisqu’Otton possédait déjà le pays » ; 
mais il considère comme romanesque le récit de la 
défaite de l’armée germanique sous Rouen. « C’est, 


(1) Sed difficultate locomm asperiorique hieme ingruente, 
plaça eos quidem magna percusait, incolumi exercitu, infecto 
negotio. 

(2) Op. cit ., p. 259; Karl Lamprecht, Detitsche Geachichte, 
Fribourg-en-Brisgau, 1904, in-8°, t. II, p. 446, résume rapide¬ 
ment la campagne et admet l’expédition contre Rouen. 


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SCR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


377 


dit-il, un conte de fées, produit de la vantardise 
normande. Ce ne sont pas les pertes subies, mais la 
mauvaise saison qui décide Otton à s’arrêter (1) ». 

Chose singulière et qui prouve combien les histo¬ 
riens français sont impartiaux, M. Lauer ne croit 
guère à un siège de Rouen et admet que toute l’his¬ 
toire racontée par Dudon est légendaire (2). 

Il est évident que l’imagination de Dudon a pu 
jouer son rôle dans son récit ; il en est très proba¬ 
blement ainsi de l'épisode de la visite d'Otton à 
Saint-Ouen. Quand on conuait les procédés de com¬ 
position de Dudon, on est porté à croire qu'il a 
transporté à Rouen et à l'abbaye de Saint-Ouen, ce 
que Widukind a dit de Paris etde l’abbaye de Saint- 
Denis. Pour d'autres faits, il n’est pas impossible 
qu'il ait recueilli une tradition locale ; remarquons 
qu’il y a des détails précis dans son récit. L’armée 


(1) Forte h ungen, VI, 386 et Otto der Grotte, p. 153. 

(2) Op. cit., p. 153. Faut-il rapprocher les combats sous 
Rouen et les exploits des Normands de ceux racontés par la 
Chronica de gestis consulum Andegarorum et se rapportant 
à GeofTroi Grisegonelle ? Ces légendes ne peuvent avoir été 
inspirées que par l’expédition allemande de 978 ; et la Chro- 
nica n'a été rédigée qu'au XII* siècle. Dudon n'a donc pu s'en 
inspirer. Lot, Geoffroi Gritegonelle dans l’épopée (Romania, 
XIX, 377 tgg). On serait plutôt tenté de rapprocher la mort du 
neveu d'Otton sous les murs de Rouen de celle du neveu de 
Dulgion, roi de Hongrie, qui fut tué sous les murs de Cambrai 
en 953 (Gestarpitcoporum Cameraeensium , M. G. SS., VII, 428). 
Mais ces Getla n’ont été composés qu'en 1043 ; si on voulait 
admettre que Dudon ait puisé à cette source, il faudrait 
reporter au-delà de cette date la composition du De Moribus, 
ce qui est bien difficile. 


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378 


ETUDE CRITIQUE 


allemande venait du Nord.de la vallée de l’Audelle, 
et opérait sur la rive droite; l’attaque de la porte 
Beauvoisine est vraisemblable. 11 est incontestable 
que l’armée d'Otton a làté Rouen ; toutes les sources, 
même allemandes, sont d'accord là dessus. 

Widukind dit que les corps qui prirent part à 
cette expédition partirent de Reims; ils auraient 
sans doute pu, de là, gaguer Beauvais, l'Epte, puis 
la vallée de l'Andelle, et ayant été battus sous 
Rouen, se replier eu toute bâte. Mais, à la vérité, 
Flodoard ne représente pas la chose de cette ma¬ 
nière ; pour lui, l’expédition en Normandie a suivi 
la tentative sur Paris qui a été elle-même précédée 
de la prise de Reims (1). Or, Flodoard est parti¬ 
culièrement bien informé ici, puisqu’il s’agit de 
l’église de Reims dont il est un des dignitaires. 

En résumé, Widukind a essayé de dissimuler, par 
la façon dont il narre les choses, un échec allemand 
très réel, éprouvé non par un corps choisi, ce qui 
serait déjà grave, mais par toute l’armée allemande 
qui, après une vaine tentative sur Paris et des expé¬ 
ditions de pillage en Normandie a été battue par les 
Normands sous Rouen et ramenée vivement jusqu'à 
Amiens. L’expédition allemande fut d’ailleurs de 


(1) De Paris l’armée allemande a pu marcher sur Rouen, 
soit en suivant la vallée de ta Seine, soit, ce qui est bien plus 
probable, puisqu’elle attaque Rouen par la porte Beauvoisine, 
en se dirigeant d’abord sur Gisors, puis de là en descendant 
sur Rouen par la vallée de l’Andelle. Les corps allemands qui 
détachés de l’année de siège de Paris marchèrent sur Rouen, 
en 1870, suivirent cette voie. 


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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 379 

courte durée. Otton était à Reims le 19 septembre 
et il était rentré à Francfort le 28 novembre (1). 

Après avoir célébré avec emphase ce succès des 
Normands, par une série de poésies qui ont une 
certaine allure et qu’il adresse successivement à 
Othon, à Arnoul, à Richard victorieux ; après une 
sorte de litanie consacrée au duc normand, Dudon 
raconte (§§ 101 et 102), le mariage d’Emma et de 
Richard qu'Hugues le Grand, mourant, aurait de 
nouveau recommandé ; il en profite pour nous repré¬ 
senter Richard comme ayant été une sorte de suc¬ 
cesseur du grand duc des Francs, puis il aborde le 
récit de la lutte de Richard I er contre Thibaut de 
Chartres. 

La lutte de Richard 1 er contre Thibaut de Chartres. 

— Le grand événement de l’histoire des ducs nor¬ 
mands à cette époque, c'est la guerre de Richard avec 
Thibaut de Chartres et le roi Lothaire (§ 103). 

Dudon attribue cette guerre à un motif futile, l’hos¬ 
tilité de Thibaut contre Richard 1 er qui a été, selon 
lui, excitée par la haine qu’avait vouée Leutgarde à 
son beau-fils, le duc de Normandie; au moins il le 
laisse entendre, novercalibus furiis. « Cette explica¬ 
tion, dit M. Lot, est vraisemblable, mais elle est 
incomplète (2) ». La vraie raison de la lutte entre 
Thibaut le Tricheur et Richard doit être cherchée 


(1) M. G., Dipl., I, 163. 

(2) Lot, Les Derniers Carolingiens, p. 347. 


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ETUDE CRITIQUE 


ailleurs ; elle se trouve dans les événements de 
Bretagne, mais nous savons quel silence Dudon 
garde toujours sur ce pays. 11 a affirmé que la Bre¬ 
tagne était normande depuis 91t. Comment pour 
rail il raconter ou les défaites des Normands ou 
même leurs victoires, et leur conquête à cette 
date ? 

Quelle était alors la situation de la Bretagne ? Le 
duc Alain Barbetorte qui était rentré dans le duché 
au moment où Louis IV son compagnon d'exil à la 
cour d'Athelstan rentrait en France et qui avait dû 
lutter sans cesse contre les Normands, avait épousé 
la soeur de Thibaut le Tricheur, comte de Chartres. 
De ce mariage était né un fils, Drogon, qui était 
encore en bas âge lorsqu'Alain mourut en 932. 
Thibaut le Tricheur fut chargé par Alain lui-même 
de la tutelle du jeune Drogon. Mais peut-être parce 
qu’il possédait déjà des fiefs importants situés en 
divers pays, le comte de Chartres ne crut pas pou¬ 
voir y ajouter l’administration de toute la Bretagne; 
peut-être aussi ne se sentait-il pas de force à la 
défendre contre les Normands ? 11 maria sa sœur, 
la veuve d'Alain, à Foulque le Bon, comte d’Anjou, 
lui confia la garde de Drogon et lui abandonna la 
moitié des revenus de la ville de Nantes, de son 
port, et la moitié de toute la Bretagne ; il conserva 
pour lui le reste du duché (1). il y a des preuves 
de ce partage ; uue charte confirmée par Thibaut 


(1) DE LA Bordeiue, op. cit. } II, 420, sqq. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


381 


et Foulque (1). A la mort de Drogon, assassiné 
par Foulque, s’il laut en croire la Chronique Je 
Nantes, Thibaut eut à compter avec les deux fils 
bâtards d’Alain, Hoél et Guérech. Foulque et Thi 
baut ne voulaient pas se dessaisir de riches revenus. 
Le duc de Normandie en profita pour déclarer 
la guerre aux Bretons et essayer de reconquérir 
la Bretagne ; il envoya une flotte à Nantes. Avant 
la mort de Foulque, avant 958 par conséquent, les 
Nantais avaient repoussé la flotte normande (2). 
De là sortit la lutte dans laquelle Richard I w se 
trouva engagé contre Thibaut et que Dudon raconte 
à sa manière. 

Selon Dudon, Thibaut serait allé trouver Gerberge 
et Lotiiaire, il représente Richard qui tient deux 
duchés : Nortltmannicum Britonumque lenens rcgnum 
quietus, comme un prince indépendant; il nesert per¬ 
sonne ; Nec Deo, nec ulli militât, famulatur et sertit. 
Thibaut engage la reine à (aire venir Brunon, arche 
vêque de Cologne, son frère, pour lui demander 
conseil. Brunon vient dans le pays de Vermandois et 
envoie un évéque à Richard pour l’inviter à une 
entrevue. Richard se met en route. 11 se trouve dans 
le pays de Beauvais, Brunon dans celui d’Amiens, 
lorsque deux chevaliers de Thibaut viennent con¬ 
seiller à Richard de ne pas se rendre à cette invita¬ 
tion qui cache un piège. Leduc récompense les deux 
chevaliers et rentre à Rouen; il envoie un messager 

(1) Carlulaire de Landevennec, V, 561. 

(2) Chronique de Nantes, éd. Merlet, 107,108. 


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382 


ÉTUDE CRITIQUE 


pour avertir Brunon, celui ci demande que Richard 
se rende sur les bords de l'Eple ; mais le duc répond 
qu'il n’ira à aucun plaid (1). 

M. Lair trouve la confirmation de ces faits dans 
Flodoard qui nute des voyages de Brunon en France, 
en 938 et en 939 ; c’est aussi par son intermédiaire, 
qu'eut lieu, en 960, la réconciliation d'Olton avec 
Hugues, fils de Hugues le Grand, avec Lotliaire ; il 
parait naturel à M. Lair que Richard, qui faisait 
partie de la famille de Hugues, ait été appelé à une 
réunion de ce genre (2). M. Lot voit des difficultés à 
ce rapprochement, surtout au sujet de la date. Bru¬ 
non est bien venu en France en 960, mais c’était 
« pour assiéger Troyes et Dijon. Loin de pouvoir se 
rendre à une entrevue en Amiénois, l’archevêque 
fut aussitôt rappelé en Lorraine parla révolte de 
Robert de Nainur et d’immou de Chévremont. L’an¬ 
née 939 conviendrait mieux (3) ». 11 y eut une entre¬ 
vue à Compiègne, Richard aurait pu y être appelé, 
mais cette conférence a-t elle eu le caractère perfide 
que lui prête Dudon ? « C’est, dit Sl. Lot, plus que 
douteux et contraire à tout ce que nous savons du 
caractère de Brunon ». 

Il se peut, qu’en 960, Richard ait été appelé à une 
entrevue qui n’aura pu avoir lieu à cause du départ 
de Brunon pour la Lorraine. Sur ce fait historique, 
Dudon aura brodé suivant son habitude. Tout son 


(1| Dudon, éd. Lair, pp. 266-267. 

(2) Ibid., n. a. 

(3) Op. cit., p. 348. 


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SUR DllDON DE SAINT-QUENTIN 383 

livre tend à démontrer que les ducs normands ont 
été les fidèles alliés de la monarchie, mais il faut 
expliquer pourquoi ces légitimistes, comme dit 
M. Lair, ont abandonné le parti carolingien pour 
les Capétiens. 11 faut donc faire ressortir les torts 
des Carolingiens, ou, quand ils n’en ont pas, leur 
en prêter. Mais surtout, l’histoire de Dudon a un 
point de départ dans Flodoard et tout ce récit n’a 
pas d’autre objet que de nous dissimuler un échec 
subi par Richard, en 961, au moment de la confé 
rence de Soissons. Lothaire a tenu un plaid royal, 
placilum regale, h Soissons; Richard, fils de Guil¬ 
laume le Normand, dit Flodoard, essaya de l'inter¬ 
rompre ; il en fut empêché par quelques fidèles du 
roi, et quelques-uns des siens ayant été tués, il fut 
mis en fuite (1). Ainsi, ce n’est point Thibaut qui a 
subi un échec, mais bien Richard. Sans doute le 
duc, dès ce temps-là, vassal et allié des Robertiens, 
est l’ennemi de I.othaire, successeur de Louis IV, 
et il essaie d'empêcher celui-ci d’asseoir son autorité. 

Le chanoine de Saint-Quentin, après un éloge de 
Richard (§ 106), revient à la lutte avecThibaut (§ 107). 
S’il faut l'en croire, l’échec des projets de Thibaut 
aurait accru sa rage. Poussé par lui, Lothaire aurait 
invité Richard à se rendre à un plaid sous prétexte 
d’écraser Thibaut et de soumettre les Flamands. 
Lothaire était sur les bords de l’Eaulne en compa¬ 
gnie des ennemis de Richard, Thibaut, Geoffroy 
Grisegonelle, comte d’Anjou, qui venait de succéder 

(1) Annales, p. 150. 


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38 * 


ETUDE CRITIQUE 


en 960 à Foulque el Baudoin de Flandre, le fils 
d'Arnoul. Mais l'avant garde de Richard fut attaquée 
par les royaux, battit en retraite en apprenant l'arri¬ 
vée d’une armée. Richard essaya de défendre les 
gués de la Dieppe, sauva des mains de l'ennemi un 
de ses vassaux du nom de Gautier et rentra à Rouen. 
Il se peut que nous ayons ici le récit arrangé du 
combat dont Flodoard fait mention et dont Dudon, 
s’appuyant sur la tradition locale, nous donnerait 
le lieu. 

Après un nouvel éloge de Richard, Dudon raconte 
que Thibaut conseille alors à Lothaire d'attaquer 
Evreux « Prends moi cette ville et je te soumettrai 
toute la Normandie ». Evreux fut prise, repentino 
con/liclu, et le roi la donna à Thibaut. Guillaume de 
Jumièges ajoute que celte ville fut livrée par Gisle- 
bert surnommé Mainel (1). 

Dudon raconte ensuite que Richard réunit une 
grande armée, marcha contre Thibaut, ravagea et 
incendia le pays de Chartres et le Dunois ; mais 
l'armée de Richard ayant été licenciée, Thibaut repa¬ 
rut sous les murs de Rouen qu’il attaqua par la rive 
gauche, Richard traversa le fleuve et lui infligea une 
sanglante défaite à Hermentruville (Saint-Sever). Le 
récit de la déroute de Thibaut à Hermentruville est 

(1) Ed. Marx, p. 61. Flodoard ne parle pas de la prise 
d’Evreux. M. Lot, op. cil., p. 350, dit que chronologiquement, 
ce siège d'Evreux doit se placer à la fin de 961 ou en 962 ; or, 
pendant toute la fin de l’année 961, Lothaire est occupé en 
Bourgogne, en 962 par le siège de Reims et les affaires de 
Flandre où Arnoul II venait de succéder à Baudoin. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 386 

des plus vraisemblables et les chiflres donnés par 
Dudon n'ont rien d'exagéré (l'armée de Thibaut 
compte 3.000 hommes dont 640 sont tués par les 
Normands).Ici encore Flodoard nous sert à contrôler 
Dudon. Les Annales notent à la date de 962 : Tetbal- 
dus quidem cum Nortmannis con/ligens, rictus est 
ab eis et juga delapsus eeasil (t). 

Puis Dudon expose quelle fut la punition de Thi¬ 
baut ; son (Ils mourut et lu ville de Chartres fut 
incendiée. « L’incendie de Chartres qui pouvait 
sembler de prime abord une invention de l’histo¬ 
rien normand, nous est attestée par le NScrologe de 
Notre Dame de Chartres (2) ». 

Dudon raconte ensuite que Richard, pour lutter 
contre ses ennemis, fit appel aux Danois. Guillaume 
de Jumièges dit qu’il envoya des ambassadeurs à 
Harold, roi de Danemark (3). En réalité, il se peut 
fort bien, sans qu’il y ait eu entente entre les rois 
de Danemark et les ducs de Normandie, que les 
incursious des vikings continuant, Richard ait pris 
à son service quelques unes de ces bandes qui, 
Dudon lui même nous le dira plus loin, étaient 
composées de gens de tous pays : Norlhguegi- 
genit, Uirenses, Norvégiens, Danois d’Irlande (4). 


(1) Annales, p. 153. 

(2) Lot, op. cit., p. 351. 

(3) Ed. Marx, p. 65. 

(4) C’est ainsi que j'entends les Hirenses dont parle Dudon, 
les Deiros dont parlent Hugues de Fleury et la Translalio 
Sancti Maglorii copiant Dudon qui écrit de Ilirensibus. M. Lot, 
{Les Derniers Carolingiens, p. 41 et p. 353, n. 2) a vu là des 

25 


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38fi 


ÉTUDE CRITIQUE 


Richard établit toutes ces troupes à Jeufosse, sur la 
frontière de la Normandie, et leur ordonna de rava¬ 
ger le pays du roi et de Thibaut, mission dont les 
vikings ne s’acquittèrent que trop bien. Les évêques 
se réunirent alors et tinrent un concile ; ils char¬ 
gèrent l’évêque de Chartres de demander la paix. 
Celui-ci envoya un moine à Richard (§ lia). Le récit 
des négociations est long, Dudon s’y complaît ; il se 
peut qu’il ait ici quelques renseignements person¬ 
nels, ce lui est surtout un prétexte à composer 
de nombreux discours. Richard posa comme condi¬ 
tion de la paix la reddition d’Evreux (§ 116). Thi¬ 
baut vint à Rouen (§ 117) et la paix fut conclue. 
Mais il fallait aussi faire la paix avec le roi. Des 
évêques, des palatins se réunirent en face de Jeu 
fosse. Richard était favorable à l’idée de conclure la 
paix; mais comment la faire accepter à toutes ses 
bandes de Norvégiens, de Danois, etc. ? Une nou¬ 
velle entrevue eut lieu à Saint-Clair sur-Epte, où la 
paix fut conclue. Quant aux vikings, après quelques 
ravages, les uns reçurent le baptême, les autres, 
ayant pris des guides dans le Cotentin, se dirigèrent 
vers les côtes d’Espagne, où ils vainquirent les 
Arabes. 

Nous n’avons guère le moyen de contrôler le récit 
si étendu, mais plus pleiu de rhétorique que de 


gens du pays de Deira (nord de l'Angleterre). Mais en 1898, il 
est revenu sur cette opinion : (Gormond et Isembard, dans 
la Uomania , XXVII, p. 19). Avec Kalckstein, op. rit., p. 307, 
n. 2, nous croyons qu'il s’agit de Danois d'Irlande. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 387 

faits, du chanoiue de Saint-Quentin. Nous avons vu 
ce que l’on pouvait tirer de Guillaume de Jumièges 
qui rapporte en quelques lignes ce que Dudon a dit 
en de nombreuses pages; il y a là, évidemment, uu 
résumé et non une source indépendante (1). Il en 
estde même de Hugues de Fleury (2). Flodoard, vieil¬ 
lissant, devient de plus en plus lacouique ; ses 
Annales s’arrêtent à la date de 966, ne donnent que 
de brèves indications qui, d'ailleurs, confirment 
Dudon La Chronique de Sainte-Magloire de Caris 
donne quelques détails (3). Enfin, en ce qui concerne 
le départ des vikings, le récit de Dudon, remar- 
quons-le, reçoit une confirmation indirecte des 
sources arabes qui relatent en 966 une expédition 
des Normands à Lisbonne (4), en Galice, puis à 


(1) Ed. Marx, p. 66. 

(2) M. G. SS., IX, 384. 

(3) Mabillon, Annales onlinis S. Benedicti. III, app. p. 719. 

(4) Dozy, Recherches sur l'histoire et la littérature de 
l'Espagne pendant le moyen âge, II, 286-300. Dudon raconte que 
lorsque les Normands dépouillèrent les morts sur le champ do 
bataille, ils trouvèrent que certaines parties des cadavres des 
noirs (nigellorum Æthiopumque) étaient blanches comme de 
la neige. « Je voudrais bien savoir, ajoute Dudon, comment 
les dialecticiens expliqueront ce fait, puisqu'ils prétendent que 
la couleur noire est inhérente à la peau de l’Ethiopien et qu’elle 
ne change jamais ». « Il est clair, dit Dozy, qu'il s'agit ici de 
Maures et non de Galiciens. Dans les Sagas du Nord, les 
Sarrasins portent le nom de Blamenn , hommes noirs , car on 
s'imaginait dans la Scandinavie que tous les Sarrazins étaient 
des nègres. En dépouillant les morts sur le champ de bataille, 
les Danois durent donc être bien étonnés en voyant que, 
malgré le teint basané de leurs mains et de leurs visages, les 
Maures avaient la peau aussi blanche qu’eux ». 


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388 


ETUDE CRITIQUE 


Cordoue. Nous pouvons en somme souscrire au 
jugement de M. Lot qu'il n'y a aucune raison de 
révoquer en doute le récit de Dudon ; que tous 
ces événements n’ont rien qui puisse exciter notre 
méfiance pour le fond. Mais M. Lot ajoute que, bien 
entendu, il faut toujours faire la part de la flatterie 
prodiguée par Dudon aux ducs de Normandie. 
« C'est ainsi, dit-il, qu'il exagère la répugnance des 
Danois païens à la conclusion de la paix pour faire 
briller par contraste la modération et les sentiments 
pacifiques de Richard ». Ici, remarquons que le 
duc a bien pu éprouver quelque difficulté à faire 
accepter la paix aux Normands païens venus du 
dehors; il a fallu fournir un autre aliment à leur 
activité ; et c'est seulement en juin 966 que leur 
présence en Espagne est constatée. 

Or, quelle est la date de la paix? Dudon, confor¬ 
mément à son habitude de négliger la chronblogie, 
ne le dit pas ; il nous dit seulement que la paix de 
Saint-Clair-sur-Epte a eu lieu aux ides de mai. Une 
charte de Richard I» r du 18 mars 968 fait allusion à 
un grand plaid des Francs et des Normands qui a 
été tenu à Gisors ; il se peut que la paix ait été 
conclue dans celte ville plutôt qu’à Saint-Clair. 
Quant à la date, il ne saurait y avoir de doute: 
juin ou juillet 965 (1). Il se sera donc écoulé quelque 
temps avant que Richard ait pu se débarrasser de 
ses dangereux alliés. 


(IJ Voir l'appendice IV. 


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SIR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


389 


La dernière partie du règne de Richard I sr 
( 965 - 996 ). 

La paix de Saint-Clair-sur Epte ou, plus exacte¬ 
ment peut-être, de Gisors, marque une séparation 
très nette dans l’iiistoire du règne de Richard I er . 
Les années de début, années pénibles, tourmentées, 
où le duc est environné d'ennemis, sont terminées. 
A l'ombre de la protection des Robertiens, puis par 
sa force de résistance naturelle, aidée des ressources 
tirées du réservoir d’hommes qu’étaient la Scandi¬ 
navie et ses nombreuses colonies, la Normandie a 
vécu. Son existence est désormais assurée et rien ne 
pourra plus la menacer. La date de 963 ne marque 
pas seulement une date dans l'histoire de Richard ; 
elle en marque une aussi dans l’existence du duché ; 
c’est la fin de la période de formation. Richard 1« et 
ses successeurs, jusqu’à la minorité de Guillaume, 
ne verront plus contester l’existence de l'Etat Nor¬ 
mand. Le duc est dans la force de l'âge ; l’expé¬ 
rience l’a mûri de bonne heure. Il est sans doute 
le véritable fondateur de la Normandie ; pendant 
les trente et une années de règne qui lui restent 
encore à courir, il consolidera définitivement l'œu¬ 
vre de ses prédécesseurs et achèvera d'organiser le 
duché. 

De cette œuvre, malheureusement, Dudon ne nous 
dit rien. Ce dernier tiers du X” siècle est une époque 
d’indigence extraordinaire pour la littérature histo- 


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390 ÉTUDE CRITIQUE 

rique. M. Lot le constate pour la France (1). Flo- 
doard n'est plus. Rictier ne nous donne quelques 
renseignements qu'à partir de 970. Pas un diplôme 
de 968 à 973 et pour ainsi dire, pas d’annales. Pour 
la Normandie, nous ne sommes pas plus favorisés. 
Dudon, qui a été si prolixe jusqu’alors, devient tout 
à coup bref. Est-ce lassitude ou serait-ce que Dudon 
qui en réalité a puisé le plus clair de son inspiration 
dans les Annales contemporaines, quoi qu'en ait pensé 
M. Lair, cesse d’être intéressant dès qu’elles lui font 
défaut? Guillaume de Jumièges continue de le copier 
ou de l'analyser avec quelqu’esprit critique parfois 
et Wace le traduit en l'amplifiant, mais ces auteurs 
ne constituent pas des sources indépendantes. 

La famille de Richard. — Dudon nous rapporte 
d'abord la mort d’Emma. Richard envoie des dépu¬ 
tés à Hugues afin qu'il fasse rapporter son douaire par 
des serviteurs. Ce détail est intéressant ; il montre la 
persistance du droit romain, la persistance singulière 
du régime dotal dans cette province. De ces biens 
Richard fait distribution aux églises ; mais ensuite 
le duc s'adonne à la volupté et il a des enfants natu¬ 
rels : Geolfroi, comte d'Eu et de Brionne (2), Guil¬ 
laume qui succéda à son neveu Gilbert, fils de 
Geoffroi (3). 

Dudon raconte ensuite les rapports de Richard 


(1) Les demiers Carolingiens , p. 54. 

(2) Orderic Vital, III, 340. 

(3) Guillaume de Jumièges, éd. Marx, p. 155. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


391 


avec Gonnor. Celle-ci est une Danoise. Dudon essaie 
de faire croire à un mariage politique, il qualifie 
Gonnor de femme de haute race (1) ; il la comble 
d’autres éloges que Lair prend au sérieux (2), mais 
qu'un auteur plus ancien et mieux informé avait 
contesLés. Robert de Torigni, enelTet, a raconté le ro¬ 
man du duc Richard réfugié à Equemauville, dans la 
forêt d’Arques, sous le toit d’un charbonnier dont il 
convoite la femme; celle-ci par une ruse habile se fait 
remplacer par sa sœur (3). Mais, très probablement, 
Gonnor était bien une femme mariée, ce qui expli 
querait la résistance de l’Eglise à son union avec le 
duc. Il eut de cette femme cinq fils ; Guillaume 
de Jumièges et Wace en nomment trois ; Richard, 
Robert. Mauger. Richard, c’est le futur Richard II 
(996-1026); Mauger, le comte de Corbeil (4); Robert, 
l'archevêque de Rouen. Richard I» r , à la mort de 
Hugues, archevêque de Rouen, en 989, voulut faire 
de son fils un prélat, mais l'Eglise invoqua qu’il 
était bâtard, que les lois de l'Eglise le rejetaient, 
Richard aurait alors épousé Gonnor, qui ne semble 
pas avoir été d’abord épousée more danico, et pour 
cause, si son union était adultère, mais en 989 son 
mari était mort sans doute et Richard put alors con¬ 
tracter l'union légitime dont parle Dudon. En 990, 


(1) Superba stirpe progenita. 

(2) Ed. de Dudon, p. 289, n. d. 

(3) Interpolation à Guillaume de Jumièges : Ed. Marx et 
Wace, Roman de Rou, éd. ANDRESEN, FI, p. 52. 

(4) Guillaume de Jumièges, éd. Marx, p. 68. 


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392 


ETUDE CRITIQUE 


Robert était archevêque et consacrait l’église de la 
Trinité à Fécamp. Quant aux trois filles, ce sont 
Emma, mariée à Ethelred, mère d'Edouard et 
d'Alfred, union politique qui eut d’importantes con 
séquences (1 ) ; Hadvise, mariée à Geoflroi de Bre¬ 
tagne, mère d’Alain et d’Eudes, et Mathilde, mariée 
à Eudes, comte de Chartres. On voit que les grandes 
familles féodales et royales s’unissaient à celles des 
ducs de Normandie. Mais la dynastie avait été jus¬ 
qu’alors assurée par le concubinage. 

Affaires de Flandre. — Le seul événement mili¬ 
taire que rapporte Dudon pendant les trente der 
nières années du règne de Richard est sou interven¬ 
tion en Flandre. Le comte de Flandre, Aruoul, 
raconte-t-il, refusa de rendre à Lotliaire le service 
militaire. Le roi, appelant à lui une armée de Francs 
et de Bourguignons, assiégea Arras et commença à 
s’emparer de toutes les forteresses jusqu’à la Lys. Le 
comte Arnoul demanda l'intervention de Richard 
qui y consentit et réconcilia le roi et le comte. 

A quelle date faut-il placer celte expédition? 
Dudon ne le dit pas ; chronologiquement, elle vien¬ 
drait après 965. Or, Guillaume de Jumièges raconte 
les mêmes faits, mais avec un changement impor¬ 
tant. Ce serait à Hugues Capet, devenu roi, qu’Ar- 
nou] aurait refusé le service et nous nous trouve¬ 
rions là en présence d'un événement historique véri- 

(1) Pfister, Etude sur le règne de Robert le Pieux , Paris, 
1885, in-8", pp. 352-353. 


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Sim DUD0N DE SAINT-QUENTIN 


393 


tablement intéressant: une difficulté sérieuse ren¬ 
contrée par la dynastie capétienne à son avènement 
et levée par l’intervention du duc normand. Tous 
les historiens belges ont rapporté cet événement, 
mais il est évident qu’ils l’ont pris à la compilation 
de Jacques de Meier au XVI 0 siècle. Celui-ci l’avait 
lui-même emprunté à Guillaume de Jumièges et 
aucune annale fiamande contemporaine ne parle de 
cet événement. Or, il semble bien que Guillaume de 
Jumièges l'a pris à Dudon en le déformant. 

Celui-ci l’a-t-il puisé aux Annales flamandes contem¬ 
poraines ? Précisément, des Annales flamandes, les 
Annales Elnonenses minores disent à la date de 966 : 
« Lotliarius rex Atrebalum, Duacum, abbatiam S. 
Amanili et omnein terrain usque Lis iiwailit. » Ces faits 
auraient donc suivi la mort d’Arnoul 1", qui eut lieu 
le 27 mars 965 |i). Il eut pour successeur son petit 
fils, Arnoul II, qui eut pour tuteur Baudouin, sur¬ 
nommé Balzo(Bauces), qui fut le véritable régeutdu 
pays. Richerdit que le roi rendit sa terre à Arnoul (2). 
Cependant quelques années après, Lolhaire possé¬ 
dait encore plusieurs villes du comté (3). 


M) La date nous est donnée par les Annales Blandinienses : 
" Magnas Ar nul fus restaura tor bujus Blandiniensis cœnobii 
obiit VI kal. aprilis • (27 mars 965). C'est par suite d'un lapsus 
que M. Pirenne, Histoire de Belgique , t. I, p. 415, dit 964, 
car dans la suite du récit, il donne bien la date de 965. 

(2) * Cujas terrant Lotharius rex ingressus ftlio defuncti libé¬ 
ralité!' reddit eumquc cutn militibus jure sacramentorum sibi 
anneclit ». Ed. Waitz, p. 93. 

(3) Le 5 mai 967, il accordait deux diplômes à Baudouin et 


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391 


ÉTUDE CRITIQUE 


Dudon a en somme connu à peu près la succes¬ 
sion des événements qu'ou peut ainsi restituer : à 
la mort d'Arnoul 1 er , Lothaire s’empare de la Flan¬ 
dre, mais les affaires de Germanie et celles de Nor¬ 
mandie le forcent à abandonner sa conquête dont il 
ne garde qu’une faible partie : c’est dans ce sens 
que Dudon a pu faire intervenir Richard. Mais je 
me demande si Dudon n'a pas fait là un dernier 
emprunt à Flodoard qui, à celte date de 965, écrit : 
« Arnulfo quoque principe decedenle, terrain illius rex 
Lolharius ingreditur, et proceres ipsius provinlitt, me- 
diante Boricone prœsule Laudunensi, eidem subiciuntur 
régi (I) ». Par un procédé qui lui est familier, Dudon 
aurait déformé les événements pour faire jouer un 
râle au duc de Normandie. Richard aurait été subs¬ 
titué par lui à Roric. 

On ne peut admettre avec M. Lair(2) qu’Arnoul II 
ait refusé le service en 978 à Lothaire, lors de la 
tentative de ce roi pour enlever la Lotharingie à 
l’Allemagne ; celte hypothèse est sans fondement, 
comme l’a démontré M. Lot (3). Et si Guillaume de 

Arnoul dans Arras même (a) ; en 976, le roi est encore à 
Douai (6). Quant à l'abbaye de Saint-Amand, loin de la res¬ 
tituer, il la vendit en juillet 968 à Hathier de Vérone (c). 

(1) Annales , p. 156. 

(2) Ed. Dudon, p. 294, n. a. 

(3) Les Derniers Carolingiens, p. 93, n. 3. M. Lair s'appuyait 
sur les Gesta episcoporum Cameracensium, mais M. Lot 

(a) H. F. IX, 629, voir Lot, Les Derniers Carolingiens, p. 58. 

(b) H. F.. IX, 640. 

(c) Folclipi, Gesta abb. Lob., dans M. G. SS., IV, 69, Lot, op. ciL, 
p. 47, n. 1 


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SCR DUDON DE SAINT-QCENTIN 


395 


Jumièges (1) et Wace (2) attribuent à Hugues Capet 
ce que Dudon dit de Lothaire, c’est peut-être par un 
rapprochement et par une confusion avec l'événe¬ 
ment suivant raconté par cet auteur. 

Richard et Albert de Vermandois. — Quelle part 
le duc de Normandie, Richard I er , eut-il au change¬ 
ment de dynastie ? Nous n’en savons rien. Dudon 
n’en parle pas. Guillaume de Jumièges nous dit que 
Hugues Capet fut porté au trône, adminiculante ci 
duce Hicardo (3). M. Lot dit : « La source de cette 
assertion est inconnue. C’est probablement uue van 
tardise de Normand (4) ». Il est certain cependant 
que Richard I", étant donnés les liens qui l’avaient 
uni aux Capétiens, a dù être plutôt favorable à leur 
accession au trône. Richard était le vassal de Hugues 
depuis les événements de sa minorité. Hugues, à qui 
le roi avait délégué le ducalus Francice en 943, se con¬ 
sidère comme le vrai suzerain de la Normandie. 
Richard n’a donc pu qu’aider Hugues Capet ; ses bon¬ 
nes relations avec le nouveau roi lui ont permis 
d’écouter l’appel que lui adressa Albert de Verman¬ 
dois au commencement du règne de Hugues Capet et 

montre que les Gesta ont copié le passage des Annales 
Elnonenses minores relatif aux événements de 965 en le 
reliant maladroitement à des événements de 978. 

(1) Ed. Marx, p. 70. 

(2) Roman de Rou , éd. àndresen, II, p. 56. 

(3) Ed. Marx, p. 70. 

(4) Etudes sur le règne de Hugues Capet et la fin du X• siècle, 
p. 2, n. 1. 


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396 


ETl'DE CRITIQUE 


que lui porta Dudon de Saint-Quentin (1). Chose 
remarquable, celui-ci ne parle pas d’un autre service 
rendu à Hugues par Richard, de son intervention 
contre Eudes de Chartres, qui avait succédé à Thi¬ 
baut le Tricheur en 975 (événement qui, à vrai dire, 
est placé par plusieurs sources en 999, c'est-à-dire 
après la mort de Richard l OT ). 

Les lacunes de Dudon. — Il y eut aussi, sous 
Richard 1 er , une participation des Normands aux 
affaires de Bretagne, dont Dudon ne parle pas. Il se 
pourrait que le duc n'y ait eu aucune part person¬ 
nelle et qu’il s’agisse de bandes de pirates conti¬ 
nuant de courir le monde; encore une fois, les 
invasions ne s’arrêtent ni en 911, ni en 965. Nous 
avons vu qu’après la mort de Drogon, fils d’Alain 
Barbetorte, les Nantais avaient reconnu comme 
comtes deux bâtards de celui-ci, Hoêl et Guerech (2). 
Des luttes s’engagèrent entre eux et Conan le Tort, 
comte de Rennes, soutenu par Thibaut. Conan fit 
assassiner Hoêl, puis entra en guerre avec les Nan¬ 
tais soutenus par les Angevins (3). Conan avait avec 
lui des Normands (4). Le combat fut acharné et 
Conan y fut blessé (5). Après la mort de Guérech, 
vers 988, Conan, qui avait l’appui du comte de Char- 


(1) Ed. Lair, p. 295. 

(2) Chronique de Nantes, éd. Merlet, pp. 112-113. 

(3) Chronique du Mont-Saint-Michel, éd. Labbc, Nova Biblio- 
theca, Paris, 1657, 2 vol. in-folio, 1, 350. 

(4) Ibid. 

(5) Chronique de Nantes, 118-119. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


397 


1res, s’empara de tout le duché et prit le titre de duc 
en 990 (1). Mais, en 992, Foulque, mettant à profit 
une absence de Conan, qui était occupé à l'extrémité 
du Vannelais, dans le Bro Werec, rassembla une 
armée d’Angevins, Manceaux et Poitevins et vint 
mettre le siège devant Nantes. Conau accourut, il 
avait encore avec lui des Normands. S'il faut en 
croire Richer (2), il y eut une nouvelle bataille ; les 
Bretons firent un grand, profond et large fossé (tac¬ 
tique normande) et ne présentèrent qu’un front de 
lances, sur lequel l’armée ennemie vint se briser; 
mais Conan fut tué et Foulque perdit beaucoup de 
monde (27 juin 992). 

Nous ne trouvons rieu de tout cela dans Dudon ; 
ces Normands de Bretagne n'étaient peut être pas 
des Normands du duché. 

Dudon ne nous dit rien non plus des rapports 
avec l'Angleterre, rapports commerciaux et poli¬ 
tiques. Or, nous avons un règlement du roi Ethel- 
red II, promulgué en l’année 979, par lequel les 
marchands de Rouen qui apportaient à Londres des 
vins et du craspois sont exempts d'impôts (3). Ainsi, 
dès le X» siècle, les Normands faisaient le transport 
des vins de France en Angleterre; quant au craspois, 
c’était une salaison alors très recherchée. Mais les 


(1) Lot, op. cil., p. 165. 

(2) Ed. Waitz, p. 167, sqq. Raoul Glaber en donne rempla¬ 
cement ( Conquiretum ) Conquereux (Loire-Inférieure), arron¬ 
dissement de Saint-Nazaire, canton de Guéméné. 

(3) De Fréville, Histoire du commerce de Rouen, Paris, 
Rouen, 2 vol. in-8°, 1857, I, p. 90. 


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398 


ÉTUDE CRITIQUE 


rapports entre Richard et Ethelred n’ont pas tou¬ 
jours été amicaux. L’Angleterre reprochait aux 
Normands de donner asile aux flottes danoises dans 
leurs expéditions contre l’Angleterre, voire même de 
se joindre à eux. Il fallut l'intervention du pape 
Jean XV pour faire accepter une entente aux deux 
adversaires (991 ) ; en présence d’un légat du pape, 
Richard et ses enfants d’une part, un évêque et deux 
comtes anglais de l'autre, jurèrent la paix à Rouen ; 
les deux princes s’engagèrent à ne pas donner asile 
â leurs ennemis respectifs ni même à leurs natio¬ 
naux sans un passeport signé d’eux. La convention 
ne fut pas observée et les Danois continuèrent à 
piller l’Angleterre et à trouver un refuge en Nor¬ 
mandie (1). 

Cependant, à l’intérieur, Richard faisait régner 
l'ordre, s’il faut en croire le témoignage de Raoul 
Glaber qui nous dit qu'aucun vol n’était toléré au 
temps des ducs Guillaume et Richard et que ceux-ci 
se constituaient les protecteurs des pauvres, des 
indigents, des pèlerins (2). 

Ainsi, malgré la pénurie des sources, il apparaît 
que le régne de Richard est plus intéressant en sa 
seconde partie qu'on ne pourrait le supposer d’après 
Dudon. Cet insupportable bavard, qui délaye en 
d’interminables discours les donuées des Annales, 

(1) Guillaume de Malmesbury, Gesla regum angUnitm, I, 
191-199, Jaffé, Regesla ponlificum romanorum, Leipzig, 2" éd. 
1885, n n 3810, t. I, p. 487, Freeman, The Nonnan Cotiquest, 
1, 293, 313, 314. 

(2) Ed. PROU, p. 20. 


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SUR DUDON DF, SAINT-OUENTIN 399 

a complètement négligé quelques points importants 
de l’activité de Richard. 

Quand Flodoard lui manque, Dudon est d’une 
indigence complète. On pourrait dire qu'il s’arrête 
à la môme date que Flodoard, 966, puisqu’il ne 
nous raconte après la guerre contre Thibaut, termi¬ 
née à l’été de 965, que l'affaire de Flandre, mars 965, 
et la participation de Richard dans le démêlé entre 
Hugues et Albert de Verinandois, démêlé qu'il 
connaissait personnellement pour y avoir joué le 
rôle d'ambassadeur de ce dernier prince, enfin la 
mort et les funérailles du duc Richard, auxquelles 
il semble bien qu’il ait assisté. 

En examinant le paragraphe consacré par Dudon 
aux munificences de Richard R r à l’égard des 
églises, nous allons constater aussi combien le cha¬ 
noine de Saint-Quentin, qui, sur ce point, semble¬ 
rait devoir être particulièrement bien renseigné, est 
encore incomplet 

Richard I" r et l’Eglise. — Cet homme d'église 
ne nous renseigne que sur quatre points de l’œu¬ 
vre de Richard I er : le développement de l’église 
Notre-Dame de Rouen ; la reslauration, dans les 
faubourgs de Rouen, de l'église Saint-Pierre et 
Saint-Ouen, c'est à dire de l'abbaye de Saint-Ouen ; 
la construction d’une église au Mont Saint Michel 
et l'introduction des moines dans cette abbaye ; 
enfin les grands travaux entrepris il Fécamp. Il est 
très remarquable que les trois premiers points sont 
indiqués chacun en une phrase laconique, tandis 


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100 


ETUDE CRITIQUE 


qu’il consacre un très long développement à la 
reconstruction de l’abbaye de Fécamp, preuve évi¬ 
dente que les connaissances du chanoine de Saint- 
Quentin sur tout ce qui concerne la Normandie 
étaient extrêmement pauvres, sauf précisément en 
ce qui tenait à l’abbaye de Fécamp, où, très pro 
bablement, il a dû venir à différentes reprises. 

L'église de Notre-Dame de Rouen remonterait, 
s’il faut en croire dom Pommeraye, à saint Mellon ; 
nous savons qu'elle existait déjà au temps de 
saint Victrice (1) ; mais saint Romain l’augmenta 
considérablement en 623 ; peut être a t elle soullert 
des premières invasions normandes ? 11 est impos¬ 
sible de retrouver quelques traces des construc¬ 
tions de Richard P’ dans l'édifice actuel (2). 

Quant à l’église Saint-Pierre et Saint-Ouen, il ne 
s’agit évidemment ni de Saint-Pierre le-Cbûtel, ni 
de Saint Pierre le Portier, mais de la grande abbaye 
élevée sous Dagobert par saint Ouen sous le vocable 
de Saint-Pierre et qui prit plus tard de son fonda¬ 
teur, le nom de Saint-Ouen. Le cloître avait été 
brûlé le 14 mai 841, lors de la première invasion des 
Normands à Rouen sous Oscar (3); on voit que la 
restauration n’a été entreprise que plus de cent ans 


(1) Vacandard, Vie de saint Ouen , évêque de Rouen , Paris, 
1902, in-8", p. 95. 

(2) Voir Allinne et Loisel, La cathédrale de Rouen avant 
t'incendie de 1-200 , Rouen, 1901, in-8°, p. 15. 

(3) Et non en 312, comme le dit dom Pommeraye, Histoire 
de l'Abbaye de Saint-Ouen de Rouen, Rouen, 1662, in-folio, 
p. 117. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN' iOl 

après par Richard I er , ce qui montre combien a été 
lente l’œuvre de restauration de l'église normande. 
Il ne reste rien de cette église du X e siècle ; ou sait 
que, dans son ensemble, la basilique actuelle est des 
XIV e et XV e siècles; les parties romanes qui sub¬ 
sistent, une absidiole et des fondations de piliers, 
dateraient du XI e siècle (1046 112(1) (1). Y a t-il eu 
reconstruction ou restauration ? La phrase de Dudon 
n’est pas claire ; en tout cas, il y eut certainement 
renouvellement de la vie monastique, car Robert de 
Torigni nous donne le nom du premier abbé après 
la restauration, Hildebert (2). En outre Richard I er 
fit faire une nouvelle châsse, enrichie d'or et de 
pierreries pour renfermer les reliques de saint Ouen. 
Au saint il donna Saint Martin en Hiémois (3). 

Le monastère du Mont-Saint Michel avait été 
fondé en 709 ; Guillaume Longue-Epée, qui réunit 
le pays vois; Il â la Normandie, lui a-t-il fait quelques 
donations 7 (4) Richard l ot dut, en tout cas, opérer la 
réforme du monastère, où les religieux menaient 


(1) Enlart, Rouen, Paris, 1906, in-4", p. 60. 

(2) Traité sur les ordres monastiques et les abbayes nor¬ 
mandes (De immutatione), à la suite de la Chronique, éd. 
L. Dblisle, Paris, 1873, 2 vol. in-8°, II, 193. 

(3) Vacandard, op. cit., pp. 310-312. Voir la charte de 
Richard II qui fait allusion a cette donation dans Pommeraye, 
op. cit., p. 401. 

(4) Comme le dit Goût, Le Mont Saint-Michel, Paris, 1910, 
2 vol. in-8°, t. I, p. 102, qui attribue à Guillaume Longue- 
Epée le don de Moidrey, Carnet, Marigny, etc., mais malheu¬ 
reusement ne cite pas ses sources. 

26 


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.102 


ETUDE CRITIQUE 


une vie dissipée (1). Malheureusement, le chanoine 
de Saint-Quentin ne donne aucun détail ; et pour¬ 
tant il y avait lieu de rattacher cette introduction 
des moines dans l’abbaye de la marche brito-nor- 
mande au mouvement général de réforme. 

Il semble bien en elïet que Richard l" r a adhéré au 
grand mouvement de réforme monastique qui est 
parti de Cluny et qui s’est répandu en courants 
secondaires dans la Lorraine et la Flandre. Cette 
œuvre, Rollon ne l’a pas tentée, ce n’était pas ce 
demi-païeu qui pouvait réformer le clergé ; l'action 
de Guillaume à Juinièges a été sans leudemain (2), 
mais sous Richard I er , la Réforme a été introduite 
au Mont-SaintMichel par Mainard, abbé de Saint- 
Wandrille où il avait, pendant cinq ans, exercé ses 
fonctions (3). Mainard venait de Gand. C’est un 
disciple de Gérard de Broigne. En Flandre, comme 
eu Normandie, au sortir des invasions normandes, 
la décadence des monastères était profonde (4) et 
c’est de l’aristocratie qu’était sorti le réformateur. 
Gérard de Broigne appartenaità une des familles les 
plus illustres de la Lotharingie; il a visité Saint- 
Denis où il s’instruisit aux écoles, il y prononça ses 

(1) Voir le Carlulaire de l'abbaye, ms. 210 de la bibliothèque 
d'Avranchcs, cité par Goût, op. cil., 1, 101. 

(2) Sackur, op. cit., II, 42. 

(3) Chronica Sancli Michaeli* , dans Labbe, Nov. liibl ., 1, 
p. 313; et à la suite de la Chronique de Robert de Torigni , 
éd. L. Delisle, II, 231. 

(4) Pirenke, Histoire de Belgique, t. I, p. 75. Voir Sackur, 
op. cit., I, p. 121, sqq. 


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SUR DL'DON DE SAINT-QUENTIN 


403 


vœux, puis fonda un monastère à Broigne près Na- 
mur et prit le titre d’abbé en 923. Il a voulu réfor¬ 
mer l’Eglise lorraine, restaurer la règle bénédictine ; 
il fut appelé par le comte Régnier de Hainaut et 
Gilbert de Lorraine, puis en Flandre par Arnoul 
le Vieux pour propager la Réforme; son action s’est 
fait sentir à Saint-Pierre et Saint Bavon de Gand, à 
Saint-Amand et Saint-Berlin; il a fondé un nombre 
considérable de couvents. 

A Gand, jadis, avaient été transportées les reliques 
de saint Wandrille qui avaient d'abord trouvé refuge 
à Boulogne (1). Saint Wandrille avait été délaissé 
depuis les invasions normandes. La restauration fut 
commencée en 961 et les reliques revinrent de 
Gand (2). Pourquoi Richard transporta t-il Mainard 
de Saint Wandrille au Mont Saint Michel? (3) Vrai¬ 
semblablement, il attachait une grande importance 
à instaurer l'influence normande dans cette marche 
de Bretagne où elle avait été jusqu’alors assez faible. 
Peut être aussi pensait il que l’oeuvre de réforme, 
commencée à Saint-Wandrille par Mainard, y serait 


(1) Lot, Eludes critiques sur l’abbaijc de Saint-Wandrille, 
p. XL. 

(2) De immutatione, à la suite de la Chronique de Iloberl de 
Torigni, II, 194; Inlroductio monachorum et miracula insi- 
gniora Sancti Michaelis dans les Curieuses Recherches (le Dont 
Le Roy éditées dans les Mémoires de. la Société des Anti¬ 
quaires, XXIX, 1877, p. 868. S’il fallait en croire un récit de 
Robert de Torigni (I, 22-24), les reliques de saint Mauxe et 
de saint Vénérand y auraient été apportées en 964. 

(3) Sackur, op. cil., Il, 44 suppose que Richard I fr voulait 
mettre Mainard à la tête de toutes les abbayes normandes (?) 


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*01 


ETUDE CRITIQUE 


continuée avec succès, en quoi il se trompait, car 
les trois abbés qui succédèrent à Mainard ne firent 
que du mal et le monastère ne se releva qu'avec 
Richard 11 (1). 

De l’intervention de Richard I er au Mont-Saint- 
Michel, nous avons une preuve irréfragable dans un 
dipléme de Lolhaire de 966 (2), qui montre qu’à l'œu¬ 
vre de réformation se sont associés le pape Jean XIII 
et l'archevêque de Rouen, Hugues (3). Les clercs 
séculiers qui n’avaient pas voulu se soumettre à 
la règle bénédictine, furent remplacés par des 
moines. Le duc, qui, s'il faut en croire l’auteur des 
Curieuses Recherches sur le fiant Saint-Michel , serait 
venu fréquemment à l’abbaye (4), lit de grands dons 
à l’église et des travaux furent commencés (5). Mai¬ 
nard eut le temps d’achever son œuvre au Mont- 
Saint-Michel, car il ne mourut qu’en 991 (6). Son 

(1) Lot, Eludes critiques, p. XLV. 

(2) Halphen, Recueil des actes de Lolhaire et de Louis V , 
Paris, 1908, in-4°. p. 53. 

(3) M. Lot, Eludes sur le règne de Hugues Capet , p. 228, 
n. 1, déclare cet acte suspect, mais la date (7 février 966) lui 
paraissait inadmissible parce qu’il croyait que la paix avec 
Lolhaire n'avait eu lieu qu’en juin 966, or, nous démontrerons 
qu’elle a eu lieu en juin 965. M. Halphen, tout en montrant 
que l'acte est interpolé, le reconnaît comme bon. 

(4) Op. cil ., p. 868. 

(5) Robert de Torigni, op. cil., I, p. 26, Orderic Vital, op. 
cil., Il, 9, Sackur, op. cil., II, p. 43. Voir encore Dom IIüynes, 
Histoire générale du Mont Saint-Michel, Rouen, 1872 (S. H. N.), 
2 vol. in-8°, I, 55, dont le récit manque ici comme partout de 
critique. 

(6) Mabillon, Annales Ordinis Sancti Benedicti, Paris, 1707, 
6 vol. in-folio, IV, p. 75. Goût, t. I, p. 104. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


405 


œuvre fut continuée par son neveu qui reconstitua 
le domaine. 

Dudon raconte ensuite les travaux entrepris à 
Fécamp ; il décrit avec un certain charme le site 
même, description que l'on trouvera plus étendue 
dans Baudri de Bourgueil. En ce qui concerne les 
travaux, le fait est confirmé par une charte de Ro¬ 
bert le Pieux, de 1006 (1), par Raoul Glaher qui 
nous parle du riche monastère élevé par Richard (2). 
La consécration de cet édifice eut lieu solennelle¬ 
ment au mois de juin 990 (3), en présence du duc, 
des comtes Guillaume et Godefroi, de son frère 
Raoul, de l'archevêque Robert, des évêques Raoul 
de Bayeux, Hugues deCoutances, Gératid d'Evreux, 
Roger de Lisieux et Norgod d’Avranches. Le duc 
avait donné à l’abbaye le revenu de douze paroisses 
environnantes : Vittelleur, Paluel, Saint-Riquier- 
ès-Plain, Ingouville-ès Plain, Saint-Valery-en-Caux, 
Veules, etc. (4). Il y plaça d’abord douze cha¬ 
noines pour y célébrer l'office divin (S). Mais ces 
chanoines ne répondirent pas à ses espérances et le 
duc Richard fit appel à Mayeul, abbé de Cluny ; il 

(1) Gallia Christiana , XI, instr., C. 8. 

(2) Ed. Prou, p. 40, Guillaume de Malmesbury, parlant dos 
travaux de Richard II à Fécamp, dit • Cœnobium Fiscannense 
quod pater inchoaverat ». 

(3) 989 , selon le Chronicon Sancti Slephani Cadomensis, dans 
Duchesse, Normanniæ Script ores, p. 1017 ; date qu’a adoptée 
Sackur, op. cit., II, p. 44. 

(4) Mabillon, Annales ., IV, p. 62. 

(5) Gallia christiana, XI, c. 202 et Leroux de Lincy, op. cit., 

p. 6. 


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40f> 


ETUDE CRITIQUE 


voulait l’établir dans le monastère de Fécamp pour 
y introduire la réforme clunisienne ; Mayeul ne 
voulut se mettre à l’œuvre que si Richard lui accor¬ 
dait le droit de pasnage dans toutes les forêts de la 
Normandie. Le duc s’y refusa et Mayeul rentra en 
Bourgogne, où il représenta les Normands comme 
des barbares (1). 

Ainsi, la réforme clunisienne ne pénétra en Nor 
mandie que sous Richard II, avec Guillaume de 
Saint Bénigne, de Dijon ; mais elle avait été pré¬ 
parée par la réforme de Gérard de Broigne partie de 
Gand. Dudon de Saint-Quentin ne nous laisse rien 
soupçonner de ces faits si intéressants. Peut être 
même ne nous a-t il pas indiqué toutes les fonda¬ 
tions de Richard I sr (2) ; ne faut-il pas lui attribuer 
Saint Taurin d’Evreux qui, d’après son nécrologe, 
le reconnaît comme son restaurateur (3) ? Jumièges. 
qui aurait eu à souffrir de l'administration de Raoul 
La Tourte (4), aurait reçu plus tard du duc la moitié 
du territoire de Heurteauville (b). 

(1) Liber de revelalione, œdificatione et auctontale tnonas- 
terii Fiscanneusis dans Migne, Pair. lat. CXLl , c. 848 et Vila 
S. Maioli, nbbatis Cluniacensis dans MabilLON, ^4cfa SS, 
ordinis Benedicti , Paris, 1668-1701, 9 vol. in-folio, Sæc. V, 
§ 40, p. 776 ; Leroux de Lincy, op cit., p. 6 ; Pfister, Eludes 
sur le règne de Robert le Pieux, p. 309; Sackur, op. cit., Il, p. 45. 

(2) Bôhmer, Kirchc und Slaat in England und in der Nor¬ 
mandie in XI und XII Jahrunderl, Leipzig, 1899, in-8» p. 6. 
dit que la réforme a été aussi introduite à Saint-Ouen. 

(3) Mabillon, Annales...., IV, 105. Mais Robert de Torigni, 
De immutalione, éd. L. Delisle, II, p. 194, nomme Richard II. 

(4) Histoire de l’abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, 
t. 1,133. 

(5) Ibid. p. 139. Il faudrait pour préciser la date de ce don 


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SIR DUDON DE SAIXT-OUENT1N 


407 


Les invasions normandes dans celte région avaient 
duré près d’un siècle, 820 911 ; même après l’éta¬ 
blissement de Rollon et son baptême, elles avaient 
été suivies de retours au paganisme, dont les mani¬ 
festations se succédèrent pendant près d’un demi- 
siècle encore avec Rollon lui même, avec Rioul, Tur- 
moud et Ilagrold. Richard I er ne put lutter contre le 
paganisme qu’après que son pouvoir se fut affermi ; 
en ce qui concerne le clergé régulier, nous avons cons¬ 
taté les débuts de son action en 960, mais ses luttes 
contre Thibaut ont pour conséquence une nouvelle 
invasion païenne suivie de nouveaux baptêmes. On 
sait combien était superficielle la vie chrétienne 
chez ces nouveaux convertis. Ces cent cinquante an¬ 
nées de troubles n’avaient pas eu seulement pour 
conséquence la destruction de certains monastères: 
Fécamp, Jumièges, Saint-Ouen ; l’abandon de cer¬ 
tains autres: Fontenelle, dont les moines émigrent 
à Boulogne (1); les translations de reliques; le 
clergé de Bayeux au IX» siècle fuit avec celui de 
l’église de Dol en emportant des reliques de saint 
Regnobert (2). Les Francs étaient peut être aussi 
redoutables que les Normands, s'il faut en croire 
un récit de la translation des reliques de saint 
Evroul et de saint Ansbert. Ces reliques auraient été 

et (Je ceux que Y Histoire de l’Abbaye royale, p. 134, attribue 
au comte Bernard — peut-être Bernard le Danois — au prêtre 
Marmon. une édition critique des diplômes de Richard I er et 
de Richard II que nous attendons de la science de M. Lot. 

(1) Lot, op. cil., xxxvn. 

(2) Translatio corporum bealorutn Regnobcrti el Zetionit, 
Luc d’AcHERY, Spicilegium, Paris, 1675, 13 vol. in 8", XII, 600. 


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408 


ETUDE CRITIQUE 


enlevées par les officiers de Hugues le Grand lors de 
la campagne de celui-ci, en 945, contre Bayeux. Son 
chancelier Hélouin el Raoul de Dragi, pendant le 
passage de l’armée du duc, s’emparent des reliques 
de saint Evroul, de saint* Evremond et de saint 
Ansberl et les transportent en Orléanais (1). Etait ce 
pour les soustraire aux pillages des Normands ? On 
ne sera pas surpris que Dudon, souvent assez sévère 
pour les Carolingiens, mais très respectueux des 
Capétiens qui régnaient lorsqu'il écrivit son œuvre, 
n’ait point rappelé cette histoire. 

Pour le clergé séculier, les invasions ont eu d’au 
1res conséquences : destruction d'une partie du clergé 
décimé par la haine d’Hasting et de ses bandes, 
démoralisation de ceux qui survivaient, barbarie des 
clercs de race normande. Orderic Vital trace de ce 
clergé un portraitpeu flatteur que l’on chercherait en 
vain dans Dudon. Parlant de l’abbé Foulques de Guer- 
nauville qui avait eu, d’une noble compagne, huit 
fils et deux filles, il remarque qu’ « eu Neuslrie, la 
chasteté des clercs avait tellement disparu que non 
seulement les prêtres, mais encore les évêq ues avaient 
ouvertement des concubines et se glorifiaient du 
grand nombre de leurs fils et de leurs filles. Cet 
abus existait au temps des néophytes qui avaient été 
baptisés avec Rollon et qui plus instruits aux armes 
qu'aux lettres envahirent violemment le pays. Enfin 


(1) De Translationc SS. Ebrulfi , abbatis Uticensis et Ansberli 
monaçhi in cœnobium Rasbacemc , MABILLON, Acta SS., 
Ordinis Bcnedicti, Sœc-, V. p. 226. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 409 

des prêtres de la race des Normands, de stirpe Daco- 
rum, fort peu instruits, portaient les armes et déte¬ 
naient les paroisses comme des fiefs laïcs (I) ». 
Guillaume de Saint-Bénigne trouvait à peine un clerc 
qui sût psalmodier eu Normandie (2). 

Qu'ont fait les ducs pour remédier à cet état de 
choses ? Les ducs disposaient à leur gré de l’arche¬ 
vêché. A Roueu, il semble que leur intervention 
n'ait pas été des plus heureuses, ce qui explique que 
Dudon n'en ait point parlé. Le clergé normand était 
entre leurs mains (3). Guillaume donna l’archevêché 
à un moine de Saint-Denis, Hugues (4); il eut pour 
successeur Robert, fils de Richard et de Gounor, que 
le duc leur imposa et que les chanoines ne vou¬ 
laient pas accepter tout d’abord. Ce fut un très 
mauvais prélat ; devenu comte d'Evreux, il épousa 
llerlève et en eut trois enfants (3). Cet archevêque 
était le grand protecteur du chanoine de Saint- 
Quentin qui lui a dédié, dans sa préface et au cours 
de son œuvre, nombre de poésies. A prélat de cour, 
chanoine de cour: Dudon avait les meilleures raisons 

(1) Orderic Vital, 11,397. 

(2) Vita S. Willelmi dans Mabillon, op. cit., Sæc. VI, pars. I, 
p. 327. 

(3) Pfister, op. cit., p. 187. 

(4) Analccta archiepicoporum Rolonuigrnsium dans Mabil- 
LON, A note cia. éd. in-8", II, 437 et Historia archiepicoporum 
Rolhomagensium dans dom Martène, Vcterum scriptorum 
colteclio, Paris, 1700, in-8°, p. 239. 

(5) Orderic Vital, II, 30 et 365 et dom Pommeraye, Histoire 
des archevêques de Rouen, p. 239. 


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ETl'DE CRITJOIE 


410 

pour ne pas s’étendre sur l’œuvre religieuse de 
Richard 1". 

Le duc qui semble, depuis 942, avoir disposé de 
l'archevêché de Rouen avait-il le même droit sur 
les autres évêchés ? Il n’est même pas sûr qu’au 
début du moins, comme le remarque justement 
M. Imbart de la Tour, il ait pu intervenir dans les 
élections épiscopales (1). Il semble même qu'en 
certains diocèses toute vie régulière ait été suspen¬ 
due jusqu’au temps de Richard l 01 sous lequel on voit 
se reconstituer les évêchés. Il semble qu’il y ail eu 
partout restauration de la hiérarchie ; à Sées, les 
listes épiscopales présentent uue lacune de 910à 986 ; 
mais l’évêque Azo se trouve, en 990, à la dédicace de 
Fécamp (2). A Lisieux, la lacune s’étend de 832 à 
990, un évêque de Lisieux assiste également à cette 
dédicace (3). Il y a une lacune à Avranches de 862 à 
990 ; Norgod, uu Scandinave, sans doute, assiste à 
la même dédicace (4). Il semble que l’évêché de 
Coutances-Saint Lo, ait été transféré à Rouen ; 
les corps de Saint Lo et de Saint-Frémond y avaient 
été transportés dans l’église de Saint-Sauveur, que 
Rollon aurait donnée à l’évêque. Cinq évêques rési¬ 
dèrent à Rouen : Théoderic, Herbert, Algeronde, 
Gilbert, Hugues (6). Eu était il de même pour l'évê- 


(1) Les élections épiscopales dans l'église de France du IX* au 
Xlb siècle, Paris, 1890, in-8°, p. 247. 

(2) Gatlia christiana , XI, c. 679. 

(3) Id., c. 765. 

(4) ld., c. 474. 

(5) Gallia christiana, XI, c. 868, Farin, Histoire de la ville de 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 411 

ché d’Avranches ? En 966 le Mont-Saint-Michel, 
dans la charte de Lothaire I er , est représenté comme 
faisaut partie du diocèse de Rouen. Sans doute, 
ces diocèses n’ont repris leur vie propre que sous 
Richard 1 er . A Bayeux, il y eut une interruption d’un 
demi-siècle jusqu’à Henri qui baptisa Richard I or . 
Résidait il à Bayeux ? Il semble, à lire Dudon, qu'il 
ail baptisé le jeune prince à Fécamp. Un ordre régu¬ 
lier parait s’être mieux maintenu dans les évêchés de 
Haute Normandie.l'évêqued’Evreux,Guichard,sous¬ 
crit à un acte pour Saint-Père de Chartres en 954 (1). 
Géraud assiste, en 990, à la dédicace de Fécamp (2). 

Faisons encore mentiou d'une restitution de 
Richard à Saint Denis. « Pendant l'assemblée de 
Gisors, Gozlin, abbé de Saint-Denis, avait réclamé 
à Richard le domaine de Berneval comme apparte¬ 
nant à l’abbaye, en vertu de la donation de Guillaume 
Longue Epée et de Robert (Rollon), grand-père de 
Richard. Le duc de Normandie avait accueilli favo¬ 
rablement la demande de Gozlin, sur le conseil 
de son seigneur Hugues, de son frère Raoul, comte 
d’Ivry, et d’Osmout, sans doute son ancien gou¬ 
verneur. Néanmoins, il remit à plus tard l’examen 

Rouen, Rouen, 2” éd., 1731, 6° partie, p. 2. L’église Saint-Sau¬ 
veur prit le nom de Saint-Lo. Toustain de Billy, Histoire 
ecclésiastique du diocèse de Coutanccs, êd. par F. Dolbet, 
Rouen, 1874, in-8‘> (S. H. N.), t. t, p. 05. Ajoutons que Gonnot- 
aurait songé à rebâtir la cathédrale, Galtia christiana, XI, 
c. 217. 

(1) Gallia christiana, XI, c. 570. 

(2) Id. 


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ETUDE CRITIQUE 


412 

des titres de l’abbaye de Saint-Denis et conseilla 
à Gozlin de venir le retrouver à Rouen. Gozlin se 
rendit donc un dimanche à Rouen, et là, en présence 
du duc, de sa femme Emma, et des seigneurs nor¬ 
mands, i! prouva que le domaine de Ëerneval avait 
été injustement ravi à l’abbaye de Saint-Denis par 
l’évêque Aillemond. En conséquence, Richard se 
rendit à Berneval, accompagné d'une suite nom¬ 
breuse de grands de France et de Normandie, et, le 
18 mars 9(58, restitua ce domaine à l’abbaye de Saint- 
Denis (1) ». 

La féodalité normande. — Dudon ne nous a pas 
parlé non plus de la constitution de la féodalité 
normande. Or, nous avons vu apparaître, sous le 
régne de Richard l” r , les chefs des grandes fa 
milles : par exemple, la maison de Bellême avec Yves 
de Bellême, qui pourrait bien être le complice d’Os 
mont dans l’évasion de Richard l» r . Cette maison se 
constitue sur la frontière avec le château de Bellême, 
celui de Domfront élevé avec la permission du duc 
Richard et peut être celui d’Alençon. Sur ce terri¬ 
toire des rives de la Sarthe, de la Mayenne et de la 
Varenue, il y eut donc constitution d’une maison 
importante qui devait devenir pour la Normandie un 
redoutable adversaire (2). En outre, la famille de 
Richard allait être l’origine d’une féodalité apanagée 

(1) Lot, Les Derniers Carolingiens, p. 57. 

(2) Stapleton, Magni Jtotuli scaccarii Kormanniec sub 
regibus angliœ, Londres, 1840, 2 vol. in-8,1, p. lxxi. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN il 3 

avec les fils légitimes et naturels du duc, à Evreux, 
à Brionne, etc. 

La mort de Richard I er . — Tombé malade à Bayeux 
en 996, le duc se fit transporter à Fécamp. Sur la date 
de la mort, on a eu quelquefois des doutes ; on a dit 
que Richard I er aurait vécu jusqu'en 1002, mais la 
date de 996 est formellement donnée par Dudon de 
Saint Quentin (1) et Guillaume de Jumièges (2). Or le 
témoignage de Dudon est parfaitement acceptable 
sur ce point, car il a pu être renseigné par Raoul 
d'ivry et, très vraisemblablement d’ailleurs, il a 
assisté aux funérailles du duc. 

Après un nouvel éloge du duc Richard, le cha¬ 
noine de Saint-Quentin nous raconte sa fin édifiante, 
comment il avait choisi Fécamp pour le lieu de sa 
sépulture, comment il désigna à Raoul d'ivry son 
fils Richard pour lui succéder. Le récit des funé¬ 
railles est vraiment une belle page latine. Le cha¬ 
noine parle-t-il en oculaire témoin ? Peut être se 
trouvait-il alors dans cette abbaye de Fécamp qui 
lui était si chère ? Peut être ses bonnes relations 
avec la famille ducale le firent elles inviter à ces 
funérailles? Il dépeint admirablement, — car si on 
peut lui refuser la créance historique, on ne saurait 
lui contester un véritable talent littéraire, — le cor¬ 
tège funèbre, la douleur et l’empressement de la 
population, les lamentations des veuves, des vierges, 

(1) Ed. Lair, p. 299. 

(2) Ed. Marx, p. 72. 


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ÉTUDE CRITIQUE 


414 

des épouses s’arrachant les cheveux, se frappant la 
poitrine, les cris des chevaliers, les psalmodies des 
prêtres ; tout cela constitue un tableau saisissant. 
On se demande parfois en lisant cette page si l'ima¬ 
gination très vive du chanoine n'en a pas fait tous 
les frais, ou bien plutôt s’il n’a pas rendu au contraire 
d’une façon très imagée et très pénétrante ce qu’il 
pourrait y avoir encore de sauvage dans ces hurle¬ 
ments des femmes normandes pleurant la mort du 
chef, si bien qu’on pense involontairement, en reli¬ 
sant ces belles phrases latines, à la marche funèbre 
du Crépuscule des Dieux. 

Telles sont, hélas ! les impressions mélangées 
et contradictoires que nous laisse Dudon. On ne peut 
jamais se laisser aller à croire à sa sincérité, tant on 
a constaté d’inexactitudes en son œuvre, et pourtant 
cet homme fort intelligent est un peintre assez exact, 
bien que trop flatteur, des mœurs de cette première 
société normande. 


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Sim DUDON PE SAINT-QUENTIN 


115 


LES INSTITUTIONS ET LES MŒURS 
DANS DUDON 


U y a lieu de se demander si le plus inexact des 
historiens, — encore est-il à peine permis de lui 
donner ce nom — ne pourrait pas conserver une 
certaine vérité dans la peinture des mœurs et des 
institutions. Nous avons, à dillérentes reprises, insisté 
sur quelques traits exacts relevés au cours de notre 
discussion critique, car nous avons rendu justice au 
vieux rhétoriqueur. Il est peut-être nécessaire de 
grouper ici dans un court tableau d'ensemble les 
traits épars que la critique des faits ne nous a pas 
permis jusqu’ici de rassembler. Déjà M. Lair, dans 
un chapitre intitulé Dudon peintre des mœurs , avait 
essayé de mettre en lumière l’exactitude d'un écri¬ 
vain dont il s'était (ait l’éditeur et l’apologiste. Ou 
ne saurait cependant suivre M. Lair dans tous ses 
développements ; il a esquissé un tableau des causes 
des succès des invasions normandes, succès dont il 
trouve la cause dans le déplorable état de la société 
carolingienne de ce temps : qu’on y prenne garde, 
ceci est un pur hors-d’œuvre, car M. Lair qui se fait 
ici, non seulement l’apologiste de Dudon, mais celui 
des Carolingiens, s’appuie sur les Capitulaires et non 


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116 


ETUDE CRITIQUE 


sur le chanoine de Sainl-Quenlin et nous n’avons pas 
à discuter ici la question de l’activité législative 
des descendants de Charlemagne ; il est assez vain, 
d’ailleurs, de se demander ce que valait cette acti¬ 
vité si elle n'était pas suivie d’eflet ; qu’impor¬ 
tent des lois qui ne sont pas respectées, des capitu¬ 
laires qui ne sont pas appliqués ? Au temps de la 
décadence carolingienne, comme en d’autres épo¬ 
ques, ce n'étaient point les lois qui faisaient défaut, 
mais la volonté ou la force et la constance néces¬ 
saires pour les mettre à exécution. 

Or, ce que nous trouvons dans Dudon, nous l’avons 
déjà remarqué, ce n’est point le portrait des Caro¬ 
lingiens ; il n'avait pas à le tracer dans son récit 
extrêmement vague ; on ne sait trop sous quel prince 
se déroulent les événements racontés aux deux pre- 
mieps livres dont la chronologie nous échappe. 
Louis IV ne joue pas un rôle sympathique dans les 
deux derniers livres, et on ne saurait encore le repro¬ 
cher à Dudon, puisqu’aussi bien il est conforme, 
dans ses graudes lignes, aux données de Flodoard. 
On l’a déjà dit : le chanoine de Saint Quentin 
devait être plus porté à l'indulgence pour les Capé¬ 
tiens qui sont les rois de son temps. Il s'efforce 
d’ailleurs, dans son apologie, de représenter les ducs 
normands comme les loyaux serviteurs de la monar¬ 
chie ; mais il est un peintre très fidèle de la société 
féodale ; il l'a peinte en termes précis, quand on sait 
le comprendre, soit qu’il indique les liens qui unis¬ 
sent le nouveau chef d’Etat, Rollon, à la monarchie 
carolingienne, soit qu’il montre l’obligation pour 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


417 


Richard d'avoir un seigneur et de se mettre dans la 
dépendance de Hugues. Il a une idée très précise de 
la nécessité, sinon légale, du moins de lait, où est 
tout seigneur d’entrer dans la hiérarchie léodale ; 
mais il a aussi compris que les Normands ne con¬ 
naissaient pas le mécanisme de cette société, qu’il 
fallait le leur expliquer ; de là la peinture si vivante 
de la prestation d’hommage à Saint Clair sur-Epte ; 
de là les discours de Hugues le Grand aux seigneurs 
normands pendant la minorité de Richard. Que le 
régime léodal ait été importé par les Normands, 
cela ne se peut soutenir, puisqu’ils ne le connais¬ 
saient pas dans leur pays d'origine, mais avec la 
remarquable facilité d'adaptation qui caractérise la 
race, — et ceci est une remarque de portée générale, 
— les ducs auront compris de bonne heure les avan¬ 
tages de ce régime, peut-être lui auront-ils dohné 
plus de précision qu’il n'eu avait dans le reste de 
la Gaule, en imposant à leurs vassaux directs des 
obligations militaires précises quant au nombre 
d'hommes d’armes à fournir, analogues à celles 
qu'Harald Harfagr' avait imposées en Norvège à 
chaque Skatkonung (1). Peut-être ainsi provoquè¬ 
rent-ils quelque révolte? Car Dudon semble avoir 
bien vu que les Normands apportaient dans celte 
société nouvelle pour eux des habitudes d’égalité et 


(1) Sur cette question, voir le livre II, pp. 296-300. Nous 
rassemblons ici les traits épars dans Dudon sur tes institu¬ 
tions, mais pour les questions déjà traitées, nous renvoyons 
aux livres précédents. 

■27 


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418 


ETUDE CRITIQUE 


d’indépendance qui, en effet, étaient propres aux 
peuples du Nord et demeurent à l’heure actuelle chez 
les Norvégiens ; de là la parole qu'il met dans la 
bouche des soldats de Rollon : « Nous sommes des 
égaux » ; réminiscence peut-être, chez cet homme qui 
a pris à toutes les sources, d'un vers d'Abbon. Mais 
il a bien vu que le chef de l’armée normande consul¬ 
tait ses lieutenants en toutes choses ; de là ces 
assemblées des grands qui précèdent chaque acte 
important. Jamais la succession ducale n’est réglée 
sans une consultation de ce genre, sans une presta¬ 
tion d'hommage, une reconnaissance effectuée du 
vivant même du duc Lorsque Guillaume songe à 
abdiquer, il (ait un discours à ses trois secrétaires, 
Bernard, Bothon et Anslech pour leur montrer la 
nécessité d’assurer sa succession ; il désigne son 
héritier, dont'Dudon a bien soin de ne pas rappeler 
l’origine irrégulière, et les barons prêtent le ser¬ 
ment au jeuue Richard et se recommandent à lui : 
« Sacramento verte fidei, manibus volonlarie datis corn- 
mendaverunt se illi (1) ». La même cérémonie avait eu 
lieu quand Rollon, accablé par l'àge et la (aligue, 
avait convoqué les grands, <( convocalis Uacorum llri- 
lonumque principibus » etavaitdonné toute sa terre : 
« omnem lerram suit ditionis » à Guillaume, fils de 
Popa, et les avait liés à son fils par le serinent et la 
remise des mains (2). 

(1) Ed. Lair, p. 22t. 

(2) Ibid., p. 173. Algue, inter mnnus Willelms adolescent!* 
maints suas mittentes principes colligavit illi conjuralionis 
sacramento. 


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SUR DUDON DE SAIM-OUENTIN 419 

Les grands avaient ils d'autres droits? Y avait il 
dans le duché primitif une assemblée de sages qui 
ferait penser au witenagemot anglo-saxon? ou une 
assemblée plus large, plus démocratique qui rappel¬ 
lerait le ihing norvégien, Valthing islandais? Dudon 
ne ditrien qui permette une affirmation quelconque. 
En tout cas, dans l'état normand, le régime féodal 
devait peu à peu transformer de telles assemblées 
en une cour analogue à celle des rois. C'est elle sans 
doute que Dudon a vue en action sous Richard II et 
qu’il a peut-être transportée dans le passé. Rollon 
a convoqué les premiers des Danois, avant de signer 
la paix de Saiut-Clair-sur-Epte (1). Richard I" faitde 
même avant celui de 965 (2) ; les grands ont été 
consultés sur la législation donnée par Rollon (3) ; 
les principes s’opposent au projet de Guillaume d’ab¬ 
diquer (4). Ils interviennent dans tous les actes de 
la famille ducale qui peuvent engager l'état nor¬ 
mand : Guillaume ne veut pas donner sa sœur 
Gerloc au comte de Poitiers avant d'avoir consulté 
ses fidèles (5). Ceux-ci persuadent à Richard d’épouser 
Gonnor (6). S’il fallait en croire Dudon, ils auraient 
même été consultés sur l’union de Rollon avec Gisèle. 

En dehors de cette cour, on constate l’existence 


(1) Ed. Lair, p. 166. 

(4) Id., pp. 282-283. 

(3) Id ., p. 171. Voir notre livre II, p. 272. 

(4) Id., p. 202. 

(5) ■ Consultu mcorum fidelium » p. 192. 

(6) Id., p. 289. 


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ETUDE CRITIQUE 


420 

d'un chef de la milice, chef aussi de la maison 
ducale, Bollion (1) ; de grands officiers : Bernard, 
Botlion et Anslech sont appelés secrétaires du duc (2), 
il est question d'un chambrier, camerarius, lors de la 
mort de Guillaume Longue-Epée (3) Mais, ici encore, 
nous devons faire cette remarque que Dudou a peut- 
être voulu représenter plutôt ce qui existait au 
temps où il écrivait sous Richard II, que ce qui 
existait réellement sous les ducs dont il retraçait 
l'histoire. 

Dudou dissimule mal que la dynastie normande 
se perpétue par le concubinage et que les chefs 
normands pratiquaient encore sans doute une sorte 
de polygamie. Toutefois, la monarchie normande, 
si l’on peut s’exprimer ainsi, est héréditaire. Si 
Rollon, d'après le seul Guillaume de Jumièges, 
semble avoir été élu au sort à sa première arrivée à 
Rouen (4), dans la suite, chaque chef a désigné son 
héritier. La couronne ducale appartient elle de droit 
au fils ainé? Il semble que ce qui importe, c'est la 
désignation paternelle : quand Richard I" meurt, 
Raoul d'ivry lui demande quel sera son successeur ; 
le duc désigne celui qui porte le même nom que lui. 
Quant aux puînés, ils tiendront, après serinent et 


(1) * Princeps militiœ noslræ ». Id., p. 181. • Princeps 
domus », p. 183. 

(2) Id., p. 220. 

(3) Id., p. 208. 

(4) Ed. Marx, p. 21. « Sorte eligentes, g mon sibi doniinum 
militiæque su/c principem, pacta ci fidelitate, preficiunt ». 


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SLR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


«I 


hommage prêtés à leur frère, une terre qui assurera 
leur existence (1). 

Le chef de l'état normand est appelé par Dudon, 
duc, marquis, comte. Ce sont des titres que le prince 
normand prend dans ses actes, indifféremment ou 
simultanément,au temps de Richard i or ouRichard II, 
même encore de Guillaume-le Conquérant (2). Il est 
incontestablement un comte, cornes, une sorte de suc¬ 
cesseur des comtes carolingiens ; il est un mar¬ 
quis, marcliio (3) ; les historiens allemands ont dit 
qu’il était le chef d’un état fondé pour protéger la 
Francia contre les Normands et les Bretons (4) ; il 
est aussi un duc. Ce nom l’emportera. Dudon, en 
l'employant de préférence, a peut-être contribué à le 
faire entrer en usage. En somme, le De moribus nous 
apprend peu de choses des institutions ; elles ne 
devaient nécessairement tenir qu’une place res¬ 
treinte dans le roman historique forgé par le Doyen. 


(1) « Qui fungilttr meo nomine, vestri cousilii auclorilate dux 
et cornes, h œresque erit hæreditatis nies.... lllis mei filii Ricardi 
sacra ment o vertu fidci fidelibus effectis, tnanibus illorum ejus 
manibus vice cordis datis, largietur terrain quant dénions tra¬ 
cera tibi, qtia vivere honorifive /tossint ». Eil. Laik, p. 297. 
M. GÉNESTAL, Le parage normand, p. 3, voit dans ce texte 
line première manifestation du droit d'aînesse appliqué à la 
succession ducale et aussi du parage normand. Sans doute, 
niais Richard II ne devient duc qu'en vertu de la désignation 
de son père et du consentement tacite des grands. 

(2) Flach, Les origines de l’ancienne France , I, 170, n. 1, 
remarque que Dudon emploie ces titres indifféremment et 
qu'ils n'avaient point encore de signification précise. 

(3) Voir H. F., IX, 731. 

(4) Dummler, op. cil., Karl von Amira, op. cil. 


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ETUDE CRITIQUE 


122 

Sans doute aussi les premiers linéaments de cette 
société restèrent assez imprécis. 

Il ne faudrait donc pas exagérer les louanges que 
mérite Dudon commepeintredes mœurs normandes; 
on trouve bien en son livre quelques traits qui 
peignent les ruses des vikings ; l'exploit légendaire 
d’Hastiug à l.una, le camp tracé par Rollon dont 
l'accès est laissé à dessein ouvert, les attaques noc¬ 
turnes du camp ennemi devant Chartres au son de 
la trompette ; rappelons nous surtout les cadavres 
dépouillés des animaux du troupeau de l’armée lors 
de la retraite de Lèves, trait où se retrouvent la 
férocité et la ruse sauvage des Normands. 

Mais Dudon a bien compris aussi que ces païens 
ne sont pas des barbares, qu’ils ont le goût de la 
richesse, qu'ils ont un certain art, qu’ils appor¬ 
tent une certaine recherche dans la décoration de 
leurs épées (1). Voyez la description de l’épée offerte 
par lloilon à Athelstan, de l’épée présentée par 


(1) Sur l'art Scandinave, voir Worsaae, De Danskes Cttltur, 
tracl. Morillot, extr. des Mémoires des Antiquaires du Nord, 
1878-79, p. 101 ; Montelius, La civilisation des Normands 
avant l’émigration, dans le Congrès du Millénaire Nonnand 
t. Il, p. 590, sqq, et Catalogue du Musée de Stockholm. 

Quelques épées décrites et reproduites dans les deux 
ouvrages du grand antiquaire suédois sont à rapprocher des 
descriptions de Dudon, notamment au tome II du Congrès du 
Millénaire, p. 595, la figure 2 qui représente une poignée 
d’épée: fer et argent du IX* et X* siècle ; figure 12, p. 603 qui 
représente une poignée d’épée : fer, bronze doré, argent, gre¬ 
nats, fabriquée en Suède au VI* siècle ; fig. 14, poignée fer, 
bronze doré; et, surtout fig. 17, p. 607, une poignée fer, bronze 
et de grenats, ornée de verroterie cloisonnée. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


423 


Conon aux soldats de Guillaume Longue-Epée, des 
riches cortèges qui entourent les princesses lors des 
mariages ; il a saisi le goût si vif des ducs pour la 
chasse dans les grandes forêts, forêt de Lyons par 
exemple : goût qui devait persister chez les rois 
anglo-normands (1 ). 

Mais il ne faut pas demander davantage au cha¬ 
noine ; il n’a pas mis en présence les deux sociétés 
franque et normande ; il ne nous a pas montré leur 
pénétration réciproque, il ne nous a parlé qu’en 
termes extrêmement vagues de la législation (2) ; les 
sources ne lui en disaient rien, il n’a rien apporté 
de son cru et comme nous n'avons point et qu’il n’y 
a peut-être jamais eu de chartes de Rollon et de 
Guillaume, que celles de Richard l» r sont bien peu 
nombreuses, il faut renoncer à faire un tableau 
complet des institutions de l’état normand, de la 
société normande, avant le règne de Guillaume-le- 
Conquérant (3). Il se peut d'ailleurs que cette société 
ait été encore bien inorganique, que la force y ait 
eu plus de poids que la loi. 

Maintenant faut-il, comme M. Lair, louer Dudon 
de n’avoir point imité la sécheresse des Annales de 

(t) Pp. 192, 248. 

(2) Sur la législation, voir notre livre II, pp. 260-272. 

(3) C'est ce qu'a très bien compris et dit M. Haskins, qui 
déclare que l'on ne peut guère décrire les institutions de la 
Normandie qu'à la date de la conquête de l'Angleterre, ou 
tout au plus un demi-siècle auparavant. Kormandy under 
William the Conqueror dans The American Hislorical Bevietv , 
XIV, april 1909, p. 455. 


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m 


ETUDE CRITIQUE 


son temps ? Il est excessif de dire qu'il abonde en 
renseignements curieux (1) ; et le peu qu’il apporte 
sur les moeurs ne compense guère son inexactitude 
lonciére dans le récit des événements. Il faut bien 
convenir, au terme de cette longue discussion criti¬ 
que, qu’il ne nous donne que bien peu de faits 
certains et nouveaux sur l’histoire des premiers 
ducs normands. 


(1) Comme le dit M. Lair, p. 94. 


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SLR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


425 


CONCLUSION 


Nous avons dans notre introduction, marqué le 
caractère de l’œuvre de Dudon, œuvre commandée 
parles ducs, payée par le don de deux bénéfices: 
c’est un panégyrique, disait déjà Orderic Vital (1) ; 
nous avons aussi remarqué que l’on ne saurait 
perdre de vue que cette œuvre a été écrite sous 
Richard II, en un temps de prospérité et de réelle 
puissance pour l'élat normand ; que, parti pris 
apologétique ou erreur d'optique, le chanoine de 
Saint-Quentin, qui n’est point Normand et n'a pas 
de souvenirs personnels, est trop porté à représenter 
cette puissance comme beaucoup plus ancienne 
qu’elle ne l'est. La domination de la Normandie sur 
la Bretagne, l’alliance avec le Danemark, sont cho¬ 
ses fort récentes. Dudon leur attribue une antiquité 
déjà séculaire et leur prête des antécédents sans 
fondement. Peut-être aussi faut-il songer à la date 
de rédaction du De Moribus, pour expliquer certains 
anachronismes. 

L’œuvre de Dudon nous est apparue, nous l’avions 
fait pressentir, comme un curieux amalgame d'em- 

(1) Ed. S. H. F., II, 2. 


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•126 


ÉTUDE CRITIQUE 


prunts aux sources annalisliques et aux traditions 
orales. Les débuts du premier livre sur la Scandi¬ 
navie et les causes des invasions normandes, nous 
ont révélé la lecture de Jornandès, de Paul Diacre, 
de Paul Orose, mais aussi d'écrivains plus classi¬ 
ques, de Virgile, de Pline, par exemple. A-t-il lu 
Ptolémée? cela reste douteux (1). N’oublions pas 
d’ailleurs que nous ne pourrons jamais dresser la 
liste complète de ses lectures, certains ouvrages de 
lui connus ont pu disparaître. 

Dans tous les livres de son œuvre, nous avons 
trouvé surtout trace de la lecture des Annales. 
M. Lair avait nié cette documentation. Il disait que 
pour connaître les Annales carolingiennes, il eût 
fallu à Dudon faire de longues recherches à Reims, 
aux abbayes du Nord, de Saint-Vaast, de Saint-Ber- 
tin. Il affirmait que le chanoine ne prit pas tant de 
peine. Et pourtant le clergé du temps se déplace 
volontiers; les principales abbayes aux bibliothè¬ 
ques desquelles Dudon pouvait puiser n’étaient pas 
éloignées de Saint-Quentin. Flodoard alla à Rome 
et on ne voudrait pas que le chanoine de Saint- 
Quentin se soit rendu à Reims, à Saint-Vaast, h 
Saint-Berlin, à Corbie! En Normandie, nous avons 
eu l’occasion de marquer qu’il connaissait certaine¬ 
ment l’abbaye de Fécamp, le principal centre litté¬ 
raire du duché (2). Nous avons constaté partout les 

(1) Voir l'appendice I. 

(2) Dudon dans un de ses vers fait allusion aux écoles 
normandes de son temps. N’oublions pas qu’il y eut sous 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 427 

emprunts de Dudon aux annales carolingiennes, 
Annales Btrliniani, Annales Vedastini, Chronique de 
Réginon,de Folcuin)?),poème d’Abbon. Nous serions 
portés à croire qu'il s’est inspiré de Widukind, 
qui pourrait lui avoir suggéré le plan de son œuvre 
et une partie des éléments du récit de la campagne 
de 946. Mais surtout nous avons mis en lumière que 
les Annales de Flodoard constituent sa principale 
source. On ne saurait trop le répéter; c'est là qu'il 
a trouvé le corps, la trame des trois derniers livres 
de son ouvrage. Avant 919, début de ces Annales, il 
brouille tout; après 966, date finale de Flodoard, il 
oublie tout. Chose singulière, il ne sait guère du 
règne de Richard R'', son contemporain, que ce que 
Flodoard lui a appris. 

Mais ce ne sont pas seulement les Annales que 
l’historien des ducs allait chercher à l’abbaye, il y 
recueillait peut être les traditions locales, les chan¬ 
sons de geste nées à l’ombre du cloître de ce sanc¬ 
tuaire renommé. En tout cas, il y a certes une 
grande part à faire à la légende dans les sources où 
a puisé Dudon. Tout le livre sur Hasting fourmille 
d’épisodes légendaires : dans le livre sur Rollon, 
sont légendaires les détails sur les batailles livrées 
près de Chartres, à Lèves. Et ici, on peut toucher du 
doigt l’origine de la légende puisqu’en ce qui con¬ 
cerne le rôle d’Ebles de Poitiers, Benoit de Saint- 
More dit qu’il a connu des vers sur la fuite du 

Richard II, une renaissance intellectuelle en même temps 
qu’une réforme du clergé. 


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128 


ETUDE CRITIQUE 


comte et sa retraite dans la maison d'un foulon. 
Nous constatons donc l’existence d’une ancienne 
chanson de geste aujourd’hui perdue, certainement 
antérieure à Benoit de Saint More, c'est-à-dire au 
temps d’Henri II d'Angleterre (1154-1187), mais aussi 
vraisemblablement antérieure à la rédaction de 
l'œuvre de Dudon de Saint-Quentin, puisque les 
mêmes traits se retrouvent chez celui-ci. De même 
paraissent bien légendaires tous les détails relatifs 
à l’enlèvement de Richard l ot parOsmond ; il semble 
que Guillaume de Jumièges ait utilisé une tradi¬ 
tion relative à cet enlèvement qui lui a fourni 
d'autres détails (1). De même, nous l’avons vu, les 
épisodes de l’entrevue du duo Guillaume avec le 
roi Otton diffèrent dans Dudon et dans Richer, mais 
ont un caractère épique et paraissent empruntés 
à quelque chanson de geste qui racontait la mort de 
Guillaume, la vengeance de Rioul et peut-être les 
démêlés du duc avec Otton. Ainsi l’existence an¬ 
cienne de chansons de geste repose tantôt sur des 
témoignages formels, tantôt sur une hypothèse très 
plausible. M. Gaston Paris n'a t il pas supposé une 
chanson de geste qui aurait eu pour point de départ 
la mort de Guillaume Longue-Epée et qui se serait 
appelée la Vengeance de llinul ? N’avons-nous pas une 
complainte latine aujourd’hui bien connue, retrou¬ 
vée par MM. I,. Delisle et Gaston Paris, éditée par 
M. Lair, la Complainte de la mort de Iluillaume Longue 
Epée, complainte qui était primitivement peut-être 

(1) Ed. Marx, p. 49. 


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SÜK DUDON DE SAINT-QUENTIN 429 

plus étendue qu’elle ne l'est aujourd'hui ? M. Lauer 
n'a-t il pas conjecturé fort justement qu'elle avait 
été la principale source du livre consacré par Dudon 
à Guillaume Longue-Epée ? Et c'est une conviction 
que nous partageons, en ajoutant, hien entendu, 
que là comme partout, Dudon a eu pour première 
base Flodoard, délayé, arrangé, déguisé et combiné 
avec les données de la Complainte. Le duc très chré¬ 
tien, très pieux, très francisé que Dudon nous a 
représenté, c’est la Complainte qui lui en fournit les 
traits ; dans Flodoard, qui ne fait point de portraits, 
les agissements de Guillaume sont d’un féodal. 

Si cet événement tragique a inspiré cette Com 
plainte, pourquoi d'autres événements aussi reten¬ 
tissants n’auraient-ils pas fourni d’autres chansons 
en roman ou même en norois, surtout dans cette 
terre normande qui a vu alors tant d’événements 
extraordinaires et parmi cette population guerrière 
d’imagination épique, qui avait ses scaldes et ses 
Sagas (1) ? 

N’oublions pas, en ellet, que la Normandie des 
débuts du XI e siècle, si francisée qu’elle fût, pouvait 
encore avoir conservé quelques souvenirs des Sagas, 
quelques aptitudes épiques. La Normandie verra 


(1) M. rtKDiF.u, op. cit., IV, p. 473, niant que nos chansons 
de geste fussent des remaniements de cantilèncs mérovin¬ 
giennes, a fixé la date de formation de nos chansons au 
XI e siècle. .1 imagine qu’il ne verrait pas d'objection à reculer 
cette date pour une province telle que la Normandie qui est 
dans des conditions toutes particulières jusqu'au X e siècle. 
Ici la Saga a pu précéder et engendrer la chanson. 


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130 


ETUDE CRITIQUE 


éclore dans le cours du même siècle la Chanson de 
Roland (1). Sous Richard II, les scaldes, tels que 
celui de saint Olaf, pouvaient encore se faire en¬ 
tendre à Fécamp ou à la cour des ducs. Raoul d'Ivry 
pouvait être l’un d’eux et c’est peut-être lui qui a 
chanté à Dudon quelque poème où celui-ci aura 
pris de nombreux épisodes (2). Nous avons montré 
que Dudon semble bien avoir connu la Saga d’Ha- 
rald Harfagr’ ; il s’en écarte en ce qui concerne l’o¬ 
rigine de Rollon, mais au fond de son récit on trouve 
encore la Saga défigurée, arrangée pour les besoins 
de son apologie. Nous nous sommes même demandé 
si cette Saga ne lui avait pas fourni certains épisodes 
des rapports avec Athelstan et si dans le premier 
livre Dudon n’était pas l’écho de certaine Saga où 
figurait Hallstein, terreur de l'Eglise et des prêtres 
chrétiens. 

Aussi, Dümmleret M. Lauer avaient-ils raison de 
trouver à l’œuvre du doyen un caractère épique; 
nous avons montré les sources de cette épopée. 
Dudon a utilisé les données des chansons de geste, 
des traditions épiques de la Saga ; mais le fond de 
l’œuvre est emprunté aux Annales, et c’est sur cette 

(1) Voir BEdier, op. ci!., t. III, p. 430 et 452, renvoyant aux 
travaux du D r Tavernier sur Turold. 

(2) Ainsi se trouverait résolu le problème posé par le dire 
de Dudon appelant Raoul d’Ivrv : relalor lolius operis. Si beau¬ 
coup de critiques, Lajr, Joret, se sont appuyés sur cette 
référence pour attribuer une grande valeur historique à 
l'œuvre de Dudon, nous, au contraire, nous dirons que nous 
lui accordons le peu de crédit que mérite une œuvre inspirée 
par les ducs et à demi légendaire. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN A31 

trame qu'il a brodé les légendes. C’est ce que n’avait 
point vu M. Lair et ce qu’aucun critique n’avait mis 
en lumière. Ces Annales, d’ailleurs, Dudon les a 
défigurées, arrangées, rapprochées par des combi¬ 
naisons chronologiques arbitraires. Il nous apparaît 
comme un homme de lettres — ce qu’il était au 
plus haut degré — qui prend de toutes mains, qui 
élabore un roman historique avec des matériaux 
empruntés à l’histoire et des matériaux empruntés 
à la légende; la seule vérité de son roman est celle 
des mœurs. Ajoutons que cet homme de lettres est 
aussi uu écrivain politique qui écrit ad majorent, 
ducum gloriam et qu’à ce point de vue son œuvre est 
un chef-d’œuvre, mais non certes un chef-d'œuvre 
historique. 

Car, au point de vue historique, la valeur du De 
Moribus est bien faible, pour toutes les raisons 
mêmes que nous venons d’indiquer. Pourtant, nous 
savons si peu de chose sur les premiers établisse 
inenls des Normands, sur la fondation de la Nor¬ 
mandie et sur ses premiers ducs, que nous ne 
devons pas regretter le temps considérable que nous 
avons passé à étudier Dudon, non pas certes que 
nous pensions, avecPalgrave, qu’il faille lui deman¬ 
der les faits que l’on ne trouverait pas ailleurs, mais 
parce qu’il a été pour nous l’occasion d’étudier de 
près, sans avoir la prétention de les résoudre tou¬ 
jours, tous les problèmes que pose cette fondation 
du duché. 

Ce sont les conclusions de cette étude critique que 


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ETUDE CRITIQUE 


432 

nous voudrions maintenant résumer brièvement. 

Parmi les causes historiques des invasions, Dudon 
a nettement distingué la surpopulation des pays 
Scandinaves; maison ne peut qu’entrevoir dans les 
brouillards de son exposé trois autres causes : la 
lutte religieuse des païens adorateurs de Tlior contre 
le christianisme; la fondation des monarchies Scan¬ 
dinaves qui pousse à l'émigration tous les petits 
chefs, et par dessus tout, et au début, la soif du 
pillage. 

Autour d'Hasting, il a cristallisé toute l’histoire 
des premières invasions normandes; mais sa bio¬ 
graphie d’Hasting n’a que de bien vagues rapports 
avec celle que l’étude des sources peut fournir. 
Hasting est évidemment pour lui un héros légen¬ 
daire, le type du viking rusé et cruel, dévastateur 
et ennemi du christianisme. N’est-il pas curieux que 
la Saga nous fournisse des indications sur un Hall¬ 
stein, fils d'un prêtre de Thor, qui partit avec Bjôrn 
des pays Scandinaves pour les pays de l'ouest, à la 
même époque que l'Hasting des Annales franques? 

Rollon est aussi un chef norvégien; c’est le Gan- 
ger Holf de la Saga défigurée par Dudon, qui dis 
tingue malaisément les Norvégiens des Danois, et, 
pour des raisons de lettré, incline à faire du chef un 
Danois, un üace, uu Aiviot. Guillaume de Jumièges 
avait déjà dénoncé la flatterie de cette origine. 

Tout ce que Dudou dit des premières campagnes 
de Ilollon ne peut être contrôlé, ou, plus exactement, 
est emprunté aux Annales et concerne d'autres 
chefs, Hériold, Godfrid, Sigfrid. Dans l’histoire, 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 133 

Rollon apparaît à peine sous les murs de Chartres ; 
sans doute il a aussi conduit les expéditions en 
Bourgogne qui ont précédé et suivi cette bataille. 

Au traité de Saint-Clair-sur-Epte, il ne reçut pas 
la main de Gisèle, ce qui, au reste, importe peu ; et 
avec M. Deville, avec M. Pfister, nous affirmons qu'il 
ne reçut pas toute la Normandie, comme le dit 
Dudon, mais seulement la Haute Normandie. La 
Bretagne, ou, plus exactement, les pays occupés par 
les Bretons, dans la Basse Normandie actuelle, lui 
furent donnés à ravager. Quant à la Normandie, il 
la tint, comme un fief, du roi Charles le Simple. 
Seulement, et c’est ce qui explique les divergences 
des historiens, la Normandie n'est pas restée un fief 
de la couronne. A la suite de l’échec subi, en 945, par 
Louis d'Outremer, elle ne fut plus qu’un fief des Ro- 
bertiens ; elle redevint, en 987, un fief de la couronne. 

La conversion des Normands a suivi le traité : elle 
ne semble décidément pas, quoiqu’en dise Dudon, 
avoir été l'œuvre de Francon, mais bien celle de 
Guitton, archevêque de Rouen et d’Hervé, arche¬ 
vêque de Reims. Cette conversion fut, au reste, pré¬ 
caire. Rollon lui même, encore que Dudon se garde 
bien de le dire, mourut sans doute en païen. Des 
dernières années de son régne, le chanoine de Saint 
Quentin ne nous dit rien ; il faut recourir aux 
Annales pour savoir qu’il reçut, en 924, le Bessin et 
le Maine, pour connaître ses campagnes contre ses 
voisins; nous ne savons exactement la date de sa 
mort que nous pouvons seulement placer entre 
928 et 933. 

28 


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ÉTUDE CRITIQUE 


434 

Rollon demeure, grâce à Dudon,le législateur des 
Normands et le fondateur de la colonie. Les phrases 
bien vagues, bien obscures de son apologiste nous 
permettent d'entrevoir qu'il distribua des comtés 
à ses lieutenants, des terres à ses soldats, qu’il fit 
régner l'ordre et qu'il apporta certaines dispositions 
législatives empruntées aux lois norvégiennes de 
Frode. 

Dudon, avec quelque exagération, fait de son 
fils, Guillaume Longue-Epée, un martyr chrétien : 
certes, il était chrétien et plus francisé que son 
père; il a, sans doute, au début de son gouvernement 
lutté contre les Bretons de la Basse-Normandie; 
l’un de ses lieutenants, peut-être, fut tué à Caen, 
en 931, mais en 933, à la suite de nouvelles cam 
pagnes dans cette région, il reçut l’Avranchin et le 
Cotentin et ainsi s’acheva la Normandie, oeuvre de 
l'histoire. L'année suivante, il eut à lutter contre 
une révolte des chefs normands, première manifes¬ 
tation de l’indépendance Scandinave et de la réaction 
païenne: c’est la révolte de Rioul. Dudon ne nous 
permet pas de dire exactement d’où elle partit ; du 
Cotentin où de l'Evrecin, disent les commentateurs, 
nous dirions plus volontiers, sans l’affirmer, du 
Maine, on peut supposer, — c’est une hypothèse — 
que cette révolte lui aurait fait perdre une province 
donnée à son père en 924. La répression, après la 
victoire du Pré de la Bataille, fut sans doute san¬ 
glante et créa des ressentiments durables. 

Guillaume affirme cependant son autorité, il 
épouse la fille du comte de Vermandois; peut-être 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


435 


n’y a-t-il là qu'une remise d’otage? 11 marie sa 
sœur au comte de Poitiers. A-t-il joué un rôle lors 
du retour de Louis d’Outremer? Certes, pas le rôle 
prépondérant que lui prêle Dudon ; et de même il 
est tout à fait faux, comme l’a lait notre auteur, de 
lui attribuer le rôle de défenseur de la monarchie. 
11 a, au contraire, fait partie des coalitions des 
grands contre le roi et ne s’est réconcilié que tardi¬ 
vement avec lui. 11 mourut peu après, victime de 
la jalousie d’Arnoul de Flandre qui employa sans 
doute contre lui les rancunes des vaincus de la 
révolte de Rioul. 

Sa mort, 17 décembre 942, marqua le début d’une 
ère critique pour le nouvel état. Louis IV essaya, 
non de s’en emparer, au moins d’user de tous ses 
droits de roi et de suzerain pour mettre la main sur 
la garde du jeune prince et confier l’administration 
du duché à un baillistre royal, Raoul la Tourte ; 
il rencontra une vive résistance de la part des 
Normands, accompagnée d’une nouvelle réaction 
païenne avec Turmoud, de l’arrivée de nouvelles 
bandes avec Sétric; il triompha de l’obstacle en 
quelque bataille, toutefois il crut un instant plus 
habile de partager le duché avec Hugues le Grand ; 
mais il s'embarrassa dans ses propres ruses et se 
heurta à l’armée normande de Bayeux commandée 
par Hagrold. 11 faut absolument rejeter l’idée qu'il 
y ait eu là une armée commandée par le roi de 
Danemark, Harald ; il s’agit de l’armée normande 
des confins de Bretagne. Elle vainquit Louis à la 
bataille de Dive (945). Cependant le jeune Richard 


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436 


ÉTUDE CRITIQUE 


s'était dérobé à la tutelle du roi qui dut renoncer à 
la suzeraineté de la Normandie et l'abandonner à 
Hugues le Grand. 

A partir de celte date, la Normandie entre tout à 
fait dans la vassalité des Robertiens. Elle va par¬ 
tager le sort des états de Hugues. Quand Otton 
envahit la Francia occidentalis en 946 pour y rétablir 
l'autorité de Louis IV et faire sentir la protection 
germanique, ce n'est pas à l’appel d’Arnoul, comme 
le dit Dudon, mais à celui de la reine Gerberge qu'il 
se rend. Ce n’est pas la Normandie qu’il vise, mais 
les états de Hugues. 11 n’est pas surprenant pour¬ 
tant que son intervention se soit terminée par une 
tentative d’ailleurs manquée contre la capitale de 
l'état normand. 

Richard I er épouse la fille de Hugues le Grand, 
Emma. Il est l’adversaire du roi Lothaire ; en même 
temps, son intervention en Bretagne le met aux 
prises avec Thibaut de Chartres. De là de nouvelles 
luttes, un nouvel appel aux vikings, enfin des négo¬ 
ciations et une paix dont Dudon ne donne pas la date, 
mais que nous pouvons placer en 965 et non en 966, 
comme on l’avait fait jusqu'alors. 

Dudon ne s’étend guère sur les dernières années 
de Richard, les plus intéressantes sans doute ; c’est 
que Flodoard, ici, lui fait défaut. Il ne nous dit que 
peu de chose du rôle politique de Richard, de son 
activité pourtant très réelle pour réformer les mo 
nastères et ne nous dit rien de la réorganisation de 
l’église séculière normande où, à vrai dire, l'inter¬ 
vention ducale ne fut pas toujours heureuse, ce qui 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


437 


explique assez son silence, car c’est par là qu’il faut 
terminer : Dudon rhétoriqueur, homme de lettres, 
apologiste des ducs, est aussi un chanoine de cour, 
un protégé de l'archevêque Robert, dont il ne saurait 
médire. 

Plus tard peut-être un recueil des chartes de Ri¬ 
chard I« r permettra t il d’écrire une histoire plus 
complète de ce duc (1), sans doute le vrai fondateur 
de l’Etat normand, mais l’objet du présent livre 
était simplement l’étude critique de Dudon. Nous 
n’avons négligé aucun des problèmes qu’elle posait, 
mais nous devions nous y borner. A chacun sa tâche. 


(4) Nous attendons ce recueil de M. Lot, qui le prépare 
depuis longtemps. Voir H. I'rentout, La Normandie, Collec¬ 
tion des Régions de la Renie de Synthèse. Paris, 1910, in-8", 
p. 48. 


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SUR Dl'nON DE SAINT-QUENTIN 


439 


APPENDICES 


I. — Dudon savait-il le grec ? 

Je disais prudemment en étudiant les sources 
géographiques de Dudon, que si les AjiatÇoêioi se 
trouvent dans Ptolémée, Dudon avait pu connaître 
les Amaxobii parmi intermédiaire (1). Eu réalité, il 
était assez facile de trouver cet intermédiaire et je 
l’eusse découvert tout de suite, si, au lieu de recher¬ 
cher les sources auxquelles renvoyait le dictionnaire 
d’Henry Estienue au mot A(u£o6ia{, j’eusse lu les 
géographes classiques latins; comme il arrive par¬ 
fois, une recherche trop lointaine m’a écarté de 
ce que je pouvais rencontrer immédiatement. Les 
Amaxobii figurent dans deux écrivains latins : Pom- 
ponius Mêla, De situ orbis (2), et Pline le Jeune, 
Iiistoria naturalis (3) ; comme ici les Amaxobii sont 
rapprochés des Trogodytœ que cite Dudon en les 
appelant Tragoditœ — ils nous avaient également 
embarrassé — Pline est évidemment la source où a 
puisé notre auteur. On ne saurait donc s’appuyer 

(1) Voir p. 35. 

(2) Paris, 1843, in-8", p. 78. 

(3) Ed. Teubner, IV, 12, 25. 


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uo 


ETl'DE CRITIQUE 


sur la présence des Amaxobii dans le texte de Du- 
don pour en inférer que celui ci avait lu Ptolémée et 
que, partant, il savait le grec. Bien qu’il y ait des 
mots grecs en assez grand nombre dans son œuvre, 
M. Lair lui a dénié toute connaissance sérieuse de 
cette langue 1). Mais il ne faudrait peut-être rien 
affirmer. N’oublions pas que Dudon est contemporain 
de Richard 11, que c'est de son temps et auprès de 
lui qu’il a composé le De Moribus et qu’il y eut une 
véritable renaissance ecclésiastique et littéraire 
sous ce duc (2), que Richard 11 avait appelé en Nor¬ 
mandie des savants étrangers, des grecs, des moines 
de l'Orient. » On vit des Grecs et des Arméniens 

quitter leur pays.et aller illustrer la Normandie 

par leur présence et leur savoir ». Au nombre des 
moines du Sinaï qui venaient tous les ans recevoir à 
Rouen les libéralités du duc Richard II fut le célèbre 
saint Siméon qui savait cinq langues: l’égyptien, 
le syriaque, l’arabe, le grec et le latin. On cite un 
manuscrit grec, qui remonte au duc Richard II, 
puisqu’ « il y est marqué qu’il fut fait en 1022 par 
un moine nommé Hélie. Et ce qui fait croire que 
ce copiste était normand ou qu’il écrivait en Nor 
mandie, c’est que son manuscrit est enrichi de l’al¬ 
phabet des Norvégiens (3) ». Donc si la présence 


(1) Ed. de Dudon, p. 22. 

(2) Vita S. Willelmi, op. cil., et Pfister, op. cit., p. 6, n. 4. 

(3) Histoire littéraire de la France , t. VII, p. 67 ; Lair, 
<id. de Dudon, p. 15 ; Luchaire, Histoire de France de Lavisse , 
t. II, partie II, p. 186; Sackur, op. cil., II, p. 45. La venue 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 441 

des Amaxobii dans le texte de Dudon ne permet pas 
d’affirmer qu'il avait lu Ptoléméequi semble n’avoir 
été connu de ses contemporaius que par des traduc¬ 
tions latines ou arabes (1); il n’en est pas moins 
possible qu'il ait appris quelque chose de la langue 
grecque à la cour de Richard II, auprès des savants 
orientaux dont nous venons de parler. Quant aux 
fautes qui se trouvent dans les mots grecs de ses 
manuscrits, elles ne prouvent rien, pouvant être le 
fait des copistes. 

Peut-être Dudon savait-il le grec, dans la mesure 
où le savait son contemporain Fulbert de Chartres, 
dont l’abbé Clerval a dit justement : « Fulbert a dit 
qu’il n'avait point eu de maître pour la lui appren¬ 
dre (la langue grecque), qu’il ne pouvait la déchif¬ 
frer et qu'il n’avait point fréquenté Homère, mais 
seulement Virgile. Celle affirmation ne doit pas 
cependant s’entendre dans un sens trop rigoureux. 
N’avait-il pas été l’élève de Gerbert qui collection¬ 
nait avec amour les plus belles œuvres de la Grèce, 
et en particulier des discours de Démosthène? N’é¬ 
tait-il pas le contemporain et le voisin d'Héribrant 


des savants grecs est rapportée par Raoul Glaber, éd. Prou, 
p. 20, par les Miracula S. Wulframni, à la suite du Chronicon 
Fontaneltense, dans te Spicilegium de Luc d’Acherv, éd. 
in-folio, t. II, c. 286. Dans Migne, P. L., t. CXLI, on trouvo 
une lettre de Fulbert de Chartres au duc, c. 210, qui ne parle 
que d’une manière générale des bienfaits de Richard II à 
l’église de Chartres. 

(I) Abbé A. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, 
du V* au XII* siècle, Paris, 1805, in-8°, passim. 


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ETUDE CRITIQUE 


Ui 

qui explique à Chartres les Aphorismes d’Hippocrate 
et la Concorde d’Hippocrate, Galien et Sorin ? ce qui 
n'était guère possible sans une certaine connais¬ 
sance du grec. Il en savait quelque chose et il en 
a donné la preuve dans un de ses serinons où, 
pour préciser certaines expressions de l’Evangile, 
il renvoie au texte grec du Nouveau Testament. Mais, 
apparemment, son savoir se bornait à la lecture des 
caractères grecs, et à l’intelligence de quelques 
mots dont il devinait le sens, à l'aide des vocabu 
laires et des traductions des médecins grecs ou de 
Boèce (1) ». 

Dudon connut peut-être Chartres, les détails précis 
sur le combat de Lèves tenderaient à le prouver. 
Mais en tout cas, à Rouen, il rencontra des gens qui 
savaient réellement le grec, et il aurait pu en ap¬ 
prendre davantage que Fulbert. Au reste, sa connais¬ 
sance du grec ne dépassa peut-être pas le niveau 
qu’avait atteint Fulbert, et qui, d’ailleurs, était 
peut-être plus élevé que celui ci ne voulait bien le 
dire. 

II. — L’origine champenoise d’Hasting(î) 

D’où vient le récit de Raoul Glaber, d’après lequel 
Hasting serait né à Trancault, près de Troyes eu 
Champagne? 

Raoul Glaber écrivait au milieu du XI 6 siècle, après 


( I) Clerval, o p. cit., p. HO. 
(2) Voir p. 85. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 113 

Dudon de Saint-Quentin qui écrit vraisemblablement 
dans le premier quart de ce siècle (au plus tard avant 
1040). Le moine errant et très peu doué d’esprit 
critique qu'était Glaber a donc pu connaître l’oeuvre 
de Dudon. Reportons-nous d’ailleurs au texte du 
chanoine de Saint Quentin, puisqu’après tout, c’est 
celui qu’il importe de commenter. Nous lisons au 
livre I, chapitre 3: « Igilur Daci nuneupantur a suis 
Danai, vel Dani, glorianturque se ex Antenore proge- 
nitos ; qui , quondam Troice finibus depopulatis, mediis 
elapsus Achivis, Illyricos fines penetravit cum suis (1). 

Supposons ce texte lu distraitement par un moine 
cultivé, complètement dénué d'esprit critique, que 
lui reste-t-il dans l’esprit? Les Normands sont 
venus de Troie, ils ont pour chef Hasting. Faisons 
un pas de plus; supposons que Raoul Glaber n’ait 
pas yu le texte de Dudon, mais qu’il en ait entendu 
parler (c'est une supposition que l'on a faite pour 
Saxo Grammaticus qui n’aurait pas lu Dudon, 
mais aurait entendu dire quelle origine il donnait 
aux Danois). Raoul Glaber entend d’un moine moins 
intelligent que lui qu'un chef pirate nommé Hasting 
vient de Troyes. En latin, sans doute, il est impos¬ 
sible de confondre Troja et Trecassium , mais si la 
tradition a été, comme nous le croyons, orale, la 
confusion deviendrait possible. Raoul Glaber con¬ 
fond Troie avec Troyes en Champagne et bâtit son 
histoire. N'a-t-on pas dit récemment et très joliment 
prouvé qu’il y avait dans toutes les légendes de ce 

(1) Ed. Lajr, p. 130. 


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ETUDE CRITIQUE 


Ul 

temps là combinaison d’un élément savant et d'un 
élément populaire, collaboration de clercs lettrés 
avec le populaire illettré qui ne comprend qu'à 
demi ce qu’on lui raconte et le déforme (I)? Nous 
serions ici en présence d’un phénomène de ce genre. 

On sent bien que cette hypothèse n'a quelque 
chance de rencontrer la vérité que si Troyes se 
disait Troies, Troyes comme Troie du Roman de Troies 
dès le XI” siècle: c’est une question. Le Dictionnaire 
topographique du département de l'Aube, de Th. Bou- 
tiot et E. Socard (2), ne donne pas de forme fran 
çaise pour Troyes avant le XIII 0 siècle, Triche, 1218 
(ch. de l’hôtel Dieu le Comte), Troies, 1230 (ch. de 
Thibault, IV, comte de Troyes. Mais Chrestien de 
Troyes dans le Guillaume d’Angleterre, écrit : 

Se tu fez feire ta besoingne 
A Bar, à Provins ou à Troies, (3). 

Or, Chrestien de Troyes vivait dans la seconde 
moitié du XII e siècle Les documents français publiés 
par M. A. Longnon, Documents relatifs au comte de 
Champagne et de Ilrie, 1/72-/56/ (4), sont tous du 
XIII e siècle ; on peut seulement remarquer qu’on 

(1) Bédier, Les Légendes épiques, voir notamment au 
tome IV, pp. 81-94, la discussion relative à la formation de la 
légende de Gormond et Isembard autour de l’abbaye de Saint- 
Riquier. 

(2) Paris, 1874, in-4°, p. 164. 

(3) V. 1986-1987 de l’édition \V EXDELIN Foerster, Halle, 
1884-1894, 4 vol. in-8», IV, p. 316. 

(4) Paris, 1901-1914, 3 vol. (Doc., In.). 


“S 


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SUR DUDON DE SAINT-OUENTIN 445 

n’y relève jamais la forme Trèclie signalée par le 
Dictionnaire topographique. Villeliardouin qui écrit 
avant 1213, écrit Troies (1). 

Mais, au reste, je n'attaclie aucune importance à 
mon explication qui se heurte à une autre diffi¬ 
culté. Raoul Glaber a désigné le village où serait né 
Hastiug, Tranquillus , que l’on a identifié avec Tran- 
cault. 11 est doue plus probable qu’il a entendu 
parler de quelque paysan champenois qui avait 
rejoint une bande normande et dont la légende avait 
fait un chef qu'il a confondu avec Hasting. 

m. — Date de la bataille de Chartres 

La Chronique de Sainte-Colombe de Sens contient 
l’indication la plus complète: DCCCCXl, XIII calen- 
das augusti, ce qui donnerait le 19 juillet (2). M. Lair 
conjecture qu’il faut lire XII 0 Icalendas, c’est-à-dire 
le 20 juillet, et le 20 juillet 911 tombait un ilimanche. 
D’autres annales donnent la date de 911, ce sont 
le Chronicon Halleacensc (3 , la Chronique de Saint- 
Florent de Saumur (4), le Chronicon Bolomagense (H), 
le Chronicon Besuense (G). D'autres donnent des ren¬ 


tl) Ed. N. de Wailly, Paris, 1872, 35, p. 22. 

(2) II. F., IX, 40. 

(3) Ibid., 8. 

(4) Ibid., 55. 

(5) Ibid., 87. 

(6) Ibid., 20. 


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446 


ETUDE CRITIQUE 


seignements vagues : l’Historia Francorum Seno- 
nensis (1) dit « Ko tempore » ; l’Historia modernorum 
regum Francorum après avoir raconté l’incendie de 
Sainl-Benoit-sur Loire où l'église fut seule épargnée, 
événement dont elle ne donne pas la date dit : 
h Posl paucos (Unique dies u (2) ; l’une et l’autre vien¬ 
nent de rapporter les événements de Bourgogne, ce 
qui confirme assez bien la date de 91t. Orderic 
Vital, dans un passage de son Histoire ecclesiastique 
donne la date: XIII 0 Kal. augusli in sabbatlo , mais 
en rapprochant cet événement de la bataille de 
Tonnerre (3). Ailleurs, il donne la date de l’an 900 : 
« Anno ab incarnalione domini DCCCC 0 , Indiclione 
tertio, Zentlebaldus rex filtum Arnulfi occidit, Tune 
llollo Carnotum obsedit (4). » Orderic Vilal semble 
avoir confondu la mort de Zwentibold arrivée en 
l’an 900, avec celle de Louis l'Enfant, survenue en 
l'an 911, ce qui est bien également la date de la 
bataille de Chartres. Les Gesla Ambaziœ ne donnent 
pas de date, mais rapprochent cette bataille de la 
campagne d’Eric et de Barel dans la vallée de la 
Loire o) ; la Chronique de Tours dit que la bataille 
eut lieu la sixième année d’Arnoul et la quatrième 
de Charles (6), ce qui donnerait 905 pour Arnoul 


(1) M. G. SS., IX, 365, avec la date de mois et de jour. 

(2) Ibid., 380. 

(3) Ed. S. H. F., III, 143. 

(4) Ibid., I , 160. 

(5) Ed. Halphen et Poupardin, p. 23. 

(6) H. F., IX, 48. 


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SUR DUD0N DE SAINT-QUENTIN U7 

de Germanie et 900 ou 902 pour Charles le Simple, 
suivant que l’on compte depuis son avènement con¬ 
jointement avec Eudes ou depuis la mort de celui-ci. 
La Chronique i/'.l uhri des Trois Fontaines dit : XIIT> 
Kal. augusti 906(1), les Annales Sancti (JuinUni Vero- 
mandensis disent 908 (2). Au fond, ce qui importe, 
c’est l’indication de la Chronique de Sainte Colombe de 
Sens, qui donne une date complète. La bataille de 
Chartres eut lieu le 20 juillet 911. 

IV. — Date de la paix entre Lothaire 
et Richard I" 

A quelle date placer la paix entre le roi Lothaire 
et Richard ? Leibnitz, Annales Imperii, la place 
en 964, Auguste Le Prévost ( Itoman de Itou, I, 261, 
n. 6) eu 968. « Tous deux négligent de donner des 
références, et pour cause (3) ». M. Lot a cru pouvoir 
la placer à la fin de juin ou juillet 966. Elle est auté- 
rieure, selon lui, à un diplôme du roi Lothaire pour 
la réformation de l'abbaye du Mont-Saint Michel, 
émis sur la demande de Richard (4). Cet acte est du 
7 février de la Xfl» année du règne de Lothaire (5). 
Or, M. Lot croyait pouvoir affirmer qu’on avait des 

(1) H. F., IX, 63. 

(2) M. G. SS., XVI, 307. 

|3) Les Derniers Carolingiens, p. 356, n. 2. 

(4) Id., p. 354. 

(5) Halphen, Recueil des actes de Lothaire et de Louis V, rois 
de France, 954-987. Paris, 1908, in-4° (Doc. In.), p. 53. 


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418 


ETUDE CRITIQUE 


preuves certaines que la chancellerie royale prenait 
pour point de départ le commencement de l’année 
955 et que cette année commençait à Pâques (1). La 
douzième année de Lothaire comprenait donc le 
mois de lévrier 967 ; la paix, étant antérieure, était de 
juin 966. M. Lot renvoyait sur la façon de compter 
les années de la chancellerie de Lothaire à une 
démonstration que l’on trouverait dans la préface 
du Catalogue des Actes de ce roi, qui était alors en 
préparation. Mais au Catalogue, maintenant paru, 
on voit qu’on a, sous les chanceliers Guy et Gezo, 
compté les années du règne à partir du 12 novem¬ 
bre 954, date du couronnement (2). Or, Guy a été 
chancelier du 11 décembre 954 au 7 novembre 956 ; 
Gezo, du 9 février 958 au 13 avril 969 ; donc cet 
acte a été rédigé par le chancelier Gezo (l’acte, 
d’ailleurs, porte sa suscription, Gezo cancellarius), 
donc il a compté les années à partir du 12 novem¬ 
bre 954 ; donc, le 7 février 966, on était dans la 
douzième année de Lothaire, donc cet acte est du 
7 février 966; donc la paix étant antérieure, est de 
965 et non de 966. 

Ajoutons qu’il y a un autre acte confirmatif, une 
charte de Gautier, comte de Dreux, faisant donation 
à l’abbaye de Saint-Père de Chartres, qui porte la 
date suivante; Actum Ebroico comilatu publiée. Signum 
Walterii comilis, liujus cartulte auctoris. S. Teodfredi 
militis. S. llichardi ducis. — Anno ab incarnatione 

(1) Op. cil., p. 355. 

(2) P. XLVni. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN Ai U 

Domini DCCCCLXV , iniiictione 17//», régnante Clo- 
thario rege, anno XI 0 (1). 

Kalckstein en availconclu qu’Evreux s’était rendu 
à cette date à Richard, puisque l'acte est daté Ebroico 
comitatu et que la paix était antérieure au 12 no¬ 
vembre 965, et que l'acte est daté de la onzième 
année du règne de Lothaire (2). SI. Lot disait que 
Ebroico comitatu n’impliquait pas la présence de 
Lothaire à Evreux et déclarait que Kalckstein se 
faisait illusion sur l’exactitude avec laquelle étaient 
rédigés les diplômes des abbayes. Mais la concor¬ 
dance des deux diplômes est frappante. 11 n’y a au¬ 
cun doute qu'en 965 Richard était maitre d'Evreux. 
Cependant, M. Lot ajoutait : « L’année 965 est la 
seule où Lothaire n'a pu faire la paix avec le duc 
de Normaudie. Nous avons vu que les négociations 
commencées avaut le 15 mai durèrent jusqu’à la 
fin de juin. Or, en 965, le roi employa la fin de 
mars et le mois d’avril à une expédition en Flandre 
et passa le mois de mai et de juin à Cologne, auprès 
de son oncle l’empereur Otton I" (3) ». 

Pour répondre à cette objection,, voyons en quel 
mois aurait été conclue la paix de Saint Clair sur 
Epte. Il y a d'abord eu un synode dont Üudon ne dit 
pas le lieu de réunion ; il aurait eu lieu à Laon, 
suivant Guillaume de Jumièges. On envoya à Richard 


(t) Cartulaire de Saint-Père île Chartres, éd. Guérard, 
Paris, 1840, 2 vol., I, p. 55. 

(2) Op. cit., p. 314, n. 1. 

(3) Ibid., p. 355. 

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450 


ETUDE CRITIQUE 


l'évêque de Chartres, très probablement Vulfald, 
évêque de 062 à 967. Celui-ci rapporta au roi et 
aux évêques la réponse du duc. Puis Thibaut envoya 
un moine à Richard. Thibaut, après six jours de ré¬ 
flexion vint à Rouen, embrassa Richard, enfin se 
rendit à Évreux. L'entrevue de Jeufosse avec les 
palatins et les évêques de France eut lieu au temps 
des ides de mai, 15 mai. 

Richard les exhorta à faire la paix dans un délai 
de deux fois deux fois huit jours, soit trente deux 
jours. Ajoutons neuf jours de réflexion que deman¬ 
dent les Danois. Cela fait en tout quarante et un 
jours (1), la paix définitive eut donc lieu à la fin 
de juin. Le roi Lothaire n’est venu qu’à la On du 
plaid, il suffit donc qu'il soit arrivé à la fin de juin. 
On peut remarquer que les premières négociations 
ne comportent pas la participation du roi. Il n’est 
pas à Laon au moment du concile, mais il y est 
quand l’évêque revient. 

Son expédition en Flandre est du mois d’avril. Il 
était à Laon en mai, puis il repartit pour l’Alle¬ 
magne. Richard fait sa paix avec Thibaut, vers le 
15 mai. Les négociations se placent du 15 mai à 
la fin de juin. Or, Lothaire partit sans doute de 
Cologne, après la grande assemblée du 2 juin (2). 
11 pouvait donc être, fin juin, sur les bords de l’Epte. 

(1) • Dis duobus bis diebus octo ». M. Lot calcule en tout 
29 jours ; il comprend deux fois deux : quatre, et deux fois 
huit : seize : 4 + 16 = 20. 

(2) M. Lot, op. cit p. 50, note que les Carolingiens se sépa¬ 
rèrent peu après cette entrevue de la cour impériale. 


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SUR Dl'DON DE SAINT-QUENTIN 


451 


Donc il a pu être à l'entrevue de Saint-Clair ou de 
Gisors à la fin de juin, c. q. f. d. Donc si l’enlrevue 
entre Thibaut et Richard avait eu lieu à Jeufosse en 
mai, la paix définitive, à laquelle prit part Lothaire, 
fut conclue à Gisors ou à Saiut-Clair, à la fin de 
juin 965. 

Ce qui a amené M. Lot à placer cet événement en 
9C6, c’est que Dudon parle d’un lustre à peine pour 
la durée de la guerre et que M. Lot calcule ce lustre 
incomplet à partir de l’inceudie de Chartres qu'il 
place au 5 août 962, 962 -f- 4 donne 966, mais Dudon 
calcule ce lustre pour toute la durée de la guerre 
qui commença en 960 après le mariage avec Emma, 
et se termina ainsi en 965. C’est par suite d’une 
faute d'impression que plus loin M. Lot place au 
5 août 965 l’incendie de Chartres, puisque le Nécro¬ 
loge de Noire Dame de Chartres , sur lequel il s’appuie, 
dit « Nonis augusti anno dominice incarnationis !)62, urhs 
Carnotensis et ecclesia Sancte Marie succensa est (1) ». 

Remarquons en terminant qu'il est tout à fait 
impossible, les Normands apparaissant en juin 966 à 
Lisbonnè, que la paix soit de juin 966. Elle est donc 
bien de juin 965. 


(1) Merlet et Lépinois, Cartulaire de Notre-Dame de 
Chartres , III, p. 150. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


453 


INDEX 


Les noms d’auteurs sont en petites capitales, les noms 
géographiques en italique, les autres en romain 


:•>*- 


A 

Aaluf, sœur d’Erik Ulodæxe, 
362. 

Aarhus, 141. 

Abbon, 171, 174, 175, 418. 

Abbott (Wilbur), 61 n. 1, 65, 
75, 76 et n. 4, 77, 79 n. 4, 84, 
86, 87 n. 1 et 2, 95, 96 n. 3, 
108. 

Achard (saint), 330. 

Adalbéron (Ascelin, évêque de 
Laon), 17, 18 n. 1. 

Adam de Brême, 36 n. 2,151. 

Adèle, voir Gerloc, 302. 

Adémar de Chabannes, 76 et 
n. 2, 77, 258, 259, 273, 302, 
347 n. 1. 

Adhered, 79, 80. 

Adrevald, auteur des Miracula 
S. Benedicti, 64. 

Ædwin de Northumberland, 
270. 

Afrique, 34, 55, 


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Aillemond, 412. 

Aimé du Mont-Cassin, 142. 

Aimeri de Narbonne, 315. 

Aimoin, 46, 71. 

Alain de Bretagne, 204, 280, 
282 et n. 3, 348. 

Alain Barbetorte, 204, 205, 282 
n. 3, 287, 305, 306, 380, 381, 
396. 

Alain le Grand, 287. 

A lai ns, 35, 36 n. 1, 112. 

Alanie, 34. 

Ai.belda (chroniqueur espa¬ 
gnol), 54. 

Albert de Vermandois, 13, 395, 
399. 

Alençon, 25, 412. 

Alfred, roi d'Angleterre, 79, 80, 
162, 270. 

Alfred, fils d'Emma et d'Ethel- 
red, 392. 

Algeronde, évêque de Cou- 
tan ces, 410. 

Algésiras, 55. 


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454 


ÉTUDE CRITIQUE 


Allemagne, 84, 116, 121, 405. 

Allemands (les), 74 n. 1, 373, 
375. 

Allen, 359 n. 2. 

Alstemus (voir Athelstan), 113, 
162. 

Amaxobii, 35, 439-441. 

Amboise (Ambazia), 72, 106. 

Ameltrude (sainte), 168 n. 2, 
169. 

Amiens, 275, 309, 336, 366, 373, 
378, 381. 

Amiénois, 220, 275, 382. 

Amira (Karl von), 10, 37, 121, 
226, 264 n. 1, 296, 297. 

Andelle , 197, 372, 378. 

Andresen, 302. 

Angers, 64, 69, 106. 

Angevins, 396, 397. 

Anglais, 180, 301. 

Angleterre, 58 n. 1, 68 (n. de la 
p. 67), 78, 79 et n. 4, 80 n. 3, 
96, 103 (s. de la n. 7 de la 
p. 102), 107,113, 116,119,138, 
140-142, 145, 156, 160-162, 
167,169,179,181,182,183 n.l, 
184, 270, 271, 283 (et s. de la 
n. 3 de la p. 282), 290 et n. 3, 
297 et n. 4, 298, 303 (s. de la 
n. 7 de la p. 302), 316, 397, 
398, 423 n. 3. 

Angli, 161. 

Anglo-Saxons, 161. 

Angul, 45. 

Anlaf, 162 n. 1. 

Anquetil, 337-339. 

Ansbert (saint), 407, 408. 


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Anseis, 341. 

Anslech, 355, 418, 420. 

Anténor, 44, 46. 

Applecross, 129. 

Apuldra ( Appledorc), ville d’An¬ 
gleterre, 80. 

Aquitaine, 259 n. 1. 

Aquitains , 191, 319. 

Arabes, 54, 386. 

D'Arbois de Jubainville, 303. 
Argentcuil, TJ, 186. 

A rgœuvre-sur-Somme, 52, 78. 
Ari, historien islandais, 141. 
Arles, 55. 

Arméniens, 440. 

Arnéis d’Orléans, 315, 316. 
Amoul, comte de Flandre (Ar- 
nulfus), 201, 276, 295, 303, 

307, 308, 310, 313, 334-338, 
340-342,347-349, 354-356,366, 
371-373, 375, 379, 384, 393, 
394, 403, 435, 436. 

Amoul II, 341, 384 n., 392, 
393 et n. 3, 394. 

Amoul, archevêque de Reims, 
17. 

Amoul, roi de Germanie, 79 et 
n. 4, 446, 447. 

Arques, 356, 391. 

A rras , 348, 392, 393 et n. 3. 
Arrouaise, 342. 

As Dans, 170, 172. 

Asie, 34. 

Athelstan (Alstemus, Adalstein), 
113, 140, 162, 163, 167, 180- 
182 et n. 1, 282. 301 n. 3, 305, 

308, 334, 380, 422, 430. 


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SUR DlIDON DE SAINT-QUENTIN 


455 


Atle, iarl de Norvège, 85, 87 et 
n. 1 et n. 2, 108. 

Atticjny , 180. 

Aubri des Trois-Fontaines, 
61 n. 1. 

Aubry, évêque de Paris, 367 
n. 2. 

Aud, fille de Ketil, 90. 

Aure (l’) t 201 n. 4. 

Atitun, 30, 185. 

Auvergne, 188. 

Auxerre , 72, 187. 

Auxerrois, 196, 202. 

Avranches (diocèse d’), 62 n. 5, 
68, 200, 205, 290, 410, 411. 

Avranches (comté d’), 176. 

Avranchin (P) (pagus Abrinca- 
dinus), 202, 220, 233, 286, 287, 
291, 348, 434. 

Avre (P), 201. 

Azo, 410. 

B 

Baionis mont (voir Boisemont). 

Bajocasses, 202 n. 1, 275 n. 5 
et 6, 280, 287, 349. 

Baléares (archipel des), 54. 

Baltique (mer), 93, 114, 119, 
268. 

Bar , 444. 

Baret, chef normand, 76, 446. 

Baudri de Bourgueil. 405. 

Balzo, Bauce, Bauzon, Haute 
d’Espaigne, 336-339, 341, 342 
(voir Baudouin-Balzo). 


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Baudouin, moine à Jumièges, 
331 et n. 1. 

Baudouin-Balzo, comte de Flan¬ 
dre, 384, 393 et n. 3. 

Baux (les), 265. 

Bavière , 223. 

Bayeux, 174-176, 179, 199, 201, 
202 n. 1, 205,217,275 n. 6, 301, 
311 et n. 1, 327 n. 3, 347, 349, 
352, 356, 357, 359, 360, 362, 
363, 407, -408, 411, 412, 435. 

Bayeux (Notre-Dame), 261. 

Beamfleote (Benfleet),ville d’An¬ 
gleterre, 79, 80. 

Beauce , 190, 194. 

Beaufroi, évêque de Bayeux, 
175. 

Beauvais , évêché, 50 n. 5, 378, 
381. 

Beauvaisis, 274-276. 

Beauvois, 101 (s. de la n. 2 de 
la p. 100), 121, 127, 361 n. 2, 
362. 

Béchin (Pierre), 241. 

Bède le Vénérable, 161, 271. 

Bellème , 356, 412. 

Bédier, 31 n. 2, 321-325, 327, 
429 n.. 430 n. 1, 444. 

Belges , 191. 

Belgique , 353. 

Benoit (de Saint-More), 2, 101, 

113 (s. de la n. 2 de la p. 112), 
140, 143, 189, 195, 263 n. 2, 
427, 428. 

Bérenger (comte), 130,174, 176, 
179, 183 n. 3. 


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456 


ETUDE CRITIQUE 


Bérenger de Bretagne, 204, 280, 
282. 284, 348. 

Bernard, secrétaire du duc, 
281, 355, 418, 420. 

Bernard, chef de l'armée, 348. 

Bernard le Danois, 350, 360, 
366 et n. 2 , 407 (s. de la n. 5 
de la p. 406). 

Bernard de Senlis, 177, 295, 
349, 356, 370, 371. 

Bernard, roi d'Italie, 177. 

Bemeval , 199, 370, 411, 412. 

Berry, 188,194. 

Berthe, 18. 

Brssin, 153, 155, 174, 199-201, 
275, 280, 282, 286, 288, 290, 
348, 349, 433. 

Betton, 187. 

Bèze (rnonatère de), 76, 78,186. 

Blanche (mer), 137. 

Blois , 22, 61. 

Biolan (O'Biolan), 129, 144. 

Bjœrn Butter-Keg, chef norvé¬ 
gien, 101. 

Bjœrn Iœrnside (Côte de Fer), 
Berno , 20, 58 n. 1, 64 et n. 4, 
66 n. 4, 88-97, 99-103 et s. de 
la n. 7 de la p. 102, 104, 107, 
108, 139, 432. 

Boèce, 442. 

Bohus, comté, 137. 

Boisemont, 309 n. 3. 

Bollandistes (Les), 71 n. 1, 
76 et n. 4. 

Boniface (saint), 258. 

Bothon, 174, 176, 280, 281, 311 
n. 1, 333, 347, 355,418, 420. 


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Boulogne, 79 et n. 4, 403, 407. 

Boulonnais (le), 308, 334. 

Bouquet (Dom), 65. 

Bourges , 188, 303. 

Bourgogne, 22, 75-78, 106, 172, 
185-187. 189, 192, 196, 274, 
384 n. 1, 406, 433, 446. 

Bourguébus, 156. 

Bourguignons, 191, 194, 392. 

Brabant (Firmin), 164. 

Braisnes, 253 n. 2, 370. 

Braquetuit , 157. 

Bresle (la), 199, 201. 

Bretagne, 22, 23, 62, 70, 71, 106, 
177, 198, 200, 202 n. 3, 203- 
205, ‘246, 280, 281, 283 et n. 2, 
287, 290 et n. 3, 291, 292, 306, 
311 n. 1, 380, 381, 396, 403, 
425, 433, 435, 436. 

Bretons (les), 68, 204, 267, 279, 
281, 282, 284-286, 288-290, 
306-308, 310, 311 n. 1, 347, 
349, 351, 363, 381, 397, 425, 
433, 434. 

Brctteville-sur-Bordel, 286. 

Bretleville-VOrgueilleuse, 286. 

Bretteiille-sur-Odon, 286, 288. 

Bretteville-sur-Laize, 286. 

Bretteville-Babel, 286. 

Bretteville-sur-Dive . 286. 

Brionne, 390, 413. 

Brissarthe, 67 n. 3, 68 (n. de la 
p. 67), 70, 96, 103,105. 

Broad-Fnjth, village d’Islande, 
92. 

Broigne, 403. 

Bro-Werec, 70, 397. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


457 


Bninanhuhr (bataille de), 181, 
182 n. 1. 

Brunner, 297. 

Brunon, archevêque de Colo¬ 
gne, 381, 382. 

Brussel, 210 et n. 2, 211 n. 1, 
216, 223. 

Bruxelles , 354. 

Budinger, historien allemand, 
117, 148. 

Bugge (Alexander), professeur 
à l’Université de Christiania, 
85, 86, 95, 96 n. 3, 100, 108, 
124-126, 137, 158, 159 n. 2, 
202 n. 3. 

Bugge (Sophus), 103. 

Bulgion, roi de Hongrie, 377 
n. 2. 

C 

Caen , 153, 284, 286, 288, 291, 
434. 

Calvados, 153. 

Camargue, 55. 

Cambrai, 251 n. 1, 330, 331, 
375, 377 n. 2. 

Cambridge (ms de), 344. 

Canche (la), 334. 

Capétiens ou Robertiens, 367, 
369, 371, 382, 395, 408, 416, 
436. 

Carélie , 39. 

Carloman, Karloman, 59 (n. 3 
de la p. 58), 151. 

Carolingiens, 230, 248, 265, 371, 
382, 408, 416. 

Carquebus , 156. 


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Carnet, 401 n. 4. 

Caux (pays de), 14, 21, 38, 158, 
266, 347, 349. 

Cuantereyne (de), 361 n. 3. 

Charlemagne, 230, 315,322, 329, 
416. 

Charles, duc de Basse-Lorraine, 
17. 

Charles le Chauve, 58 n. 3, 68, 
69, 72-74, 102, 106, 177, 200, 
285, 330. 

Charles le Simple, 22, 59 (n. 3 
de la p. 58), 123, 197,198, 201, 
203, 204, 206, 207, 213, 216, 
219, 220, 226, 227, 230, 233, 
238, 241 n. 3, 247, 251, 254, 
273, 274, 277, 278, 287, 288, 
299, 305 n. 1, 433, 446, 447. 

Charles III, empereur, 59 (n. 3 
de la p. 58), 165. 

Chartres , 20, 30, 61, 179, 190- 
192, 194, 195, 202, 250, 255, 
301, 384, 386, 396, 422, 427, 
433, 442, 445, 446, 451. 

Chartres (comté de), 60-63, 106, 
172. 

— (abbaye de Saint-Père 

de), 62, 63 n. 1. 

— (évêque de), 450. 

Chénon, 234, 244. 

Cher (le), 72. 

Cherbourg, 360. 

Chérukl, 54 (n. 1 de la p. 53). 

Chestcr , 80 n. 3, 96 n. 2. 

Chrestien de Troyes, 444. 

Christiania, 129, 137. 

Clausson (Peder), 115. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



458 


ÉTUDE CRITIQUE 


Clécy, 289. 

Clermont-en-Argonne, 188. 

Clermont-eti-Auvergne, 188. 

Clerval (abbè), 441. 

Clovis, 163. 

Cluny (abbaye de), 188. 332 
(s. de la u. 2 de la p. 331), 
402, 405. 

Cobleu tz, 165. 

Collingwood, 79 n. 4, 80 n. 3, 
96 n. 2, 145 n. 1, 156, 159 
n. 2, 359 n. 2. 

Cologne , 449, 450. 

Compïègne , 69, 354, 382. 

Conan le Tort, duc de Bretagne, 
22, 396, 397. 

Condé (llainaut), 167,168 o. 2. 

Conon, 310, 311 n. 1, 312, 313, 
423. 

Conquereux , 397 n. 2. 

Conrad, roi de la Bourgogne 
jurane, 374. 

Conrad le Sage, 313. 

Conrad le Roux, duc de Fran- 
conie, 313. 

Conrad II, empereur. 313. 

Constantin, roi d’Ecosse, 181. 

Copenhague, 129. 

Corbeil, 391. 

Corbie (abbaye de), 29, 336, 
426. 

Corbon (salines de), 349, 360, 
363 et n. 3. 

Cor doue, 388. 

Cornouailles (Cornu Gallia) 283 
et n. 3. 


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Corvey (abbaye de), 29. 

Cotentin (le), 202, 220, 233, 287, 
291, 293, 294, 348, 349, 360, 
386, 434. 

Cotentinois, 349. 

Coucy, 349. 

Couderc, 213. 

Couesnon (le), 199, 281, 290. 

Coutances (évêché de) 16, 62 
n. 5, 65, 68, 200,290, 
410. 

— (comté), 176, 285. 

Criqtiebœuf, 156. 

Croissy (Cruztiacum), 251 et 
n. 1. 

D 

Dacie, 34, 35,112, 113, 115, 133, 
135, 359. 

Daces (l)acigenæ), 44, 45, 83, 
100, 149. 

Dagobert, 400. 

Dalccarlie , 266 n. 1. 

Dalmate, 191. 

Dan, 45. 

Danai, 44, 45. 

Danelag, 156. 

Dani , 44, 46, 135, 147, 148, 150, 
151. 

Danaos, 45, 52, 432. 

Danemark, 23. 39, 41, 88, 115, 
118, 119, 133, ia5, 136, 140, 
147, 151, 153, 156, 266 n. 1, 
271 n. 1, 312, 349, 351, 359, 
361 n. 2, 385, 425, 435. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


459 


Danois (les), 46, 72, 73, 83, 87, 
88, 98, 111,115, 119, 125, 140, 
141, 147, 150-152, 157, 159 
n. 2, 162, 171, 190, 194, 301, 
311, 360, 385, 387 n. 4, 388, 
398, 418, 419, 432, 450. 

Danois d’Irlande, Hirenses , 
Irenses , 385 et n. 4, 386-388, 
451. 

Danube (le), 34. 

Daubeuf, 156. 

Dehajnes (abbé), 52 (n. 3 de la 
p. 51). 

Deira (nord de l’Angleterre), 
386 (s. de la n. 4 p. 385). 

Deiros, 385. 

Depping, 4, 38 n. 1, 65, 83, 116, 
164, 240, 264 n. 3, 272 (s. de 
la n. 3 de la p. 271), 361 n. 3. 

Destrictios, 76. 

Deux-Jumeaux (abbaye des), 16. 

Deux-Siciles, 297 n. 4. 

Deville, 200 (s. de la n. 3 de 
la p. 199), 433. 

Dieppe (la), 384. 

De La Rue (abbé), 363 n. 1. 

Delisle (Léopold), 428. 

Démo8thène, 441. 

Dietrich de Bern, 271. 

Dijon. 186, 382, 406. 

Dive (rivière), 62 et n. 5, 63 n. 1, 
106, 201, 202 n. 1, 205, 275, 
286, 287, 349, 357, 360, 363 
et n. 3, 367, 368, 435. 

Dol, 71, 205, 407. 

Domfront, 412. 

Dorstad, 163. 


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Douai, 393 et n. 3. 

Dozv, 317 n. 2, 387 n. 4. 

Dreux, 189, 448. 

Driault, 249 n. 2. 

Drogon, 380, 381, 396. 

Dublin, 181. 

Duchesnk, 2, 20. 

Dummleh (Ernest), 3, 8, 59 (n. 3 
de la p. 58), 117,120, 133 n.l, 
164, 221 n. 3, 252, 312, 313, 
324 n. 2, 376, 430. 

Dunois (le), 384. 

Dunot de Sajnt-Maclou, 363 
n. 3. 

E 

Eaulne (1’), 383. 

Ebrehard, comte de Franco- 
nie, 166. 

Ebles le Manzer, comte de Poi¬ 
tiers, 185, 186, 194, 195, 301, 
302, 427. 

Ebroïn, 30. 

Eccard, 82 n. 2. 

Eckel, 10, 123, 193 n. 1, 251 et 
n. 1, 254 n. 1, 275 n. 5. 

Ecosse, 118, 128-130, 138, 142, 
14-4, 145, 161, 181, 303 (s. de 
la n. 7 de la p. 302). 

Edouard, roi d’Angleterre, 161. 

Edouard le Confesseur, 392. 

Egil Skallagrimsson, 362. 

Egikhard, 223. 

Elbeuf, 156. 

Elborc (voir Gerloc), 302. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



m 


ÉTUDE CRITIQUE 


Emma, femme de Richard I er , 
368, 370, 379, 390, 412, 436, 
451. 

Emma, fille de Richard 1 er , 392. 
Epie, 182 n. 1,199, 200,218 n. 1, 
246, 372, 378, 382, 450. 
Equemauville (forêt d'Arques), 

391. 

Eric, 336, 341, 446. 

Eric Blodœxe, 362. 

Erik, roi de Danemark, 265. 
Ermenfroi, évêque de Beauvais, 
50 n. 5. 

Escaut, 163, 164. 

Esmein, 209 (s. de la n. 2 de la 

p. 208). 

Espagne, 54, 57, 58 n. 1, 60, 62, 
386, 388, 452. 

Eslanglie, 162. 

Ertienne (Henry), 36 n. 1, 439. 
Ethelred II, roi d'Angleterre, 

392, 397, 398. 

Estrup, savant danois, 119. 
Etampes, 189. 

EÜiiopien, 387 n. 4. 

Etienne, roi d’Angleterre, 327. 
Eu, 201, 276, 277, 390. 

Eudes de Cluny, 73, 332 (n. 2 
de la p. 331). 

Eudes, comte de Chartres, 18, 
303, 396. 

Eudes, roi de France, 52, 79, 
188, 447. 

Eudes de Bretagne, 392. 

Eure, 201. 

Europe, 34, 35. 

Evrecin (!'), 293, 434. 


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Evremond (saint), 408. 

Evreux, 174, 179, 199. 293, 327 
n. 3, 348, 352, 354, 357, 384 et 
n. 1, 386, 406, 409, 413, 449, 
450. 

Evreux (évêché de), 411. 

Evroul (saint), 407, 408. 

F 

Fabricius, historien danois, 121. 

Falsterbo, 156. 

Favre, 52 (n. 3 de la p. 51), 121, 
175, 179 n. 1. 

Faxe, ville de Danemark (Fas- 
ges), 140 n. 3. 

Fêcamp, 14, 30, 31, 301, 325-327, 
332, 347, 358, 392, 399, 
400, 413, 426, 430. 

— (abhave de), 15, 29-31, 
344, 358, 399, 400, 405 et n. 2. 
406, 407, 410, 411, 413. 

Félécan, Flestan, 205, 284, 288, 
289. 

Féroë (îles), 134, 271 et n. 1. 

Fierabras, Fièrebrace, 294, 323. 

Flach, 208, 209, 211 n. 1, 212 
n. 1, 213, 215, 216 n. 1, 222, 
224-226, 228, 229, 231-235, 241, 
242, 24-4, 248 et n. 1, 249, 264 
n. 2, 297 et n. 4, 300 n. 3, 421 
n. 2. 

Flamands, 301, 383. 

Flandre, 198, 201, 204, 209, 276, 
335,340,371,384 n , 392, 394. 
399, 402, 403, 449. 450. 

Fleury, 182 n. 1. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


4G1 


Flodoard, 2, 27, 28, 138, 162, 
199-202 n. 2, 204, 205, 212- 
215, 217, 218 n. 1, 219, 221, 
224, 227, 229, 231, 233-236,243, 
251, 255, 261, 274, 275 n. 5 et 
il. 6 , 276 n. 1, 277, 278, 282 et 
n. 1 et 3, 283, 288, 289, 292, 
305-308 n. 1, 310, 312, 327, 
329, 334-336, 340, 342,343, 345, 
346, 351-359,361, 362, 368-370, 
373, 374, 378, 382-384 et n., 
385, 387, 390, 394, 399, 416, 
427, 429, 436. 

Foggion (Bartoli), 173. 

Folcuin, 164, 252, 427. 

Fontanelle (abbaye de) ou de 
Saint-Wandri lie, 15, 16, 155, 
403 , 407. 

Foulques, archevêque de 
Reims, 175, 254. 

Foulques de Guernauville, 408. 

Foulques le Bon, comte d’An¬ 
jou, 380, 381, 384, 397. 

Frambold, évêque de Chartres, 
63 n. 1. 

Franc (empire), 119. 

France, royaume (Francia), 15, 
47, 55, 57, 58 et n. 1, 60, 63, 
100, 104, 113, 116, 119 n. 1, 
121-123, 175, 189, 196, 208, 
221, 248 n. 1, 249, 305, 306, 
320, 321, 337, 338, 359 n. 2, 
361 et n. 2, 371, 380, 382, 390, 
397, 412, 450. 

France (duc de), 375. 

Francfort, 379. 

Francia, 170, 184. 


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Francia occidenlalis , 231, 305 
n. 1, 436. 

Francon (Franco), archevêque 
de Rouen, 169, 185, 197-199, 
205, 238, 250, 252, 253, 255, 
259, 260, 262, 433. 

Francon, évêque de Liège, 252 
et n. 1 , 260. 

Francon ie, 313. 

Francs, 46, 58, 60, 116, 154,173, 
191, 194, 197, 198, 218, 240, 
250, 276, 292, 296, 379, 392, 
407. 

Francs de l'Est, 78. 

Francs occidentaux, 167. 

Frédéric II, empereur d’Alle¬ 
magne, 56. 

Frédérune. 206. 

Freeman, 7, 61 n. 1, 122, 241 
n. 3, 247, 305, 359 n. 2. 

Frémond (saint), 410. 

Frise , 103 (s. de la n. 7 de la 
p. 102), 164-166, 202, 207. 

Frode, roi légendaire, 56, 268- 
271, 434. 

Fulbert de Chartres, 441 et (s. 
de la n. de la p. 440), 4-42. 

FultUi (abbaye de), 27, 165. 

Fustel de Coulanges, 245, 
247. 

Fuzet (Mar), 253 . 

G 

Gaill Blancs et Noirs, 352 n. 4. 

Galice, 54, 387. 

Galiciens, 387 n. 4. 

Galien, 4-42. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



462 


ETUDE CRITIQUE 


Galles (pays de), 96 n. 2. 
Gallois, 181. 

Gand, 402. 406. 

Garni (saint Pierre et saint Ba- 
von, 403. 

Gandalf, 112 n. 2. 

Garin, Garins (voir Gurini). 
Garonne, 184. 

Gascogne, 248. 

Gaular, pays de Norvège, 85. 
Gaule (la), les Gaules (Valland), 
30, 68 (n. de la p. 67), 72, 73, 
96 n. 3, 97, 109, 114, 128, 148, 
168 n. 1, 184, 239 n. 2, 361, 
362, 417. 

Gaulois (les), 72. 

Gautier, archevêque de Sens, 
193. 

Gautier, comte de Dreux, 448. 
Gautier, évêque de Paris, 367 
n. 2. 

Gautier, vassal de Richard I» r , 
384. 

Gautier (Léon), 317 et n. 2, 
318, 322. 

Génestal, 421 n. 1. 

GeofTroi de Bretagne, 22, 392. 
GeolTroi, comte d’Eu et de 
Brionne, 390. 

GeofTroi Grisegonelle, comte 
d'Anjou, 73, 74 et n. 1, 377 
n. 2, 383. 

Geoffroi Malaterra, 244 n. 2. 
Gérard de Broigne, 402, 406. 
Géraud, évêque d'Evreux, 405, 
411. 


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Gerberge, 350, 358, 372, 381, 
436. 

Gerbert, 441. 

Gerloc, 179, 302 et n. 7, 331, 
419. 

Germanie, 35, 46, 150, 229-231, 
258, 304, 306, 310, 312, 371. 
394. 

Germains, 148 n. 2, 230. 

Géro, 313. 

Gerran, 187, 196. 

Gertrude (Sainte-), église, 169. 

Gèles ou Goths, 35, 36, 39. 

Gezo, 448. 

Gilbert, fils de GeolTroi, 390. 

Giraud de Barri, 75 (n. 3 de la 
p. 74). 

Girbert, 341. 

Gisèle, 197, 198, 206, 207, 273, 
419, 433. 

Gislebert ou Gilbert, duc de 
Lorraine, 313, 403. 

Gislebert Mainel, 384. 

Gislebert, évêque de Coutances, 
410. 

Gisors, 378 n. 1, 388, 389, 411, 
450, 451. 

Glasson, 242 (n. de la p. 241), 
268 (s. de la n. de la p. 267). 

Glommen, rivière de Norvège, 
94. 

Godfrid, Godfried, Gotfrid, 20, 
98, 148 n. 2, 159, 165, 166, 
185, 202, 207, 252, 261, 432. 

Godefroi, comte, 405. 

Gondouin, 331 et n. 1. 


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PRINCETON UNIVERSITY 



SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


463 


Gonnor, 391, 409, 419. 

Gorm 'voir Gurim), 133, 135. 

Gorm le Vieux, roi de Dane¬ 
mark, 41, 130. 

Gormond l'Africain (Gurman- 
dus), 74 et n. 2, 75 et n. 3 de 
la p. 74, 354, 444. 

Gotfrid, chef danois d’Angle¬ 
terre, 181. 

Gotha, rivière, 137. 

Gothie , 34, 35, 144. 

Gousseaume, Goussiaume,Gou- 
teaume, Jousseaume, Jous- 
siaume, évêque de Chartres, 
192, 193 n. 1. 

Goût, 401. 

Gouy, 342. 

Gozlin, abbé de Saint-Denis, 
411. 

Grande-Bretagne, 159 n. 2, 283, 
301 n. 1. 

Grèce, 56, 441. 

Grecs , 41, 44, 45, 151, 440. 

Green, 80 n. 3, 122. 

Grim, 113 s. de la n. 2 de la 

p. 112). 

Groix (île), 152. 

Grosley, historien,’61 n. 1, 83. 

Gualtelmus (voir Gousseaume). 

Gudrum Illgirdsfü, déesse, 43. 

Guérech, 381, 396. 

Guichard, évêque d’Evreux, 411. 

Guilhiermoz, 211 et n. 1, 213, 
‘220, 221, 224, 226, 234, 235, 
237. 

Guillaume (comte), 405. 


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Guillaume, archevêque de Sens, 
305. 

Guillaume d’Aquitaine, 318. 

Guillaume de la Poule, 56. 

Guillaume de Jumièges ou 
Calcul, 1, 6, 7 n. 1, 13, 24, 25, 
f>4 (n. de la p. 53), 57, 58 n. 1, 
60, 61 et n. 1, 62-64, 66, 67 
(n. 4 p. 66), 87-89, 97, 99-101, 
102 n. 7,104, 116n.2,139,140, 
143, 145, 168, 171, 175, 178, 
189, 237, 252, 253 n. 2, 260, 
275 n. 6, 291, 2J2, 302, 311 
n. 1, 330, 331, 333, 336, 3V3, 
351, 355, 356, 360-362, 364-3G6, 
384, 385, 387, 390-395, 413, 
420, 428, 432, 449. 

Guillaume de Malmesbury, 
142, 337, 341-343. 

Guillaume d'Orange, 316, 317, 
323. 

Guillaume de Poitiers, 271. 

Guillaume de Saint-Bénigne, 
326, 406, 409. 

Guillaume Tête d'Etoupe, comte 
de Poitiers, 301, 302, 304, 310, 
317, 322, 419. 

Guillaume, fils de Richard II, 
326. 

Guillaume Fièrebrace, 320. 

Guillauine-le-Conquérant, 16, 
22, 202 n. 2, 265,270, 294, 421, 
423. 

Guillaume, fils de Richard I er , 
390. 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



ETUDE CRITIQUE 


m 

Guillaume Longue-Epée, 20, 24, 
27, 29, 31, 47, 114, 130, 142- 
144, 175, 178, 179, 182 n. 1, 
199, 202 n. 2, 204, 205, 219-221, 
226, 227, 232, 233, 235, 236, 
ÎM8, 252, 258, 259, 261 n. 2, 
273, 275 n. 6, 278 et n. 1, 279, 
280-282 et n. 3, 288, 290-292, 
291-297,300-302 et n. 7,303-305 
et n. 1, 306-311 n. 1, 312-317, 
320-325, 328-331 et n. 1, 332, 
331-341, 347, 318, 351,354, 360, 
361-367,383, 389, 398, 401, 402, 
409, 411, 418-120, 423, 428, 429, 
431. 

Guillouard, 272 (s. de la n. 3 
de la p. 271). 

Guiraud, 263 (s. de la n. 2 de 
la p. 262). 

Guitton (comte de Senlis), 177 
n. 5. 

— (Witto), archevêque de 
Rouen, 185, 252-257, 259 n. 3 
et 4, 433. 

Guizot, 6. 

Gunard, Gonthard, Gunardhus, 
archevêque de Rouen, 252, 
253 et n. 1 et 2. 

Gunborg, 39. 

Gurim, Garin, Guirins, 112 et 
n. 2,133, 135. 

Gurin, 113 (s. de la n. 2 de la 

p. 112). 

Gurfol (château), en Grèce, 56. 

Gurrnond, 113 (s. de la n. 2 de 
la p. 112). 

Gurvant, 70. 


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Gutorm, 112 n. 2. 

Guthrum d’Estanglie, 162, 180. 
Guy, évêque de Soissons, 357. 

— chancelier de Lothaire, 
4-18. 

Guv de Bazoches, chroni¬ 
queur, 61 n. 1. 

Gxcent, 181. 

H 

Hadvise, 22, 392. 

Hagrold, 275 n. 6, 317, 349, 350, 
357, 359, 360, 361, 363, 407, 
435. 

Haimeri, 192. 

Hainaut, 140, 164, 168. 

Hak, 301 (s. de la n. 4 de la 
p. 300). 

llakon, 183 n. 1 et 3. 

— le Bon, 362. 

Hakon Griotgardsson, 86. 
Halphen et Poupardln, 65, 73 

n. 3 et 74 n. 1. 

Hais, 165. 

Ham, ville de Picardie, 50. 
Hambye, 156. 

Harald, 36. 

Harald Rlaatand, roi de Dane¬ 
mark, 359 n. 2, 360, 361 et 
n. 2 et 3, 435. 

Harald Gràfeld, 362, 363. 

Harald Hardraad, 56. 

Harald Harfagr’ roi de Nor¬ 
vège, 41, 86, 90-93, 95, 99, 105 
n. 1, 113, 114, 132, 136, 138, 
141-143, 146, 182, 183 et n. 1 
et 3, 298, 301 (s. de la n. 4 de 
la p. 300), 417, 430. 


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PRINCETON UNIVERSITY 



SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


405 


Harold, roi de Danemark, 352. 
385. 

Basions, Ch. H., Il n. 3, 297, 
331, 423 n. 3. 

Haspres , Hespera, 330, 331 et 
n. 1. 

Hasling ( Huaslen , Hæsten , 
Hallstein), 20, 29, 47, 48, 51, 
52, 54 (n. de la p. 53), 57-01 
et n. 1, 02-04 et n. 4, 05-07 
08 (n. de la p. 07), G9-74 et 
n. 1, 75-80 et n. 3, 81-89, 91, 
92, 95-100, 103-109, 139 n. 1, 
170, 171, 173, 184, 29G, 408, 
422, 427, 430, 432, 442-445. 
Hauk, dit Habrok, 183 n. 1. 
Havre (le), 158, 200. 
Heurlcauville, 400. 

Hébrides (îles) (Suderœ), 90, 
92, 93, 95, 90 n. 2, 99, 114, 
119, 137, 138, 145 et n. 1, 159 
n. 2, 161. 

Helge, viking, 90, 92, 95. 

— fils d'Ottar, 129, 144. 
Hélie, 440. 

Helmhold, auteur de la Chro- 
nica Slavorutn, 82 n. 2, 152. 
Hélouin de Montreuil, 334, 330, 

349, 350, 354, 355, 306 et n. 2. 
Hélouin, chancelier de Hugues, 

408. 

Henri, roi de Germanie d'après 
Dudon, 28, 306, 310-312, 320, 

350. 

Henri I tr , roi de Germanie, 307. 
Henri II, empereur, 307, 313. 
Henri I« r , roi d'Angleterre, 153. 


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Henri II, 428. 

Henri, évêque de Bayeux, 301, 
347, 411. 

Henri de Sully, abbé de Fé- 
camp, 327. 

Henri, lils de Louis IV, 3*29. 

Herbaugc, 306. 

Herbert de Yerrnandois, 219, 
229, 230, 275-277, 292, 301-304, 
308, 311, 317, 318, 342, 351, 
354. 

Herbert, évêque de Coutances, 
410. 

Ilerfroi, 187. 

Héribrant, 4-41. 

Hériold, 103, 261, 432. 

Herlève, 409. 

Hermann, 312. 

Hermann Billung, 313. 

Hermentreville (Saint-Sever , 
faubourg de Rouen, rive 
gauche de la Seine), 384. 

Hérold, 360. 

Hervé, archevêque de Reims, 
254-257, 259 n. 3, 433. 

Hesbage, 164, 165, 107. 

Hethelulphe, 73, 106. 

Hiémois (1’), 202 n. 2, 287. 

Hongrie, 377 n. 2. 

Hilda, 114, 142 n. 1. 

Hildebert, 401. 

Hippocrate, 442. 

Homère, 4-41. 

Hoël, comte de Bretagne, 381, 
396. 

Hordaland, pays de Norvège, 
91, 94. 

30 


Original from 

PRINCETON UNIVERSITY 



m 


ETUDE CRITIQUE 


Horic, 163. 

Houel, roi des Gallois de 
l'Ouest, 181. 

IlowORTH (sir Henry), 10, 61 
n. I, 122, 254. 

Ilroald, Hoald, 290et n. 3. 
Hrod-wald-Ryg, 101. 

Ilrolf au Long-Nez, 114. 

Hugues (saint), 330. 

Hugues, archevêque de Rouen, 

404, 409. 

Hugues, évêque de Coutances, 

405, 410. 

Hugues Capet, 13, 17, 214, 247, 
369, 370, 382, 390, 392, 395, 
396, 399, 411. 

Hugues de Fleury, 58 n. 3, 68 
n. de la p. 67, 74, 75 et n. de 
la p. 74, 385 n. 4, 387. 

Hugues le Grand, 219, 221, 222, 
229-231, 236, 248 n. 1, 253 n. 1, 
276, 292, 301-305, 307-311, 313, 
317-319, 329, 334,349-351, 354, 
356-358, 360, 368-372, 375, 376, 
379, 382, 391, 395, 408, 417, 
435, 436. 

Humbel, 45. 

Huntber (F), 182 n. 1. 
llundée, chef viking (Hundeus), 
81, 139 n. 1, 185, 254, 256, 
258. 

I 

Iamlaland (pays de Suède), 90- 
93. 

Ibn Adiiari, historien arabe, 
58 n. 1. 


Ile de France, 16, 347. 

Illyrie, 44. 

1 MB ART DE LA TOUR, 245 n. 2. 
249 n. 1, 410. 

Immon, évêque de Noyon, 49- 
51. 

Immon de Chévremonl, 382. 
Imandur-le-Blanc, 43. 

Incon. chef normand, 205. 290. 
Ionisvikings, 43. 

Iona, 145. 

Irlandais , 301. 

Irlande, 138, 142, 352 n. 4. 
Isambart ^sembard), 74 et n. 2, 
353, 354, 444. 

Isidore de Séville, 45. 
Islandais, 42, 159 n. 2. 

Islande, 86, 92, 95, 96 n. 2, 99. 

105 n. 1, 107, 109, 119, 142. 
Italie, 38, 56-58 n. 3, 143, 177, 
231, 271, 338. 

Ivar Boddi, 176 n. 3. 

J 

Jâmtland, voir Iamtaland. 

Jean, archevêque de Rouen 
(Johannes), 169, 252. 

Jean IX, 255, 256. 

Jean X, 256. 

Jean XIII, 404. 

Jean XV, 398. 

Jeanroy, 324. 

Jeufosse, 102. 190, 386, 450, 451. 
Johannes (voir Jean), archevê¬ 
que de Rouen. 

JONCKBLOET, 316, 322. 


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PRINCETON UNIVERSITY 



SUK DUDON DE SAINT-QUENTIN 


467 


Joret, 132, 133, 154, 157, 430 
n. 2. 

Jornandès, 34-36, 41, 45, 426. 

Josselin, abbé de Jumièges, 
330. 

Jouen (chanoine), 253 n 2. 

Judith, épouse de Richard II, 
22 . 

Juhaël, comte de Rennes, 284, 
285, 288. 

Jumièges (abbaye de), 1, 168, 
169, 199, 304, 305, 330, 331 et 
n. 1 et 2, 333, 365 n. 1, 402, 
406,407. 

Junius, 83 n. 2 de la p. 82. 

Jutland , 39, 159 n. 1. 

K 

Kadlin, fille de Rollon (Cathlin), 
Catarina, 129. 144, 146, 179. 

Kalckstkin (von), 9, 122 n. 1, 
139 n. 1, 170 n. 1, 177, 193 
n. 1, 203 n. 1, 221 n. 2, 303, 
305 n. 1, 312, 366, 367 n. 2, 
376, 386 (s. de la n. 4 de la 
p. 385), 449. 

Ketil Flatnefr, viking norvégien 
(Catillus), 89-93, 95, 96 n. 3, 
97, 99, 100, 103, 105, 107, 138 
n. 2, 139. 

Ketil, père de Rollon, 138. 

Kicelen (monts), 90-93. 

Kioulf, 341. 

Kirkwall, 139. 

Klingenmunster ( Palatinat), 
Cluniacun monasterium, 254 
n. 1. 


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Krantz, 115. 

Knut le Grand, roi de Dane¬ 
mark et d’Angleterre, 149. 

Knut, roi de Danemark, 39. 

Kurzbold (voir Conrad le Sage), 
313. 

L 

La Borderie (A. de), historien, 
69, 70 et n. 3, 71, 281. 

La Croix Sainl-Leufroi (abbaye 
de), 71 n. 1 et 3, 201. 

Laferrière, 268 (s. de la n. de 
la p. 267). 

Lagouelle, 226, 232, 244, 246, 
262 n. 2, 264 et n. 1, 265, 269 
n. 2. 

Lai R (Jules), 2, 3,9, 12. 16 n. 3, 
18-20, 26, 34, 45, 46, 54 n. 5 
de la p. 53, 68 n. de la p. 67, 
82-84, 112 n. 2, 120, 123, 130 
n. 2, 131, 133, 162, 165, 166, 
168 et n. 2, 177 n. 5, 186 n. 1 
et 2, 187 n. 1, 188-190, 193 
n. 1, 215 n. 1, 232, 248, 278 
n. 1, 281 n. 2, 282, 291, 304, 
306, 308 n. 1, 309 n. 3, 312, 
335, 344 n. 2, 363 n. 1, 365, 
381, 383, 390, 391, 394 et n. 3, 
415, 426, 428, 430 n. 2, 431, 
440. 445. 

Laize (la), 286. 

Lakc cl Y sel la, 165. 

Laland, 82 n. 2. 

Langebeck, 84. 

Landri, comte de Nevers, 18. 

Langlois (Ernest), 318-320, 322. 


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PRINCETON UNIVERSITY 



468 


ETUDE CRITIQUE 


Lanquetuit, 157. 

Laon, 17, 219, 236, 310, 311, 317, 
320, 329, 374, 375, «9, 450. 

Lapons, 36. 

Lappenberg, 5, 7, 116, 162, 
312, 366. 

Latouche, 172 n. 1. 

Lacer, 11, 139 n. 1, 177 n. 5, 
213 n. 2, 220-222. 226, 236 et 
n. 3, 283, 302, 304, 309 n. 3, 
312, 313, 322, 327-329,344 n. 2, 
353, 365, 366 et n. I, 367 n. 2, 
377, 429, 430. 

Launi (île), 170. 

Le Daud (Pierre), 28* et n. 2, 
285 n. 2, 288, 289. 

Le Carpentier, 164. 

Ledgarde, Lieutgarde,Liégeard, 
303, 333, 379. 

Le Hom, 289. 

Leibnitz, 164, 447. 

Le Mans, 172 n. 1, 177, 202 et 
n. 1, 217. 

Le Prévost (Augus(e) 4, 63 
n. 1, 107 n. 1, 167, 293, 295, 
305, 367 n. 2, 447. 

Les Baux de Breteuil, 265. 

Les Baux-Sain le-Croix-des - 
Ventes, 265. 

Les Damps, 30, 170. 

Lèves (Eure-et-Loire), Leugas, 
19, 30, 194 195, 422, 427, 442. 

Licqüet, 3, 83, 116 n. 1, 161, 
207, 252, 264 n. 3. 282 n. 2, 
359. 

Liège, 252, 260, 312. 

Lieuvin (le), 201. 


Limerick, ville d'Irlande, 129. 

Limoges, 258. 

Limousin (le), 76. 

Lindesness (cap), 94. 

Lisbonne, 387, 452. 

Lisieux (diocèse de), 201, 410. 

Lo (saint), 410. 

Lobineau (doin), 203 n. 1, 207, 
252. 

Lodbrok (voir Ragnar). 

Loir (le), 72. 

Loire (Liger) fleuve, 22, 59, 62, 
64. 69, 78, 106, 107, 152, 184, 
190, 204, 205 et n. 1, 259 n. 1, 
274, 283, 290, 306, 369, 446. 

Londres, 56, 80. 

— (ms. de), 344. 

Longnon, 444. 

Longs Boels (les), 265. 

Lorraine. 230.231, 251,371,376, 
382, 402. 

Lorrains, 311. 

Lot, 10, 15, 17 n. 1. 18 n. 1, 50 
n. 5, 67 n. 3, 68, 74 n. 1 et 2, 
102 n. 2, 154, 155, 173 n. 1. 
211 n. 1, 212, 220, 223. 226, 
242, 247 n. 2, 303, 323, 329, 
353, 365, 367 n. 2, 379, 382, 
384 n. 1, 385 n. 4, 388, 390, 
394 et n. 3, 395, 404 n. 3, 447- 
450 n. 1 et 2. 

Lothaire I rr , empereur, 163. 

Lotliaire, roi de France. 302, 
328. 329, 331, 368. 379, 381-384 
et n., 392-395, 404, 411, 436. 
447-450. 

Lothaire II de Germanie. 207. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


460 


Lotharingie, 163. 394, 402. 

Louis, abbé de Saint-Denis, 49. 

Louis I er le Débonnaire, 29. 

Louis l'Enfant, 446. 

Louis III, 59 (n. 3 de la p. 58), 
60, 73, 78, 81, 106, 353. 

Louis IV d’Outremer, 21, 151, 
204, 220-222,227, 231, 233-237, 
304-310, 312-318, 320-322, 328- 
330, 334, 348-355,357-360, 365, 
367 , 368, 371-373, 376, 380, 
383, 416, 433, 435, 436. 

Louvain , 79 n. 4. 

Louviers, 172, 173. 

Lucain, 160. 

Luria (ville d’Italie), 47, 48, 53, 
55-57, 62, 63 n. 1, 74, 103 (s. 
de la n. 7 de la p. 102), 422. 

Lyons, 301, 423. 

Lys (la), 392, 393. 

Lyschander, 115. 

M 

Mabillox, 331 n. 1. 

Madalbcrt, 188. 

Madjous (nom Arabe des Nor¬ 
mands, 54, 58 n. I. 

Maestricht, 312. 

Maïeul (Mayeul), abbé de Cluny, 
326. 405, 406. 

Mainard, abbé de Saint-Wan- 
drille, 402, 403 et n. 3, 404. 

Maine, 172, 199, 202, 209, 275, 
294, 296, 433, 434. 

Maintenon, 189. 

Malahulc, 130. 


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Mallet, 362 (s. de la n. 3 de la 
p. 361). 

Man (île de), 96 n. 2. 

Manassés, comte de Dijon, 193, 
194. 

Manceaux, 397. 

Manche (la), 107, 182 n. 1. 

Marbod, 168 n. 2. 

Maresdans, 170. 

Marigny, 401 n. 4. 

Martin, abbé de Jumièges, 331, 
332 n. 2 de la p. 331,333. 

Marx, 57, 58 n. 1, 66, 67 n. 4 
de la p. 66, 89, 253, 270 n. 2, 
331 n. 1. 

Mathilde, lille de Richard I rr , 
392. 

Matuédoi, comte de Bretagne, 
282 et n. 3, 287, 290. 

Maugc, 306. 

Mauger, 391. 

Mauperluis, 373. 

Maurer (Konrad), historien 
allemand, 117. 

Maures, 55, 387 n. 4. 

Mauritanie, 57. 

Mauxe (Saint), 403 n. 2. 

Mayenne (la), 412. 

Méditerranée, 54, 57, 63, 68 n. 
de la p. 67, 103 (s. de la n. 7 
de la p. 102), 105. 

Meier (Jacques de), 341, 393. 

Mercie, 79, 181. 

Merlet (René), 11, 16 n. 2,193, 
285 n. 2. 

Metz, 251. 

Meulan, 174. 


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470 


ETUDE CRITIQUE 


Meme, 163, 164. 

Middlelon (Millon), ville d'An¬ 
gleterre, 79. 

Moêre, comté de Norvège, 113, 
137, 142, 146. 

Mohammed (émir), 38 n. 1. 

Moidrey , 401 n. 4. 

Monod (Gabriel), 11 n. 3, 208 
n. 2, 209. 

Montbaillon, 309 n. 3. 

Mont Cassin (abbaye de), 56. 

Montkuus (Oscar), 153. 

Monlfaucon , 188. 

Montier (Edward), 11 n. 3. 

Montreuil~sur-M.ee , 253, 304, 
334, 335. 

Mont Riboudet, 300. 

Mont-Saint-Michel, 66, 67, 199, 
261, 399, 401, 404, 411, 447. 

Morice (Dom), 3, 161. 

Morins (les), 308. 

Mostr, île de Norvège, 91, 94. 

Mouzon , 351. 

Munch, 84, 85, 105 n. 1, 118, 
144, 148, 159 n. 1, 168 n. 1, 
264 n. 3. 

N 

Nachor (Nécour, ville du R if 
marocain), 54. 

Samur , 403. 

Nànsen Gustafson, 124. 

Sanies , 64. 202, 204, 380, 381, 
397. 

Nantais, 381, 396. 

Neustrie, 64, 172, 182 n. 1, 236, 
287, 289, 359 n. 2, 369. 408. 


Nicolas, fds de Richard III, 326. 

Nidjborg, petite fille de Rollon, 
129, 144. 

Niedcrlahngen, 313. 

Nimègtie (Noviomagus), 52 n. 3 
de la p. 51. 

Nimes, 55. 

Nivernais, 196, 251. 

Aord (mer du), 94. 

Norgod, évêque d’Avranches, 

405, 410. 

Normandie, 46, 62, 63 n. 1, 81, 
89, 97, 101, 107, 109, 111, 114- 
116,118-120, 122.128, 134-136, 
140-143, 149 n. 2, 152,154, 156, 
157, 159 n. 2, 167, 168 et n. 1, 
175, 177, 181, 182 n. 1, 191, 
197-205, 209, 212, 216, 218 n. 1, 
222, 233, 235, 237, 240. 243, 
246, 248 et n. 1, 249, 251, 255, 
261, 280,317-320 n. 1,326,327, 
331 n. 1,334,335, 337,349,351, 
353-359 n. 2, 360, 364-367, 369, 
371, 372, 378, 381, 385, 386, 
388,389, 394, 395, 398, 400-402, 

406, 412, 425, 426, 429, 431, 
433, 434. 436, 440, 449. 

Basse-Normandie, 202, 205, 286, 
433, 434. 

Haute-Normandie, 199,202, 411, 
433. 

Coutume de Normandie, 267. 

Normands, 38, 44, 45, 52-54, 57, 
59, 62, 64, 68, 69, 75, 80, 83, 
85, 94, 96 n. 3, 100, 106, 111, 
112, 121, 141, 143, 148, 149, 
151, 152, 159 n. 2. 165, 169, 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


173-178, 179, 18-2 n. 1, 185- 
188, 191-197, 199, 201, 202, 
203 n. 1,201, 205, 212,215 n. 1, 
216-218 n. 1, 219. 220. 225, 
227, 232-234, 239 n. 2, 210, 241 
et n. 3, 243, 248, 250, 251, 253- 
255, 257, 260, 263, 265, 266 n., 
273-275 et n. 6, 276, 277, 283, 
284, 287, 288-290, 292, 294, 
296, 297 n. 4, 299, 301 n. 3, 
306-308, 311 n. 1,312, 319,320, 
325, 330, 338, 342, 343, 347- 
353, 356-360, 363, 364, 368, 
370, 372, 374, 377, 379, 380, 
385, 387 et n. 4, 388, 396, 397, 
406-409, 417, 421, 422, 431,433, 
435, 443. 

Xorman nei‘nr t 120, 124, 148. 

Normanni, 148-151. 

Norlhumberlaml, 182 n.l, 271, 
362. 

JS 'or thum brie, 181. 

Norvège (Xorthwegia Nora), 38 
n. I, 41-44, 88-90, 92. 93, 101, 
114-416, 118,122, 125, ia>-137, 
139, 140, 142, 143, 149, 152, 
156, 160, 266 n. 1, 268, 269, 
271, 298, 300 n. 2 de la p. 299, 
359 n. 2, 362, 417. 

Norvégiens , Xorici, Northgue- 
gigenœ, 88, 96 n. 2, 99, 109, 
111, 112, 115, 118, 119, 142, 
148, 149 n. 2, 150, 152, 159 n. 
1 et 2, 362, 385, 386, 418, 432, 
4-40, 451. 

Noyon, 47, 49-52, 57, 78, 106, 
275. 


471 

Noyon Eglises de Saint-Médard 
et de Saint-Eloi, 49. 

O 

O'Biolan (voir Biolan). 

Océan, 107. 

Œlwi, 86. 

Œsterdal, rivière de Norvège, 
94. 

Ogier le Danois, 294. 

Ohtor, viking, 290. 

Oise, 47, 48, 51, 57, 107, 274. 
Oissel (île d'), 102. 

Olaf Guthfrisson, 181. 

Olaf le Blanc, chef viking d’Ir¬ 
lande, 90, 93. 

Olaf le Bouge, 181. 

Olaf, roi suédois, 39. 

Olaf (saint), 430. 

Oman, 183 n. 3. 

Orcades (îles) Orkneys, 93, 96 
n. 2, 119, 137, 138, 142, 145 
n. 1. 159 n. 2, 362. 

Ordkric Vital, 4, 38, 130, 177, 
292, 295, 305, 343 n. 4, 356, 
408, 425, 446. 

Orient, 45, 112. 

Orléanais, 408. 

Orléans, 375. 

Orne (f ), 286, 288, 289. 

Ohose (Paul), 34-36, 45, 426. 
Oscar, chef viking, 66, 400. 
Oslac, 101. 

Osniond, 349, 355, 356, 411, 412, 
428. 

Osmont, 339. 

Oslerbô , 156. 


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ETUDE CRITIQUE 


472 

Ostrngol/is, ‘271. 

Osvi, 146. 

Ollinga Saxonia, ‘287, 311 n. 1. 

Ottar, 129, 144, 290. 

Otton I* r lo Grand, 28, 230, 307- 
310,312-314, 320, 330,334, 350, 
371-377 n. 2, 378, 379. 382, 
428, 436, 449. 

Ouen (saint), 400, 401. 

Ouislreham, 288. 

Owen, roi de Gwent, 181. 

Oxen-Thor, 146. 

P 

Paër (saint), 205. 

Paillard de Saint-Aiolan, 
109 n. 1. 

Palgrave, 5, 6, 109, 122, 431. 

Pal ne l , 405. 

Paris (Parisiiis), 16, 47-49, 74 
n. 1, 75, 167, 174-176, 180, 
181, 184, 185, 189, 193, 194, 
338, 354, 367, 371, 372, 375, 
377, 378 n. 1. 

Paris, église Sainte-Geneviève, 
51. 

Paris (Gaston), 294 , 317, 323, 
325, 428. 

Paris (Paulin), 316. 

Parisiens , 276. 

Parisot, 79 n. 4, 164, 165, 251 
n. 1. 

Pascwiten, 70. 

Paul Diacre, 39, 426. 

Paul Émile, 207, 252. 

Pavie, 338, 341. 


Pedersœn (Absalon), 115. 
Peigxé-Delacourt, 51 n. 3. 
Pépin, d'Italie, 177. 

Perche (le), 102. 

Pertz, 54 n. de la p. 53. 
Petersen, historien norvégien, 
118. 

Pfister (Chr.), 193 n. 1, 208 
n. 2, 222 n. 4, 433. 

Philippe Mousket, 177, 340. 
Picquigny, 336, 341. 

Philibert (saint), 330. 

Pineau, 271 n. 1. 

PlRENNE, 393 n. 1. 

Pi se, 55. 

Pitres, village de la vallée de 
l'Andelle, 102. 

Pleskow, ville de Russie, 56. 
Pline le Jeune, 426, 439. 
Plummer, 79 n. 4. 

Poher (comté de), 282, 290. 
Poinsignon, 139 n. 1. 

Poitevins, 194, 301, 397. 

Poitiers, 64, 179, 185, 186, 319, 
331, 435. 

Pollock et Maitlaxd, 297. 
Pommeraye (dom), 400. 
Pomponius Mêla, 439. 

Ponthieu (le), 334. 

Pont-de-l'Arche , 30, 170, 172, 
173, 327 n. 3. 

PONTANUS, 115. 

Popa ou Poppa, 130, 176-178, 
207, 278 n. 1, 280, 295, 418. 
Porphyre, 36. 

Portas Veneris, 55. 

Poupardin, 65. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


473 


Powell (York), 87, 95, 9G n. 2. 
1(6 n. 1, 14(3. 

Pré de la Bataille, 295, 300. 

Prudence de Troyes, chroni¬ 
queur, 50, G3 n. 1, 190. 

Prüm (monastère de), 105. 

Prusse, 39, 

Ptolémée, 35, 36, 426, 439-441, 

Q 

Quevilly, 347. 

Quillebeuf, 156. 

R 

Radbod, 164, 165. 

Raghnall, chef normand des 
Orcades, 57. 

Ragnar Lodbrok, 20, 66, 100, 
101 , 102, 108. 

Ragnard, vicomte d’Auxerre, 
187. 

Ragnold, comte du Maine (voir 
Renaud). 

Ragnvald, iarl de Moëre, 113, 
137, 142, 146. 

Rainaud, 188. 

Ranrike, royaume Scandinave, 
137. 

Raoul d’Argences, 327. 

Raoul, évêque de Bayeux, 408. 

Raoul, de Bourgogne, 76, 258, 
259 n. 1. 

Raoul de Cambrai, 341, 342. 

Raoul de Dragi, 408. 

Raoul Glabkr, 82,85, 271,292, 
303, 337, 340, 397 n. 2, 398, 
405, 442-445. 


Raoul de Gouy, 341, 342. 

Raoul d’Ivry, 10 n. 3, 11 n. 1, 
18, 24-26, 29, 124, 132, 133, 
155, 272, 292, 314, 346, 404, 
405, 4M, 413, 420,430. 

Raoul La Tourte (Rodulfus 
Torta), 237, 363-366 et n. 2, 
367, 368, 406, 435. 

Raoul, roi de France, 76, 77, 
199, 200, 202, 220, 227, 233, 
274, 278, 287, 291, 294, 304. 
Ratbode, 72. 

Rathier de Vérone, 393 n. 3. 
Redon (cartulaire de), 69, 290. 
Réginon, 27, 67, 68 et u., 70, 
207, 252, 427. 

Régnier au Long Col, de Hai- 
naut, 164, 166, 167, 403. 
Régnobert (saint), 407. 

Reims, 17, 138, 274, 309, 374 et 
n. 8, 375, 378, 379, 
384 n., 426, 433. 

— Archevêque, église, 218 
n. l,254-256,259n.3, 
276 et n. 1, 330, 351. 
Renan, 110. 

Renaud (Ragnoldus), comte du 
Maine, 63, 170-174, 
296. 

Renaud de Roucy, 370. 

Rennes , 22, 70 et n. 3, 176, 204, 
284, 288. 

— (Comté de), 396. 
Reynaud, 375 n. 1. 

Rhin, 163, 3(0. 

31 


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ETUDE CRITIQUE 


474 

Richard I« r , duc de Normandie, 
4, 10, 13-16, 19-22, 24, 27, 29, 
30, 47, 114, 132, 204, 221, 222, 
226, 233, 235-237, 247,248 n. 1, 
295, 297, 311 n. 1, 320, 326, 
327, 332, 333, 345, 347, 348, 
351, 355, 356, 358, 360, 304, 

367, 368, 370-373, 379, 381- 

386, 388, 389-391, 394-396, 398- 
408 (s. de la n. 5 de la p. 407), 
409, 411413, 417, 418, 421, 

423, 427, 428, 435, 436, 447, 

448, 450. 

Richard II, le Bon, duc de 
Normandie, 1, 2, 14-16, 21, 
23-25, 114, 136, 141, 204, 
214, 246, 281, 297, 299 n. 2, 
318, 322, 326, 327, 358-360, 
391, 401 n. 3, 404, 405 n. 2, 
406 n. 3, 419-421 et n. 1, 
425, 430, 440, 441. 

Richard III, 326. 

Richard, duc de Bourgogne, 75, 
76, 185-187, 191-194. 

Richard Le Roux, 319, 320 n. 1. 
— le Vieux, 322, 325, 326. 

Richer, 2, 96 n. 3, 138, 139, 
164, 191, 214, 239, 254, 274, 
276, 305, 308, 309, 313, 314, 
320, 325, 334, 335, 353, & r >4, 
358, 362, 373, 375, 390, 393, 
397, 428. 

Richwin, Ricuin, 191. 

Ridoul, 341. 

Rioul, meurtrier de Guillaume, 
336, 338, 340, 342. 


Digitized by GouqIc 


Rioul, rebelle, 202 n. 2, 292- 
295, 299, 300, 325, 337, 338, 
351, 407, 428, 434, 435. 

Rioult de Neuville, 63 n. 1, 
106. 

Risle (la), 293, 294, 296. 

Rivet (Rom), 6. 

Robert le Fort, 68, 369. 

Robert, meurtrier de Guil¬ 
laume, 336. 

Robert de Montreuil, 334. 

Robert de Namur, 382. 

Robert de Torigny, 391, 401, 
403 n. 2. 

Robert Guiscard, 56. 

Robert, duc de Normandie, 114. 

Robert I er , marquis, duc de 
France et roi, 186, 191-194, 
198, 204, 236, 238, 250, 255, 
273, 274, 276. 

Robert II le Pieux, roi de 
France, 17, 18, 21, 214, 247, 
405. 

Robert, archevêque de Rouen, 
18, 346, 391, 392, 405, 409. 

Robertiens (voir Capétiens), 389. 

Roger I« r , roi de Sicile, 56. 

Roger, comte de Laon, 229, 230, 
312. 

Roger, évêque de Lisieux, 405. 

Roland, 294. 

Rolland, 173. 

Rollon, Ganger-Rolf, Gange- 
Rolv, Ilrolf, Rodulfus, 20, 22, 
23, 27, 29, 47, 61, 63, 67, 82, 
86 , 88, 92, 97-99, 108, 111-114, 
116-123, 125-129, 131-135, 137- 


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PRINCETON UNIVERSITY 



SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


175 


142,144-147, 150, 151,153,159 
n. 1, 160-163, 166,167 et n. 2, 
168 et n. 1,169,170, 173, 174, 
177-182 et n. 1, 184, 185, 187, 
189-191, 194,196-204, 206, 212, 
215, 216, 218, 219, 221, 223, 
226, 232, 233, 238, 238-241 et 
n. 3, 242, 243 et n, 1, 245, 218, 
250, 251, 254, 255, 259-263, 
265-288 et n. 2, 270, 271 et 
n. 1, 273,274,276, 277 et n. 4, 
278, 280, 288, 290, 294, 296- 
299, 302, 331 n. 1, 337, 351, 
359, 362, 367, 402, 407 et n, 5, 
408, 410, 4M, 416, 418-420, 
422, 423, 427, 432, 433, 434. 

Romain (Saint), 400. 

Rome, 305, 321, 426. 

Roos, 147,149. 

Roric, évêque île Laon, 394. 

Ross (comté de), 129. 

Rosus (voir Rollon), 258, 302. 

Rouen, 16, 19, 28, 66, 124, 125, 
129,141, 142,150,169,170,185, 
188-190, 197, 199, 200,204. 218, 
235, 236, 270, 273, 275 et n. 6, 
276, 280, 282, 287, 293, 300, 309, 
310,319, 320, 330, 332, 337,347- 
350,352, 354,356, 357, 362, 363, 
365 et n. 1, 366 et n. 2, 367, 
372, 375-377, 378 n..l, 381, 
384, 386, 391, 398, 410-412, 
420, 440, 442, 458. 

Rouen, Province ecclésiastique, 
200, 202, 205, 238. 

— Diocèse, 275 n. 5, 411. 


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Rouen, Archevêque, 253, 260, 
410, 433. 

— Notre-Dame, 199, 343, 
399, 400. 

— Eglise Saint-Sauveur, 
410. 

— Marchands, 397. 

— Abbaye de Saint-Ouen, 
373, 377, 399, 400. 

— Porte Beauvoisine, 372, 
378 n. 1, ms. de 344. 
Rouennais, 125, 173, 336, 348. 
Roumare, 270, 373. 

Kudalt, 290. 

Russie, 56, 119. 

R'J (Danemark), 141. 

Saint 

Saint-Benoit - sur-Loire ( ab - 
baye), 188, 446. 

Saint-Berlin (abbaye de), 403, 
426. 

Saint-Clair-sur-Epte, 22, 128, 
196-198, 205, 212, 218 n. 1, 
221, 223, 224, 232, 237, 350, 
367,386, 388,389, 417, 419, 433, 
449-451. 

Saint-Cyprien (abbaye de), de 
Poitiers, 304, 331. 
Saint-Denys (abbaye de), 49, 
102, 199, 326, 355, 370, 375, 
377, 402, 409, 411, 412. 
Saint-Evroul (abbaye de), 25. 
Saint-Florent, 64. 

Saint- Germain - des - Prés (ab¬ 
baye de), 71 n. 1, 102, 201. 


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PRINCETON UNIVERSITY 



476 


ETUDE CRITIQUE 


Saint-Jean-d’Angely, 332 (s. de 
la n. 2 de la p. 331). 

Saint-Lo , 176, 410. 
Saint-Martin-en-Hièmois, 401. 
Saint-Ouen (abbaye de), 199, 
406 n. 2, 407. 

Saint-Père de Chartres (abbaye 
de), 411, 448. 

Saint-Quentin, 13, 14, 29, 47, 
49, 426. 

Saint-Riquier (abbaye de), 74, 

444. 

Saint-Riquicr-cs-Plain , 405. 
Saint-Taurin (abbaye de), 406. 
Saint-Vaast (abbaye de), 27, 
49, 52, 78, 426. 

— (chapelle de), 168, 
169. 

Saint-Valéry-en-Caux, 405. 
Saint-Wandrille (abbaye de), 
(voir Fonteneile). 

S 

Sackur, 331 n. 2, 405 n. 3. 
Salomon, roi de Bretagne, 68, 
69, 176, 200, 285, 286. 
Samégithie , 39. 

Samson (Saint), 205. 

Saône (la), 187. 

Sarmates, 35, 36 n. 1. 
Sarrazins, 55, 387 n. 4. 

Sarthe (la), 412. 

Saucourt en Yimeu, 353, 358. 
Sauvage (abbé), 253. 

Sauvage (R.-N.), 363. 

Saxe, 312, 313, 376. 


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Saxo Grammaticus, 39. 45, 56, 

101. 140, 145, 268, 270, 271, 
360, 361, 443. 

Sax*ms (les), 73, 151, 154, 275 
n. 6, 311, 372, 373, 375. 
Saxones Rajneassini, 311 il. 1. 
Scandinaves , 39-41, 117, 125, 
157, 270, 271, 291. 

Scandinavie, il. 84, 118, 125, 
155, 265, 387 n. 4, 389, 426. 
Scanie, 147,160. 

Scanzia (Scandinavie), Scania, 
34, 45, 113, 140, 147. 

Sccobyrig ( Shoebury ), ville 
d’Angleterre, 80. 

Sghlegel, 362 (s. de la n. 3 de 
la p. 361). 

SCHŒNIKG, 115. 

Scots, 181. 

Scubilion (Saint), 205. 

Sebar, évêque d’Evreux, 179. 
Sébastien de Salamanque, 
chroniqueur espagnol, 54. 
Sées (évêché de), 410. 

Seine (la), 29, 51, 57, 64, 66, 82. 

102, 117, 152, 161, 167 n. 2, 
168, 173, 174, 184, 187, 190, 
199, 200 (s. n. 3 p. 199), 201, 
253, 258, 271, 275 n. 5, 276, 
283, 287, 290, 296, 337, 338, 
341, 849, 351, 352, 369, 374. 

Senier (Saint), 205. 

Sentis, 177 et n. 5, 374. 

Sois, 193, 194. 

Setric, 352 et n. 4, 353, 354, 358, 
435. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


477 


Séulfe, archevêque de Reims, 
274. 

Shetland (îles), 362. 

Shonen, 265. 

Sicambre, 46. 

Sicile , 56. 

Siegfrid, Sigfrid, chef viking, 
20, 98, 159 n. 2, 165, 166, 171, 
174, 175, 184, 262, 432. 
Sigtrygg Cam, 352 n. 4. 
Sigtrygg O'Svar, 352 n. 4. 
Sigtrygg Snarfare, 352, n. 4. 
Sigurd, roi de Danemark, 115. 
Simeon (Saint), 440. 

Sinaï (le), 440. 

Sion, 266 n. 1. 

Siramle (la), 286. 

SlSMONDI, 83. 

Sithric, roi de Northumbrie, 181, 
182 n. 1. 

Sleswig, 159, n. 1. 

Smôland, 147. 

Snio, prince du Jutland, 39. 
Snorré Sturlkson, 117, 119, 
120, 141 n. 2, 362. 
Sœnderjylland , 159 n. 1. 

Sogn, pays de Norvège, 85, 86. 
Soissons , 27, 273, 274, 286, 368. 

369, 383. 

Soissonnais, 370. 

Somme (la), 75, 107, 336. 

Sorel (Albert), 249 et n. 2. 
Sorin, 442. 

Spezzia (golfe de la), 55. 

Sprota, 24, 235, 291, 292. 

Stat (cap.), 91, 94, 95. 


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Steenstrup, Johannes, 9, 10, 
37, 38, 55, 56, 95, 100 n. 2, 

102, 108, 119-122,124-132, 104, 
140, 146, 148, 150, 151 n. 3, 
153, 155, 157, 168 n. 1, 226, 
232, 240, 262 n. 2, 264 et n. 2 
et 3, 267-269 et n. 2, 359. 

Stevenson, 80 . 

Stokksegri Hasteinnsund, vil¬ 
lage d’Islande, 86. 

Storm (Gustave), historien nor¬ 
végien, 9, 58 n. 3, 64 et n. 4, 
75 n. 3 de la p. 74, 84, 85, 
101 (s. de la n. 2 de la p. 100), 

103, 104, 122, 129, 130 n. 2, 
133 n. 1, 146, 151, 155, 156, 
158, 264 n. 2. 

Suderœ (voir Hébrides). 

Suède , 41, 42, 93, 125, 147, 153, 
156, 266 n. 1, 271 n. 1, 422 
n. 1. 

Suédois , Sueones, 43, 112, 119, 
125, 147, 151, 152. 

Suénon ou Svend Tvaeskeg, roi 
de Danemark, 136, 360, 361. 

Suèves (les), 73. 

Suhm, historien danois, 84, 85, 
87 n. 1., 95,115,162, 264 n. 3 
361 n. 3. 

Sydroc, chef viking, 102 et s. 
de la n. 2 de la p. 101. 

T 

Tamivorth, 181. 

Tanait, 46. 

Tancrède de Hauteville, 38. 

Tassilon, 223. 


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478 


ÉTUDE CRITIQUE 


Tavernier (D r ), 430 n. 1. 

Ternois (le), 334. 

Tetger, 310, 312. 

Thôoderic, évêque de Coutan- 
ces, 410. 

Théodoric, roi des Ostrogoths, 
271. 

Thibaut le Tricheur, comte de 
Chartres. 61, 74, 303, 346, 
379-381, 383-386, 396, 399, 404 
n. 3, 407, 436, 448,450. 

Thibaut IV, comte de Cham¬ 
pagne, 44-4. 

Thierri, 185. 

Thierry (Augustin), 83, 207 
n. 1,264 n. 3. 

Thiffaulges, 306. 

Thor, dieu Scandinave, 41-44, 
48,91, 98, 99, 108, 114, 432. 

Thord, noble homme de Nor¬ 
vège, 101. 

Thorgisl, 75 (n. de lap. 74). 

Thori, frère de Ganger Rolf, 
362. 

Tbor-ness, village d'Islande, 92. 

Thohpe, 5 n. 2, 117. 

Thor-Wolf, 91, 92, 94, 95, 97, 
99, 105. 

Thuilleries (abbé des), 24. 

Tbuil-Hébert , 157. 

Thur, 135. 

Thury-Harcourt , 289. 

Tite-Live, 20. 

Tolbiac , 163. 

Tonnet're, 186, 446. 

Torfæus, 115. 

Tortaire ou Le Tourtier, 153. 


Toumebus, 156. 

Tours, 64, 319, 321. 

Tragodites, 35, 36, 439. 
Tranquillus{ Trancault), 83, 442. 
Trans (bataille de), 308. 
Transséquanie (la), 350,368, 369. 
Tréguier, 70. 

Trêves, 165. 

Trigan, 161. 

Troglodytes. 36, 439. 

Troie, 44, 46, 443, 444. 
Trotidheim, Trondihem, Tron- 
dheim, ville de Norvège, 91, 
93, 105 n. 1, 137, 139. 

Trosly (concile de), 253, 259 
n. 3. 

Troyes, 83, 382, 442-444. 

Tudual (saint), 70. 

Turiau (saint), 71. 

Turmoud, 352-354, 356, 358, 
406, 435. 

Turold, 430 n. 1. 

Tyr, divinité Scandinave, 43. 

U 

Utrecht, 165. 

V 

Valland, voir la Gaule, 97 , 99, 
128, 168 n. 1. 

Val Trécor (abbaye du), 70. 
Vannes, 290. 

Varenne (la), 412. 

Véland ou \Veland,chef viking, 
98, 102. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


479 


Vénérand (saint), 403 n. 2. 

Venusinus, 115. 

Ver ber ie, 102. 

Ver g y (abbaye de), 75. 

Vermandois x 13, 16, 22, 51,275, 
342, 357, 367, 381, 434. 

Vérone , 271. 

Vertot, 203 n. 1. 

Veslfold , 301 (s. de la n. 4 de 
la p. 300). 

Veules , 405. 

Viborg, 39. 

Victrice (saint), 400. 

Vie (la), 363, n. 3. 

Vigfusson (Godbrand), 95, 96 
n. 2, 105 n. 1, 107, 128, 141 
n. 2, 146, 168 n. 1. 

Viken , pays riverain du Skagcr- 
rack, 91, 93, 105 n. 1, 114, 
137, 146, 271. 

Vilaine , la (rivière), 69. 

Ville tiARDOUix, 444. 

Villemetz , Yillemer, 189, 190. 

Villemeux, 189, 190, 193. 

Viollet (Paul), 222 et n. 2,227, 
232, 247. 

Vire (la), 176, 286, 293. 

Virgile, 46, 111, 160, 426, 441. 

Visé , 312, 328. 

Vittefleur, 405. 

Vogel, 58 n. 1, 66, 70, 102. 103 
(s. de la n. 7 de la p. 102), 
124, 127, 162, 165, 175, 180, 
188, 190. 

Vossius, 13. 

Vouziers, 312. 

Voyze-sur-Meuse, 312. 


Vuegasala , voir Visé. 

Vulfald, évêque de Laon, 450. 

Vurm, chef viking, 165. 

Vurmond, 113 (s. de la n. 2 de 
la p. 112). 

W 

Wace, 2, 101, 113 (s. de la u. 2 
de la p. 112), 140, 143, 177, 
178, 195, 263 n. 2, 273, 294, 
302, 339, 340, 342, 343, 390, 
391, 395. 

Waitz, 3, 7, 28, 117, 120, 139 
n. 1, 264 n. 1 et 3. 

Walberg, professeur à l’Uni¬ 
versité de Lu ml. 86, 87 n. 1, 
100, 125, 126, 132, 150, 151 
n. 3. 

Walcheren (île de), 140, 163. 

Waldetrude (sainte), 168 n. 2. 

NVandrille (saint), 403. 

Wantehnus (voir Gouteaume), 
192. 

Wedmore, 162, 167 n. 2. 

Wenncland , 39. 

Wessex, 161. 

Wcst-Gothie, 147. 

Wicar, roi de Norvège, 44. 

Widukind, chroniqueur, 27,28, 
29, 147, 150, 151-, 374, 376, 
377, 427. 

WlLLELMS, 322. 

Witto, voir Guitton. 

Worsaae, 65, 84, 104, 119, 159 
n. 1, 162, 264 n. 3. 

Wrmaëlon, duc de Bretagne, 
290. 


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Y Z 

Yonne , 187. Zeuss, historien allemand, 117. 

Yves de Bellême, 355, 412. Zwentibold, 446. 

Yvetot, 266 et n. 


* 


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SIR DUDOX DE SAINT-QUENTIN 


•481 


ADDITIONS & CORRECTIONS 


Page 11, avant dernière ligne, premiers normands, 
lisez : premiers ducs normands. 

Page 16, ligne 3. île de France, lisez : Ile-de-France. 

Page 20, ligne 27, Biœrn, lisez : Bjœrn. 

Page 24, ligne 24, abbé des Tuileries, lisez : abbé des 
Thuileries. 

Page 44, note 1, lisez : note 4 ; Roman de Reu, lisez : 
Roman de Rou. 

Page 49, note 2, dans les Annales de Saint-Quentin, Ibid., 
lisez : dans les Annales de Saint-Quentin M. G. SS. 

Page 50, ligne 3, Prudent de Troyes, lisez : Prudence de 
Troyes. 

Page 51, note 3, ligne 2, les Normans dans le Noyonnais, 
868, lisez : 1808. 

Page 58, note 1, ligne 12, Die Normannen und das 
Frankische, ajoutez : Reich. 

Page 64, note b., Xéerologium ecclesiæ, beatæ, lisez : 
Xéerologium ecclesiæ beatæ. 

Page 77, note 1, depopulatus est, 891. —, lisez : depopu- 
latus est. — 891. 

Page 78, note 1, ligne 4, ne parlent pas, lisez : ne parle 
pas. 

Page 84, ligne 14, deux Hastings, lisez : deux Hasting. 

Page 85, lignes 22 et 23, le nom d'Hasting est danois et 
non norvégien, lisez : le nom d‘Hasting est norvégien et 
non danois. 

Page 86, ligne 3, Irlande, lisez : Islande. 


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ETUDE CRITIQUE 


482 

Page 97, ligne 5, Bjœrn, le fils de Ketil, lisez : Bjœrn 
Côte de Fer, le fils de Ketil. 

Page 106, dernière ligne, le Nord, lisez : le Nord de la 
France. 

Page 125, ligne 28, Sund, lisez : Luml. 

Page 137, ligne 20, Raurike, lisez : Ranrike. 

Page 138, dernière ligne ,Islande, lisez : Irlande. 

Page 141, note 3, Snorre Slurteson, lisez : Snorré Stur- 
leson. 

Page 142, ligne 12, Islande, lisez : Irlande. 

Page 143, ligne 6, Benoit, lisez : Benoit. 

Page 146, ligne 6, les Sagas, lisez : la Saga. 

Page 156, ligne 2, ses Kritiske Ridrag, lisez : son Kritiske 
Bidrag; ligne 20, Folsterbô, lisez : Falsterbô. 

Page 179, ligne 11, ajouter la note qui suit : La Chroni¬ 
que de Saint-Etienne de Caen (Duchesne, Norm. script. 
p. 1066) qui place en 913 le traité de Saint-Clair-sur- 
Epte, dit que Rollon reçut en mariage Gisèle dont il n’eut 
aucun fils, mais qu'ensuite il reçut en mariage Popa, 
fille du comte de Senlis, dont il eut Guillaume. Mais ce 
renseignement dérive évidemment de Iiudon, qui fait de 
Bernard de Senlis, l'oncle de Richard I er , et il est en contra¬ 
diction avec une autre affirmation du même Dudon qui 
place l'union avec Popa, avant le traité de Saint-Clair- 
sur-Epte et fait de Popa une fille de Béranger, comte de 
Bayeux. 

Page 230, ligne 2, roi, lisez : roi ». 

Page 242, ligne 4, la famille de Normandie, lisez: la 
famille ducale de Normandie. 

Page 244, ligne 2, a négligé le »ervit*um(2), lisez : a négligé 

le servitium (2); 

Page 248, ligne 14, dit : quels, lisez: dit quels. 

Page 250, ligne 10, baptisa Rollon, le duc des Francs, 
Robert.... lisez: baptisa Rollon; le duc des Francs, 
Robert... 

Page 264, note 3, ligne 1, Sulm, lisez : Suhm. Ajoutez 
aux autorités citées par Steenstrup, Büdinger, art. cit. 


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SUR DUDON DE SAINT-QUENTIN 


483 


Page 266, note 1, chaque paysan reçoit, lisez : chaque 
paysan reçut: 

Supprimez les guillemets avant : on procéda, à la ligne 
suivante. 

Page 276, note 6, Bajocenses , lisez: Bajocacenses. 

Page 278, dernière ligne. Nous plaçons la mort de Rollon 
après 928, sans rien préciser. M. Al. Bugge, Norges 
Historié , I, p. 73, place sa mort en 931, mais sans apporter 
aucune preuve à l’appui de cette date. 

Page 290, note 3. Nous disions : » Roald a-t-il été confondu 
par Dudon avec Rollon? Et cette confusion serait-elle 
légitime? Il ne serait pas impossible que Rollon, maître 
de la Normandie, ait tenté quelque expédition en Bre¬ 
tagne, en 914, puis en Angleterre, en 915 ». Cette hypo¬ 
thèse qui n’est qu’une hypothèse, aurait l'avantage d’ex¬ 
pliquer pourquoi Dudon fait de Rollon le conquérant de 
la Bretagne. Remarquons que nous ne savons rien de 
Rollon entre 912 et 923; on serait assez tenté de supposer 
qu'il a employé ces années à une expédition en Bretagne, 
puis en Angleterre. Il est d'ailleurs certain que les vikings 
de Normandie continuèrent d’avoir des relations avec ces 
deux pays. M. James-H. Tood, éditeur de la chronique 
irlandaise intitulée: The War of the Gaedhil with t/te Gaill, 
remarque p. xciv, n. 2, que la bande d’Ottar (Ohter) et de 
Roald entra dans la bouche de la Severn, trouva un refuge 
dans le sud du pays de Galles, puis en Irlande. Cette bande 
venait d’Armorique, elle avait quitté la Grande-Bretagne 
pour la Gaule, dix-neuf années auparavant, c'est-à-dire à 
l’époque où la bande de Rollon a pu aller de Grande-Bre¬ 
tagne en Gaule ; enfin les sources qui font mourir Ottar 
et Haglinall en Ecosse (Ibid., p. 35) ne sont pas sures. 
Mais ailleurs M. James Todd identifie Roald avec le Ragnall 
des sources irlandaises, qui fut tué en 921 (p. lxxxvï). Et 
au reste il est plus probable que Rollon a consacré les 
années qui suivirent 912 à l'établissement définitif de sa 
bande en Normandie. Tout au plus pourrait-on supposer 


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ETUDE CRITIQUE 


484 

qu'Ottar et Roalil ont appartenu à la troupe de Rollon et 
n'ont pas voulu demeurer en Normandie ? 

Page 294, ligne 14, Rolland, lisez: Roland. 

Page 302, ligne 14, ajouter en note : à Ebles, père de 
Guillaume Tète-d'Etoupe, que M. Richard, Histoire des 
comtes du Poitou , appendice II, t. II, 460-466, a démontré 
que Guillaume Tète-d'Etoupe avait bien épousé Adèle, 
fille de Rollon. 

Page 303, lignes 5 et 6, au lieu de Thibaut de Champagne, 
lisez : Thibaut de Chartres. 

Page 311, note 1. L'Otlinga Saxonia ne parait plus dans 
aucun texte postérieur à 860 •. Le dernier acte certain où 
il est question de l'Otlinga est de 853 : les Gesta A Idrici 
(évêque du Mans, de 832 à 856) en font mention : mais en 
860 dans une charte relative à Saint-Sylvin, village situé 
près d'Airan, qui était incontestablement dans l'Otlinga, 
il n’est plus question de ce nom. l’ai montré dans un 
article de la Revue Historique, CVU, pp. 285-309, intitulé 
Liltus Saxonicum, Saxones Rajncassini , Ollinya Saxonia , 
repris plus tard avec des additions dans le tome II du 
Compte Rendu du Congrès de Rouen, qu’il ne saurait y 
avoir identité entre ces trois expressions : le Littus Saxo- 
nicum s'étendant de la mer du Nord au moins jusqu'à 
l'estuaire de la Loire, (je ne ferai aucune difficulté à 
l’étendre jusqu'à celui de la Gironde), les Saxones Uajo- 
cassini se trouvant dans le Bessinau VI* siècle et l'Otlinga 
Saxonia entre la Dive et l'Orne au IX* siècle. Je maintiens 
ces conclusions. 

Page 306, ligne 9, le retour des Bretons, lisez : le retour 
«les princes bretons. 

Page 314, ligne 11, ces détails, lisez : ces détails? 

Page 328, titre du paragraphe, Le baptême du fils du 
Lothaire, lisez : le baptême de Lothaire. 

Page 317, note 2, ligne 3, recherhes, lisez : recherches. 

Page 336, ligne 16, il est également, lisez : il est. 


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SUR DUDON DF. SAINT-QUENTIN 485 

Page 353, note 1, c’est ce combat entre Setric etTurmoud, 
lisez : c’est ce combat contre Setric et Tunnoud. 

Page 355, ligne 23, Anslec, lisez : Anslech. 

Page 359, ligne 1, I)udon diflère encore de Flodoard, 
lisez : Dudon s’écarte encore de Flodoard. 

Page 384, note 1, à l’avant-dernière ligne, les affaires 
de Flandre où Arnoul II venait de succéder à Baudouin, 
lisez : et la Flandre « où Lothaire eut à régler un diffé¬ 
rend entre Arnoul de Flandre et un nepos homonyme ». 

Page 395, ligne 15, Richard était le vassal de Hugues, 
ajoutez : le Grand. 

Page 397, ligne 12, Foulque, ajoutez : le Bon, comte 
d'Anjou. 

Page 406, ligne 15, ajoutez : M. Pignot, Histoire de 
Cluny, I, 290-291, croit à tort que Maïeul demanda l’aboli¬ 
tion de ces droits. Comme le fait remarquer M. Pfister, 
op. cil., p. 309, n. 7, il les demanda pour le monastère. 

Page 408, ligne 16, M. L. Dkuidour, Essai sur l'histoire 
de l’abbaye bénédictine de Sainl-Taurin d'Evreux , p. 29, 
a très bien montré en s’appuyant sur la Charte de Richard 
Cœur de Lion que c’est le duc Ricnard, fils du duc Guil¬ 
laume, c’est-à-dire Richard I er qui est le fondateur de 
l'abbaye. D'ailleurs, comme il le fait remarquer, le Nécro¬ 
loge de Saint-Taurin, aujourd'hui perdu, mais dont Le 
Brasseur nous a conservé un extrait, montre que Richard 
le Vieux, Richardus Senex était qualifié de fondateur de 
l’abbaye. M. Debidour considère (p. 38, n. 2), la mention 
du De immutatione tic Robert de Torigni, qui attribue la 
fondation à Richard II, comme une erreur. 

Page 415, ligne 16, il n esquissé un tableau des causes 
des succès des invasions normandes, succès dont il 
trouve la cause dans le déplorable état, lisez : il a 
esquissé un tableau des invasions normandes, il attribue 
leur succès au déplorable état. 

Page 455, colonne 1, l’Aure, lisez : \'Aure m , Auxerrois, 
lisez : VAuxerrois. 


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TABLE DES MATIÈRES 

Page» 

PRÉFACE.vu 

BIBLIOGRAPHIE.xvi 

INTRODUCTION 

L’Œuvre de Dudon. 1 

Son importance. 1 

Editions. 2 

La Critique. 3 

L'Auteur et le milieu . 13 

Vie de Dudon. 13 

Le milieu littéraire. 15 

Adalbéron. 17 

Caractères de l’Œuvre. 19 

Composition et Sources de l’Œuvre . 24 

Raoul d’Ivry. 24 

Les Sources. 27 

Une Source possible de Dudon : Widukind . . 28 

Dudon et Fécamp. 30 

LE PREMIER LIVRE DE DUDON 

La Géographie et les Considérations générales . 33 

Hasting. 47 

Hasting et les invasions dans Dudon .... 48 

Luna. 53 

Le traité de paix avec un roi de France ... 57 

Hasting dans Guillaume de Jumièges.... 60 


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488 


TABLE DES MATIÈRES 


Biographie critique d’Hasting. G4 

llasting et les Sources Angevines et Touran¬ 
gelles . 72 

llasting et les Sources Bourguignonnes ... 75 

Faits authentiques de la vie d'Hasting. — llasting 

et les Sources Franques et Anglo-Saxonnes. 78 
L’Origine d'Hasting et les Sagas. 82 

LE DEUXIÈME LIVRE 

llOLLON; Son Origine .111 

Historique de la question.114 

Discussion de l'argumentation de M. J. Steens- 

trup.127 

Discussion des Textes.132 

Les autres Textes.138 

Les autres Sources Islandaises.146 

Les Questions secondaires. — L’Hypothèse de 

l’Origine Suédoise.147 

Dani, Normanni : le Texte de Widukind. . . 147 

Quelques autres arguments : la pêche à la 
haleine, les tombes de Groix, les noms de 

lieu.152 

Les Campagnes de Jiollon .100 

Rollon en Angleterre.160 

Rollon en Lotharingie.163 

Rollon en Normandie.167 

Bayeux et Evreux .. 174 

Rollon et Athelstan.180 

Rollon et les Invasions.184 

Campagne de Bourgogne.185 

La bataille de Chartres.191 

Le Traité de Saint-Clair-sur-Eptc .196 

Le territoire concédé.198 

La Bretagne.203 

La Normandie est-elle un grand lief de la cou¬ 
ronne ?.207 


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TABLE DES MATIÈRES 189 

La Conversion de Rollon et des Normands au Chris¬ 
tianisme .*250 

L‘Établissement des Normands et la Législation de 

Rollon .*260 

Le partage des terres.26*2 

Les lois de Rollon.266 

Les dernières années et la mort de Rollon. . 27*2 

LE TROISIÈME LIVRE 

Guillaume Longue-Épée.279 

La révolte des Bretons.279 

Sprota.291 

La révolte de Rioul.292 

Les mariages.301 

Guillaume et Louis d’Outremer .301 

Guillaume et le roi de Germanie.306 

Guillaume Longue-Épée et le Coronement Looïs. 315 

Le baptême du fils de Louis.328 

Guillaume et l’abbaye de Jumièges .... 330 

La mort de Guillaume Longue-Épée .335 

LE QUATRIÈME LIVRE 

Richard I ïr .345 

Les premières années du règne, la minorité, la 

réaction païenne .346 

Hagrold.359 

Raoul La Tourte.363 

La Normandie et les Capétiens.367 

La première invasion allemande en Normandie 

(946). 371 

La lutte de Richard I rr contre Thibaut de Char¬ 
tres .379 

La dernière partie du règne de Richard /" (965-990). 389 

La famille de Richard.390 

Affaires de Flandre.39*2 


32 


* 


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TABLE DES MATIÈRES 


490 


Richard et Albert de Yermandois.395 

Les lacunes de Dudon. 396 

Richard I* r et l’Église . 400 

La Féodalité Normande.412 

La mort de Richard I er .413 

LES INSTITUTIONS ET LES MŒURS DANS DUDON . . 415 

CONCLUSION.425 

APPENDICES.439 

I. Dudon savait-il le grec?.439 

II. L'origine champenoise d’Hastirig ... 4-42 

III. Date de la bataille de Chartres.445 

IV. Date do la paix entre Lothaire et Richard I er . 447 

INDEX.453 

ADDITIONS ET CORRECTIONS 4SI 


14034. — lmp. G. Poisson et C”, rue Froide, 16 , Caen. — Tel. 0.30 



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